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Vers la fin du Journal 2015

Vers le début du Journal 2016

Extraits du journal de Harry Morgan 2016
MASSACRE, DÉNI, HACHIS ET ÉPOUVANTE
Les derniers jours de Cretinia

1er juillet. — Cérémonie du centenaire de la bataille de la Somme au mémorial de Thiepval, regardée sur la Toile. J’en tire deux leçons.
Primo, l’iconophobie des journalistes français de télévision, qui noient les images sous un flot de commentaires ineptes parce qu’une image qu’on livre à elle-même est capable de tout ; après tout le spectateur français court un risque sérieux d’être ému en voyant tomber sur le monument une pluie de bleuets et de coquelicots ou en entendant l’assistance chanter Abide With Me.
Secundo, Thiepval, cérémonie réglée par les Britanniques, est l’anti-centenaire de Verdun : ici, pas de rappeur vomissant sa haine, mais un président de la République qui lit — assez mal du reste — une page de Civilisation de Georges Duhamel. Pas de tambours africains, ni de galopade de gamins au milieu des croix (je retrouve ici l’un des premiers apprentissages de ma propre enfance : on ne court pas dans les cimetières), mais des centaines d’enfants en polo blanc qui viennent se placer devant les tombes et y déposent des bouquets.

5 juillet. — Mon éditeur me fait tenir la presse française de janvier 2015, postérieure à Charlie (Charlie est devenu le nom du massacre comme Frankenstein est devenu le nom de la créature.) Cela donne l’impression d’être vieux non de 18 mois mais de 18 ans et cela reste comme un extraordinaire témoignage sur ce qu’on appellera peut-être un jour « l’avant-guerre ».
C’est la lecture des Inrockuptibles du 14 janvier qui est la plus riche d’enseignements. Le mot d’ordre du président de la République — « ceux qui ont commis ces actes, ces illuminés, ces fanatiques, n’ont rien à voir avec la religion musulmane » — y est paraphrasé à toutes les pages et sur tous les tons : laissez l’islam en dehors de cela, ne salissez pas avec vos odieuses obsessions islamophobes la mémoire de nos chers dessinateurs (Virginie Despentes va jusqu’à parler de « l’extrême droite de l’alliance UMP-FN pissant sur leur tombe »). C’est au point que des données élémentaires sur l’islam, dont, après tout, personne ne nie qu’il s’est imposé par le sabre, suscitent une réfutation hautaine et scandalisée (« laissons la thèse “l’islam religion intrinsèquement meurtrière” aux faussaires habituels »). Au fondement de ce déni, il y a cette erreur de raisonnement : si l’on admettait que les assassins envoyés par le califat eussent rien à voir avec l’islam, alors tous les musulmans de France deviendraient suspects C’est ce que le magazine appelle la « stigmatisation obsessionnelle des musulmans ». Or cette façon de raisonner, c’est précisément celle des gens d’idées avancées, qui ne peuvent converser durant une minute avec un chrétien sans lui reprocher les croisades et l’inquisition espagnole, ni avec un juif sans lui envoyer à la figure les colonies juives dans les territoires palestiniens. Autrement dit, les apologistes font eux-mêmes l’amalgame qu’ils dénoncent. Les braves gens, eux, se préoccupent assez peu, de manière générale, des positions doctrinales de leurs voisins. De même, le lien fait par Les Inrockuptibles entre la « stigmatisation obsessionnelle des musulmans » (qui désigne, encore une fois, le fait d’identifier comme musulmans des gens qui tuent aux cris de « Allahu Akbar » et de « on a vengé le prophète ») et le vieux racisme beauf dirigé contre les « bougnoules » apparaît ténu, pour ne pas dire ectoplasmique.
Ce qui rend singulières les admonestations des Inrockuptibles, c’est d’abord que la revendication victimaire y prend un caractère proprement délirant — « on est des victimes directes (sic) de ces meurtriers », déclare l’administrateur d’une mosquée parisienne (même dans Libération, les musulmans ne se disent victimes que par « ricochet ») —, et en second lieu que ceux qu’on présente comme des musulmans ordinaires ne le sont pas du tout. L’administrateur de mosquée cité à l’instant est le fils d’un imam expulsé pour extrémisme. Et la mosquée qu’il administre, c’est celle de la rue Jean-Pierre-Timbaud, rendue célèbre depuis par l’ouvrage de Géraldine Smith, Rue Jean-Pierre-Timbaud, une vie de famille entre barbus et bobos.
On devine ici des ressorts très obscurs. Virginie Despentes écrit encore, pour relativiser les massacres : « Le jour où les rebeus sortiront tous leur kalachnikov des caves pour nous tirer dans la gueule, à la couleur, comme le contrôle de papiers, plus t’as l’air blanc moins t’as de chance de terminer ta journée entier, ce jour-là, tu verras, on sentira la différence. » Dix mois plus tard, c’étaient les frappes de Paris et de Saint-Denis, et il arriva donc à peu près ce que cette dame décrivait sur le mode confuso-onirique.
Ceci me ramène tout droit à la question qui me tracasse depuis des mois, et à laquelle je n’aurai jamais de réponse. Sur un plan strictement sécuritaire, pourquoi le régime a-t-il attendu les frappes de novembre pour prendre la mesure du danger, et pourquoi cette prise de conscience s’est-elle accompagnée d’un revirement complet, le président de la République déclarant, devant le Parlement réuni en Congrès : « La France est en guerre » ? Les arguments qu’on donne habituellement pour expliquer le revirement ne tiennent pas. Le 13 novembre, plus grave attentat depuis la Libération, a-t-on dit — mais Charlie était l’attentat le plus meurtrier depuis 1961, comme le rappelèrent Les Échos dès le 8 janvier. Le 13 novembre, attaques coordonnées, donnant l’impression que les ghází étaient maîtres de Paris — mais les massacres de janvier étaient coordonnés, puisqu’on a tué les dessinateurs le 7 et que le nègre Coulibaly exécutait une policière le 8, les otages juifs de l’Hyper Casher le 9.
Si la question a tant d’importance à mes yeux, c’est qu’elle me paraît révélatrice de fractures très profondes. L’éditorial du Figaro du 8, immédiatement après Charlie, est titré « La guerre ». Mais dans Libération du 10, après qu’on a abattu les dessinateurs, la policière de Montrouge et les otages juifs du cours de Vincennes, l’éditorial s’ouvre ainsi : « C’est la guerre ? non. » Ainsi, on en revient constamment à l’idée de victimes désignées, sur la mort desquelles s’établit un louche consensus. Du massacre de novembre au Bataclan, personne ne conclura que les musiciens et les spectateurs avaient pris leurs risques en se livrant à une activité que l’islam rigoriste prohibe absolument. Mais de l’attentat de Charlie on a tiré aussitôt la leçon qu’il était dangereux de dessiner, quitte à célébrer le courage de ceux qui contrevenaient à l’interdit. Libération du 9 janvier parle de « l’héroïsme » des dessinateurs, qui ont « tenu jusqu’à l’heure tragique », comme si Charlie était le fort de Vaux et que les dessinateurs allassent à une mort prévisible et acceptée. Même rhétorique dans Le Monde daté du 9, qui décrit assez follement les dessinateurs comme de résistants connaissant les risques qu’ils couraient. (« Ils résistaient par la caricature... Depuis dix ans, ils étaient menacés et le savaient... Certains ne cachaient par leur peur, mais tous la surmontaient... À travers eux, c’est bien la liberté d’expression qui était la cible... ») Le trope des martyrs de la liberté d’expression apparaît ici comme la version bien-pensante du « ils l’avaient bien cherché » de la petite racaille musulmane.

7 juillet. — « La vente des chaussettes d’Hitler choque la communauté juive. » Ce n’est pas une parodie mais une nouvelle toute à fait ordinaire, ou plutôt l’un de ces factoïdes informationnels qui remplissent les fils d’actualité et font réagir les usagers des réseaux sociaux.
L’idée m’est venue de prolonger ma diète médiatique au-delà de la compétition sportive qui la motive, par divers moyens, par exemple en limitant strictement le temps consacré à l’information, pas plus d’un quart d’heure quotidien sur la Toile, lecture des six numéros de La Croix en une seule séance hebdomadaire, et aussi en usant de précautions élémentaires, par exemple en cessant de lire aussitôt tout article dont je découvre en butant sur un « ambigüe » ou sur un « cout social » qu’il est en orthographe rectifiée, ou bien qui emploie des solécismes journalistiques (« enjoindre le patronat »).
Quant à France Culture, et à son indigeste programme d’émissions indiscernables l’une de l’autre, toutes produites par des journalistes, je continuerai à m’en passer très bien.

8 juillet. — Je pourrais faire, à partir de ce que je détiens d’émissions « emblématiques » de France Culture, sur d’antiques cassettes et, plus récemment, sur des mémoires d’ordinateur, l’histoire brève du déclin de cette radio et, à travers elle, du déclin de notre société. Ce qui, dans les années 1970 et 1980, ne représente encore que des manies agaçantes, ou d’envahissantes lubies (les programmes restant d’excellente qualité), prend dans les années 1990 un caractère systématique, dans les années 2000 un caractère dangereux.
Fin des années 1970, début des années 1980. « La matinée des autres ». — Une civilisation encombrée d’elle-même ; l’ethnologue qui parle, fort brillamment, de Corée ou de Madagascar s’arrange toujours pour placer son petit couplet contre la civilisation chrétienne.
Milieu des années 1980, années 1990. « Mémoires du siècle », « Voix du silence » d’Antoine Spire. — Les droits de l’homme comme nouvelle religion laïque.
Fin des années 1990. « La suite dans les idées » de Sylvain Bourmeau (occupant le créneau de midi à treize heures trente de 1999 à 2001). — Arrivée des sociologues. La banlieue sympa, l’islam sympa. Un nouveau rapport à la violence.
Années 2000. « Les matins de France Culture » de Nicolas Demorand (créés en 2002). — Arrivée des journalistes. L’« actualité » des « produits culturels ». Corollaire : la démagogie (le jingle « Tout le monde est poète et quand tu éclates de rire, j’ai envie de dire que toi aussi tu es poète »). Le multiculturalisme hargneux (le jingle : « La culture, d’abord, y en a pas qu’une, y en a plusieurs, elles sont liées sur un territoire et c’est ce qui fait qu’on a des repères ») ; le fantasme d’une solution finale de la culture française (le jingle « vous écoutez Fouance Quioultoure »).
Années 2010. « La grande table » de Caroline Broué. — La pensée ramenée au slogan. La défense de dernière ligne d’une idéologie en banqueroute. La dépression collective à chaque nouveau massacre, suivie d’un sursaut doctrinaire. Une radio en guerre contre ses propres auditeurs.

