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Vers le début du Journal 2016

Vers la fin du Journal 2016

Extraits du journal de Harry Morgan 2017
MASSACRE, DÉNI, HACHIS ET ÉPOUVANTE
Les derniers jours de Cretinia

1er janvier. — Assisté à la messe dominicale, avec un sentiment de vertu qui s’augmente du fait qu’en ce jour de l’an il n’y a pas trois chats. Il y a ceci de surcroît que, l’année venant de commencer, on n’a pas encore eu le temps de pécher ; on est, au dedans de soi, aussi blanc que les vergers et les prairies que le gel a changés en sucre filé.

4 janvier. — Numéro commémoratif de Charlie Hebdo, deux ans après les meurtres de masse à la rédaction. Surprise : Charlie n’est plus de gauche. Articles, caricatures, bandes dessinées, toute la rédaction dénonce à l’envi les bien-pensants qui trouvent que les dessinateurs assassinés l’avaient tout de même un peu cherché.

5 janvier. — Je bouquine ce soir pour me délasser le Mémoire de Madame Royal, fille aînée du roi, sur son emprisonnement au Temple, puis Louis XVII, sa vie son agonie, sa mort, captivité de la famille royale au Temple, d’Alcide-Hyacinthe Du Bois de Beauchesne, 1852. Le Mémoire de Marie-Thérèse-Charlotte de France est un modèle de retenue et de résignation chrétienne (il est vrai que la malheureuse est tenue dans l’ignorance du sort de ses royaux parents et de son royal frère). L’ouvrage de Beauchesne en rajoute dans le sublime et le lacrymal, de sorte que le lecteur distingue mal d’abord que les sévices qu’on inflige au petit Capet, les assommages et les brimades du citoyen Simon, puis la séquestration dans l’obscurité, sont ceux que subit tout enfant maltraité. Cependant la façon dont on règle le martyre de l’enfant-roi, le style, si l’on veut, de ses tortionnaires, préfigure les atrocités à venir des régimes totalitaires, de même que la démagogie et l’intempérance verbale desdits tortionnaires sont le modèle de la rhétorique totalitaire. Que veut-on faire du louveteau ? demande le citoyen Simon, selon une note manuscrite du citoyen Sénart. Veut-on le déporter ? le tuer ? l’empoisonner ? Rien de tout cela. On veut s’en défaire. Autrement dit, on veut ensemble l’assassinat et le déni de cet assassinat, le crime et l’effacement du crime. Le 13 thermidor an II (31 juillet 1794), le citoyen Laurent découvrira, au milieu de la vermine (« tout est vivant dans cette chambre », dira le citoyen Caron), un enfant prostré, mutique, couvert de plaies et portant les tumeurs de la tuberculose osseuse dont il mourra dix mois plus tard.

6 janvier. — Fait un effort surhumain pour lire La Croix. On reste pantois devant une si complète incapacité à simplement discerner l’événement. Dounia Bouzar, experte autoproclamée en déradicalisation, proche de l’islamisme frériste, a perdu les financements publics. Voilà une chose que le journaliste mentionne en passant (« figure de référence hier, contestée aujourd'hui »), sans en indiquer ni la signification ni les enjeux, alors qu’il y a là l’indice d’un changement, d’un revirement peut-être, dans les relations entre la République et le mahométisme politique. Mais le journaliste ne se soucie que d’encenser l’émir des terroristes de Paris, qui, tutoré par Mme Bouzar, se présente aujourd’hui comme un repenti et qui voudrait se faire applaudir dans ce nouveau rôle.

7 janvier. — « Je ne me sens pas en sécurité. J’ai comme le sentiment que quelqu’un peut me tuer en pensant que son acte le rapprocherait de Dieu. » AFP, 6 janvier, c’est une chrétienne copte qui parle.

8 janvier. — Dimanche de l’Épiphanie. Aux athées qui nous représentent que notre Dieu doit être bien sanguinaire et bien inique, puisqu’il a sacrifié son fils, qui n’a rien fait, en expiation des fautes des hommes, il faut opposer le mystère de l’Incarnation. C’est dans l’Incarnation, non dans la Croix, qu’est le scandale, puisque c’est dans l’Incarnation que le Christ a épousé la condition de mortel. Le propre de l’expérience chrétienne, c’est que, dans le cours même de notre vie, et jusqu’à notre agonie, nous marchons dans les pas de notre Dieu. Et c’est vrai du plus misérable d’entre nous, jusqu’au malfaiteur qui monte au supplice.

9 janvier. — Cette petite monnaie de l’écoute bienveillante, de l’encouragement, du compliment, de la caresse, nous en sommes avares, alors qu’elle fait tant de bien. – Mais, de fait, ceux qui en sont prodigues ne sont-ils pas le plus souvent des démagogues et des flatteurs, de sorte que cette petite monnaie est bien le plus souvent de la fausse monnaie ?
L’importance donnée au sentiment de pitié, c’est très certainement la clé de la scène du Graal dans le Perceval de Chrétien de Troyes, clé qui n’est donc pas d’ordre mystique, mais d’ordre moral. La faute de Perceval est de rester figé par le protocole (son précepteur lui ayant appris qu’il était malséant de questionner) et fasciné par l’apparat du dîner et par la mangeaille. Il faudrait qu’il demandât ce qu’est la lance ensanglantée, ce qu’est ce plat d’or qu’on promène, ce lustre, ce tailloir d'argent, de quoi souffre le roi alité, autrement dit, il faudrait qu’il fît preuve de compassion. S’il avait été interrogé sur ses maux, dit le conte, le Roi Pêcheur eût recouvré instantanément l’usage de ses jambes.

10 janvier. — Superbes promenades dans la campagne enneigée. Celle de dimanche m’a entraîné assez loin, vers Wolfaecker, à l’assaut d’une petite colline, puis m’a fait revenir à travers des champs que je ne reconnaissais plus.
Illogisme de bête. J’ai fait installer une chatière sur la porte de la véranda, absolument semblable à celle de la porte de la cuisine. Démonstration du fonctionnement de cette chatière aux intéressés. Mais les félins, observant depuis la cuisine, par la porte vitrée, constatent que la porte de la véranda est désormais fermée et concluent que « c’est fermé ».

13 janvier. — Je m’offre, en modèle réduit, la galette des rois à la frangipane dont, avant l’infarctus, je faisais de grandes ripailles, contrarié seulement dans ma groinfrerie par la présence inopportune de fèves en porcelaine, sur lesquelles je risquais à chaque fois de me casser une dent.
Cette galette, qui est remplie de toutes les saletés qui viennent tapisser la plaque artérielle, et qui ne devrait pas franchir l’isthme de mon gosier, n’a pas un goût si différent des mets que je consomme aujourd’hui. Je suis dans la position d’un homme qu’une conspiration de pâtissiers tâche d’empoisonner.

15 janvier. — Crise de dix-huitiémisme. Je lis alternativement An Essay on Man d’Alexander Pope et The Children of the Abbey, de Regina Maria Roche dans l’excellente édition de Valancourt Press, parue en septembre dernier.
Chez Pope, ce passage (An Essay on Man, Epistle II) :


« Go, soar with Plato to th' empyreal sphere,
To the first good, first perfect, and first fair ;
Or tread the mazy round his follow'rs trod »
,


où je retrouve ma propre hésitation philosophique entre le platonisme et le pragmatisme (voir l’entrée du 9 mars 2009). Le platonisme, c’est l’empyrée ; le pragmatisme, c’est le labyrinthe où l’on piétine en cherchant un ordre caché, au risque du solipsisme. Et les deux approches se rejoignent dans l’aspiration à une vérité « éternelle », qu’on croit saisir, mais qui, à mesure qu’elle se précise, se révèle une illusion.

18 janvier. — Tombé sur ceci en lisant Ibn Battuta : « Les pyramides sont construites en pierres dures, bien taillées ; elles ont une élévation très considérable et sont d'une forme circulaire, très étendues à la base, étroites au sommet, en guise de cônes. »
Voilà la mentalité islamique in a nutshell. Indifférence complète à ce qui n’est pas l’islam. On ne se dérange pas pour visiter les pyramides quand il y a au Caire tant de jolies mosquées. Ceci n’empêche nullement de proférer avec une assurance emphatique les plus étourdissantes sottises : les pyramides sont rondes, elles sont en forme de cônes aplatis. Je ne connais aucune autre civilisation où le manque de curiosité, le manque de pénétration et le défaut de jugement s’associent aussi systématiquement à l’admiration de soi et à la confiance aveugle dans son infaillibilité.
Le grand voyageur arabe du XIVe siècle ajoute qu’un Calife Ma’moûn voulut démolir ces monuments impies, mais qu’il parvint seulement, par les moyens combinés du feu, de l’acide et des coups de baliste, à percer la muraille extérieure de la pyramide de Khéops, pratiquant l’actuelle entrée, et qu’il trouva de l’autre côté du mur un trésor qui le défrayait exactement de ses travaux de destruction. Voilà qui complète joliment le tableau. Fureur de conquête, rage de destruction et croyance puérile dans la sanction divine des actes de vandalisme. Ma’moûn n’arrive pas à détruire la Grande Pyramide, mais du moins est-il remboursé de ses frais de percement par une divinité juste et équitable. Et c’est le roi antédiluvien lui-même, bâtisseur des pyramides, qui, prévenu par les astrologues, a pensé à déposer derrière le mur que l’on percera la somme correspondant aux dépenses engagées.

31 janvier. — Dans La Croix, intéressants détails tirés de l’ouvrage de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, Le Marché halal ou l’invention d’une tradition. Au tournant des années 1980-1990, l’Iran, qui manque de viande, mais qui ne veut pas de la viande des mécréants, envoie ses contrôleurs dans les pays producteurs, par exemple la Nouvelle-Zélande, et exige que, sur la chaîne d’abattage, l’animal soit tourné vers la Mecque, que le sacrificateur – puisque sacrifice il y a – soit musulman. Puis, dans un deuxième temps, et voyant qu’on cède à tout, on réclame que l’animal soit saigné vivant et en pleine conscience. C’est cette viande provenue de la vivisection qui remplit désormais les linéaires, et les panses de consommateurs qui au demeurant se fichent du Coran comme de leur première chemise.

