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Jean de La Hire. "Pour nourrir sa fille". La Roue fulgurante. Le roman subliminal.La science-fiction de style nouille. Le Nyctalope. Line.

 

A peu de temps de là, je m'installai à la campagne. Dans mon grenier, à demi mort d'ennui, fouillant entre les dames-jeanne vides et les garde-robes dévêtues, j'égrenai les numéros du Matin - je parle du Matin de Zévaco - montés là à fin de conservation par un père opiniâtre et une grand mère archiviste, dûment, quotidiennement, sitôt lus. Je relus les feuilletons de Jean de la Hire. Je les lus un peu en désordre car les pile anciennes, au fil des ans, avaient été dérangées par l'arrivée des nouvelles. Il manquait parfois quelque livraison, promue sans doute au rang de torche-cul ou de boute-feu, comme les gazettes qu'enfant je lisais dans le Wurtemberg. Mais enfin, la matière ne faisait pas défaut. Dans la pile de 1908, c'était La Roue Fulgurante, complète, du 10 avril au 23 mai. Ailleurs, les grandes aventures du Nyctalope. Je n'aimais vraiment que la Roue fulgurante et le Roi de la nuit qui est une Roue fulgurante renyctalopisée. La Roue fulgurante marque le début de la carrière feuilletonesque de La Hire et lui valut un contrat d'exclusivité avec le Matin. Jacques Van Herp, Hubert Juin, tenant les rôles des thuriféraires, des gardiens du tombeau, ont salué noblement le sacrifice de l'écrivain commençant par la Grande Littérature et finissant par le feuilleton. S'il fallait feuilletonner, on titrerait cela: "pour nourrir sa fille".* Mais ne plaisantons pas. La "littérature" de La Hire, c'est du naturalisme de seconde main, du Pierre Louys redigéré, du roman historique libidineux. Sa littérature générale est en réalité de la littérature de genre. Et du reste, l'auteur du Nyctalope ne cessa jamais d'en écrire.

 

* Hubert Juin dans "Jean de la Hire, Mémoires inédits sur Pierre Louÿs", éd. les amis de Pierre Louÿs, 1979: "En 1906, Jean de la Hire a vingt-huit ans. Il a publié vingt deux volumes favorablement accueillis. Il a de l'ambition. C'est à ce moment qu'il dresse le plan de l'homme et la société. La critique lui est ouverte; Il peut même espérer finir à l'Académie Française, et d'y aller du même pas que Paul Bourget. Cependant, en 1907, Jean de La Hire bifurque. Il quitte le Gil Blas, il entre au Matin."

Van Herp dans les cahiers de l'Imaginaire. n. 13, 1984 (Article intitulé "Jean de La Hire auteur populaire malgré lui"): "La Hire entrait de plain-pied dans ce domaine [la science fiction de la Belle Epoque]. Il dut en être flatté. Horrifié plutôt... Ecrire un feuilleton était la pire des déchéances pour un écrivain (...) Aussi, quand La Hire mit le doigt dans l'engrenage, il dut se dire: "ce n'est que pour un temps"."

 

Mais dans le feuilleton, La Hire eut sa chance. Il sut en profiter. La Roue fulgurante est écrit comme du Jules Verne, le Jules Verne lunatique et vaudevillesque d'Hector Servadac, dont elle reprend la catastrophe initiale, l'arrachement universel, et la promenade à travers le monde solaire. C'est une exploration spatiale, et une robinsonnade sur Mercure, mêlée de théosophie hindouiste, avec, pour finir, une sorte d'ode au télégraphe.

La roue fulgurante est terriblement de son temps. Elle est de la même année que le Prisonnier de la planète Mars de Gustave le Rouge. Elle contient des polyèdres, comme les pièces de Jarry. Surtout, elle fait la conjonction de la pluralité des mondes habités et de la religion spirite, sous l'influence de Camille Flammarion (qui figure dans le roman sous le nom de Constant Brularion)**. Le fakirisme permet de se promener dans les planètes et les médiums sont à égalité avec les astronomes pour communiquer avec les mondes habités. Esprit et extra-terrestres sont de la même essence. Cette conjonction du spiritisme et de l'astronomie explique l'obsession du message. Bild et Brad, échoués sur Vénus correspondent avec Mercure et la terre par un télégraphe optique. Saturne est peuplé d'âmes désincarnées qui ne comprennnent que les coups de revolver.