9 juillet. — Il paraît qu’on va inscrire dans le Code civil l’interdiction de donner la fessée aux enfants. J’aurai donc été prophète, une fois dans ma vie, puisque j’écrivais dans les premières versions du Bas Monde (circa 2010) : « Au moment où les activistes, dans un dernier sursaut héroïque, afin de mettre définitivement fin aux violences intercommunautaires, entreprirent de débarrasser à coup de bombes la Vulgarie de ses populations autochtones, les Vulgares inscrivaient triomphalement dans leur loi fondamentale l’interdiction de la fessée. »

11 juillet. — Lu The Great Peril de Caleb Hawker, paru chez Blackie, en 1937 (mais mon édition date de la guerre). Publié dans une collection de romans d’aventures pour garçons, il s’agit d’un roman d’anticipation, qui relève plus précisément de ce genre si typiquement britannique qu’est le roman de fin du monde. Cela raconte l’invasion de l’Angleterre par des mongols, qui obtiennent une victoire instantanée en noyant les grandes villes sous les gaz, à l’aide de myriades de ce qu’on appellerait aujourd’hui des drones. Mais la scélératesse de ces envahisseurs va jusqu’à l’irréflexion, et ils se rendent compte tardivement du sérieux risque épidémique que leur font courir les millions de cadavres laissés à l’abandon. C’est l’occasion de scènes dantesques où l’on voit de gigantesques brasiers alimentés par les corps qu’amènent des norias de camions. C’est par l’arme épidémiologique, précisément, que se fera la contre-attaque, mais malheureusement l’auteur ne peut, dans un roman destiné à la jeunesse, aller jusqu’au bout de son idée, de sorte que le roman s’achève de façon abrupte et quelque peu artificielle.

13 juillet. — Prié pour mon malheureux pays à l’abbatiale. Dieu veuille convertir les cœurs et éclairer les esprits de nos dirigeants.

15 juillet. — Le monde de la culture et de l’attentat est à nouveau dans les transes, un Tunisien ayant loué un camion frigorifique dans le but exprès d’écraser la foule sur la promenade des Anglais, après le feu d’artifice du 14 juillet. Il a fait 84 morts.
Il paraît que la chaîne publique France 2, par l’odeur alléchée, s’est mise en tête d’interviewer un homme à côté des cadavres de sa femme et de son gamin (« Bonjour monsieur, vous venez de perdre votre épouse, une réaction » ?). Cela ressemble bien à la couverture de la cérémonie de Thiepval vue l’autre jour sur France 3 : il s’agit d’ahurir le spectateur par un jet concentré d’inepties. Et sur le strict plan imagier, nous sommes tout à fait passés à l’islamisme. Un massacre sanguinolent est un spectacle, qui passe en boucle sur toutes les chaînes pendant toute une nuit.

Noms : Goolp et Lollop.

Relu le curieux morceau de Gide racontant son voyage en Turquie (La Marche turque, Journal 1914), pris de la soudaine et irrésistible conviction que le Gide « engagé » était là, dans ces pages toutes imbues d’orientalisme (Gide, en Turquie, est inconsolable de l’absence de chameaux, car il fait d’instinct la comparaison avec sa chère Biskra et son cher Sahara), plutôt que dans le Gide économiste du Voyage au congo, du Retour du Tchad et du Retour de l’URSS, et persuadé enfin que ces pages devaient contenir quelque signe annonciateur du génocide. De fait, Gide croise, à la tête de leur affreuse soldatesque, tout juste sortie des guerres balkaniques, les futurs génocidaires, Enver Bey et son conseiller prussien, le général Liman von Sanders. L’écrivain décrit des traîne-sabres grotesques à qui des officiels tout aussi grotesques, civils et religieux, viennent faire leurs salamalecs. Moins d’un an plus tard, Enver Bey donnerait l’ordre d’exterminer toutes les minorités chrétiennes de l’empire. Mais cela, évidemment, Gide ne peut pas le savoir.
Il y a cependant dans le récit de voyage de Gide une anecdote tout à fait révélatrice. Il se fait dans la nuit un grand remue-ménage de détonations sourdes, d’appels et de lamentations, et notre touriste, réveillé en sursaut, imagine « une émeute, un massacre (à quoi l’on peut toujours s’attendre dans ce pays), une Saint-Barthélemy d’Arméniens, de Grecs, de Juif... ou d’étrangers. ». Mais il s’agit seulement d’un incendie.
L’immensité de sa déception amène l’écrivain à pousser des cris de joie, ayant reposé le pied en Grèce. D’où ce passage : « Trop longtemps j’ai pensé, par amour de l’exotisme, par méfiance de l’infatuation chauvine et peut-être par modestie, trop longtemps j’ai cru qu’il y avait plus d’une civilisation, plus d’une culture qui pût prétendre à notre amour et méritât qu’on s’en éprît... À présent je sais que notre civilisation occidentale (j’allais dire : française) est non point seulement la plus belle ; je crois, je sais qu’elle est la seule — oui, celle même de la Grèce, dont nous sommes les seuls héritiers. »

Musique de l’été, Lullaby d’Ethelbert Nevin dans un vieil enregistrement qui gratte. Le plus fort c’est que, ayant téléchargé la partition de la version pour piano, il m’a fallu trois jours pour comprendre comment fonctionnaient cette très simple mélodie et son accompagnement.

19 juillet. — La population digère mal l’attentat au camion-bélier du 14 juillet. Hier, à Nice, les officiels se sont fait huer pendant la minute de silence. Une autre nouveauté est l’apparition, à côté de l’habituelle pacotille commémorative (fleurs, peluches, petites bougies, petites cartes, déposées sur les flaques de sang), d’un contre-monument haineux, à l’endroit où le terroriste a été abattu, composé de détritus variés sur lesquels crachent les passants.
Quant aux médias, ils souffrent d’inexplicables crises d’amnésie. La Croix du 15 juillet expliquait ainsi que jamais en France on n’avait vu semblable attaque au véhicule-bélier, et qu’il fallait chercher les précédents au Royaume-Uni (les deux Nigérians qui ont renversé le soldat Lee Rigby à Londres en mai 2013) ou au Canada (le type qui a foncé sur trois militaires en voiture et en a tué un, en banlieue de Montréal, en octobre 2014). Or les Français se souviennent très bien de l’attentat à la voiture-bélier en plein centre de Dijon, à Noël 2014, dont, précisément, le caractère terroriste avait été immédiatement niée par le procureur de l’endroit, le conducteur étant, paraît-il, fou à lier.
Autre exemple : un jeune « réfugié » taliban vient d’exécuter une attaque à la hache et au couteau dans un train régional allemand. La dépêche de l’AFP cite comme uniques précédents chez les Germains l’attaque au couteau d’un policier par une jeune fille en février 2015 et l’attaque d’une policière par un Irakien en septembre 2015. Or tous les Allemands savent qu’au mois de mai un islamiste armé d’un couteau avait semé la terreur à bord d’un train interurbain puis dans une gare de Bavière, tuant un homme et en blessant trois autres. C’est donc en réalité, n’en déplaise à l’AFP, la deuxième attaque de ce genre en trois mois. Mais l’égorgeur bavarois, à ce qu’on disait, souffrait de dérangement cérébral.

21 juillet. — Lu le rapport du député Fenech sur la lutte contre le terrorisme après les attentats de 2015. Cela se résume aisément : héroïsme des forces de l’ordre ; carence du politique ; inconscience des médias.
Lacunes béantes de notre dispositif de sécurité. Des individus mis en examen partent en Syrie sans anicroche, en violation de leur contrôle judiciaire, après s’être fait refaire en préfecture le plus aisément du monde les papiers d’identité qu’on leur a confisqués. La surveillance d’individus radicalisés s’interrompt brusquement parce que les écoutes téléphoniques « ne sont pas concluantes ». Ou, pire encore, des radicaux qui ont été condamnés sortent de prison sans que soit mise en place aucune surveillance. Même laxisme en ce qui concerne l’irruption sur le théâtre européen des moudjahidin : l’agence Frontex (qui est en théorie une agence européenne de gardes-frontière, mais qui est de facto une agence de voyage pour immigrants illégaux, qu’elle va récupérer en mer) n’a toujours pas accès au fichier Schengen recensant les terroristes, et ceux-ci passent donc en Europe librement. Pour ce qui est des Français qui reviennent du califat, ils échappent à toute mesure de contrainte (c’est l’une des grandes croisades de la presse bien-pensante : on ne peut tout de même pas les enfermer). Cependant ils bénéficient — ce détail confond l’esprit — de stages de « déradicalisation » sur la base du volontariat.
Quant aux médias, en particulier pendant les frappes de janvier, ils mettent constamment les forces de l’ordre et les otages en danger, en diffusant des informations et des images qui sont visibles par les terroristes. Le rapporteur propose donc la création d’une infraction caractérisée par « la diffusion — sur tout support — d’une information susceptible de causer un préjudice à toute personne présente sur le lieu d’un attentat ».

23 juillet. — Information particulièrement glaçante dans les médias locaux. À compter du premier août, horaires d’ouverture restreints à la cathédrale, suppression des messes du matin et du soir, fermeture des portes à clé pendant les messes. Les grandes narines du Renseignement ont certainement eu vent d’une grande campagne de déchristianisation lancée par le califat.

25 juillet. — Après quatre frappes terroristes en Allemagne la même semaine, la médiasphère (je parle ici de journalistes français) jette les derniers feux — ce sont aussi les plus beaux — du « pas d’amalgame », de sorte que deux, et peut-être même trois des attentats « n’ont rien à voir avec l’islam ». Un Germano-Iranien qui a paralysé Munich, vendredi 22 en exécutant un massacre très sanguinolent était, nous dit-on, « obsédé par les tueries de masse », explication paradoxale puisque cela ressemble au mot près au « profil de poste » du moudjahid califal. Un « réfugié syrien » qui, hier dimanche, a tué une collègue de travail puis a frappé aveuglément dans la foule à l’aide d’un coupe-coupe devient l’auteur d’un « crime passionnel ». Une deuxième frappe hier, un attentat à la bombe lors d’un concert, était ce matin décrite ainsi sur le site de La Croix : « Allemagne : un réfugié syrien tué dans l’explosion qu’il a provoquée », comme s’il s’agissait d’un lycéen adonné à de dangereuses expériences de chimie sur quelque terrain vague. Titre modifié comme suit, après, je suppose, les protestations indignées des lecteurs : « Attentat en Allemagne : l’auteur, un réfugié syrien, tué dans l’explosion. » Voilà notre chimiste imprudent redevenu terroriste.

26 juillet. — Réveillé dès cinq heures et demi, remué dans ma tête la continuation de ma nouvelle, La Contradiction d’Arimânin. Levé pour écrire le résultat de mes cogitations. Course légère dans la campagne. Tentative de détection de l’origine des odeurs d’égout dans la salle de bain avec l’assistant de l’architecte et le plombier. Puis continué à traduire les biographies des dessinateurs pour l’édition française de Zap n° 16.
À quinze heures trente, je consulte, avant ma sieste, les dépêches d’agence sur le site de La Croix. Un prêtre égorgé devant l’autel, en pleine messe, ce matin, près de Rouen par deux terroristes, dont l’un au moins, qui habitait le patelin, aurait dû être en prison mais était « sous bracelet électronique », c’est-à-dire qu’il était libre comme l’air. D’après une religieuse qui a réussi à s’échapper, les deux assassins filmaient l’exécution et ont prononcé une sorte de prêche en arabe, autour de l’autel, appelant, je suppose, tous les musulmans à extirper la superstition et à détruire les temples de l’associationnisme.
Dii autem nullo debent coli genere, si et hoc uolunt. (Civ. Dei VI, X. On ne doit aucune espèce de culte à des divinités qui en réclament un semblable.)