2 février. — La presse annonce comme une chose qui va de soi le retour en France de sept cent « Français mineurs », enfants des soudards, des tortionnaires et des génocidaires de l’État islamique. Il y a même une dame Especier, au ministère de l’Intérieur, qui prépare paraît-il la scolarisation de toute cette turbulente marmaille. Ne pas croire au demeurant que cette dame cède à l’angélisme. « Certains de ces enfants, on le voit par exemple sur des vidéos où ils exécutent des otages, ne peuvent pas être placés en famille d’accueil. »

6 février. — Depuis deux semaines, virulente campagne de presse contre M. Fillon, candidat de la droite aux prochaines élections présidentielles, campagne qui dure toute la semaine, s’arrête le samedi parce qu’il faut bien que messieurs et mesdames les journalistes se reposent, puis reprend le lundi, avec la même rage et le même caractère systématique.
Le vingt novembre, au soir du premier tour des primaires de la droite, qui avait vu le triomphe de M. Fillon, le régime et sa presse découvraient ahuris que les bourgeois catholiques proches de La Manif pour tous allaient selon toute vraisemblance décider de l’élection présidentielle. Dès lors tous les moyens étaient bons, jusqu’au remploi contre l’adversaire politique de l’instrument qui était né des propres turpitudes de l’actuel pouvoir, le parquet national financier.

7 février. — M. Fillon s’est défendu hier soir, pas mal du tout, au cours d’une conférence de presse, exercice qui prenait des allures de révélation, puisque les journalistes qui l’interrogeaient apparaissaient comme ses juges, et des juges partiaux.
La dictature des médias, c’est celle de l’apparence et du sophisme. L’essentiel est que le candidat qu’on lance en ce moment comme une marque de détergent, sorte d’ectoplasme qui débite d’un air halluciné des imbécillités découpées dans les éditoriaux de la presse bien-pensante, ait l’air jeune, qu’il ait l’air de représenter une alternance. Quant à M. Fillon, qui ne s’arrête pas aux mots mais dispose d’un véritable programme, l’important est précisément qu’il ne puisse jamais le présenter. Tant que M. Fillon est occupé à se défendre, il ne défend pas ses propositions. S’il parvient à reprendre sa campagne, les électeurs n’entendront pas ses propos, parce qu’ils attendront qu’il parle de la chose importante, qui est naturellement « l’affaire ». Le système aura paré par ce moyen au danger.

8 février. — Dépêche AFP rendant compte d’un martyre d’enfant. Mais un journaliste de 2017 n’a ni les compétences linguistiques ni l’équipement déontologique qui lui permettraient d’écrire qu’un beau-père tortionnaire et assassin a passé à tabac un malheureux gamin avant de le contraindre à courir jusqu’à épuisement, nu, en pleine nuit, en plein hiver, en le ranimant à coup de gifles lorsqu’il tombait. Le petit est donc, dans la prose de l’AFP, « mort dehors ». Et cette expression bizarre, qui semble calquée sur le populaire « sors dehors », est censée préparer doucement le lecteur à ce qui suit. L’enfant est mort dehors « lors d’une punition ».

9 février. — Ce qui me frappe, dans l’actuelle campagne contre M. Fillon, ce n’est pas tant la violence de la presse que son revanchisme. Le réel doit se plier, les faits doivent s’excuser, en quelque sorte, de n’être pas ceux qu’attendaient les médias. C’est au point que les moins prudents ont annoncé comme une chose qui allait de soi que la droite allait immédiatement annuler les primaires, qu’on reprendrait comme candidat celui-là précisément qui avait la faveur des journalistes, et que les électeurs avaient récusé.

13 février. — Indice du caractère malsain de l’affaire Fillon, les médias annonçaient hier, avec une joie mal dissimulée, une mise en examen imminente, que le parquet financier, qui tient à garder au moins les apparences de la neutralité, a démentie aussitôt.
Les quotidiens titrent sur les militants qui, sur les marchés, seraient en butte aux injures des citoyens outragés. Cependant les articles ainsi titrés rendent compte d’une situation beaucoup plus nuancée, les électeurs de droite concluant, comme leur candidat, à une opération politique.

15 février. — Exposition Émile Friant à Nancy. Ayant payé la dame de la billetterie, à onze heures cinquante-sept très précises, je me retourne et je constate qu’il s’est formé derrière nous une file d’une dizaine de personnes. Quand nous ressortons, elles sont plusieurs centaines. Il paraît que c’est comme cela tous les jours.
Je n’ai pu m’empêcher de sourire en lisant ceci, dans le laïus de l’exposition : « On y trouve en réalité [dans les tableaux de Friant] une facture qu'ont parfois saluée les jeunes peintres impressionnistes (...) mais aussi des personnages et des sujets qui cultivent l'ambiguïté et méritent une attention soutenue, au delà d'un métier parfaitement maîtrisé. » Comprendre qu’un métier parfaitement maîtrisé, s’il n’était sauvé par une facture impressionniste et par l’ambiguïté du sujet, serait un indiscutable signe de médiocrité. Mais grâce à Dieu, Friant a pensé à peindre à touches larges.
Au fond, c’est peut-être cela qui explique le succès de l’exposition. Le public vient admirer « La Toussaint » et « La Douleur » avec d’autant plus de plaisir que c’est bien peint, et avec d’autant plus de ferveur qu’on voit les coups de pinceau. Quoi qu’il en soit, on ne l’intimide plus en lui expliquant qu’il n’y a là qu’une sorte d’illusionnisme.

Le travail de Friant entretient des rapports complexes avec la photographie. Il y a des choses dont l’artiste lui-même n’est pas conscient – ou à tout le moins dont il pense que son public ne s’apercevra pas – et qui nous sautent aux yeux, par exemple le fait que tel autoportrait au burin est réalisé d’après un portrait photographique (de loin, on jurerait voir une photo d’identité). Inversement, dans maints tableaux importants, entre la dernière étude à l’huile et la toile définitive, le peintre substitue de façon tout à fait délibérée au personnage saisi d’après modèle un référent photographique, ce qui introduit dans le tableau des bizarreries, parce que Friant représente fidèlement ce que saisit l’appareil. Bien loin de ramener le sujet à l’évidence d’une vision « objective », le procédé ressortit, à nos yeux de modernes, à une sorte de collage, ce qui n’a pas échappé à la sagacité des artistes contemporains présentés en fin d’exposition, qu’on a invités à entrer en dialogue avec Friant.

16 février. — Le parquet national financier annonce qu’il n’est pas possible « d’envisager, en l’état, un classement sans suite de la procédure » contre M. Fillon. Mais il n’y a aucune décision positive, ni poursuites ni mise en examen. Autrement dit, le parquet communique auprès de médias complaisants pour dire rien, parce que le simple fait de communiquer est un « nouveau rebondissement » et nourrit le feuilleton médiatique.

19 février. — Les médias, après avoir consacré trois décennies à donner des leçons de morale, donnent à présent des leçons de vérité. Campagne menée tambour battant contre les fausses nouvelles, censées expliquer la droitisation générale. Brexit, élection de M. Trump aux États-Unis, montée des populismes en Europe s’expliqueraient par le fait que des puissances occultes auraient, par des voies clandestines, répandu des bobards. Mais les médias sont les moins bien placés pour de telles leçons de vérité, de même qu’ils étaient les moins bien placés pour les leçons de morale, eux qui ont fait pendant trente ans la promotion, au nom de l’antiracisme, de fanatiques arriérés et génocidaires.

20 février. — Je suis dans The Ambassadors de Henry James, pierre angulaire de ce que les études littéraires nomment early modernism, de même que The Good Soldier de Ford Madox Ford et Victory de Conrad, que je lisais par hasard il y a quelques mois.
The Ambassadors, c’est l’invention de la situation narrative personnelle, comme l’appelle Stanzel. Le narrateur parle toujours de son personnage à la troisième personne, mais en se plaçant de bout en bout « au point de vue » de ce personnage, devenu le réflecteur. La convention, si je puis la résumer ainsi, est que l’auteur met en mots les pensées du réflecteur telles que lui-même aurait pu les mettre en mots s’il écrivait comme l’auteur. Cependant, à la question : « Mais quand est-ce que le personnage a pensé tout cela ? », il n’y a pas de réponse claire, l’auteur étant libre de puiser dans la sorte d’encyclopédie que constitue l’ensemble des idées jamais formées par le réflecteur, comme de mettre en mots ses réactions à la situation dans laquelle il est plongé, voire de tâcher de démêler l’écheveau des pensées disjointes et à demi-formées qui constituent le bruit de fond cognitif de ce réflecteur. C’est précisément ce que fait James, qui se donne explicitement comme le « chroniqueur » des pensées de Strether, un chroniqueur parfois dépassé par sa tâche, qui renonce à restituer le flux de pensées de son personnage, mais qui s’est fixé l’objectif dans sa préface d’en donner autant que le roman pourra, par une économie serrée, en contenir.
De fait, le réflecteur de James n’est pas le réflecteur des grands romans réflectorisés du milieu du XXe siècle. Pour un Graham Greene, par exemple, tout le jeu consistera à donner au lecteur les informations utiles au récit sans sortir « de la tête » de ses personnages — on vérifie que toutes ses phrases pourraient se transcrire à la première personne et constitueraient alors un récit autobiographique, même si, dans le cas précis des romans de Graham Greene, l’auteur du récit ainsi obtenu paraîtrait d’une lucidité effrayante et curieusement détaché de lui-même. James, à l’inverse, est toujours un narrateur omniscient, qui n’a jamais nourri le dessein de se retirer du roman, mais qui s’est fixé pour limite de n’entrer dans les pensées que de Strether. Il y a ainsi des passages entiers où le point de vue qui nous est donné n’est pas celui de Strether mais celui de James. Même quand le point de vue est celui de Strether, le « chroniqueur » n’est jamais très loin : d’un bout à l’autre, James appelle son personnage focal « our friend », exactement comme s’il écrivait un roman d’Anthony Trollope. Le test consistant à récrire le texte comme un récit à la première personne donne des résultats insatisfaisants. Ainsi, l’expression de l’embarras de Strether devant des spécimens de la bohème parisienne est celle de James, et non celle du pauvre Strether, trop troublé d’ailleurs par la situation pour avoir une pensée claire.