 

** On lit les livres de Camille Flammarion dans Hector Servadac de Jules Verne. Il m'est avis que le grand vulgarisateur a inspiré le nom de l'astronome du roman vernien, Palmyrin Rosette. Rosette évoque immédiatement Champollion.Il y a donc assonance puis association d'idées : Flammarion-Champollion-Rosette. Camille a suscité sans doute la référence antique mais, à Rome, Verne a substitué la Syrie et l'Egypte, connues pour leurs astrologues. D'où Palmyre (Palmyrin) et Rosette.

 

Le paysage mercurien n'a rien à envier aux dessins martiens d'Hélène Smith. C'est une planète simplifiée; un côté toride, un côté glacial. Prairies rouges, ciel vert, forêts grises et partout des rivières de mercure. Comme habitants il n'y a que des monopèdes monobras et monoculaires, des moitiés d'indigènes.***

Sur Mercure, il faut, pour manger, crever l'oeil d'un monopède et se gorger de son sang. Pour sauver Lola - et la posséder - Paul de Civrac devra la tuer elle aussi. Encore qu'il lui plonge un stylet dans la nuque, on devine que, secrètement, c'est une autre membrane qu'il perce , faisant jaillir des flots de sang virginal.

 

*** La planète du Roi de la nuit est simplifiée elle aussi. Deux races, les diurnes et les nocturnes plus deux espèces d'animaux. Les courants d'air porteurs remplacent le tapis roulant des rivières mercuriennes. Les forêts sont dépeuplées, la mer dessalée. Mais au lieu de recopier Flammarion, La Hire se pastiche lui-même et se souvient de Verne. Il manquait dans la Roue fulgurante le wagon de Autour de la lune. Il est dans le Roi de la nuit, au complet, cloisons étanches, volets rabattables et hublots d'observation. Les voyageurs s'extasient sur l'absence apparente de mouvement dans l'éther. Ils oublient de relever l'absence de l'accélération du départ, qui eût dû les tuer. C'est que, dans les romans de La Hire, on ne part pas; on est parti. Ce sont des romans sans accélération. Le Nyctalope passe du repos à l'agitation sans transition et souvent sans raison.

 

La Roue fulgurante est donc un roman planétaire, spirite et subliminal. Elle est terriblement de son temps.

Elle est tellement de son temps, qu'on n'ose y croire. C'est l'exemple parfait d'un roman trop beau pour être vrai.

Le tournant du siècle est pourtant bien l'âge d'or de l'anticipation française, avec les Boussenard, les Paul d'Ivoi, les Renard, les Rosny, les Le Rouge, etc.... Mais foin de dates. Si la science fiction Belle Epoque nous paraît anachronique, c'est, je crois, à cause d'un contraste stylistique.

Pour décrire ses mondes futurs ou lointains, la science fiction se réfère inévitablement au style de son temps, qui lui paraît le plus moderne, le plus futuriste; c'est à dire à la mode. C'est ce qui la démode si vite. La Science fiction de la belle époque, c'est de la Science fiction de style nouille, ou modern style. D'où le contraste singulier, d'où la fascination. Bien entendu, le style s'entend également des textes et des dessins. La Hire n'est pas moins Jugendstil que ses illustrateurs.

Quand on a été génial, il faut continuer. La Hire continua avec le Nyctalope.

Pouvait-il aligner ces saugrenuité sans se trouver ridicule? Il les dictait comme un directeur commercial dicte son courrier. Le directeur commercial ne se demande pas si la commande de trois tonnes de noix du Brésil est saugrenue, parce qu'il sait ce que cela représente d'argent. La Hire pensait aux trois francs que lui rapportait le mot.

L'auteur du Nyctalope est de ces romanciers qui donnent l'heure. Vito et Socca, les sbires corses du Nyctalope, vivent l'oeil rivé sur le chronomètre - et sans doute La Hire, impatient de finir le pensum quotidien.