27 juillet. — Levé à sept heures, ce qui représente aujourd’hui pour moi une sorte de grasse matinée. Continué à traduire les biographies des dessinateurs de Zap. L’après-midi, longue promenade avec Manu.
Un peu lu les divagations de la presse. il faut, pour démêler ces sophismes, arriver à prendre, comme Rouletabille, sa raison par le bon bout. Si, comme le prétendent les journalistes, tous ceux qui assassinent étaient des aliénés pris de crises de folie subites, cela signifierait que nous abriterions une population dans laquelle la prévalence de la frénésie meurtrière serait telle qu’il nous faudrait prendre d’urgence, relativement à cette population, des mesures prophylactiques et quarantenaires. La simple cohérence avec la thèse défendue, celle de l’innocuité des musulmans et de l’innocence de l’islam, devrait amener les journalistes à reconnaître l’existence en Europe d’une cinquième colonne jihadiste.

28 juillet. — Un peu souffrant à cause de la longue marche d’hier. Achevé la traduction des biographies pour Zap, mais celle de Moscoso est à refaire parce que ce qu'on m’a donné comme matériel de départ n’est pas une biographie mais une interview.
Coup d’œil sur les élucubrations de la presse. Cela prend parfois une forme gnomique : « Sans suivi, rien ne sert de ficher. » (Les deux terroristes de Rouen étaient fichés et l’un des deux portait un bracelet électronique.) On pourrait ajouter : « Rien ne sert d’assigner ; il faut enfermer. » (Les moudjahidin assignés à résidence disparaissent dans la nature ; ou bien ils frappent à l’endroit où ils sont confinés ; c’est ce qu’a fait le type qui a égorgé le prêtre.)
Curieux usage par la presse de l’expression « État de droit » (ou « état de droit »), pêchée je ne sais où. Il est très difficile de comprendre ce que les journalistes entendent par là, probablement parce qu’ils ne le savent pas très bien eux-mêmes. Cela veut dire en gros qu’il ne faudrait pas s’imaginer qu’on aurait la faculté d’empêcher les terroristes de frapper, vu qu’on n’arrête pas les gens comme cela, parce que que voilà, c’est ce que dit la loi (ou alors, pour les journalistes amateurs de séries télévisées américaines, parce que ce serait « contraire à la Constitution »). Cela se mélange plus ou moins avec ce sophisme, que le terroriste, avant qu’il ait tué, n’a encore rien fait, et qu’on n’arrête pas des gens qui n’ont rien fait.

29 juillet. — Course légère dans les collines, le matin. Sous bétabloquants, j’atteins la vitesse moyenne de neuf kilomètres à l’heure, sans autre désagrément qu’une très abondante sudation.
Jeûné et prié, comme le demande l’Église de France, en communion avec le prêtre assassiné mardi.
J’avais noté après Charlie que la rectitude politique s’était évaporée et qu’on disait très librement des choses sur l’islam conquérant, sur les bédouins d’Arabie, etc., qui vous eussent fait pendre un trimestre plus tôt. Cette fois, je constate qu’une victime des événements est l’« islamophobie ». Il n’est plus du tout question de prétendre que les musulmans seraient « stigmatisés », que l’Éducation nationale persécuterait les « mamans voilées », ni rien de ce genre, de tels propos vous faisant automatiquement ranger parmi les jihadistes. L’idéologie victimaire s’efface ainsi par rubriques.
Le ressentiment des injures anciennes pousse les méchants réactionnaires à réclamer des comptes à ceux qui les ont traités pendant vingt ans de fascistes et d'imbéciles parce qu’ils avaient le culot d’avertir du danger. Quant à moi, je suis ainsi constitué que j’éprouve un indicible soulagement à voir la vérité rétablie, de sorte que, en dépit des terribles événements qui se préparent, j’ai l’impression qu’on respire plus librement. Le mensonge au sujet de la violence n’est pas moins choquant, à mes yeux tout au moins, que cette violence même. « Ne pas nier le mal, avertit le F. Adrian Candiard, o. p. , dans La Croix, pour ne pas s’en faire le complice ».
Certains médias annoncent qu’ils ne communiqueront plus les noms, ne publieront plus les photos des moudjahidin, afin de ne pas contribuer à leur glorification auprès de la jeunesse arabo-musulmane. Les journalistes ne vont cependant pas jusqu’à reconnaître leur responsabilité dans les moments terroristes, dont ils assurent pourtant gratuitement la publicité, et quelle publicité !

30 juillet. — Même course qu’hier, faite seulement deux heures plus tard, même vitesse, même sudation, même satisfaction.
La situation sécuritaire, si j’en crois les criminologues, se présenterait ainsi. Un noyau de quelques milliers d’individus endoctrinés, entraînés, et qui frappent au moment propice. Immédiatement autour, lui servant de vivier, la jeunesse crapulo-victimaire, c’est-à-dire une population semi-criminelle de jeunes hommes qui ruminent leurs griefs et prennent leur mal en patience, entre trafics et émeutes sporadiques.
Quant à la population mahométane générale, je ne la crois ni loyaliste, comme le soutiennent les bien-pensants, ni jihadiste comme le suppute la réacosphère, mais attentiste, tout simplement.

31 juillet. — Église pleine à craquer ce dimanche matin, du jamais vu au mitan des vacances d’été. J’avais l’impression de me retrouver dans Mrs Miniver, le beau film de William Wyler sur le home front anglais. Le sermon final du vicar joué par Henry Wilcoxon s’applique d’ailleurs exactement à notre situation à l’issue ce mois de juillet sanglant, marqué par la tuerie du 14 juillet à Nice et par le martyr, il y a cinq jours, du prêtre de Rouen :

«  Why in all conscience should these be the ones to suffer ? Children, old people, a young girl at the height of her loveliness [on peut ajouter : an elderly priest] ? Why these ? Are these our soldiers ? Are these our fighters ? Why should they be sacrificed ? I shall tell you why. Because this is not only a war of soldiers in uniform. It is the war of the people, of all the people. And it must be fought not only on the battlefield but in the cities and in the villages, in the factories and on the farms, in the home and in the heart of every man, woman and child who loves freedom. Well, we have buried our dead, but we shall not forget them. Instead they will inspire us with an unbreakable determination to free ourselves, and those who come after us, from the tyranny and terror that threaten to strike us down. This is the People's War. It is our war. We are the fighters. Fight it then. Fight it with all that is in us. And may God defend the right. »

Comme déjà après Charlie, je note que les éditorialistes de la réacosphère battent la campagne. Certes on ne leur demande pas de la modération, ce n’est pas leur rôle, mais seulement du bon sens. On n’en trouve guère. L’anonymisation des moudjahidin dans les médias ? C’est pour dissimuler le fait que les frappes sont le fait de musulmans (il me semble pourtant que la population est au courant). L’appel de certains imams à leurs troupes d’assister à la messe de ce dimanche ? Nous n’adorons pas le même Dieu, et, vraiment, ils se trompent de porte. Comme s’il n’y avait pas là une occasion unique de montrer aux intéressés — j’emprunte les mots de François Mauriac — un homme rompant un morceau de pain en prononçant les paroles de l'éternel amour.

1er août. — En relisant des carnets anciens où je relevais au fil des jours la justification systématique par nos élites de la canaille la plus arriérée, la plus violente et la plus criminelle, et symétriquement la persécution à toute outrance des critiques et des lucides, je me suis fait la réflexion que, pour en arriver à la situation actuelle, d’un pays mis à genoux par quelques milliers de factieux et vivant dans l’attente angoissée de la prochaine atrocité ou du prochain massacre, il aura fallu une somme de compromissions et d’égarements qui n’a peut-être pas de précédent dans notre histoire. Même l’idée de trahison, que l’extrême droite ne tardera pas, je suppose, à agiter, est insuffisante à en donner la mesure. Et d’ailleurs ce n’est point de ce côté-là que cela se jouait. À bien examiner, c’est la mauvaise foi qui était devenue une sorte de principe, une manière exigée de tous, comme la moindre des choses — en sorte que la dénégation actuelle des médias sur le caractère terroriste de la plupart des frappes, dénégation qui stupéfie et révulse mes compatriotes, n’est pourtant qu’un pâle reflet, presque une parodie, de l’attitude qui avait généralement cours. De cette attitude, je donne un unique exemple, parce qu’il concerne mon métier de professeur, c’est la kapoïsation des établissements scolaires. Mêmes les bons élèves apprennent mieux quand les niveaux dans la classe sont hétérogènes. C’est prouvé. Et il fallut donc, sur la base de ce pauvre paradoxe, supprimer les classes de germanistes et de latinistes, où trouvaient refuge les malheureux bons élèves, et livrer les jeunes binoclards à la violence et au chahut des petits admirateurs de Mohamed Merah.
Et tout était comme cela.

2 août. — Continué à regarder les vieux Charlie Chan avec Sidney Toler. Au plaisir du whodunnit, qui consiste pour le spectateur à faire l’enquête en même temps que Charlie Chan, se rajoute pour le sémiologue un plaisir plus subtil, celui de traquer le plus insaisissable des actants, qui est le narrateur filmique. En effet, cette instance est indispensable dans le récit de détection puisqu’il s’agit de mettre le spectateur sur de fausses pistes. On a alors, au milieu d’un récit scénique, des interventions auctoriales claires, une caméra qui s’attarde pour dire que le détective est filé par une ombre mystérieuse, un plan rapproché décelant la nervosité suspecte d’un personnage, un mouvement d’appareil rapide pour indiquer que le fauteuil qui était occupé ne l’est plus, ou bien un plan qui nous montre à nous, spectateurs, ce que le butler ne voit pas, qui est que son maître, qu’il croit absent, est étendu raide mort derrière son bureau.
Il est curieux d’observer ces interventions narratoriales sous une forme dégénérée et par conséquent dénuée de sens, par exemple, en ce qui concerne les mouvements d’appareil, dans les films tardifs de la Hammer, remarquables par le procédé de la caméra qui s’assoit.

4 août. — Mal fichu toute la journée. À peine travaillé. J’essaie d’avancer la saisie de liasses anciennes et leur archivage. Travail pénible (pour la partie manuscrite, j’ai le plus grand mal à lire mon abominable écriture), ingrat (presque rien dans ce fatras n’a d’intérêt autre que documentaire, parce qu’on trouve parfois dans un texte de mon apprentissage le début d’une idée développée dans l’un de mes livres), et qui me donne l’impression par dessus le marché que j’ai passé l’essentiel de mon existence enfermé dans une chambre, à noircir du papier, ce qui, à la réflexion, n’est pas si faux.
Attaque au couteau à Londres, hier soir, près du British Museum, par un égorgeur somalien. La BBC expliquait ce matin que ce n’est pas une frappe terroriste, que le malheureux égorgeur est complètement aliéné. Mais ces précisions ne sont données que parce que l’assassin est mahométiste, de sorte que les journalistes, de mèche avec la police, semblent ajouter une ultime entrée au Dictionnaire des idées reçues : « Zigouiller, zigouillage. — N’a jamais rien à voir avec l’islam. »
Il y a quelque chose d’exemplaire dans la façon dont les médias se sont enferrés, et se sont condamnés à prêcher le faux sur les frappes musulmanes en Europe. En se faisant gardienne de la doctrine victimaire et diversitaire, la classe médiatique s’était érigée en suprême autorité morale, et avait acquis, sans prendre le moindre risque, croyait-elle, la prééminence sur les politiques et sur les intellectuels, auprès de qui elle fonctionnait comme une sorte de tribunal d’Inquisition. De cette charge, les gens de médias se trouvent aujourd’hui bien embarrassés, puisque leurs protégés sont passés au massacre indistinct.