21 février. — Souvent j’ai observé le caractère non chronologique des événements intimes. Je vis désormais retiré dans ma campagne, et consacrant le plus clair de mon temps à la lecture et à la réflexion. Pour le monde, cette aspiration à une existence paisible s’explique très naturellement par l’infarctus. Mais à la vérité, cette organisation précède l’infarctus, comme si l’ordre de causalité était inversé.

22 février. — Dans La Croix, révélations d’un journaliste spécialiste en anti-terrorisme.
Premier enseignement de l’expert, la plupart des incitateurs d’attentats vivant dans le califat auraient été tués par des drones. Je ne m’explique pas le silence médiatique sur ce point car, si cela était avéré, il s’agirait là de victoires militaires cruciales. Est-ce que, pour les journalistes, on ferait offense aux être presque surhumains que sont à leurs yeux les terroristes en expliquant au public qu’on se débarrasse d’eux comme on se débarrasse d’un insecte, d’un coup bien appliqué d’une sorte de tapette géante ?
Le second tuyau du spécialiste est que le califat n’aurait plus aujourd’hui la faculté d’envoyer des commandos au milieu des flux de « migrants », parce que la frontière avec la Truquie est désormais fermée. Ici, la réticence médiatique s’explique certainement par l’impossibilité de rendre compte du double jeu de l’État truqué installé par le dictateur islamiste sur les décombres de la Turquie kémaliste. Et cette impossibilité découle elle-même du mensonge dans lequel se sont enfermés les médias, qui ont fait depuis 2003 une réclame tapageuse à l’intéressé – décrit comme l’inventeur d’une sorte de « démocratie chrétienne » à la musulmane –, parce qu’il fallait, contre l’évidence, persuader l’opinion que l’islamisme était compatible avec la démocratie.
Troisième indiscrétion de l’homme de l’art – et voici la mauvaise nouvelle : la priorité stratégique du califat serait à présent d’activer en Europe des agents n’ayant pas reçu de formation militaire, et opérant avec les moyens du bord. Longtemps perçues comme improductives, ces frappes sauvages ont fait la preuve de leur efficacité à Nice (camion lancé dans la foule). L’essence de l’actuelle guerre, c’est donc le déluge d’atrocités commises par les pensionnaires échappés des petites-maisons.

25 février. — Ce qui nous a trompés sur la perfidie de l’actuel régime, c’est que ce régime ne s’est jamais considéré comme proprement en guerre contre le christianisme, non certes par magnanimité, mais pour la simple raison qu’il pensait la disparition de celui-ci une vérité d’évidence. Le musulmanisme allait succéder de façon tout à fait harmonieuse à la religion moribonde. Il n’y avait ni à le déplorer ni à s’en féliciter, c’était un état de fait.
Ainsi, du point de vue du pouvoir, les véritables « revenants », comme on dit maintenant, ce n’étaient pas les jihadistes de retour du califat, c’étaient les catholiques. Et quand on dut se rendre à l’évidence, ce fut une lutte à outrance – et c’est toujours le même combat qu’on mène aujourd’hui contre le candidat Fillon.

2 mars. — Un magistrat justicier et écrivassier, dans Le Monde. Comme il est impossible de dissimuler qu’on s’est, pour couler M. Fillon, saisi d’un prétexte : « Les frontières morales de l’éthique politique se sont déplacées. » Comme il est impossible de cacher que la liquidation du candidat Fillon, c’est le gouvernement des juges : « Des pratiques tolérées deviennent intolérables en passant de la sphère politique à la juridiction de la loi commune. »
Il me semble que ce qui se passe n’est pas sans relation avec la fuite de nos dirigeants. Après l’affreux échec d’un quinquennat qui a fini dans la banqueroute et dans l’attentat, les figures de l’actuel régime, devenues l’exécration de tous, se retirent de la vie politique, à la suite du président de la République. Ces gens n’ont plus rien à perdre, et ils n’auront jamais de comptes à rendre. Il fallait naturellement attendre d’eux le pire.
On ne peut pas dire que les choses tournent comme je l’espérais. Il eût fallu, selon mes vues, pour assouvir la fureur du peuple, une symbolique mort du roi. Cette exécution symbolique du président failli, c’eût pu être une déroute électorale mortifiante (voir l'entrée du 15 avril 2016). Or, cas inédit dans les annales, le souverain républicain a abdiqué, en ne se représentant pas à l’élection, et il occupe depuis des mois l’Élysée en fantôme. Quant au régicide symbolique, il est organisé par ceux-là même qui ont si lamentablement échoué, et il porte sur la personne du candidat qui est issu des primaires de la droite, et qui pouvait redresser la France.

3 mars. — Toujours les lois de la fiction. Après le chapitre : « La justice poursuivant le crime », qui s’achève sur un suspense (M. Fillon convoqué chez le juge d’instruction), voici le chapitre : « La débâcle. » Le parti pris des médias est évident. Ils ont décidé que c’était fini, qu’il fallait que M. Fillon s’en aille, et même qu’il était un peu gonflé de n’avoir pas compris le message que lui adressent ensemble les juges et les journalistes.

5 mars. — J’ai bien failli aller à la manifestation de soutien à M. Fillon au Trocadéro. Mais c’était encore une expédition épuisante, sept heures dans les transports. Je suis en mauvaise santé, je me suis dit que ce n’était pas la peine de tenter le diable.
Écouté sur France Culture l’émission des ronchons du dimanche matin (L’Esprit public). Surprise, l’ancien député européen centriste Jean-Louis Bourlanges a été viré par la direction de France Culture, suite à des courriels furibards, parce que M. Bourlanges a dit qu’il considérait le candidat Fillon comme « sournois, lâche et corrompu ».
M. Bourlanges pouvait traiter hebdomadairement M. Fillon de fripouille et de scélérat sans me choquer le moins du monde, ce n’était jamais que l’expression honnête d’une opinion, qui n’est pas la mienne, mais qu’il m’intéresse d’entendre. À comparer aux sournoiseries des médias, par exemple à l’usage unanime d’un « s’obstine » (M. Fillon s’obstine) qui, en ayant l’air factuel, suggère que le candidat a tort d’insister, qu’il a déjà perdu, qu’il est coupable en somme.

6 mars. — L’énorme succès de la manifestation d’hier au Trocadéro éclaircit un peu une situation passablement enténébrée, mais qui est enténébrée par les médias eux-mêmes, qui produisent une version romancée des événements – soudaine ascension d’un candidat surprise et chute tout aussi soudaine – et qui la produisent de façon performative, dans l’intention de la faire advenir. En tout cas, le chapitre « la débâcle » doit être jeté à la poubelle et entièrement récrit, ce qui est très fâcheux, puisqu’il a déjà été publié.

10 mars. — Réunion par le téléphonoscope pour le Salon des ouvrages sur la bande dessinée.
Dans le feuilleton anti-Fillon, la justice et les médias ont repris le chapitre un, « La justice poursuivant le crime », puisque le chapitre deux « la débâcle » a dû être dépublié.
Suffit-il d’écrire, jour après jour, semaine après semaine, le mot « affaire » suivi du nom de M. Fillon, et de mentionner des sommes à plusieurs zéros pour que M. Fillon devienne un criminel ? Entre autres révélations d’un spirituel hebdomadaire paraissant le mercredi, on a appris que M. Fillon avait reçu un prêt sans intérêt d’un ami fortuné, dont il avait oublié de faire mention dans sa déclaration de patrimoine. Ce prêt a été remboursé et tout cela est donc above board et parfaitement conforme à l’éthique. Mais pour la presse, cela prouve que M. Fillon est malhonnête, puisqu’il reçoit des prêts et qu’il dédaigne de les signaler.

11 mars. — Excellentes trouvailles à la vente de livres d’Amnesty International. S’ensuit l’habituelle redistribution de ma librairie parce que les étagères dévolues à telles catégories d’ouvrages sont pleines, et aussi parce qu’il faut prévoir de nouvelles parutions ou de nouvelles acquisitions, de sorte que l’opération de rangement est aussi tournée vers l’avenir.
Depuis quelque temps, je classe mes livres par collections et non par auteurs ou par sujets. J’ai noté qu’une fois disposés ainsi, en ordre de bataille, les Penguin à dos orange, les romans victoriens republiés par E. F. Bleiler aux éditions Dover, les modestes Wordsworth Classics dans leurs différentes incarnations, reprennent leur individualité. Par exemple, je me souviens parfaitement que je prenais tels ouvrages à la librairie des facultés de Strasbourg, tels autres à la librairie Leitura de Porto, tels autres encore chez W. H. Smith, rue de Rivoli, à Paris.
Ma bibliothèque est une bibliothèque de travail et les livres sont hérissés de minuscules marque-pages. J’ouvre au hasard, sur un de ces signets, le livre de Ranke sur l’Égypte. Je tombe sur la carte sur papyrus qui a inspiré celle des Dieux rivaux de Toth-Thot.

12 mars. — Deuxième dimanche de Carême. L’officiant parle tranquillement des « privations » que nous nous imposons durant cette période. Cet ascétisme eût bien étonné des catholiques de la génération de mes parents.
Qu’est-ce que je faisais les dimanches matins avant ma conversion ? On a vécu des années ainsi. Impossible de souvenir. Impossible de s’imaginer avec ce morceau de soi-même en moins. Impossible aussi de se persuader que ça ne manquait pas.

13 mars. — Si Henry James me plaît tant, c’est en partie, je crois, parce qu’il conforte chez moi une position théorique : les littératures américaines, ce sont les littératures « de genre », de celles que j’aurai passé ma vie à lire et à étudier. Pour la littérature « sérieuse », les Américains lorgnent nécessairement vers l’Europe et de cette aimantation James est à la fois le plus parfait représentant et le meilleur analyste.

16 mars. — Toujours le feuilleton. Même ceux qui se réjouissent des déboires de M. Fillon, comme l’éditorialiste de France Culture, qui a toujours l’air de grignoter un croissant en annonçant les malheurs du candidat conservateur, reconnaissent aujourd’hui que tout cela est organisé. Et de fait, qui pourrait encore s’y tromper ? Quelqu’un épluche les comptes en banque de la famille Fillon et communique directement à la presse tout ce qui paraît utilisable contre M. Fillon. Et pour que ce soit utilisable, il suffit – car on se contente à présent de la musique du scandale – que cela contienne des mots comme « versements » ou « salaires » ou « chèques », par exemple ces chèques que les enfants de M. Fillon ont faits à leur père (« les enfants de M. Fillon lui ont reversé une partie importante de leurs salaires d’assistants »), et qui sont la preuve, en un raisonnement parfaitement circulaire, que les emplois de ces enfants étaient fictifs, puisque ce que les enfants reversent à leur père, c’est naturellement le fruit de leur larcin.