Il faut dix minutes, montre en main, à Léo Saint Clair pour s'habiller, dans l'alerte, et l'auteur pense que c'est rapide. Dix minutes, c'est aussi le temps que le Nyctalope consacre au guet. La Hire a l'air de trouver qu'il est d'une patience!... Ni le Nyctalope ni La Hire n'aiment qu'on les bouscule et ils n'aiment pas attendre. Car le Nyctalope est un La Hire amélioré, comme 007 est un Ian Fleming idéal et Dirk Pitt un Clive Cussler plus grand que nature. James Bond (je parle de celui des romans) boit des apéritifs, fume à la chaîne, lit ses dossiers l'oeil sur la pendule, comme son créateur. Dirk Pitt passe le week end chez lui, à bricoler son système d'alarme, comme son petit bourgeois d'auteur.

Autre obsession de La Hire, les liquides et les aliments. Sans doute La Hire en dictant guettait-il l'heure du repas, qui le délivrerait du joug des trois cent lignes. Quand on y était presque, il faisait déjeuner ses personnages.

Il y a ainsi des écrivains qui mangent - et d'autres qui boivent - dans leurs livres. Dumas mange beaucoup dans ses livres. Verne n'arrête pas de mettre la nappe. Chez la Hire, tous les chapitres sont ponctués par des agapes. L'intrigue apparente est parasitée par une intrigue virtuelle et potagère, rêve éveillé épicurien et vaguement sadien. Dès que les personnages se réunissent, ils commencent à baffrer. Que valent au prix de cela, les protestations de l'auteur qui, dans l'action, les fait se coucher sans dîner? Envoyer le Nyctalope au lit avec une pomme et un verre de lait a, chez La Hire, la maladresse d'une excuse.

Dès que le Nyctalope fait quelque chose, même rapidement, il réclame un verre de vin ou d'alcool et une collation. S'il a poussé jusqu'aux frontières de la prudence (et à l'extrémité du souterrain) il revient en réclamant un cordial, une vieille fine, un verre de gnole. Quand il a pensé un peu, quand il a réfléchi, le Nyctalope se laisse choir sur une chaise en s'exclamant: "Je m'accorde une tasse de chocolat."

Le Nyctalpe n'est pas un athlète, comme le croit l'auteur, mais un valétudinaire, ce que les anglais appellent un invalid - un homme qui, à vrai dire, ne souffre de rien mais qui est fragile. Léo Saint-Clair n'est probablement pas souple et musclé mais, comme son auteur, farci de mauvaise graisse, le nez rouge, l'oeil ruisselant, lourd et lent à se déplacer. Sa nyctalopie n'est pas, comme le croit La Hire, la conséquence d'un coup de feu essuyé en Suisse à l'adolescence, (cf. l'Assassinat du Nyctalope), et qui aurait froissé le nerf oculaire. C'est un symptôme d'hépathique, congestionné, le foie engorgé et qui "voit rouge".*

 

**** Au fond, je ne sais pas du tout d'où vient cette affaire de vision de chat. Nyctalopie désigne une cécité diurne avec vue normale en faible éclairage. La Hire le sait du reste - Il l'écrit dans l'Assassinat du Nyctalope. Le petit Saint-Clair est d'abord aveugle de jour; Et puis, il acquiert ses yeux de chat.

 

Ce bourgeois jouisseur, ce sergent de ville gymnaste, La Hire lui prodigue des encouragements feuilletonesques. Ayant remarqué qu'il incarne le Bien, il ne l'appelle plus, en écrivain protocolaire, que Léo Saint-Clair, le Nyctalope, le mâle messianique, l'homme supérieur. Le génie de La Hire, c'est de faire croire que Saint-Clair est exceptionnel. Le nyctalope est comme ce magicien cité par Bernard Joubert*****, qui entrait en scène en costume de martien tout clignotant et qui, à parler proprement, ne faisait rien, qui se contentait de cligner avec mystère.