5 août. — Toujours dans la saisie de liasses anciennes. C’est l’occasion de modestes travaux d’érudition. Ce matin, vérification des étoiles qu’on voit à l’aube en été dans l’hémisphère nord ; l’après-midi vérification des surnoms des philosophes scolastiques (Doctor Mirabilis, etc.) ; ce soir, vérification d’une inscription en hiéroglyphes, « ceux qui sont sous les sables », à l’aide de l’Egyptian Grammar de Gardiner.

Dans les archives des actualités cinématographiques de British Pathé, les sentences du procès de Nuremberg, en 1946. British Pathé avait demandé par voie de presse au public britannique s’il souhaitait voir les pendaisons (« should we obtain and screen the official film of the hangings ? »). Sur une première vague de 980 lettres reçues, 950 suppliaient qu’on ne montrât pas les exécutions. Ceci alors qu’on sortait d’une guerre brutale, qui avait rendue familière la vision de la mort.

Titre pour un essai sur les pulps et la littérature populaire : La Fabrique d’atmosphère. Référence à l’usine qui fournit l’air respirable à la planète Mars dans A Princess of Mars (1912) d’E. R. Burroughs. La thèse de l’essai serait que la littérature d’aventures et d’imagination nous fournit, à nous aussi, l’atmosphère dont nous avons besoin pour vivre, qu’elle nous est aussi nécessaire que le pain et l’eau.
Je sais qu’il peut sembler paradoxal de soutenir, comme je le fais dans ce journal, que les pulps nous donnent la clé de l’actuelle guerre que mène le musulmanisme en Occident, à coup d’atrocités bestiales, mais enfin, ce n’est pas moi qui ai inventé l’armée du crime recrutée dans les asiles de fous, les camions lancés dans la foule et les fanatiques qui égorgent les prêtres pendant l’office tout en donnant des cours de Coran aux religieuses qu’ils ont prises en otage (« Jésus ne peut pas être homme et Dieu. »).
Tout cela me fait penser à la nouvelle de H. P. Lovecraft The Horror at Red Hook, que S. T. Joshi juge mal venue et franchement raciste (« a viciously racist story »). Mal venue, elle l’est, certes, mais pas pour la raison qu’invoque Joshi. La vérité est que la nouvelle de Lovecraft tombe à plat quand il fait de ses « swarthy evil looking strangers » du quartier des docks à Brooklyn des adorateurs de Lilith. Et quant à nous, plût à Dieu que nous n’eussions à craindre, dans nos modernes Red Hook, que de simples démoniaques.

7 août. — Lectures du jour : « Est autem fides sperandorum substantia », Hebr. 11, 1, merveilleusement traduit par le Missel, qui force un peu le texte : La foi est une façon de posséder ce que l’on espère. »
« Ubi enim thesaurus vester est ibi et cor vestrum erit », Luc 12, 34. (Je citais déjà ce verset le 11 août 2013.)
Il y avait à la sortie de la messe deux gendarmes, pistolets à la ceinture. Je suppose, révérence gardée, qu’ils sont ornementaux, car j’imagine mal comment ils arrêteraient avec leurs Sig-Sauer des terroristes munis d’armes automatiques.

8 août. — La presse commence à publier des papiers sur le coût économique de la guerre — chute du tourisme, manque à gagner des commerçants du fait de l’annulation des grandes foires, etc. —, sans prendre conscience du caractère dérisoire que prennent, dans un tel contexte, les subtilités casuistiques qui font conclure, en concordance avec le califat, que telle frappe est un attentat, tandis que, par un accord tacite, telle autre devient le fait d’un simple exalté. J’ajoute que les revendications califales frappent par leur caractère arbitraire, l’ennemi n’ayant visiblement pas l’intelligence médiatique que lui prêtent des journalistes admiratifs ou complaisants. Il fallait revendiquer le baroud de Munich du 22 juillet, qui a paralysé la ville, il fallait revendiquer le hachis de touristes sur Russell Square le 3 août, qui a atterré les populations et qui ravivait le souvenir des frappes meurtrières du 7 juillet 2005. Mais revendiquer l’attaque au coupe-coupe de deux policières, samedi à Charleroi, était idiot, et revendiquer l’attentat raté d’Ansbach relevait de la faiblesse d’esprit, le faux réfugié Syrien n’ayant pas réussi à s’introduire dans le concert qu’il visait.

J’avais noté dans un carnet, il y a très longtemps, les étapes de la propagation de l’islamisme : banalisation, libanisation, talibanisation. La banalisation, c’est l’islamisation visible, généralisation du costume islamique, du halal, etc. La libanisation, ce sont les violences, les exactions, les assassinats sur une base confessionnelle. La talibanisation, c’est l’imposition sur un territoire donné, petit ou grand, de la loi islamique.
Nous sommes, en France, à l’étape deux. Le régime et les médias voudraient nous faire croire qu’on serait à l’étape un, que le problème, ce seraient les « salafistes », sortes d’ultra-orthodoxes de l’islam, qui auraient rompu le pacte républicain. La réacosphère soutient contre toute raison qu’on serait à l’étape trois, que la loi islamite régnerait déjà dans les banlieues (les « territoires perdus de la République », ou les « no-go zones », ou les « mini-États islamiques ») et que le culte islamite ferait partout de rapides progrès.

14 août. — M. Boualem Benkhenouf, maire-adjoint de la commune d’Aubervilliers, parle à la télévision d'un monsieur chinois mort en pleine rue, sous les coups de trois messieurs nord-africains qui voulaient le dépouiller :
« Depuis un certain nombre de temps (sic), effectivement, la communauté chinoise à Aubervilliers, et certainement ailleurs, est ciblée régulièrement. Avec des préjugés, hein, des préjugés, soit disant, ce sont des gens riches, ils ont de l’argent partout (sic pour : ils ont de l’argent sur eux ?) et donc c’est une proie facile. Et je trouve que, enfin nous trouvons, en tout cas nous trouvons, la municipalité, que c’est scandaleux d’avoir ce préjugé-là. Et puis même, même, qu’est-ce que c’est que cette façon d’aller agresser comme ça des gens pour les détrousser. D’autant plus que ce sont des pères de famille, une personne qui a laissé je crois deux enfants, euh... »
Voilà à la lettre l’idéologie victimaire. Il n’y a qu’un crime, qui est le « préjugé », le « stéréotype », supposé sémiotiquement constitutif du « racisme ». Bien noter que le préjugé est condamnable qu’il soit favorable ou défavorable. Il est tout aussi criminel de penser que les Chinois sont des gens durs à la peine et qui réussissent socialement que de penser que les Nord-Africains sont des vauriens et des jean-foutre. Il y a d’autre part, mais de façon tout à fait annexe, une chose qui n’est pas exactement délictueuse, mais qui n’en est pas moins blâmable, en tant qu’elle enfreint les convenances, et qui est le fait de tuer les gens pour les voler. Et puis, même, qu’est-ce que c’est que cette façon, qu’est-ce que c’est que ces manières ?

15 août. — Assomption. Il y a un an, les cloches sonnaient à la volée en communion avec les chrétiens d’Orient, victimes d’un génocide. Aujourd’hui, elles sonnent aussi pour nous, martyrisés en notre doux pays de France.
Moi qui suis si prompt à noter dans ce journal que l’actuel régime a échoué dans ses ambitions, ou n’a obtenu que des victoires dérisoires (suppression du latin des programmes scolaires), il me vient la vilaine pensée que nous, chrétiens, sommes exactement dans la position que ce régime envisageait pour nous, celle d’une petite minorité (d’une « communauté » comme on dit aujourd’hui), craignant pour sa sécurité et rasant les murs, et que l’État, dans son infinie mansuétude, accepte encore de protéger.

Proverbes pour feu mes parents.

C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes à la grimace.

L’amour d’une mère est un plat qui se mange froid.

22 août. — Repris depuis une dizaine de jours l’écriture de mon roman africain d’aventures fantastiques, qui s’intitule désormais Les Dieux rivaux de Toth-Thot. Ce roman est certainement, de tous, celui qui m’aura donné le plus de fil à retordre. Je crois qu’il n’y a pas eu un été, depuis que je l’ai repris en 2005, qui n’y ait été en partie consacré.

29 août. — Habituelle propagande de rentrée des classes. Le système scolaire français, déclare la ministre – qui se fend pour l’occasion d’une phrase avec si « adversatif », qu’elle a dû faire fabriquer exprès par un normalien de la rue de Grenelle, puisque la ministre parle normalement le « sur comment » – le système scolaire français, « s'il assure la sélection des meilleurs, peine à assurer la promotion de tous ». Or je suis bien placé pour savoir que la réalité est exactement inverse. L’école, en France, assure la promotion de tous, et de préférence des moins méritants – au point que le fait d’être cancre ou carrément en rupture avec l’institution scolaire crée des droits à l’infini (rangés sous l’intitulé de la « lutte contre le décrochage scolaire »). Par contre l’école en France peine à assurer la sélection des meilleurs, et ne l’assure même plus du tout, puisqu’on a mis fin à ce qui était au fondement même de la méritocratie républicaine, et qui était le fait qu’un enfant de paysan, ou que le gamin d’une femme de ménage, s’il était d’esprit agile et travailleur, pouvait devenir ingénieur ou professeur des universités.
L’AFP en rajoute sur la phraséologie de la ministre (car cette engeance des journalistes ne peut s’arrêter au premier mensonge, pas plus que l’alcoolique ne peut s’arrêter au premier verre) : « le collège notamment accroît les inégalités scolaires et la France ne parvient pas à “rattraper” ses élèves les plus faibles. » Ce qu’il y a d’avéré derrière ce dégoulinis victimaire, c’est que le collège représente pour les gamins indolents, indociles ou opposants, quatre années entièrement perdues dans le bavardage et le chahut. Mais le but de l’institution, c’est précisément de ramener le reste du troupeau au même niveau, de s’assurer que ces années soient bien perdues pour tout le monde.