17 mars. — Comme un journal paraissant le dimanche a révélé qu’un ami généreux a offert des costumes à M. Fillon, le parquet national financier s’est aussitôt emparé de cette histoire de costumes, à la grande joie d’un fameux quotidien du soir, parce qu’on peut faire mousser cela aussi pour en faire « des soupçons de trafic d’influence ». L’affaire ne laisse pourtant pas d’être délicate. En allant jusqu’à fouiller la penderie, l’inquisiteur ne va-t-il pas sembler mesquin ? Mais c’est l’humiliation infligée au candidat qui est cruciale. Les Français ne voteront pas pour M. Fillon, parce que les pouvoirs en place auront mis M. Fillon en caleçon. Quant à l’honnêteté de M. Fillon, c’est en réalité le dernier souci de ceux qui ont résolu de le perdre. D’ailleurs, la femme du candidat providentiel, que les médias lancent comme on lance une marque de déodorant, est, quant elle, habillée gratuitement – pardon, elle se fait « prêter des tenues » – par un grand couturier et tout le monde trouve cela charmant et tout à fait dans le bon ton. Cette dame est la future Jacqueline Kennedy française, tandis que M. Fillon est un gueux.
Je sais bien que ce qui soulève mon indignation épouvantée est seulement une campagne de presse qui se trouve utiliser les moyens de communication modernes, c’est-à-dire le fil des dépêches que tout le monde aujourd’hui consulte à toute heure sur tous les écrans. Mais précisément, cette nécessité où l’on est d’alimenter continûment la rumeur amène le pire. On distille en un petit filet serré la calomnie, on égoutte le fiel, en faisant fond sur ce qu’il y a de plus vil dans l’homme, la jouissance amère du ressentiment, la jubilation de voir un puissant à terre, le plaisir de médire. En somme la France est victime de ce qu’on appelait autrefois un corbeau.

22 mars. — Le potentat turc, qui veut se faire voter les plein pouvoirs par référendum auprès de sa populace arriérée et islamisée, use d’un ton de plus en plus haineux et ordurier vis-à-vis des dirigeants Européens. On résumera bien la situation à la façon du fou littéraire Jean-Pierre Brisset, prince des penseurs : le président turc est un sultan (est insultant).

24 mars. — Dans la forêt les talus sont tapissés d’une fourrure verte, semée de pâquerettes.
Le soleil qui filtre entre les arbres amène chez moi des souvenirs hallucinatoires. D’où me viennent ces images d’une maisonnette au bord d’un canal, d’un homme et d’une femme sur la berge ? Sont-ce des images du passé ? du futur ? d’un passé ou d’un futur alternatifs ? Appartiennent-elles à quelqu’un d’autre ? Ou est-ce la conscience d’exister qui s’épanche dans un fantasme ?

25 mars. — Les médias essaient toujours de faire mousser les combattants de l’islam suicidaire et homicidaire. Trait le plus saillant de cette promotion, tous les assassins mahométans sont désignés par leur nom. Ce qui s’expliquait initialement par les conventions du fait divers s’est mué en un processus d’héroïsation, comme si l’on voulait glorifier individuellement les fantassins de l’armée ennemie. Quant à moi, il y a longtemps que je n’y démêle plus rien et je serais bien en peine de distinguer entre un Abaaoud et un Bendaoud, entre un Larossi et un Lahouaiej.
Cette soldatesque mahométane manque décidément de panache. L’individu qui a écrasé quatre personnes sur le pont de Westminster le 22 mars avait pour caractéristique distinctive, à en croire ses voisins, cité par les tabloïdes, le fait qu’il sentait extrêmement mauvais. Les médias auront beau étaler sur toutes les unes et sur tous les écrans leurs noms et leurs vilaines bobines, voilà de bien piètres héros, et leur sort est décrit prophétiquement dans ce spécimen de littérature pessimiste du Moyen Empire (circa 2000 B. C., traduction John A. Wilson)
 :

Behold my name will reek...
More than the stench of bird-droppings
On summer days, when the sky is hot.

27 mars. — Réception des travaux à Morgan Hall. Je jouis pour ainsi dire d’une maison neuve, une maison plus claire, mieux disposée, et je jurerais qu’elle est plus vaste. Cependant ce qui devait prendre un an en aura pris quatre, avec une longue interruption pour cause de procès contre mes artisans escrocs. Ce qui idéalement aurait dû coûter soixante mille euros en aura coûté pas loin de cent mille, et il y aura même des choses que j’aurai payées trois fois : travaux de mon estampeur touranien, qui me saccage tout, travaux correctifs des dégâts, et finalement mise en place de ce qui devait être fait initialement. Le plus révoltant et aussi le plus difficile à corriger : les abominables odeurs d’égout qui se répandaient aux cabinets et à la salle de bain.

28 mars. — Comme ce qu’on déterre contre M. Fillon fait symptôme. Affairisme, détournements, conflits d’intérêts, ce sont, attribuées à un bouc émissaire, les turpitudes et les ignominies du règne – et celles mêmes du candidat salvateur, promu par les médias comme on promeut une marque de dépilatoire.
Ce qui manque dans les reproches qu’on adresse à M. Fillon – et cela manque visiblement parce que rien ne permet, même de façon artificieuse et déloyale, d’attraper ce fil-là – c’est la biographie trafiquée, le passage dans telle grande école prestigieuse, dont on a en réalité raté le concours, la soutenance de tel travail universitaire dont on n’a pas écrit la première ligne
.

31 mars. — Si je devais fonder un parti politique, il s’appellerait le Parti des bêtes et son blason porterait trois lièvres courant en rond, reliés par leurs trois oreilles, selon la belle image énigmatique médiévale, qui est, entre autres, une allégorie de la Trinité.
Dans cette question de l’assistance aux bêtes, le secours vient parfois d’où on ne l’attend pas. Nouvelles très encourageantes d’Uttar Pradesh. Les nationalistes hindous font respecter strictement la loi qui interdit de tuer les vaches, et les abattoirs – la plupart tenus par des musulmans – sont aujourd’hui fermés.

2 avril. — Ce soleil d'avril, auquel j’attribue des vertus hallucinatoires, transforme réellement notre environnement. En se déversant sur la grand-rue, il révèle ici un appentis au fond d’une cour, là un garage, un peu en retrait, que je n’avais jamais vus. Ainsi ce monde recommencé avec le printemps est-il recréé un peu différent à chaque fois.

4 avril. — J’avais lu je ne sais où que les parents d’aujourd’hui ont perdu toute autorité sur leurs enfants et qu’ils recourent à la gifle, à la fessée, à la douche froide lorsqu’ils rétablissent dans la rage impuissante un rapport de force avec leur progéniture. Voilà qui me semblait éclairer cette chose pour moi incompréhensible qui est le parti que prennent les rédacteurs des dépêches d’agence pour les bourreaux, quand ils ont à rendre compte d’un martyr d’enfant. Mais le docteur Gronde, que j’interroge, me dit qu’elle n’a pas connaissance d’une telle évolution et que ceux qui se livrent à ces violences sont selon toute vraisemblance ce qu’ils ont toujours été, des pervers.

8 avril. — Nouveau massacre au camion-bélier, à Stockholm. Il ne se passe plus un jour sans que ne frappe un extatique mahométan. Le plus extraordinaire est que la justice et les médias français avaient d’emblée, et comme préventivement, disqualifié de telles frappes (attaque à la voiture-bélier à Dijon, à Noël 2014, au cri d’Allahu Akbar, commise par un psychotique « agissant volontairement et seul en pensant à la souffrance des enfants de Palestine et de Tchétchénie » ; le procureur de l’endroit avait immédiatement exclu l’acte terroriste).
Vu Green Fingers (1947) de John Harlow, excellent film britannique à la gloire de l’ostéopathie.

9 avril. — Le désormais habituel carnage destiné à endeuiller les fêtes de Pâques. Deux attentats contre les coptes, en pleine messe des Rameaux – et l’un ciblait le pape Théodore lui-même.
Pas noté ce jugement d’un tribunal administratif (La Croix du 26 mars) qui annule la décision d’un conseil municipal se disant prêt à accueillir des réfugiés à la condition expresse qu’ils fussent chrétiens : « la commune n’est pas fondée à soutenir qu’eu égard aux persécutions dont ils font l’objet dans leurs pays d’origine, les chrétiens réfugiés en France se trouveraient dans une situation différente des autres réfugiés pour leur hébergement, ni que la différence de traitement entre réfugiés (…) serait justifiée par l’intérêt général. »
Voilà le cynisme – pour ne pas dire le négationnisme – d’État poussé à son plus haut degré. Au fond, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi s’obstiner en particulier à demander aux « réfugiés » musulmans un storytelling victimaire, ce qui les oblige à mentir ? Je ne serais pas surpris de lire dans un an ou deux que « au terme d’un raisonnement juridique serré, le rapporteur public démontra que certes M. X. ne faisait, en tant que musulman, l’objet d’aucune discrimination dans son pays, qui pratique l’islamisme le plus pur, mais que le peu d’entrain manifesté par le pays d’accueil à lui conférer le statut de réfugié constituait précisément une telle discrimination et fondait par conséquent la demande d’asile de M. X. »
Quant à l’avocat de l’organisation « antiraciste » Potes Chambre, dans la même affaire, il aurait, toujours selon La Croix, déclaré ceci à l’audience : « en réservant des logements à une catégorie de population, [on] générait une discrimination fondée sur la religion. » La boucle est bouclée et c’est désormais le fait pour des chrétiens de réclamer des secours pour leurs coreligionnaires massacrés qui constitue une « discrimination fondée sur la religion ».

14 avril. — Cérémonie de la Croix à l’abbatiale, dans l’ambiance désirée de désolation, comme dit le Cérémonial. Je ne dois pas être le seul qui redoute un peu cette cérémonie qui n’est pas une messe, et qui est centrée sur la lecture de la Passion du Christ dans l’évangile de S. Jean.

