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Extraits du journal de Harry Morgan 2019 (suite)
DÉSORDRE, HORREUR, ÉPOUVANTE ET SOULÈVEMENT
Les cavernes de l'esprit

Disorder horror fear and mutiny
Henry IV part 1



Vers le début du Journal 2019

16 septembre. — Présentation de la nouvelle Commission européenne. Portefeuille de l’immigration rebaptisé « protection de notre mode de vie européen ». Voilà du neuf. Explication probable : quelqu’un au sein du Parti Populaire Européen a soufflé à madame von der Leyen, présidente de la Commission, que l’affirmation civilisationnelle, loin de faire le lit de l’extrême droite, faisait au contraire baisser partout le score des « populistes ». Cependant la corruption du langage est telle que cette initiative est aussitôt réinterprété par la presse à épluchures comme revenant à « chasser sur les terres de l’extrême droite », ou à « reprendre la rhétorique de l’extrême droite ». Et cette presse brandit l’indignation morale, qui est aux journalistes à épluchures ce qu’était la bouteille d’huile de ricin aux chemises noires de Mussolini. Qu’à cela ne tienne. La présidente-élue, nullement démontée, dans une tribune publiée ce matin dans les principaux quotidiens européens, répond ceci : « Les termes de l’article 2 du traité résument le mode de vie européen. » Or l’article 2 du traité de l’Union européenne mentionne nos « valeurs » de « non discrimination », de « tolérance », de « respect des droits des minorités ».
Tout ceci rappelle irrésistiblement une page célèbre de notre littérature.
« Je ne sais pas ce que vous entendez par “mode de vie européen”, dit Alice.
Ursula von der Leyen eut un sourire supérieur. « Naturellement vous ne le savez pas – tant que je ne vous l’ai pas dit. “Mode de vie européen” signifie “nos valeurs d’ouvertures”.
« Mais “mode de vie” ne désigne pas des “valeurs”, objecta Alice.
« Quand j’emploie un mot, dit Ursula von der Leyen d’un ton hautain, il signifie exactement ce que j’ai décidé qu’il signifie – ni plus, ni moins. »

19 septembre. — Couché hier soir à dix heures et demi et dormi profondément neuf heures d’affilé – si l’on peut dormir profondément avec un mal de tête. Mais ce matin, à la fin de la course légère, migraine ophtalmique avec fortifications, et diarrhée. Il faut faire des choix, d’une nuit courte ou d’une nuit longue, en sachant que les deux ont leurs inconvénients, que dans un cas c’est la dette de sommeil, dans l’autre la crise migraineuse.
Le président aborde à son tour la question migratoire, aussitôt dénoncé par les ligues de vertu. En reconnaissant que l’immigration est aux mains des passeurs, que la procédure de l’asile est systématiquement détournée, le président reconnaît aussi, au moins à demi-mots, que la réaction officielle sur ces questions consistait à répondre toujours « à côté ».

21 septembre. — Journée du patrimoine. Inauguration du musée municipal dans l’ancienne sous-préfecture.
Quand les représentants de la bourgeoisie instruite confient « ce qu’ils ont sur le cœur », ils disent – maladroitement peut être – qu’ils entendent vivre comme ils ont toujours vécu, qu’ils veulent continuer leur pays. Les attentats islamiques ont dessillé les paupières. On a compris que la promotion à outrance des « minorités » était la manière que l’élite progressive avait trouvée pour liquider une civilisation haïe.
En face, cette élite a naturellement raison de penser que si nous employons notre argent à entretenir nos églises et à conserver notre art et nos archives, c’est que nous n’envisageons pas que nos existences cessent de se dérouler à l’ombre de ces églises, que nous entendons que nos vies s’inscrivent dans cette mémoire, exactement comme si nous étions les personnages d’un roman victorien.
Cette journée du patrimoine est devenue une véritable petite fête civique, un quatorze juillet des temps de paix.