30 août. — Triomphe du crétinisme politique et médiatique en France, la célébration par les bien-pensants de la burqa de bain, ou burkini. Perte complète du sens du ridicule, dont témoigne cet article sur le site de France 3 Bretagne : « Robes noires, foulards, passe-montagne, pyjamas, ou costumes de marin… ce dimanche 28 août à Douarnenez une cinquantaine de personnes a pris un bain de mer tout habillé sur la plage des Dames. Tous sont venus dénoncer à leur manière la grotesque polémique (sic) autour du burkini. » Ces gens sont donc venus prendre un bain de mer en restant vêtus, comportement qui évoque fortement l’insanité d’esprit, pour démontrer à quel point il est absurde de reprocher à des musulmanes de se baigner dans des costumes qui les couvrent de la tête aux pieds.
L’article de France 3 Bretagne finit sur cette note ironique et désenchantée : « Le ciel étant lui aussi couvert, tout le monde est parti se réchauffer chez soi après une heure sur place ! » C’est que se baigner tout habillé, outre que c’est dangereux (on risque de couler, entraîné par le poids de ses vêtements), est aussi passablement réfrigérant, parce qu’on sort du bain empoissé de textiles gorgés d’eau. Les sites marchands islamiques expliquent à propos de la burqa de bain ou burkini que la longueur de la tunique est adaptée aux « normes de sécurité » (traduire : avec un peu de chance, vous ne vous noierez pas) et aussi  que les tenues en lycra sèchent plus vite que celles en microfibre, ce qui donne une idée de la commodité de tout ce petit appareil.

2 septembre. — Lu de Bram Stoker The Jewel of the Seven Stars (1903) et The Lady of the Shroud (1909) que je ne connaissais qu’en français et dans des versions abrégées. Dans Le Joyau aux sept étoiles, traduction de Jacques Parsons, aux éditions Marabout, les coupures, sporadiques, affectent à peu près un tiers du texte. Mais la version de La Dame au linceul traduite par Caroline Doizelet pour les éditions Actes Sud est si réduite qu’il faudrait parler d’une adaptation du roman, et pour comble celle-ci s’interrompt, par le moyen d’une fausse fin, aux deux tiers du récit. Dans les deux cas, les coupures ont pour effet de détruire ensemble la crédibilité de la fiction et le plaisir romanesque, qui, chez Stoker, proviennent l’un comme l’autre du caractère méandreux du récit, le long récit de l’avoué Ross, au chevet de son ami Trelawny, saisi d’une crise de catalepsie, qui occupe la première moitié de Jewel, le sinueux appareil des correspondances, des memoranda et des journaux intimes dans Shroud.
D’un autre côté, on peut soutenir que ces coupures sont appelées précisément par le caractère composite de ces récits, aussi bien dans leur facture que dans leur inspiration. Dans Jewel, on trouve, à côté du récit de « chambre de malade », les élément d’un récit policier (présence d’inspecteurs, mystère de l’agression du cataleptique Trelawny), mais aussi d’un récit occultisant de malédiction égyptienne, très proche de ce que produira un Sax Rohmer une dizaine d’années plus tard. Dans Shroud, on est tour à tour dans un roman victorien à généalogie et à héritage, un roman d’aventures mystérieuses qui mêle la métapsychique (le héros et principal narrateur est correspondant de la Society for Psychical Research et la vieille tante est douée de métagnomie) et le gothique (centré sur la Dame au linceul, qui quitte nocturnement son tombeau), un roman ruritanien, se déroulant dans un Montenegro bleui, baptisé Land of the Blue Mountains, et qui s’achève dans les préparatifs d’une guerre conjecturale à la George Griffith ou à la H. G. Wells, avec flotte aérienne. Comme il est évidemment impossible de tenir tout cela ensemble, le linceul de la Dame au linceul devient dans le roman ruritanien symbole national – une sorte d’ordre de la jarretière –, tandis que le personnage ridicule et odieux du cousin Ernest, qui convoitait l’héritage, maintient un lien ténu avec le roman victorien.
Point commun des deux romans, une vision ésotérique et érotisée de l’éternel féminin. Éternelles, la reine égyptienne Tera et la Dame au linceul le sont littéralement, puisqu’elles survivent au tombeau. Mais ce qui fonctionnerait le mieux, romanesquement, dans les deux cas, et qui pourtant n’y est pas, c’est une histoire de vampire. Dans Jewel, Tera serait bien plus inquiétante, et le roman serait beaucoup plus réussi, si elle se comportait comme le Beetle dans le roman de Richard Marsh qui porte ce titre, paru en 1897, l’année de Dracula. Quant à la Dame au linceul, elle n’est une morte-vivante que pour des raisons d’État.
Il semble même que Stoker ait délibérément choisi de s’écarter du thème de Dracula, raison pour laquelle il mélange, pour expliquer sa Dame au linceul, les allusions aux vampires avec des références aux loups-garous, au Doppelgänger, au corps astral, au grand dam de son récit, puisque disputailler sur le type de fantastique devant lequel on se trouve, comme dans une thèse de doctorat, est un excellent moyen de mettre fin à l’illusion romanesque.

6 septembre. — Fatigue de la rentrée, très aggravée par l’état de mes coronaires. J’ai toujours plaisir à enseigner, quoique cela soit devenu pour moi physiquement éprouvant. Seulement, il plane désormais sur tout cela une sorte d’ombre, parce que je sais qu’il ne s’agit plus d’amener la jeunesse à la connaissance, que le jeu est truqué par les démagogues.
Le malheur de l’Éducation nationale, c’est au fond que ses rouages tournent à la perfection. Le professeur complimente les meilleurs, encourage les médiocres et morigène les paresseux. Qu’on fasse tomber le niveau d’étudiants de première année à celui d’écoliers de cours préparatoire, le professeur continuera à louer les appliqués et à houspiller les imbéciles. En apparence, tout se passera très normalement.

8 septembre. — Jour de grève. Une petite cinquantaine de personnes seulement devant le rectorat. Pour me consoler, passé une heure à la librairie anglaise, à repérer ce qui est devenu classique et a acquis le droit de résidence sur les rayonnages d’une petite librairie de langues étrangères dans une ville moyenne de France. Sont classiques Shirley Jackson, H. P. Lovecraft, Simenon, mais aussi George Carlson (Jingle Jangle Comics), Harold Foster (Prince Valiant), Charles Schulz (Peanuts). Ressorti avec un recueil de Dorothy Parker.

9 septembre. — La pensée « de gauche » d’il y a trente ans a été presque aussitôt contaminée par la religion prétendue « antiraciste ». L’achèvement des idéaux de ma jeunesse, c’est l’impossibilité de dire, c’est l’impuissance consentie, c’est l’attendrissement devant la violence de l’Autre, c’est ce retournement effrayant qui permet au criminel d’accuser sa victime, en prétendant qu’il est, lui, l’unique victime.
Le plus surprenant à mes yeux est que cette pensée se présente ostensiblement comme une morale. – À tout le moins, ses tenants posent comme une vérité d’évidence leur supériorité morale. Mais quelle est cette morale qui ignore jusqu’à la notion du mal ? De là provient la constante, la stupéfiante niaiserie de la doctrine, mais aussi ce risque constant qu’elle court d’être elle-même contaminée par le mal radical.

11 septembre. — Quinzième anniversaire des frappes sur New York. On avait voulu croire à une guerre sans ennemi. Mais il y a un ennemi, nous savons parfaitement qui est l’ennemi. Il faudrait au fond instituer un patriotique « Remember 9/11 » comme il y a eu un « Remember Pearl Harbor ».

13 septembre. — Le pouvoir prépare la réinsertion des génocidaires du califat par la création de centres de déradicalisation en milieu ouvert, qui s’ajoutent aux unités de déradicalisation qui fonctionnent déjà en prison. Il y a une semaine, les détenus de l’une de ces unités carcérales entreprenaient de décapiter un de leurs gardiens mais, compte tenu du climat d’islamophobie qui règne dans ces établissements, ils n’avaient pu exécuter complètement cette décollation. La presse a lâché à cette occasion que les intéressés étaient déradicalisés entre autres grâce aux soins d’un masseur. On les soigne donc – littéralement – par la câlinothérapie.
Cependant c’est d’Allemagne qu’arrivent les nouvelles les plus stupéfiantes. Die Welt nous mande que les prétendus réfugiés Syriens, qui ont droit, comme tout demandeur d’emploi, à vingt et un jours de congés payés, utilisent leur passeport de réfugiés pour passer leurs vacances dans leur pays – le pays qu’ils sont censés avoir fui parce qu’ils craignaient pour leur vie. Cela est du reste parfaitement légal et ne compromet nullement leur statut de réfugié.

14 septembre. — Passé deux mauvaises nuits, la première parce que j’ai trouvé en rêve le clou des Dieux rivaux de Toth-Thot et que cela m’a tellement terrifié que j’ai préféré ne pas me rendormir, la seconde parce que j’ai été réveillé par des extrasystoles et que j’ai écouté une partie de la nuit les battements martelés de mon cœur déréglé. Mieux dormi cette nuit, mais ce matin la fatigue s’abat sur mes épaules comme un manteau.

18 septembre. — Repos complet. Écouté des émissions d’archives de France Culture consacrées à G. K. Chesterton, regardé un documentaire de l’historien britannique David Starkey sur la monarchie britannique, visionné The Little Shop of Horrors (1960) de Roger Corman. À l’heure du bain, écouté un radio show de Sherlock Holmes, avec Nigel Bruce et Basil Rathbone. Une fois couché, je lis Victory de Conrad. Ainsi, le dimanche passe entièrement dans les littératures que j’aime, écrites, radiophoniques et filmiques. Si je ne craignais de paraître sacrilège, je rajouterais volontiers à ma liste les lectures que j’entends à la messe, qui si souvent me stupéfient par leur acuité et leur actualité.