15 avril. — Économie salvifique paulinienne. Ce n’est pas seulement le Christ qui meurt pour nous, c’est nous qui mourons avec le Christ, avec ce double effet : 1. le péché meurt avec le pécheur (Rom 6, 6-7) ; 2. nous ressuscitons avec le Christ (Rom 6, 8-9). On observe ici une forte compacité, comme dirait Eric Voegelin, à la fois dans l’explication de la disparition du péché (par application d’un principe juridique qui est la personnalisation des peines : le décès du prévenu éteint l’action publique) et dans le caractère contagieux de la résurrection (par application d’un principe de la pensée mythique qui est le principe d’unité : parce que le dieu est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons, disaient les disciples d’Atys).
Au surplus, la mort relativement au péché (« c'est pour le péché qu'il [le Christ] est mort une fois pour toutes », Rom 6, 10), ce n’est que la mort de la mort, puisque la mort a été introduite dans le monde à cause du péché (« le péché a régné par la mort », Rom 5, 21).

16 avril. — Cette énigme éternelle : Jésus de Nazareth, un homme éduqué, qui prêchait à la synagogue, qui connaissait les textes – et cet homme-là n’a pas écrit. À opposer aux entrepreneurs de religions, qui, illettrés ou lettrés, sont intarissables, Mahomet ou Joseph Smith.

18 avril. — Promenade sur le Strand avec l’ami Manu. Nous reconstituons à peu près la vision de l’église de S. Mary-le-Strand telle qu’on la voit sur la couverture du Strand Magazine, en nous plaçant au coin de Wellington Street (plutôt que de Southampton Street, véritable adresse de la revue). Ce qui met du « bruit » sur l’image, en ce beau printemps, ce sont les feuillages.

20 avril. — The Woman in Black au Fortune Theatre. La pièce est construite au fur et à mesure par les acteurs, dans le style de Our Town de Thornton Wilder. Au théâtre ce qui présente le maximum d’incarnation, c’est ce qui n’existe pas, ce qui est « conjured up » par la magie de la scène (je notais déjà une chose semblable en date du 14 mars 2008), et qui, dans ce cas précis, n’est pas le fantôme, qui, lui, se présente pour ainsi dire en chair et en os, et terrifie les collégiens et collégiennes qui remplissent la salle, mais le chien Spider, chien « théorique ».

21 avril. — Exposition « Michelangelo & Sebastiano » à la National Gallery. Michel-Ange donnait, à sa demande, des dessins préparatoires à Sebastiano del Piombo, moins imaginatif, moins doué, plus paresseux. Le plus fort est que Michel-Ange prend la mesure de son ami, et se coule dans sa manière, en veillant aussi à rester dans les limites de ce que, techniquement, Sebastiano peut faire.
Deux dessins pour la résurrection de Lazare, le second qui pousse l’affaire jusqu’en ses lointaines conséquences.

Comme, dans le public de cette exposition, la moyenne d’âge est assez élevée, je m’aperçois que je ne suis pas le seul à ôter mes lunettes pour me frotter les yeux contre les dessins. Du coup, je prends conscience de la singularité de ces visites, où, armé de différentes paires de lunettes, de petites jumelles de théâtre, etc., je lutte contre mon handicap pour voir tout de même, n’étant complètement mis en échec, au fond, que lorsqu’un petit format, que je ne puis inspecter qu’à l’œil nu, est, par l’artifice d’un cordon, exposé hors de ma portée.
Comme souvent, je reçois depuis l’étranger les échos lointains de la violence missionnaire musulmane qui, dans mon pays, se donne libre cours en cette fin de campagne électorale. On pourrait résumer les cinq années que nous venons de vivre, et qui s’achèvent dans l’attentat quotidien, par une petite annonce ainsi rédigée :

Gauche psychotique cherche génocidaires
pour achever le changement de civilisation
Nous vous apportons :
La force de frappe d’un plan de communication moderne
avec une couverture 24/24 par les moyens audiovisuels
et un buzz permanent via les canaux print et web
Vous nous apportez :
votre enthousiasme et votre fanatisme
et votre volonté de mourir en tuant les infidèles.

23 avril. — Ces élections présidentielles sont un véritable cas d’école, le triomphe de la manufacture de l’opinion, du catéchisme crétiniste et pour finir du cynisme le plus achevé, à la fois dans l’élimination du candidat conservateur – qui, compte tenu de l’impopularité du régime, ne pouvait pas perdre, mais qu’on a éliminé au moyen d’une campagne de presse admirablement orchestrée, en faisant d’une affaire d’utilisation du « crédit collaborateur » d’un parlementaire une affaire d’État –, et dans le sauvetage du parti au pouvoir, qui ne pouvait pas gagner, mais qui a gagné tout de même, parce qu’on a, par un mouvement coordonné, créé d’une part une structure de défaisance, en l’espèce un candidat bidon, portant les couleurs de ce parti, mais dont le rôle était de se faire battre à plates coutures, tandis que d’autre part on fabriquait de toutes pièces, par matraquage médiatique, un prétendu « mouvement » indépendant, avec à sa tête un ectoplasme sans programme, mais dont les Français se tarderont pas à se rendre compte qu’il défend l’exact programme des sortants – en beaucoup plus radical, puisque le système se sera démontré à lui-même qu’il demeure maître du jeu quoi qu’il arrive.

26 avril. — Repris la course légère, trois kilomètres, neuf et demi à l’heure, en m’époumonnant.
Contrôle du poids. Je veux voir une nutritionniste. Mais il a suffi que je fasse résolution de noter durant un mois ce que j’avale pour que je recommence à me gaver, par simple peur de manquer.
Je prends sur la Toile des nouvelles du petit rover martien Opportunity qui, prévu pour fonctionner quatre-vingt dix jours martiens, achève sa septième année martienne (ou qui, si l’on convertit, a bien entamé sa quatorzième année terrienne), et qui me donne des informations fraîches sur une planète qui n’est point, comme le croyait Camille Flammarion, constituée de mers peu profondes et de marécages, mais se révèle comme un tas de cailloux ponctué de cratères météoriques et raviné par d’anciens torrents. Le fait est que le rover nous donne une vue imprenable sur les ravinements et les pierrailles. À l’encontre de toute la tradition de la littérature d’imagination scientifique, Opportunity prend le point de vue de la bestiole (il ressemble du reste à une sorte de très gros insecte qui ne saurait pas voler). Le nez dans ses cailloux, il ne se déplace, les grands jours, que de quelques décimètres.

12 mai. — Deux spécimens d’unisabir réellement sublimes : « des rencontres qui tournent mal » ; « des relations sexuelles sans affect et sans préservatif », les deux formules désignant des viols commis dans l’espace public, violeur et victime ne se connaissant pas.

16 mai. — Le docteur Gronde m’annonce qu’elle prend sa retraite. Il y a quinze ans que je consulte chez elle. Elle m’a accompagné dans mes malheurs, divorce, Alzheimer maternel et querelle avec mes frères, dégradation de mon métier d’enseignant, jusqu’à mon infarctus. Cependant, à chaque fois que je jette un regard rétrospectif sur ces quinze années – qui sont celles de ma réinstallation dans ma campagne –, je me dis qu’elles ont été malgré tout des années très heureuses et productives. Ce que le docteur Gronde n’a pu guérir, c’est ma fondamentale inadaptation au monde.

20 mai. — Sitôt que je recours à l’Encyclopédie des crétins sur la Toile, je me dis que notre civilisation est fichue, parce qu’on a dressé une génération entière à croire que la connaissance s’obtenait en recopiant bêtement. C’est Bouvard et Pécuchet continué dans la vie réelle.
Un détail macluhanien : les copistes crétinistes ne puisent jamais à des sources imprimées ; ils démarquent des sources qui sont elles-mêmes déjà sur la Toile. Si ces sources sont des livres, et si ces livres ne sont accessibles que partiellement sur la Toile, ils ne recopient que ces pages-là.
Mon pessimisme est certainement exagéré parce que la Toile est aussi le point d’accès aux fonds d’archives et aux bibliothèques numérisés, aux collections des journaux anciens, à la masse immense de la littérature du passé, mal retenue par le fin barrage de l’ignorance apprise. Et parce qu’il ne donne accès qu’à ce qui est dans le domaine public, ce médium est intrinsèquement et presque caricaturalement réactionnaire. Presque toujours il ramène avant 1914. Cela ne sera pas sans conséquences.

21 mai. – Tombé sur un vieil article de 2013 d’une revue de télé, consacré à France Culture. Cela commence par des récriminations rétrospectives contre un dinosaure radiophonique, élitiste de surcroît. Le France Culture d’avant était donc à la fois ridicule (le dinosaure, le vieux pédant jacasseur et incompréhensible) et odieux (puisque être élitiste, c’est défendre la hiérarchie et l’aristocratie). On signale en passant, et sans apercevoir la contradiction, un miracle : des producteurs en ces âges enténébrés pouvaient impunément passer trois jours en province sur une fausse piste ; ou bien ils séjournaient trois semaines au Japon pour un documentaire radiophonique ; et quand les anciens racontent cela aux jeunes, ils ne sont pas crus.
Suit la description triomphale du renouveau de l’antenne, sous un titre qui annonce la couleur : « Faire de l’audience. » Et on nous explique que, grâce aux efforts de pédagogie qu’on a déployés, les braves gens qui écoutent France Inter viennent aussi, un peu, sur France Culture et que les scores d’audience sont décuplés. Avant d’avouer que cela ne marche guère. « Sont considérés comme facteurs favorisant l'écoute de France Culture le fait d'être une personne âgée, cadre ou retraité, de vivre seul, d'être diplômé du supérieur et de ne pas avoir la télévision. »
Et la finalité de cette radio réinventée ? C’est l’« éducation politique et artistique » de l’auditeur. L’idée n’effleure ni l’auteur de l’article ni le directeur d’antenne du temps, M. Poivre, qu’il est peu vraisemblable que les solitaires âgés et diplômés qui constituent le « cœur de cible » de la station confient leur « éducation politique et artistique » à des gens qui sont moins curieux qu’eux, moins cultivés qu’eux, et dont les principales caractéristique au plan moral sont l’obéissance et le conformisme.

22 mai. — Nouvelle tuerie mahométane à Manchester, de petites filles et d’adolescentes venues au concert d’une chanteuse pour gamines. On s’en veut de céder à l’émotion, puisque c’est ce que veulent les moudjahidin, puisque la guerre qu’ils mènent est précisément une guerre d’atrocités, dont nos médias se chargent d’exploiter tout le potentiel sensationnaliste.