22 septembre. — Pourquoi cette guerre par fragments secoue-t-elle l’opinion ainsi ? Après tout les plus âgés ont connu la seconde guerre mondiale et les guerres de décolonisation, les gens d’âge moyen se souviennent de la menace nucléaire, avec le risque d’annihilation de l’humanité et la survie des seules cliques dirigeantes, abritées dans leurs bunkers anti-atomiques.
La caractéristique de cette guerre-ci est qu’elle se présente en quelque sorte à l’envers. On a traité la mahomerie comme si elle était le vainqueur, comme si ce pays lui appartenait. Dans un deuxième temps, on lui a permis de mener, au moins symboliquement, sa guerre de conquête, au moyen de tueries sanguinolentes. Le résultat est que quatre décennies d’incessante propagande en faveur de l’immigration et des immigrants ont été relues par les populations martyrisées à la lumière des événements. Est-il si étonnant que les plus virulents parlent d’Occupants pour désigner les vainqueurs du moment et de Collaboration pour désigner nos élites ?
Une difficulté sous-jacente, c’est que l’activisme gnostique des quarante dernières années différait de ses précédents historiques en ceci qu’il ne prétendait pas bouleverser l’ordre de la société (c’est ce que j’appelais la dépolitisation du militantisme, voir l’entrée du 4 avril). En effet, un tel bouleversement social avait été annoncé en 1968, sous les espèces de la « révolution » à venir, et cette « révolution » avait été considérée comme ratée dans les années 1970. Les décennies suivantes ont donc été présentées paradoxalement comme celles du retour à l’ordre. La thèse selon laquelle ce pays serait né vers 1980, pour reprendre l’excellente formule de l’avocat François Sureau, l’utopie d’une société multiculturelle née de l’immigration de masse, tout cela était décrit comme la conception généralement partagée au tournant du XXIe siècle ; c’est ce que Mme von der Leyen appelait l’autre jour le « mode de vie européen ».
En somme, on avait ôté à la population la possibilité de se rebiffer contre les décisions que l’on prenait, parce que ces décisions n’étaient plus censées relever du politique, mais du simple bon sens. Dans de pareilles circonstances, il vaut mieux que les choses tournent à l’avantage de tous. Or cela se termine comme on sait en massacre général.

25 septembre. — Par dessus tout, il faut résister au ressentiment, qui nous rend semblables à l’adversaire (le ressentiment est la base de la révolte gnostique ; la doctrine victimaire n’est que sa formulation contemporaine). Cependant cette tentation des doléances disparaît sitôt qu’on cesse d’être dupe de l’imposture philanthropique, car on comprend alors qu’aucune raison ne peut nous interdire de combattre des thèses qui répugnent à nos idées politiques, à nos convictions religieuses et à nos conceptions de la société. Au lieu de geindre, il faut flétrir. Relativement aux menées de l’islamisme en France, la seule attitude rationnelle me semble être l’intolérance de l’intolérance. John Locke, qui est, après tout, l’inventeur de la notion de tolérance religieuse, écrit dans un manuscrit retrouvé (Times Literary Supplement du 17 septembre) : « Possibly noe reason nor religion obleiges us to tolerate those whose practicall principles necessarily lead them to the eager persecution of all opinions, & the utter destruction of all societys but their owne. »

26 septembre. — Procès d’un gang de moujahidin, qui sont surtout en l’espèce des moujahidat. Ce qui me frappe dans les témoignages de ces criminelles est l’interchangeabilité du discours victimaire et du discours génocidaire.
Le témoin. Il y en avait qui voulaient partir en Syrie, et d'autres qui voulaient agir.
Le président. Agir, c'est à dire ? 
Le témoin. Se donner la mort.
Le président. Se donner la mort en la donnant à d'autres ? 
Le témoin. Oui, c'est cela.
Des meurtrières superlatives sont, à leurs propres yeux, des victimes superlatives, des personnes qui choisissent de « se donner la mort ».
Autre témoin : « Ce qui m'a étonnée quand j'ai appris qu'il avait égorgé un prêtre, c'est qu’il parlait d'aller aider les gens. » « Aller aider des gens » et « égorger un prêtre » sont des propositions substituables. La moujahida moyenne, la madame Tout-le-monde du terrorisme, explique qu’elle voulait partir en Syrie parce qu’elle pourrait y porter le voile intégral, « faire de l’humanitaire » et commettre des atrocités.
En lisant ces compte rendus d’audience, je suis frappé par l’ignorance apparemment complète dans le monde judiciaire des aspects militaires du dossier. On relève comme une singularité, comme une bizarrerie, que la principale accusée se soit fait passer pour un homme sur les réseaux sociaux pour séduire et recruter ses complices. Mais l’utilisation de musulmanes conservatrices – qui par définition sont recluses dans leur foyer –, comme agents de recrutement sur les réseaux, est une stratégie identifiée du Califat ; elle a permis que des dizaines de milliers de musulmans venus de l’ensemble du monde occidental se retrouvent au Levant.

27 septembre. — Épreuve d’effort. Tout va à peu près jusqu’à 150 watts. Mais je demande qu’on pousse jusqu’à 180 watts. On reprend donc et, à 180 watts, le sous-décalage est de 3,63 (2,75 en avril 2018, 3,20 en février 2017). On va refaire une scintigraphie pour vérifier qu’il n’y a pas de nouvelles zones du cœur qui souffrent.