22 septembre. — Il n’y rien qui ressemble plus à la maboulie que l’extrême bêtise ou l’extrême ignorance. Un ministre en exercice, reçu par une chaîne de télévision, entame ainsi son laïus : « La ministre de l’Éducation que je suis connaît parfaitement les premières phrases de ce livre, Tour de France par deux enfants, d’Ernest Lavisse – on était sous la Troisième République – qui commençait par : « Autrefois notre pays s’appelait la Gaule et les habitants les Gaulois. » Ces phrases sont naturellement les phrases incipit de l’Histoire de France, cours élémentaire, paru à la librairie Armand Colin, le fameux « Petit Lavisse ». Le Tour de la France par deux enfants (et non « Tour de France », qui est le nom d’une course cycliste) de G. Bruno, à la ville, Augustine Fouillée, née Tuillerie, paru à la librairie Belin, est le « livre de lecture courante » pour le cours moyen. Ses premières phrases sont : « Par un épais brouillard du mois de septembre, deux enfants, deux frères, sortaient de la ville de Phalsbourg en Lorraine. Ils venaient de franchir la grande porte fortifiée qu’on appelle porte de France. » Tout cela n’a du reste plus la moindre importance. Dans sept mois, – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – [vingt mots censurés par moi, Harry Morgan] – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – et aura oublié jusqu’au nom d’Ernest Lavisse que des agrégés de la rue de Grenelle lui ont écrit sur un petit carton afin qu’elle le mémorise.
Je ne sais pourquoi un candidat de droite à l’élection présidentielle s’est avisé de déranger ces pauvres Gaulois (c’est à lui que répondait la ministre). Ou plutôt, je ne le sais que trop. Dans La Croix, le médiéviste Patrick Boucheron parle très justement de « l’étrange résurgence de cet art français de la défaite qui consiste à prétendre forger les identités dans la peur du retour des malheurs ». Cependant, n’en déplaise à Boucheron, les plus coupables ici, ne sont pas ceux qui veulent faire de nous les descendants de Vercingétorix, résistant courageux mais finalement vaincu par les Romains, mais ceux qui depuis trente ans nous ont enfermés dans une boucle historique en expliquant que nous étions menacés de revivre éternellement les tourments des années 1930 et 1940, de la montée des périls jusqu’aux abominations du nazisme devenu maître de l’Europe. Ce kidnapping de l’histoire dans une intention de menace et de chantage, il était inévitable qu’il suscitât en réaction un mouvement visant à rétablir chez les indigènes une vision historique plus valorisante et moins inquiète.
De fait, ce qu’on apprend aujourd’hui en fait d’histoire aux petits enfants est complètement idiot. C’est aussi tout à fait orienté – et beaucoup plus orienté que ne pouvait l’être, avec toutes ses arrières-pensées d’édification patriotique et de revanchisme anti-boche, Lavisse, qui avait pour finalité première d’enseigner l’histoire de France, et non de crétiniser la jeunesse. Cela explique le véritable festival d’enfoncement de portes ouvertes dans la presse de cette semaine. Un archéologue et historien explique dans L’Obs pourquoi le « mythe » d’ancêtres Gaulois n’a « aucun sens sur le plan historique » : « Puis, les Romains ont envahi la Gaule. Ils la décrivent d’ailleurs comme un territoire divisé en trois parties habitées de peuples qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres avec des langues, des institutions, des cultures différentes. Ces trois régions étaient elles-mêmes divisées en une soixantaine de petits États qui se faisaient la guerre. Il n’y avait pas de sentiment national. Parler des “Gaulois” est donc une généralité. » Voilà qui est frappé au coin du bon sens. C’est d’ailleurs exactement ce que dit le fameux Lavisse, le vilain coco dénoncé par la ministre de l’Éducation après cent vingt ans parce qu’il avait le culot de commencer aux Gaulois : « La Gaule était habitée par plusieurs peuples, à qui on donnait en commun le nom de Gaulois, mais qui avaient chacun un nom particulier. Ces peuples ne s’aimaient pas les uns les autres et se faisaient souvent la guerre. » (La Nouvelle Première Année d’histoire de France, Cours moyen, 1re et 2e année.)
Mon sentiment sur ces questions, c’est qu’il faut parler aux gamins de l’histoire de leur pays comme on leur parle de l’histoire de leur famille. Il faut leur causer des Francs, des Alains, des Vandales et des Burgondes comme on leur cause du grand-oncle qui a mangé le patrimoine ou de l’arrière-cousin qui s’est enfui en Amérique. Cela les passionne, parce que c’est la réponse au plus grand des mystères, qui est le mystère de ce qui s’est passé avant eux, avant qu’ils n’arrivent. Et cela les tranquillise, parce que cela les met à égalité avec leurs parents, qui n’ont, tout comme eux, qu’à s’accommoder de l’aïeul prodigue et du cousin aventureux.

Cependant la première leçon qu’on tire des leçons d’histoire, c’est précisément qu’autrefois tout était très différent, et que cela n’empêche rien, que c’est notre histoire quand même. (C’était, à la lettre, le programme de Lavisse.) – Symétriquement, la fraude princeps de nos modernes idéologues, qui ne sont pas seulement des canailles, mais aussi de fameux abrutis, c’est de prétendre contre toute raison, et même contre toute vraisemblance, qu’il n’y aurait rien de nouveau, que deux ou trois mille ans d’histoire se résumeraient à une « immigration choisie » suivie d’un « regroupement familial » au rythme de deux fois par siècle, de sorte que les seuls véritables Français, ce seraient les immigrés.
Pour ce qui est de la cohésion nationale, je crois nécessaire, pour réconcilier les Français, de recourir au mythe fondateur. Ce ne sont pas les Gaulois qu’il nous faut comme ancêtres, mais les Troyens, comme dans L’Énéide ou dans l’Historia Regum Britanniæ de Geoffrey de Monmouth.

1er octobre. — Que la prochaine élection présidentielle doive se décider sur la question sécuritaire, c’est une vérité d’évidence. Mais la journaille, comme l’appelait Karl Kraus, ne peut s’emparer d’une telle vérité sans la travestir. Aussi nous répète-t-on dans tous les médias et sur tous les tons que l’élection se jouera sur « le thème de l’identité ». Et le truc consiste alors pour les journalistes à répéter qu’il faut « sortir des pièges de l’identité », de « l’obsession identitaire », du « péril identitaire » ou de « l’hystérie identitaire ». C’est au fond une façon de dire : « N’allez pas vous imaginer que vous échapperez à l’islam », sans prononcer le mot lui-même, devenu d’un maniement délicat après des attentats qui ont fait des centaines de morts.

4 octobre. — Dossier sur le site du mensuel Causeur, titré : « Restons viande, mangeons de l’humain », à moins que ce ne soit le contraire. Voilà la réaction dans ce qu’elle a de plus carnassier.

5 octobre. — Comment on « déradicalise » en France : « Le psychiatre prend l’exemple d’une jeune fille “aussi voilée que possible”. “Dans ce cas, je ne me suis pas laissé parasiter par la question du voile, explique-t-il. Cette jeune fille m’aurait répondu que c’était son choix et elle aurait eu raison.” » (sic.)
Autre cas : « Il [le représentant du ministère de l’Intérieur] décrit “une jeune femme dont la radicalité ne fait pas de doute”, qui a “traité les Français de mécréants”, qui "se promène sur la voie publique en voile intégral en violation de la loi", prête à quitter son domicile “pour se marier avec un inconnu”. » Conclusion du fonctionnaire : « Cela témoigne d'une grande vulnérabilité. »
L’intéressée ne se montre pas moins paradoxale : « Je respecte les lois de la République", assure-t-elle à la presse. Mais alors, pourquoi sortir dans la rue intégralement voilée ? Elle hésite, puis répond : « Je respecte les lois de la République sur ce qui ne contredit pas la religion. »

6 octobre. — Je regrette de n’être pas sorti de mes gonds hier face à un petit crétin, car j’ai emporté chez moi ma colère. Tension 13/8. Et des douleurs dont je sais qu’elles étaient angineuses, et non musculaires, puisqu’elles on cédé à la trinitrine.

7 octobre. — Couru trois kilomètres. Mais les antibiotiques que je prends me crèvent et ma tension est encore trop élevée.
Un prêtre de Drancy fait, dans son presbytère, une prise de judo à un cambrioleur, puis a la surprise de découvrir, une fois que la police est venue récupérer le malandrin, qu’on a évacué l’église en pleine messe, que le quartier est bouclé par les voitures de police et qu’il y a partout des chiens renifleurs d’explosifs. La presse justifie ce luxe de précautions. « “Vu le contexte, quand on nous annonce un prêtre agressé, vous imaginez ce qu'on imagine”, a confié à l'AFP une source policière. »
Voilà du neuf. Pour ma part, je n’imaginais rien du tout puisque j’avais vent seulement d’une inexplicable épidémie d’actes incompréhensibles commis par des dérangés. Il faut donc, quand on est journaliste, écrire le contraire exactement de ce qu’on imagine. Telle est la véritable fonction de l’actuelle bureaucratie médiatique, qui constitue donc, dans l’ordre nouveau, une sous-direction du secrétariat d’État aux persécutions.

9 octobre. — Je suis alité, pour la deuxième fin de semaine consécutive (bronchite). La semaine dernière, c’était une rage de dents. Toute la nuit, cauchemars fiévreux, centrés sur les fantômes ancestraux, et organisés selon de labyrinthiques et gothiques itinéraires dans mes greniers.

10 octobre. — La grande découverte de la classe médiatique, ce fut celle de l’hitlérite, substance confondante, qui défie l’analyse, et qui fausse toute analyse, puisqu’elle révèle partout où elle n’est pas, la présence d’Hitler et du nazisme.

13 octobre. — J’ai dû quitter mon cours peu avant midi, à cause d’un peu d’angine de poitrine.
Le chat Butterscotch, qui réclame un supplément de croquettes, argumente éloquemment, tout à fait comme une personne, avec des « et puis tu sais », et des « tu ne te rends pas compte ». Sans doute est-ce ainsi que nos lointains ancêtres ont inventé le langage : c’est le ton qui est venu d’abord.

14 octobre. — Victory de Conrad est construit avec un art supérieur. Le narrateur intradiégétique de la première partie, qui dit « we », et qui rapporte ce qui se dit dans la communauté des Européens des îles de la Sonde, s’efface au début de la seconde partie, au profit d’un narrateur extradiégétique, au moyen d’un discret et ambigu « as we know » incipit. Mais ce narrateur omniscient, qui s’est pour ainsi dire glissé dans le récit, accompagne les changements de perspective entre les différents lieux et les différents personnages, de sorte que l’île d’Axel Heyst, que, dans la deuxième partie, les forbans croient déserte, la troisième partie nous la révèle habitée, et doublement, Heyst ne vivant nullement en ermite, mais bénéficiant des services d’un valet chinois, et l’île abritant au surplus un village indigène.
Même maîtrise supérieure dans la peinture des personnages. Le tueur Ricardo est un fauve, une sorte de puma prêt à bondir, dont « l’amabilité précaire » se dévoile dans son horrible tic verbal (« est-ce que vous me prenez pour un nourrisson/pour une guêpe », etc.). Mais Ricardo est en même temps un personnage-automate sorti de Dickens, dont le programme est la fidélité à Mr Jones, son « gentleman » – et Ricardo est d’autant plus automate qu’il revendique à chaque instant une lucidité supérieure.

16 octobre. — Manif pour tous, entre la porte Dauphine et le Trocadéro, sous un chaud soleil d’automne. Pendant les discours, l’élue qui appelle à voter pour un ancien premier ministre de tendance libérale s’est fait copieusement huer. Si, comme je le crois, la Manif pour tous révèle avec un peu d’avance l’état de l’opinion, il n’y a pas apparence que la droite molle soit en meilleure posture auprès de l’électorat que la gauche.
On finit, comme dans tout meeting, en chantant l’hymne national. Je n’ai jamais aimé La Marseillaise. La mélodie des couplets est affreusement plate, le refrain tonitruant, enfin c’est très peu musical. La chose curieuse, c’est que La Marseillaise n’est pas un chant national à proprement parler, mais un chant guerrier, et que presque tous les chants guerriers de la Révolution lui sont infiniment supérieurs. Je frissonne à l’âpre Carmagnole, je m’exalte en entendant Le Chant du départ, je m’enthousiasme aux accords de Veillons au salut de l’empire. C’est l’entraînant Chant du départ de Méhul qui devrait être l’hymne national, comme sous l’Empire.