25 mai. — Manchester. Après l’éviscération islamique, l’excérébration médiatique. « Mais que veulent-ils ? » interrogent les médias à l’envi. Ce qu’ils veulent, ils l’expliquent vivement, dans leur style emphatique et fleuri, à longueur de communiqué (« terroriser les associateurs »). C’est nous qui ne pouvons l’entendre.
Quant aux slogans vivre-ensemblistes, ceux qu’on réserve aux jours d’après, jamais ils n’ont parus si inanes. « La nécessité du dialogue. » Quel dialogue les terrorisés peuvent-ils bien nouer avec les terroristes ? Ou bien veut-on nouer ce dialogue avec les musulmans non terroristes ? Mais ils sont hors de cause – c’est du moins ce que nous répétons à toute heure du jour. « C’est ensemble que nous vaincrons cette barbarie. » « Résister à la haine ». Ces belles résolutions modifient-elles la situation d’un iota ? Les sociétés musulmanes lancent les mêmes appels à l’unité, elles dénoncent pareillement la haine. Et on y massacre les chrétiens.
Reste un discours à forte tonalité émotionnelle, à fonction de catharsis, et qui, dans son contenu cognitif, peut être interprété comme un discours de guerre (« we will not be bowed »), mais qui est en réalité un discours de résignation. Dire qu’on continuera à vivre comme si de rien n’était, alors que des fanatiques génocidaires se livrent impunément et systématiquement au meurtre de masse, c’est en gros la logique d’un vaste troupeau d’herbivores qui est marginalement dévoré par des prédateurs.

26 mai. — Le très petit nombre d’idées, de conceptions qu’on a dans une vie et qui sont un peu originales, il appartient au lettré qui est, par la force des choses, l’archiviste de sa propre pensée, de découvrir qu’elles procèdent toujours d’idées, de conceptions préexistantes, les siennes ou celles d’autrui. Ce que nous croyons avoir de plus propre ou de plus inspiré, c’est le résultat d’une sorte de pas de côté, ou d’une série de pas de côté.

27 mai. — Journal de Boswell. — La bête en fer habite dans le garage. Il l’y tient enfermée. Mais parfois Il ouvre la porte du garage à la bête en fer, qui s’échappe aussitôt. Avant de s’échapper, elle L’attrape et elle L’emporte dans sa gueule. Parfois ils ne font qu’un tour. Mais le plus souvent, ils ne reviennent que le soir. Cependant la bête en fer finit toujours par Le ramener et Le recracher. Je crois que c’est un jeu qu’ils jouent, la bête en fer et Lui.
Il y a une autre bête en fer qui dort sous la maison. Elle ne sort jamais, elle ne fait que dormir. Par moments, elle ronfle et ronronne, et dégage une odeur de roussi, mais la plupart du temps elle dort sans bruit. Elle est dans une petite pièce où j’arrive à me glisser parfois quand le soupirail est ouvert. C’est bien agréable en hiver, car la bête en fer a toujours très chaud, et il y a parfois (rarement) une souris.
Je crois que la bête en fer du garage est la fille de la bête en fer de la chaufferie. Elles sentent pareil.

28 mai. — Phrases prodigieuses extraites d’une dépêche AFP : « Les enquêteurs sont sur les traces d'un homme d'une trentaine d'années. Samedi après-midi, en moins d'une minute (sic), il est monté sur la tombe où repose la dépouille (sic) du général de Gaulle ; il a craché dessus et a brisé la croix religieuse (sic) qui la surplombait. Un acte a priori sans motivation politique (sic). »

29 mai. — Or les conservateurs sachant qu’il faut, si l’on veut que les choses demeurent immuables, tout changer perpétuellement, et les progressistes sachant qu’il faut promettre à ces enragés d’électeurs de tout chambouler si l’on désire sauver le régime et conserver ses petits privilèges, on eut la surprise au début de la campagne électorale de découvrir que le slogan des conservateurs était « la stabilité dans le changement », et celui des progressistes « le changement dans la stabilité ».

30 mai. — Je reste interdit devant la dénégation occidentale, le « ça n’a rien à voir avec l’islam », qui suit les massacres, après l’interrogation initiale (« qu’est-ce qu’ils veulent ? »), et comme une réponse paradoxale à cette interrogation. Le maire travailliste de Manchester est allé jusqu’à dire que le tueur de masse du concert pour pré-adolescentes « n’était pas un musulman », ce qui lui a valu des remontrances, puisque ce bien-disant empressé se comportait sans le savoir comme un takfiri, un islamiste excommunicateur et massacreur.
Certes, on peut trouver que le panneau « this was not islam » que dépose sur un trottoir un musulman outragé et pacifique (autrement dit un individu foncièrement pacifique dont la religion se trouve être l’islam) n’a pas tout à fait le même sens que le panneau identique que brandit un militant islamiste qui, comme tous les militants qui enfreignent la loi peu ou prou, fait de l’inversion accusatoire une arme – jusqu’à ces femelles qui s’exhibent les seins nues et qui trouvent que « ça n’a rien à voir » avec une exhibition sexuelle. Mais, n’en déplaise aux musulmans pacifiques, en n’acceptant par de reconnaître les meurtriers comme musulmans, on s’interdit aussi d’identifier les victimes comme chrétiennes. Le sens s’évapore de toute l’affaire, qui se ramène au fait divers. Un fou a tué des gamines. Le slogan faussement stoïcien « ne pas céder à la haine » devient l’expression de notre anomie. Nous ne comprenons pas ce qui nous tombe dessus ; comment pourrions-nous éprouver de la haine ?

1er juin. — L’idée m’est venue de de courir trois kilomètres tous les jours (tour du Hohenberg), en réservant le même parcours, un peu allongé vers le Steinacker (4,6 km), aux jours où je serai particulièrement en forme. On verra bien ce que cela donnera.

3 juin. — Encore un massacre en Angleterre, le troisième en dix semaines. Les terroristes ont, si j’ai bien compris, écrasé les passants en camionnette sur London Bridge avant de continuer à pied et d’attaquer au coupe-coupe les clients des bars de Southwark.
Avec quelle facilité l’islam a tissé ses réseaux en Europe. Il lui a suffi d’arriver – la porte était ouverte – et, une fois arrivé, il lui a suffit de se plaindre. On lui a cédé immédiatement sur tout. Et parce qu’il n’a nullement fait mystère de ses intentions conquérantes, il nous a fallu faire fi de ces intentions. À la provocation injurieuse : « Et pourquoi l’Europe ne deviendrait-elle pas musulmane ? », il fallait répondre impavides, en bons aventuriers du Pourquoi-Pas, que l’Europe pouvait très bien devenir musulmane, que ça ne changerait rien. Jamais totalitarisme ne trouva de laquais plus serviles ni d’esprit mieux préparés.

4 juin. — Excellente journée au festival Strasbulles, où je suis assidu depuis deux jours.

5 juin. — À Londres, Theresa May, désireuse de calmer son opinion, a parlé hier de la nécessité de « conversations difficiles et embarrassantes afin d’éradiquer l’extrémisme du secteur public (allusion au scandale déjà ancien de la prise de contrôle d’écoles publiques par des islamistes) et de la société elle-même », ajoutant que les Britanniques devaient vivre « non comme une série de communautés séparées et distinctes mais comme un Royaume véritablement Uni ». On ne peut imaginer, chez cette politicienne de métier, propos plus compromettants, puisque, à l’évidence, les gouvernements conservateurs des années 2010, pas plus que les gouvernements travaillistes des années 2000, n’ont jamais rien fait pour contrarier la mainmise des fameux « extrémistes » sur leur communauté, ni leurs prédations sur la population blanche. Le premier ministre trahit d’ailleurs son peu de sincérité, puisque Mme May s’obstine à parler de l’« extrémisme » comme d’une « perversion de l’islam ». Or les écoles de Birmingham tombées aux mains des associations musulmanes, où l’on endoctrinait les enfants dans une haine virulente du blanc, se contentaient d’appliquer en Angleterre les conceptions religieuses et sociales du Pakistan ; loin de représenter une « perversion » de l’islam, elles étaient l’islam même.
Ce qui domine le discours des politiques britanniques, c’est clairement le souci d’un compromis diplomatique avec une divinité étrangère. C’est pourquoi les représentants d’un État dont le christianisme est la religion établie pastichent un discours islamique, et même un discours islamiste, celui d’organisations comme le Muslim Council of Britain. Or ce discours a un intérêt stratégique pour de telles organisations, qui établissent de façon performative leur propre impunité (leurs propos se ramènent à un « c’est pas nous » proféré avec la grandiloquence et la boursouflure mahométanes), mais, dans la bouche des gouvernants, il amène une contradiction insurmontable, puisque ce sont les ministres d’un souverain chrétien qui excluent de la communauté musulmane des croyants dont la caractéristique distinctive est qu’ils sont ultra-observants et dédiés jusqu’au sacrifice de leur vie à leur belliqueux apostolat.
Au surplus, la faille du discours occidental n’est pas qu’il soit diplomatique, ni qu’il soit apologétique, ni même qu’il soit spécieux, mais qu’il soit ad hoc. À présent qu’on est passé aux massacres de masse, on substitue au sermon assorti de menaces, typique de l’antiracisme dogmatique (gare à qui s’avisait de « faire l’amalgame » entre les « terroristes » et « l’islam »), un distinguo entre les « extrémistes » (qui « ne représentent pas l’islam ») et les musulmans pacifiques (à qui l’on demande de se « dissocier toujours plus de l’extrémisme »). Semblant tenir un discours invariable, le pouvoir politique et le pouvoir médiatique modulent le contenu de ce discours au gré des circonstances.

6 juin. — Comme il y a plusieurs victimes françaises dans l’attentat de Southwark, le porte-parole de l’actuel locataire de l’Élysée y va lui aussi de son « ce sont juste des assassins ». La chose extraordinaire, ce n’est pas que les Européens soient massacrés au cœur de leurs capitales par les cavaliers d’Allah. C’est que, quand cela arrive, ils se tortillent d’embarras puis qu’ils courent s’expliquer auprès des autorités musulmanes.