 

***** Les Magiciens, éditions Syros.

 

Saint- Clair ouvre les portes avec emphase. Il réclame des cigarettes avec une vraie distinction. Il fait le point avec autorité. Saint- Clair adore faire le point avant de commander le repas. On peut soupçonner qu'il a déjà absorbé l'apéritif, à l'insu de l'auteur, car dans ces moments là, il se passionne brusquement, jure ses grands dieux, invoque la patrie, s'émeut, pleurniche, en fait une affaire personnelle, etc.

La Hire multiplie des personnages qui ne servent à rien qu'à allonger la sauce. Le Nyctalope est averti qu'il se trame du louche par un type qui n'interviendra pas dans l'histoire, qui le présente à un autre qui l'emmène dîner chez un troisième. Avec ses fidèles aides corses, la jeune fille de service, un représentant (obligatoire) d'une quelconque administration et le jeune premier, ils sont déjà huit autour de la table alors que l'histoire n'est pas encore commencée.

Le thème unique des feuilletons est l'enlèvement des jeunes filles. Elles sont revendiquées par des orientales diaboliques aux manières exquises, des Kalmouks sanguinaires, des Russes pervers. Seule variante permise: on enlève parfois autant de jeunes gens que de jeunes filles (pour en faire quoi, au juste? On ne sait trop).

Quand l'intrigue est à multiple fils, ils sont tous du même brin. Simple stéréotypie, histoire racontée deux fois, ou trois, par ces personnages rédupliqués.

La Hire romancier populaire est un bourgeois indécrottable, un rêveur d'occasion, un auteur ralenti, goûtant le moût de ses pensées, pensant entre deux eaux, écrivant d'une écriture coulée, l'inverse de la belle figure de Lange (l'auteur d'Arizona Jim dans le film de Jean Renoir Le Crime de monsieur Lange) pour qui dormir et écrire sont la même chose.

Le style de La Hire est épouvantable, clinquant, faux riche en diable: les mobiliers sont "d'époque", les autos "d'une marque bien française et bien connue", quand elle n'est pas "illustre", Saint Clair lit "de l'ancien et du moderne", les pièces sont décorées "de tableaux de peinture ou de gravure" (sic) - gageons qu'il suffit de les soulever pour voir l'étiquette du Monoprix! La vieille cuisinière compose "tout son domestique" (sic).

Les toilettes des femmes sont toujours élégantes, leurs tailleurs sont bien coupés, leurs chemisettes de soie élégamment décolettées.

Les aventures du Nyctalope sont un véritable culte de la crétinerie.****** L'auteur a des principes; ses héros sont en bois. Les chefs sont habitués au commandement, les fonctionnaires zêlés, les jeunes gens irréprochables, les jeunes filles pures, les maris scrupuleux. La galerie des personnages est rehaussée par quelques célibataires hommasses et dominatrices.

 

****** Le romancier a fini dans le culte du Maréchal et dans la collaboration. D'ailleurs, cet imbécile descendait d'un compagnon de Jeanne d'Arc, c'est-à-dire, par la force des choses, d'un compagnon de Gilles de Ray.

 

Les lecteurs de La Hire, sans doute le prenaient-ils cum grano salis et trouvaient-ils tout cela très joli... sur le papier. Si les concierges lectrices du feuilleton du Matin avaient pu parler à leur auteur, sans doute lui eussent-elles dit: "Vos scrupules moraux, vos jeunes filles vertueuses, vos fiancés recta, on les a jamais gobés; seulement nous on trouvait que ça faisait bien; ça allait bien avec vos histoires à dormir debout."

Ma digression m'a mené un peu plus loin que je n'aurais voulu et il me faut préciser à présent qu'en 195- mon père reçut une affectation à X où il installa sa famille. J'entrai en seconde à l'institution Sainte Philomène et on m'abonna à Lisette, lecture recommandée par les soeurs. Mais je lisais aussi Mireille, Line et Quinze ans qu'on se repassait sous les bancs. Au fond, les bandes dessinées nous intéressaient médiocrement et quant aux rubriques, nous trouvions qu'elles imitaient, en moins bien, celles des revues que lisaient nos mères. Nous aurions voulu qu'on nous parlât de chanteurs. Mais les revues de chanteurs n'existaient pas encore et sans doute nous les eût-on interdites.