17 octobre. — Le TGV mettant à présent moins de deux heures, ma promenade parisienne n’aura pris, d’un bout à l’autre, guère plus de douze heures. La chose qui ne change pas, c’est la migraine qui suit chez moi les voyages.
La police estime le nombre des manifestants d’hier à 20 000. Cela m’a fait sourire parce que, le 11 janvier 2015, après Charlie, police et médias chiffraient à plus de 40 000 les manifestants à Strasbourg. Or la place du Trocadéro est quatre ou cinq fois plus grande que la place Kléber. Si, sur une place quatre fois plus grande, il y avait deux fois moins de monde qu’à Strasbourg, la foule eût dû être clairsemée. Or chacun peut vérifier sur les images que la place du Trocadéro était hier noire de monde. Et je puis témoigner que les derniers manifestants n’ont pu pénétrer sur la place que lorsque les passagers des cars venus de province sont repartis.

21 octobre. — Je n’avais rien lu de Ford Maddox Ford, outre The Inheritors, œuvre de jeunesse, écrite en collaboration avec Conrad. J’achève ce soir The Good Soldier (1915), qui est encore signé Ford Maddox Hueffer. Ce roman est considéré comme fondateur de ce qu’on a baptisé rétrospectivement le modernisme. De fait, dans la littérature de notre début de XXIe siècle, la règle « tu ne raconteras pas ton récit de façon linéaire » paraît, de toutes, la plus impérieuse. Cependant le récit de Dowell, dans The Good Soldier, procédant par révélations successives, me frappe précisément, avec le recul d’un siècle, par ce qu’il a de rangé et d’ajusté. Au surplus, Ford Maddox Ford ne se concevait pas comme moderniste (il disait : futuriste), mais comme impressionniste. Et s’il procède par une suite de touches et de retouches, c’est parce que, selon lui, le monde ne se présente pas de façon ordonnée, et parce que, dans sa théorie littéraire, le roman doit marcher par « progression d’effet ».
Comme j’ai lu The Good Soldier dans l’excellente et très savante édition Norton (c’est d’elle que je tire ces détails sur la théorie littéraire de Ford Maddox Ford), je me suis amusé à comparer le copieux appareil critique de mon volume avec ce qui s’écrit sur la Toile. Je n’ai pas trouvé un site anglophone qui fût seulement capable de résumer correctement le roman. L’Encyclopédie des crétins se surpasse dans l’inexactitude factuelle, dans le caractère hasardé de l’interprétation, dans l’arbitraire complet qui préside au choix des matières.

22 octobre. — Ce titre dans La Croix : « L’Europe s’écrase sur la planète Mars. » De fait, l’agence spatiale européenne, qui vient d’envoyer un module se pulvériser sur le fond asséché de Sinus Meridiani, et qui, avec une complaisance fanfaronne, présente cet humiliant échec comme un succès « à quatre-vingt-seize pour cent », est à l’image des institutions européennes, qui se sont brisées sur les réalités martiales de la guerre intérieure et de l’anarchie migratoire.

23 octobre. — Je constatais avec satisfaction il y a deux jours que, pour la première fois depuis des mois, je n’ai pas eu besoin de me lever cette nuit. Mais cette apparente victoire de l’urologie s’avère précaire car, le froid aggravant tout, le besoin de pisser était si urgent ce dimanche matin que j’ai failli écourter la messe.

Unisabir : « une brève histoire d’amour » (euphémisme désignant un viol).

29 octobre. — Comme je mets la dernière main aux Dieux Rivaux de Toth-Thot, je feuillette un peu, par intérêt technique, le roman d’aventures français. Si quelque chose distingue les spécimens actuels de ce genre intemporel, ce sont les formules épatantes. Ainsi, on sort toujours « de sous le couvert des arbres » (il serait trop simple de sortir du couvert). Il y a toujours des « bruits mous », car tout ce qui tombe dans un roman d’aventures tombe avec un « bruit mou ». Mais ces bruits sont aussi « flasques », et « écœurants », par dessus le marché. C’est du Lovecraft bruité à l’aide de serpillières.

30 octobre. — J’ai mal lu un titre de La Croix : « Six mesures pour relancer le terrorisme en Île-de-France. » Il s’agissait de relancer le tourisme.

2 novembre. — Logique judiciaire. Dans un entretien paru en avril 2014, la très catholique Christine Boutin affirmait : « l'homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. » Elle vient d’être condamnée en appel. « Ce que l'on entend dans vos propos, résume le procureur, c'est que les homosexuels sont une abomination ».

6 novembre. — Il y a quelque chose de profondément égyptien au cœur de la religion chrétienne, qui est l’eucharistie. Chez les Égyptiens, l’offrande au dieu se faisait sous forme de repas tout préparé. Le sacrifice sanglant s’opérait à côté et n’était pas en lui-même cérémoniel. Chez les chrétiens, le sacrifice sanglant, c’est évidemment la crucifixion, et le repas pascal est son effectuation non sanglante.
Autre élément typiquement égyptien : le culte des reliques.

9 novembre. — C’est le populiste Donald Trump, unanimement donné perdant, qui remporte l’élection présidentielle aux États-Unis. Curieux comme aussitôt se renouvelle l’appréciation des doctrines. Hier, les mabouls, c’étaient les partisans de M. Trump, qui veut murer la frontière avec le Mexique et revenir, sur le plan international, à l’isolationnisme des années 1930. Aujourd’hui, les mabouls, ce sont les défenseurs de Mme Clinton et de l’identité de genre, de race, de religion, c’est cette jeune femme que j’entends à la BBC, qui commence toutes ses phrases par « as a young professionnal woman » et qui les achève toutes par des sanglots incoercibles, absolument persuadée que le président Trump va lancer contre elle, jeune femme blanche très diplômée, un programme de persécutions.

11 novembre. — L’importance de l’actualité me fait écouter exceptionnellement le journal de France Culture. Effet de six mois de sevrage, il me semble d’entendre des voix d’outre-tombe. Je suis frappé aussi par le très faible niveau des journalistes. Le speaker est incapable de prononcer le nom du quotidien turc Cumhuriyet, dont il n’a visiblement jamais entendu parler (le c se prononce dj). La speakerine dit « à Québec » avant de nous parler de la ville de Montréal (qui se trouve donc « à Québec »).

13 novembre. — La commémoration de ce que les journalistes, s’ils avaient la faculté d’invention, pourraient baptiser le Grand Attentat (frappes du 13 novembre 2015) éclipse cette année la commémoration de la Grande Guerre, qui n’a fait après tout que mille petits morts par jour pendant mille cinq cent jours. Il semble qu’on aille vers une République terminale et lacrymale, qui n’aurait plus d’autre fin que de célébrer sa propre disparition sous les coups de boutoir de la civilisation nouvelle, qui s’impatiente.
Ces plaques commémoratives du raid du 13 novembre 2015 nous paraîtront fort étranges dans quelques années, comme nous semblent étranges les plaques commémorant les raids des zeppelins en Angleterre. (En 1915, l’idée qu’on pouvait lancer une bombe sur une ville depuis un aérostat semblait proprement infernale.) Ceux qui posent aujourd’hui ces plaques veulent rendre témoignage des « pires attentats depuis la seconde guerre mondiale ». Mais le pire est à venir et ceux qui les verront, dans dix ans, dans vingt ans, penseront seulement en lisant les noms des morts : « Ils étaient les premiers. »

16 novembre. — Sur le site de L’Obs, article de l’économiste Jean Matouk, proposant des mesures de la dernière chance, si l’on veut éviter l’accession au pouvoir en France, et partout en Europe, d’émules de M. Trump : barrières douanières aux frontières de l’Union ; rétention des « réfugiés » dans des pays tiers ; dans chaque État de l’Union, programme de relance keynesienne (je résume un peu la pensée de M. Matouk).
La difficulté, c’est que ce programme est précisément, est à la lettre, celui de M. Trump, tel que résumé par le Pr. Joshua Mitchell sur le site Politico : « 1. Borders matter ; 2. immigration policy matters ; 3. national interests, not so-called universal interests, matter. »

17 novembre. — Mal lu le titre d’un éditorial de La Croix : « Réinventer le conformisme. » Il s’agissait de réinventer le réformisme.

18 novembre. — Vernissage de l’exposition au musée Tomi Ungerer de Strasbourg, pour les 85 ans de l’artiste. Salons de l’hôtel de ville noirs de monde. On se marche sur les pieds et on n’entend pas un mot des discours.
Sur une web-télévision, l’ex-conseiller d’un président, un personnage situé à la droite de la droite, annonce triomphalement la fin des Lumières, pas moins. À relier aux propositions du Conseil supérieur des programmes, créé par l’actuel régime situé, lui, à la gauche de la gauche, qui voulait rendre facultative l’étude des Lumières, ainsi que celle de la chrétienté, alors que l’étude de l’islam et celle de la traite négrière étaient, cela va de soi, obligatoires. Je sais bien que l’ex-conseiller ne conseille plus personne, que le Conseil supérieur des programmes a dû revenir sur ses propositions suite au violent tollé, mais ce qui est significatif, c’est qu’on ait pu croire, qu’on puisse croire encore, aux deux bords, de telles conquêtes à portée de main.

20 novembre. — Nouveau coup de théâtre dans une actualité politique qui n’en est pas chiche. C’est M. Fillon, adoubé par la branche modérée de la Manif pour tous, qui sort très largement en tête du premier tour des primaires de la droite.
Rarement les Français auront mieux voté. On s’est débarrassé ce dimanche d’un ex-président, sorte d’aventurier opportuniste et cynique, qui préparait son retour. On se débarrassera dimanche prochain du candidat préféré des médias, suppôt du multiculturalisme. On rend incertaine la victoire aux présidentielles de la candidate d’extrême droite, car M. Fillon a l’avantage de parler clair, sur le totalitarisme islamique, sur l’anarchie migratoire, sans se préoccuper le moins du monde des fulminations des médias. Il est possible même que, le bâillon dénoué, on s’aperçoive que cette extrême droite n’existe que parce qu’elle fait système avec les médias, un système binaire d’astres tournant autour de leur centre de gravité commun.
Ces primaires fréquentées par des bourgeois catholiques, qui vont à l’isoloir au sortir de la messe, sont au fond le retour d’une forme de système censitaire, puisque ce sont les catégories détentrices du capital, au moins du capital culturel, qui décident de l’élection.

22 novembre. — Chiffres de l’INSEE concernant la délinquance des jeunes et des très jeunes (10 à 24 ans). Pour les actuels trentenaires (génération née en 1986-1987), un cinquième des hommes a été condamné au moins une fois pour des faits commis avant l’âge de 25 ans.
J’ai cherché dans des sources anciennes le taux de mineurs délinquants pour les années 1950 à 1970. Le chiffre était de l’ordre de seize pour mille, donc douze fois moins élevé. Mais le différentiel est en réalité beaucoup plus grand, considérant d’une part que la délinquance actuelle est très sous-évaluée puisque, lorsque l’affaire fait l’objet d’une réponse pénale (80% des dossiers), celle-ci ne consiste en poursuites que dans 37% des cas (les 63% restants faisant l’objet d’un simple rappel à la loi, parfois d’un stage), considérant d’autre part que le chiffre de la délinquance ancienne est, lui, très surévalué au regard de nos critères, puisqu’on réprimait alors, et très sévèrement, de simples larcins d’objets de faible valeur, ou de nourriture, qui seraient aujourd’hui classés par les parquets, en admettant que les victimes perdent leur temps à porter plainte.
Je suis frappé par le détachement complet, le ton de badinage guilleret des journalistes qui résument le communiqué de presse de l’INSEE, sans s’être donné apparemment la peine de lire les quinze pages du rapport. « À chaque âge ses problèmes judiciaires » écrit la scribe du Figaro, qui de surcroît se trompe en recopiant sa source, de sorte que les 21 % de garçons délinquants deviennent un modeste 12 %. Dans La Croix, un magistrat déclare à propos des 15-25 ans : « C’est autour de cet âge qu’on transgresse, qu’on gère le moins bien ses pulsions. » Et la journaliste de conclure optimiste : « Par la suite, l’immense majorité de ces jeunes concernés rentrent dans le rang. »

Les peccadilles de ces bons enfants que le gentil juge et la gentille journaliste aident à grandir, ce sont des viols (pic à 14 ans), des destructions, vols et violences volontaires (pic à 16 ans), après quoi on tombe dans le trafic de stupéfiants, c’est-à-dire dans le banditisme (pic à 18 ans).