7 juin. — La difficulté que nous éprouvons à qualifier l’idéologie contemporaine provient de l’extrême abêtissement de la pensée politique. Nous avons du mal à concilier l’extrême bêtise avec les desseins grandioses, les visées millénaristes, comme si la bêtise par définition ne portait point à conséquence. Ou, pour le dire dans les termes de l’épistémologie, nous avons du mal à dégager les lignes directrices d’une doctrine politique spontanée, dont la caractéristique principale semble être l’incohérence, doctrine créée par des demi-illettrés, dans un climat intellectuel dominé par les médias. Il nous faut, pour comprendre de quoi il retourne, surmonter cette apparente contradiction et accepter le principe de ce que j’appelle dans ce journal une révolution par la bêtise.
Le désir d’islam, je crois qu’il était fondamentalement la recherche d’un nouvel ordre politique. La conquête islamique avait détruit le monde antique, pourquoi l’islam n’aurait-il pas pareillement raison du monde moderne ? Or cet ordre politique, l’islam ne peut nous le donner, car l’islam n’apporte à ceux qui sont à son contact et qui ne sont pas lui que la discorde et le carnage.

11 juin. — Sur les photos d’illustration des journaux, on voit des rideaux, pareils à ceux qui permettaient jadis de dissimuler aux regards les lits des mourants, dans les salles communes des hôpitaux. Mais ceux qu’on isole ici, ce sont les rares électeurs non-abstentionnistes, appelés à peupler l’Assemblée nationale des députés du nouveau parti lancé par les médias. Aux autres, il reste la consolation des amers, qui est le plaisir de voir tomber les gens en place. Car le fait que le système se sauve par un artifice ne signifie pas que les hommes du système sont sauvés.

12 juin. — Hier soir, longue course dans la campagne. On n’imagine rien de plus bucolique. Le chemin vicinal, ponctué de calvaires aux dédicaces germaniques, mène droit à la déchetterie. Je me suis enfoncé entre les talus, à l’endroit où l’on enterre les détritus, dont certains parsèment les alentours comme des plantes adventices, blister de jambon en tranche, fragment de sac poubelle bleu, ou noir, bouteille de yaourt à boire, etc. On enterre tout cela en terrasses, l’ayant aplati au rouleau compresseur, et on reboise par dessus. Les archéologues de l’an 4000 trouveront fort curieux ces oppidums de saletés.

17 juin. — Ce mot extraordinaire de la poétesse Marie-Noël : « Se tuer ? On ne se tuerait pas assez. »

19 juin. — Sur l’éphéméride. — Il y a 250 ans : mort de la Bête de Gévaudan.

27 juin. — Depuis trois jours, douleurs musculo-squelettiques et rafales d’extra-systoles (mais les courbatures ne sont pas moins inquiétantes pour moi que l’arythmie, car je me convaincs facilement qu’elles sont des douleurs angineuses). J’ai cru d’abord que je souffrais d’avoir ajouté samedi (nous sommes à mardi) deux heures de jardinage à ma demi-heure de course légère ; mais cet après-midi, ayant refait le parcours du Buchwald en courant commodo, je trouve, s’exhalant du vêtement trempé de ma sueur, une odeur pestilentielle, un mélange de pourriture et de je ne sais quelle épouvantable chimie, qui m’indique que je souffrirais plutôt d’un empoisonnement par l’herbicide que j’ai eu la malencontreuse idée de répandre au pied de mes sumacs avant de tapisser le sol d’écorce de pin. En effet, imbécile que je suis, je n’ai pas manqué d'aller farfouiller ensuite à l’orée de cette terre empoisonnée. La bonne nouvelle, c’est que l’organisme est capable d’éliminer le poison par le premier moyen disponible, ici la transpiration. La mauvaise, c’est que, nous les campagnards, nous devons tremper plus ou moins en permanence dans ces préparations.

29 juin. — Brice Couturier sur France Culture : « ll faut nous voir faire défiler [sur nos écrans] des informations dépourvues d’intérêt et, pour cette raison, constamment renouvelées. » Le plus humiliant n’est pas que nous agissions, en cliquant sur le titre suivant, dans le fil des dépêches, à la façon de ces rats de laboratoires, qui appuient sur une manette pour obtenir une croquette supplémentaire. C’est que nous nous figurions que cette consultation d’une liste par définition infinie de factoïdes fait partie de nos devoirs de citoyens éclairés (car l’information est un besoin vital d’une société démocratique et pluraliste). Il y a un mois – je n’invente rien – l’une de ces brèves était consacrée à la grève des greffes des tribunaux du Togo. (Mais après tout, la logique médiatique repose sur le postulat implicite que nous faisons tous partie d’une unique société, désormais planétaire.)

2 juillet. — En ces temps de désintégration civilisationnelle, il n’est pas mauvais de recourir à la philosophia perennis pour voir ce que nous avons perdu, et tâcher de comprendre comment nous l’avons perdu. Voilà trois mois que je lis plume en main les volumes de Order and History d’Eric Voegelin. Voegelin, c’est l’alliance entre le platonisme et l’empirisme, de sorte que cet auteur me permet de résoudre – de façon véritablement providentielle à mes yeux – un très ancien dilemme philosophique, en réconciliant l’irréconciliable, Platon et William James.
Pour ce qui est de l’empirisme (initialement dans la tradition de la sociologie allemande), la philosophie de Voegelin, qui peut sembler à première vue très proche de la philosophie de la conscience, est plus exactement une philosophie « de l’expérience et de la symbolisation » (Order and History IV, CW17, The Ecumenic Age, p. 109), qui prend comme point de départ de l’analyse le « saut dans l’existence » (leap into being), et qui, en second lieu, prend acte de ce que ni l’expérience noétique (chez les Grecs, culminant avec Platon), ni l’expérience pneumatique (chez les hébreux puis chez les judéo-chrétiens) ne peuvent être communiquées (elle doivent être vécues, et, une fois vécues, elles restent personnelles), en sorte que la seule façon de les traduire passe par une élaboration mythopoétique.
Reste qu’on se demande pourquoi le point de départ d’une réflexion sur l’ordre politique doit se situer dans la recherche d’un fondement divin de l’être (divine ground of being) – c’est précisément ce postulat de Voegelin d’une expérience normative de la transcendance qui fait de lui un « platonisant moderne », pour reprendre l’expression d’Hannah Arendt. Une première réponse, réponse qui n’épuise certes pas la richesse de Voegelin, peut être tirée des conférences de Chicago réunies sous le titre The New Science of Politics (1952). Elle passe par la philia politike de la polis grecque (Aristote, Éthique à Nicomaque 1167b3-4), basée sur l’homonoia, l’accord spirituel entre les hommes. C’est la participation de tous les hommes dans le noos, c’est-à-dire dans leur part divine, qui fonde leur unité. Tous les hommes participent au noos, quoique à des degrés divers, et c’est l’amour de leur moi noétique qui fait du noos leur lien commun. Cependant un progrès sur le noos des philosophes est le pneuma divin, qui ouvre la possibilité d’une philia entre inégaux, c’est-à-dire entre homme et Dieu. Dans ce nouvel ordre, l’homme est le maître de la nature, mais il est également conscient des dangers d’une chute des hauteurs de l’esprit vers le néant démoniaque d’une humanité pure. Ainsi, la théorie de l’homme en société – théorie qui, encore une fois, ne peut selon Voegelin être tirée que de l’expérience – atteint, avec la philosophie grecque et le christianisme, un degré maximum de différentiation, ce qui signifie que tout retour en arrière est une régression (Voegelin, The New Science of Politics, CW5, p. 150-152).
Considérant rétrospectivement les grands crimes du XXe siècle, et prospectivement ceux du XXIe siècle débutant, je suis assez enclin à penser qu’en effet leurs auteurs étaient – ou sont – inconscients des dangers de la chute vers le néant démoniaque d’une humanité pure ; je crains même qu’ils ne considèrent la chute comme une apothéose. Voegelin note avec beaucoup de perspicacité qu’à chaque fois qu’on a donné dans le nihilisme anti-chrétien, c’est le mythe du surhomme qui a triomphé sous une forme ou une autre.
Des six volumes annoncés de Order and History, qui prennent la question de l’ordre politique de façon chronologique (puisque la thèse de départ est que « l’ordre de l’histoire émerge de l’histoire de l’ordre »), les trois premiers sont parus coup sur coup à la fin des années 1950. Puis il fallut attendre 1974 pour un volume quatre, The Ecumenic Age, qui prenait un nouveau départ, et qui justifiait longuement ce nouveau départ. Il me semble qu’on a tiré de ce changement de cap des conclusions exagérément pessimistes. Ce volume quatre tardif est bien le volume annoncé sur les empires œcuméniques (il devait être titré initialement Empire and Christianity), simplement assorti d’un long développement sur l’historiogenèse, le dernier volume de Order and History, titré In Search of Order, étant lui, quoique inachevé, l’ouvrage annoncé comme le volume VI, titré The Crisis of Western Civilization. Manque donc seulement le volume V The Protestant Centuries.

D’un autre côté, changement de cap il y eut bel et bien, car Voegelin constata que, dans l’histoire pragmatique, le passage de la compacité à la différenciation ne s’échelonnait pas de façon chronologique. L’histoire considérée comme un parcours (a course) était donc un mauvais outil, et la thèse initiale selon laquelle « l’ordre de l’histoire émerge de l’histoire de l’ordre » était difficilement tenable si l’on appelle « histoire » la chronologie des événements. Simultanément, sur le plan conceptuel, cette fois, Voegelin découvrit que la forme symbolique qu’est l’histoire, qu’il croyait une invention d’Israël et donc une étape dans le processus de différenciation (« « Israel alone has history as an inner form, while the other societies existed in the form of the cosmological myth » O&H I, 124, CW 165) apparaît dès les civilisations cosmologiques, et qu’elle est par conséquent universelle (c’est précisément ce que révèle la longue étude de l’historiogenèse). Mais ceci pose un problème dans le maniement même du concept d’histoire, puisque, en l’employant, Voegelin lui-même revient paradoxalement à la compacité des civilisations cosmologiques. Cependant ces deux problèmes, le problème pragmatique, celui du caractère non-chronologique du processus de différenciation, et le problème conceptuel, celui du caractère archaïque de la forme symbolique qu’est l’histoire, se corrigent en quelque sorte l’un l’autre. D’une part, comme les événements hiérophaniques ne suivent pas d’ordre particulier il faut, dans leur analyse, procéder à sauts et à gambades. D’autre part, dans une telle analyse, désormais transversale, l’histoire est redéfinie comme un processus qui se déroule dans un éternel présent et dont l’accomplissement se situe hors du temps. Au total, la formule « l’ordre de l’histoire émerge de l’histoire de l’ordre » reste valable, quoique ses termes soient profondément modifiés.