Presque tout le matériel était anglais. Dans Lisette, l'histoire de la princesse rebelle était tellement mauvaise qu'on avait l'impression qu'on réimprimait la même page chaque semaine.

Dans la médiocre héliogravure de Line, Mad et Gloria avaient perdu le velouté primaire de leurs couleurs originales. On ne voyait plus, comme aux sports d'hiver, que du rouge et du bleu. Le reste se résolvait en une sorte de brun boueux.

Les intrigues empruntaient souvent aux ressources du rébus ou du message crypté d'où, pour nous donner le mot de l'énigme, de curieuses gloses sur la langue anglaise, que nous comprenions d'autant moins que rien dans nos journaux n'indiquait la provenance des bandes. Les malheureuses traductrices peinaient à démêler quelque sens dans l'original. Elles ignoraient par exemple que la Douxième nuit de Shakespeare s'appelle en français la Nuit des rois.

En dépit du charme des histoires scolaires, où nous retrouvions nos préoccupations, les méchantes n'étaient pas assez méchantes pour nous intéresser beaucoup. L'insuffisance de l'intrigue s'augmentait d'une moralisation bêtasse. Il ne suffisait pas qu'on nous infligeât la recherche du manuscrit romain. Encore se croyait-on tenu de nous sermonner sur l'utilité des études latines.

Les séries historiques nous rappelaient que les reines sont d'abord des femmes. Bien que la couronne leur pesât, elles étaient invariablement admirables dans l'infortune, courageuses devant le malheur.

A la faveur d'une vie romancée d'Adélaïde mère d'Othon, on faisait parfois l'apologie des belles-mères. Les biographies de Florence Nightingale ou de Mary Bird nous enseignaient qu'une infirmière est parfois aussi grande qu'une reine et qu'elle est souveraine dans son service, n'en déplaise à ces freluquets d'internes ou de chefs de clinique.

Les hâtives adaptations de Jane Eyre ou de Little Women consistaient en un curieux jeu de balle entre l'auteur et l'adaptateur: une case sur deux nous donnait une péripétie, les cases intermédiaires servant au scénariste à digérer la nouveauté et à ramener l'intrigue vers la molle platitude qui était de mise.

La partie française ou belge de nos journaux nous donnait quelques vies d'artistes, Rosa Bonheur ou Vigée-Lebrun. Il y eut même une vie de Rachel.

Il était nettement sous-entendu que ces femmes n'avaient été de grandes artistes que parce qu'elles étaient aussi des mères tendres et des épouses soumises et qu'elles avaient payé d'une mort précoce le surmenage de leurs deux métiers.

Nous eûmes tout de même quelques héroïnes sans familles, sportives comme Hélène Boucher, exploratrices, comme Alexandra David-Neel, ou guerrières comme Jeanne Hachette ou Madeleine Verchères. Leur modèle était Jeanne d'Arc.

Une alternative fréquente aux bandes dessinées était le roman photo, dont nous étions fort entichées, parce qu'il était presque toujours à thème sentimental et qu'il nous paraissait moins enfantin que les histoires dessinées. Pourtant, les romans photo étaient presque toujours ratés. Etant en bandes, on les lisait comme des bandes dessinées. Mais dans ces vignettes où rien ne paraît fortuit au lecteur, les détails saisis par l'objectif venaient parasiter le thème. Le roman d'une orpheline devenait les aventures du pull angora, ou du chemisier, ou de la jupe écossaise. L'arrosoir qui traînait dans un cadre volait la scène à l'héroïne floue que sa pèlerine engonçait.

Nous goûtions par dessus tout les bandes au lavis, dotées à nos yeux de toutes les vertus du photo-roman, tou en échappant aux accidents de l'image. Mais le moyen, à Sainte Philomène, de se procurer Nous Deux.

(à suivre)

 

Une cordiale poignée de main à Manuel Hirtz, habitant permanent du Grenier et Grand Conservateur des Collections.

 

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