27 novembre. — Victoire écrasante de M. Fillon au second tour des primaires de la droite. C’est presque un plébiscite et, pour beaucoup, je crois, l’espoir d’une révolution conservatrice (je retiens l’excellente expression du politologue Gaël Brustier : le mouvement initié par la Manif pour tous est à la fois conservateur et contestataire).
Tout le monde semble persuadé que les médias savaient que M. Fillon faisait la course en tête, et qu’ils ont cyniquement menti à la population en plaçant le député de la Sarthe dans la position d’outsider. Mais je crois que lorsque les médias pèchent, c’est dans la prescription plus que dans la prévision. Le candidat de la droite ultra-modérée, donné favori par les journalistes, était tout simplement celui qui partageait leurs idées, qui sont également celles de l’actuel régime, en particulier sur le point crucial des accommodements avec l’islam. Quant au challenger désigné, si aveuglement il y a eu, les médias se sont d’abord aveuglés eux-mêmes, parce que le scénario du retour triomphal de l’ancien président battu il y a cinq ans était, sur le strict plan dramatique, irrésistible, en dépit de son invraisemblance criante.
Les électeurs, pendant ce temps, ont découvert par ratiocination qu’ils pouvaient voter pour un retour de l’ordre, pourvu qu’ils fissent preuve de discipline. C’est certainement ce qui explique que Jean-Frédéric Poisson, du Parti chrétien-démocrate, ait eu si peu de voix au premier tour, les catholiques ayant fait d’emblée le choix de la prudence en votant pour M. Fillon.

28 novembre. — J’entends de plus en plus souvent dans la bouche de journalistes ou d’universitaires – et non des moindres – l’expression « c’est un mot-valise » quand les intéressés veulent dire simplement qu’un terme est polysémique, et qu’il faut par conséquent l’employer avec prudence.  Islam, religion, populisme ou élites seraient ainsi des « mots valise ». Que ces sommités ignorent Lewis Carroll et ses portmanteau words n’est pas si surprenant à la vérité, mais il y a ici une ignorance au carré, car la signification attribuée à l’expression procède d’un simple jeu de devinette, « mot valise » étant compris comme désignant un « mot fourre-tout », parce que dans une valise on fourre ce qu’on veut.

4 décembre. — À Paris au salon des ouvrages sur la bande dessinée, rubbing shoulders with la crème.

8 décembre. — J’achève non sans perplexité The Terror (2007) de Dan Simmons. Il me semble que je me serais très bien contenté du récit reconstitué du désastre de l’expédition Franklin, bloquée dans les glaces de l’arctique, en me passant du monstre et du bric-à-brac fantastique introduit par l’auteur, que rien ne justifie dans le projet romanesque (tout au plus est-il suggéré que le monstre est une allégorie de l’arctique lui-même, mais cette allégorie n’est pas maintenue). Les choses se dégradent encore dans la fin du récit, où le capitaine Crozier turns native, car on est alors dans l’invraisemblance complète.

11 décembre. — Ce matin, au coin d’un bosquet, un peu de neige sur un talus. Grande joie.

12 décembre. — Je suis à moitié aveugle, car mes fragiles cornées ne supportent pas le nouveau collyre contre le glaucome.

15 décembre. — Cela semble l’épilogue d’un roman populaire, dont le titre pourrait être La Conspiration des journalistes. À présent qu’elle a perdu auprès des opinions occidentales sa dernière once de crédibilité, la presse, en un retournement parfait, accuse la population de désinformation.

16 décembre. — Le plus fort est que les médias s’obstinent dans le bourrage de crâne humanitaire au service du califat. Ainsi l’évacuation des forces d’Al Qaeda (« les rebelles et leurs familles ») de la ville d’Alep (« la ville martyre ») est réclamée avec véhémence par l’intégralité des publicistes, alors que tout présage que, si ce dégagement se fait, les islamistes se vengeront de leur défaite par de nouvelles atrocités et de nouveaux attentats.
Quant elle ne prend pas fait et cause pour les terroristes, la presse use d’un procédé plus pernicieux, parce que moins facilement détectable, qui est la fausse équanimité. Dans ce cas, on rend un compte assez précis des exactions, quoiqu’on use pour ce faire d’une sorte de code. Seulement, tout en relevant les violences et les persécutions mahométanes, on leur ôte leur portée, de sorte qu’en feignant de reconnaître ces cruautés on s’arrange en réalité pour les nier. Pour ce faire, on ne recourt pas – ou du moins pas franchement – à la présentation mensongère, ni à l’interprétation tendancieuse, ni même à l’euphémisme, ni à aucun des procédés grossiers de la propagande. Ce sont les faits eux-mêmes qui deviennent ectoplasmiques. Par une singulière exception aux lois du monde, ils ne colorent pas la situation qui est décrite.
Le meilleur moyen de faire comprendre ce procédé est de l’appliquer à un événement historique. Je traduis d’abord un véritable article de presse (Banater Deutsche Zeitung du 11 novembre 1938, p. 3) :
« Manifestations contre les juifs
« En Allemagne, la nouvelle du décès du secrétaire d’ambassade Ernst vom Rath à huit heures du soir a été annoncée à la radio, qui a observé ensuite deux minutes de silence. Dans le Reich, la colère contre les juifs s’est encore accrue après l’annonce du décès. À Hersfeld, l’après-midi avait déjà vu des manifestations hostiles aux juifs, au cours desquelles la synagogue a été la proie des flammes. Dans la nuit, on releva aussi des manifestations anti-juives à Dessau et à Berlin. »
Voici à présent comment un journaliste d’aujourd’hui transporté en 1938 rendrait compte de ce même événement de la Nuit de cristal (je garantis naturellement l’authenticité du jargon que je remploie) :
« Craintes de représailles contre l’Allemagne
« Après l’annonce du décès du secrétaire d’ambassade Ernst vom Rath, l’attaque de nombreux commerces et lieux de culte israélites, dans plusieurs villes allemandes, au cours de la nuit du 9 au 10 novembre, met à nouveau à l’épreuve la tolérance du régime du chancelier Hitler, faisant planer la menace de nouvelles sanctions internationales contre l’Allemagne.
« Les juifs constituent une minorité qui se sent exclue des affaires de l’État. Ils réclament le droit à l’émigration et la suppression d’une réforme du mariage et de l’accès à la citoyenneté, adoptée il y a trois ans à Nuremberg, qu’ils jugent discriminatoire.
« Les suites judiciaires qui seront données aux violences de la nuit dernière sont considérées par de nombreux observateurs comme un test pour la tolérance religieuse en Allemagne, dont la réputation de pluralisme s’est érodée ces dernières années avec la multiplication d’attaques visant les minorités. Cependant Mme Vitriola Queck-Sylvia, professeur de sociologie à l’université américaine de Calumnia, suggère que la couverture et l’inquiétude des médias, des groupes de pression et des centres de recherches sont disproportionnées. Plutôt qu’une persécution, la chercheuse voit dans le phénomène actuel l’effritement des privilèges des juifs et de différents groupes religieux traditionnels dans une Allemagne dont le visage a changé du fait de la progression d’autres cultes et de l’athéisme. »

21 décembre. — Dans Libération, violente diatribe de la sociologue militante Irène Théry contre M. Fillon, candidat à l’élection présidentielle, qui prétend récrire la loi de 2013 sur le « mariage pour tous » en réservant l’adoption plénière aux couples de sexe différent.
Ce libelle injurieux permet de voir comment fonctionne la pensée « progressiste ». Il s’agit de répéter une assertion téméraire comme si elle était une vérité d’évidence, qu’on se contenterait de rabâcher, puis de tirer rétroactivement les bénéfices de son coup de force doctrinal. Mme Théry proclame ainsi, au nom du progrès social, la suréminence par rapport à la famille fondée sur les liens du sang d’un énigmatique « engagement parental », vis-à-vis d’enfants qu’on se sera procurés par tous moyens. Et dès lors, interdire l’adoption plénière à des couples de même sexe, comme le voudrait M. Fillon, sous l’influence de la branche modérée de la Manif pour tous, ce serait s’obstiner à défendre un « modèle pseudo-procréatif ».
Comme l’adoption plénière rompt tout lien avec les parents biologiques, M. Fillon fait valoir qu’on ne peut sans dommage pour l’enfant lui-même établir la fiction que cet enfant est né de deux hommes, ou de deux femmes. (« Il ne me paraît pas légitime, écrit le candidat Fillon dans son programme, que la loi permette de considérer qu’un enfant est fils ou fille, de manière exclusive, de deux parents du même sexe. ») Mais, rétorque Mme Théry, le seul ici qui crée la fiction d’une parenté biologique, c’est vous, puisque vous demeurez prisonnier du modèle pseudo-procréatif.
Et la diatribe de Mme Théry s’achève triomphalement sur la proclamation que les couples de même sexe sont « les seuls couples qui, justement, ne sont jamais tentés de mentir à leurs enfants sur leur mode de conception ».

22 décembre. — Coup d’œil au site internet de France Culture. Phrases dénuées de sens (« Je choisis la dictature au chaos »). Références approximatives. « L’Enfer de Dante, création musicale composée et interprétée par Syd Matters. » Il n’y a pas d’œuvre littéraire qui s’intitule L’Enfer de Dante. On n’est pas ici dans la culture, mais dans le remploi d’un poncif culturel à des fins promotionnelles, et par conséquent dans le marketing culturel, type « Ussé, château de la Belle au Bois Dormant » ou « visiter Prague sur les traces de Kafka ».
Sur les 33 sujets qui s’affichent sur la page d’accueil de la radio, 6, soit 18%, sont de la propagande en faveur du multiculturalisme, de l’islam ou des « migrants », parfois déguisée avec une incroyable subtilité (« on retrouve un héritage historique dans la cuisine algérienne : elle est espagnole, ottomane, française »), parfois avouée (« La politique d’accueil des migrants est-elle à la hauteur ? » On devine la réponse sans avoir entendu l’émission).
Un titre d’allure programmatique : « Et si on partageait la culture avec les migrants ? » Qui peut s’interpréter comme : et si on faisait de France Culture la radio de l’actuelle hijra ?

Vers le Journal 2017