3 juillet. — je sais bien que le fait de déplorer le faible niveau culturel des générations récentes est un signe de sénilité, mais si les journalistes de France Culture, chargés de notre « éducation politique et artistique », sont de bons spécimens, il y a réellement de quoi s’inquiéter. Ignorance complète des lettres. Ignorance complète des langues, au point que ces gens sont incapables de prononcer un traître mot d’anglais, alors que l’anglais est leur langue de loisir, puisqu’ils s’empiffrent de séries télévisées. Ignorance complète de l’histoire. Je ne parle même pas de l’histoire de l’Ancien Régime, qu’on a pu désirer de gommer pour des raisons politiques évidentes (« changement de civilisation »), mais de l’histoire pour ainsi officielle, celle des commémorations. Ainsi, la poignée de main Mitterrand-Kohl, en 1984, c’était devant « le monument aux morts de Verdun ». Parce que ces sagouins-là ignorent même ce qu’est l’ossuaire de Douaumont.
Pas besoin de chercher longtemps le modèle d’une telle éducation. Effacement des lettres (où l’on risquait d’apprendre sa propre langue et la liberté d’esprit), effacement des langues (qui permettent de communiquer avec l’extérieur), effacement de l’histoire (n’étant plus enseignée, à propos du passé, que la propagande du régime). Une mauvaise idée ne se perd jamais.

9 juillet. — L’ami Stara, qui pratique régulièrement le « désherbage » de sa bibliothèque, m’apporte des cartons de livres. Jeté un coup d’œil aux Damnés de la terre (1961) de Frantz Fanon, nègre de la Martinique, psychiatre, indépendantiste algérien et militant tiers-mondiste. Ce texte prend un lecteur moderne à rebrousse-poil, car le lieu commun de la guerre d’Algérie, aujourd’hui, c’est la culpabilité liée à la violence de la puissance coloniale (rafles, torture, etc.). Or Fanon, qui se situe à l’autre bord, a écrit un péan à la violence salvatrice.

10 juillet. — Je lis une tarzanerie léonine, The Lion’s Way de C. T. Stoneham, littérateur et – j’écris cela tout bas – chasseur de fauves, un chasseur de fauves tardif, descendant des Victoriens qui faisaient le coup de feu à une époque où plusieurs millions de lions colonisaient l’Afrique, du Cap à l’Atlas. Le romancier est à son affaire quand il décrit son homme-lion au milieu de sa famille de fauves, mais la description de la société humaine est faite de poncifs, et l’auteur semble mal la connaître.
Justement, la presse, qui n’à rien à se mettre sous le bec pendant les mois d’été, rapporte cette enquête américaine parue en mai dans les Proceedings of the National Academy of Sciences  : il resterait 30 000 lions à la surface du globe. Autre résultat du recensement : nous aurions, depuis 1970, détruit, en nombre d’individus, la moitié exactement des animaux qui partageaient la Terre avec nous.

11 juillet. — Journée peu productive, consacrée pour l’essentiel à essayer de retrouver la citation de Marx sur le changement de la nature humaine par la violence révolutionnaire à laquelle fait allusion Voegelin (Order and History IV, CW17, The Ecumenic Age, p. 319). Mais point de trace d’une « blood intoxication » (« Blutrausch ») dans les œuvres du premier Marx. Je finis par conclure qu’il s’agit d’une paraphrase, peut-être de l’article dans la Neue Reinische Zeitung du 7 novembre 1948, dans lequel il est question d’abréger par le terrorisme révolutionnaire (revolutionärer Terrorismus) les sanglantes douleurs de l’enfantement de la société nouvelle (« die blutigen Geburtswehen der neuen Gesellschaft abzukürzen »). Cependant il me semble qu’on trouve là une référence au caractère salvifique de la violence davantage qu’à une transformation « métastatique » de la nature humaine.

12 juillet. — Je cherchais tantôt dans mes rayonnages The Lost Stradivarius, bref roman fantastique victorien dont j’avais gardé le meilleur souvenir. Première découverte : je ne possède pas ce livre, que j’avais donc emprunté à une bibliothèque. Deuxième découverte (après que j’ai vérifié sur la Toile l’existence de l’édition Dover que je croyais détenir) : ce livre est de J. Meade Falkner, l’auteur de Moonfleet, et non, comme j'en étais persuadé, d’Israel Zangwill. Comment ai-je pu me fourrer dans la cervelle que Zangwill était l’auteur de The Lost Stradivarius ? Explication possible : Zangwill est l’auteur de The Big Bow Mystery, également republié par E. F. Bleiler aux éditions Dover (mais que je n’ai pas lu). Bow désigne ici un quartier de Londres, mais, n’ayant pas lu le roman, j’ai pu interpréter le mot comme désignant un archet. Et voilà comment, les deux titres, The Lost Stradivarius et The Big Bow Mystery, s’associant dans mon esprit, Israel Zangwill devient l’auteur de The Lost Stradivarius. À noter le caractère crucial de la non-détention d’un exemplaire de The Lost Stradivarius, l’impossibilité de la vérification empirique permettant à l’erreur de s’installer, tout à fait de la façon dont s’installe une idée délirante chez un sujet prédisposé.

24 juillet. — Soudain engraissement. Il y ainsi des moments où le corps se détraque – ou se rebiffe – sans qu’on n’y comprenne rien.
La façon de retrouver son poids-cible, elle, par contre, est immuable et ne ménage aucune surprise : il faut s’affamer (on s’habitue rapidement à s’endormir en ayant faim) et augmenter l’exercice.

26 juillet. — Au réveil, visionné sur la chaîne Kto la messe en mémoire du prêtre rouennais martyrisé il y a un an par deux jeunes musulmans, dont l’un habitait le quartier.
Je ne sais que penser, non de la messe, mais du cérémonial qui l’accompagnait. Sans doute y avait-il, sur le plan des symboles politiques, une volonté du régime de réconciliation avec le catholicisme, après les hauts faits de la Manif pour tous. Le président de la République lui-même, flanqué de deux ministres, est donc venu décerner un brevet de citoyenneté aux catholiques, et les a félicités d’avoir « refusé cette soif de vengeance et de représailles » et de rester « d'inlassables artisans de la paix ». Mais la phraséologie catholique (« artisans de paix ») cache mal l’injonction médiatique d’aboulie (« vous n’aurez pas ma haine »). Et sitôt que l’on sort du faux jour médiatique, tout frappe par son absurdité. La préoccupation des survivants de l’atrocité de Rouen, ces religieuses âgées, ce couple de vieux paroissiens, dont le mari a été grièvement blessé, est de continuer à vivre avec le traumatisme de l’attentat. Et quant aux catholiques, la question qui les taraude n’est pas celle des représailles ou de la vengeance – ce n’est pas une tribu de Sioux –, mais celle de l’avenir, au moment où ils subissent en France ce que subissent les chrétiens d’Orient. Pourquoi alors leur prodiguer des leçons de morale, fût-ce pour les féliciter d’avoir résisté à leurs mauvais penchants ? La classe médiatique et le président qui en est l’émanation ressemblent à ces névrosées à tendances passives-agressives qui répondent toujours à côté et qui, lorsqu’on leur confie qu’on a mangé, la veille, du poisson gâté et qu’on a été bien malade, répondent qu’il n’est pas raisonnable de se gaver ainsi.

27 juillet. — Comme la cérémonie d’hommage au P. Hamel m’a fait renouer bien malgré moi avec la république médiatique de Cretinia, un peu cherché quel parfum avait la presse, en ces semaines d’été où personne ne la lit.
L’unisabir dans sa version Ponson du Terrail : « Un homme vêtu d’une djellaba et d’une lame de 40 centimètres s’est retranché à son domicile. »
Parodie involontaire de Woody Allen. Un magazine à grand tirage demande à une ministre très en vue quel est le dernier livre qu’elle a lu : « Par-delà le bien et le mal, de Nietzsche, qui parle énormément de morale. » (Chez Woody Allen : « J’ai lu tout Guerre et Paix en deux heures grâce à la lecture rapide : ça parle de la Russie. »)
Une association – appelons-la l’association Focomba –, dont le slogan est : « il reste de nombreuses zones d'ombre dans ce dossier », explique que les victimes ne sont pas celles que l’on croit, et qu’il y a des victimes supérieures, qui sont, pour ainsi dire, les victimes de leurs victimes (l’association Focomba explique cela de façon beaucoup plus confuse).
Une autre association, appelons-la l’association Foi sans lumière, pense qu’il faut parfaire l’entente entre les religions, au moment où la religion dernière venue entreprend d’exterminer les religions autochtones.
Il me frappe que la presse semi-officielle du régime et la contre-presse (par exemple le site Alarme Blanche, qui se propose de distiller la vérité à travers ce que la presse semi-officielle laisse passer sous l’intitulé de faits divers) tiennent au fond le même discours : nous autres passagers de l’À-quoi-bon voguons vers notre calvaire avec ce qui s’apparente à du soulagement, car nous avons depuis longtemps perdu le désir de vivre.

29 juillet. — Retrouvé après six jours d’une vie de punitionnaire mon poids-cible. J’ai pissé toute la nuit, phénomène que j’ai régulièrement observé pendant les phases d’amaigrissement, l’essentiel de la graisse étant éliminé pendant l’exercice et le résidu étant changé en eau. Du côté négatif, le surcroît d’exercice se paie par de l’arythmie.
Repensant à la cérémonie civile d’hommage au prêtre martyrisé, je me suis une fois de plus interrogé sur cette furie des commémorations. Je ne suis pas éloigné de penser que les politiques qui les organisent et les petits bourgeois apeurés qui les suivent sur les écrans leurs prêtent une vertu magique. À tout le moins, elles sont censées clore l’épisode et rétablir la situation antérieure. Affaire classée. Comme avec le « ça n’a rien à voir », il s’agit de donner à l’absurde la couleur du bon sens.

Pour un titre : L’Orient s’éloigne.

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