28 septembre. — je n’ai pas bougé de ma brousse depuis le mois de février (dernier séjour en Savonie). Je ne suis plus Harry Morgan, je suis Harry de la Mole, squire de Mole Hill.
N’en déplaise aux néo-ruraux à la recherche d’une utopie bocagère, la campagne ne diffère plus en rien de l’espace péri-urbain. À cet égard, la première impression, celle d’une simplification des paysages – il n’y a partout que du maïs –, est trompeuse. Autrefois, il y avait le village, entouré du cercle des vergers, et, plus loin, les champs, le tout traversé et irrigué par les routes et les ruisseaux. Aujourd’hui, les vergers ont à peu près disparu et ma course légère me conduit par le chemin vicinal au travers des maïs, interrompus par les parcelles couvertes de cultures intermédiaires servant à piéger les nitrates, moutarde, phacélie. À gauche, une usine à poulets, à droite, une usine à cochons. La route départementale m’amène jusqu’au village voisin, qui, du fait de son grossissement, a avancé son panneau d’un demi-kilomètre. Je traverse un lotissement nouveau. Maïs, usine à cochons. Autre village, autre lotissement, qui débouche sur une étable à vaches à l’ancienne. Maïs, déchetterie. Pour égayer tout cela, les municipalités tiennent absolument à mettre partout des trottoirs – un trottoir en bordure d’un pré –, des ronds-points : jusqu’au vieux tilleul, désormais emprisonné dans son giratoire.

29 septembre. — Un « philosophe » dont la pensée est étudiée surtout sur une antenne périphérique où il exerce son métier d’animateur de radio intervient à la Convention de la Droite – une imitation du CPAC américain – et explique aux « réacs » qu’ils sont condamnés par l’histoire, parce qu’on ne revient jamais sur une liberté. Sorte de profession de foi progressive (« on n’arrête pas le progrès »). Seulement on revient tout le temps sur les « libertés » qu’on s’est permises, on arrête constamment le progrès. Au surplus, si les tenants de la pensée progressive ont tellement raison « aux yeux de l’histoire », on se demande pourquoi ils ont constamment besoin de mentir. Et si leurs idées directrices sont incontestables, comment se fait-il que leur principal argument, quelque soit le sujet, consiste à dire : « Ce n’est pas à l’ordre du jour et ce ne le sera pas avant longtemps. »

30 septembre. — Indignation après la Convention de la Droite. On ne peut pas tenir en France une convention politique agrégeant les différentes sensibilités conservatrices, sur le modèle du CPAC américain. C’est interdit. Un éditorialiste parle aimablement d’un public « de crânes rasés, de têtes de linotte et de vieilles perruques ».
Un bénéfice à court terme du remplacement de la politique par la morale, c’est que ce sont précisément ceux qui suspendent la liberté de penser et la liberté d’expression qui passent pour les tolérants, puisqu’il n’y a « pas de débat possible » face à « l’intolérance et la haine ». Cependant la morale est un puissant toxique dont l'usage entraîne accoutumance et dépendance.

1er octobre. — Le pire qui puisse arriver à quelqu’un qui souffre de fatigue chronique et qui a besoin de dix heures de sommeil est la crise d’insomnie. Je navigue à travers une bouillie d’hébétude. Renoncé à aller manifester à Paris dimanche 6 octobre contre la PMA, parce que je fais le calcul de ce que ce voyage me coûterait en fatigue et en migraine, et que ce prix est désormais trop élevé.

4 octobre. — Hier jeudi, attaque à la préfecture de police de Paris par un petit fonctionnaire converti à l’islam. Il se confirme, comme déjà après la frappe du « migrant » afghan à Villeurbanne à la fin du mois d’août, que le pouvoir politico-médiatique a décidé souverainement qu’il n’y avait plus d’attentats terroristes. Mais qui peut croire à un brusque « coup de folie » si le tueur mahométicien a introduit à l’intérieur de la préfecture de police l’arme dont il s’est servi ? Ainsi la version officielle constitue d’emblée, aux yeux de tous, le mensonge officiel. On sature le public d’informations absurdes (« une attaque est en cours »), on fait tourner des images spectaculaires et anxiogènes, et puis on conclut qu’il s’agit d’un tragique fait divers, et l’incident est clos. Le salut par le sensationnalisme.
Ce singulier traitement médiatique pourrait être qualifié de co-terrorisme. Si la définition du terrorisme est la création d’un climat d’épouvante dans une intention politique, c’est précisément ce que font les médias quand ils « couvrent » un attentat. Mais ce co-terrorisme s’arrête précisément au mot lui-même de terrorisme, qu’il est interdit de prononcer, comme le mot « corde » au théâtre. Et la terreur devient un simple produit d’appel : restez branchés sur nos antennes dans l’attente de nouvelles inquiétudes.
À un autre niveau, on peut penser qu’on a épuisé le « narrative » de la frappe terroriste. On ne peut pas récrire constamment, comme le faisait Le Figaro après la frappe sur le marché de Noël de Strasbourg : « À chaque attentat le même constat », déplorer l’impuissance des pouvoirs publics, puis conclure : « Entre deux attaques, on aimerait oublier ces heures funèbres... » Mieux vaut varier les explications, recul de l’autorité, crise psychiatrique, forme ordinaire de barbarie. Ce n’est pas plus intelligent, mais c’est plus varié, c’est plus amusant à lire.

5 octobre. — Le Figaro ce matin : « Dès [avant-hier jeudi], un certain nombre de facteurs plaidaient pour l’hypothèse terroriste. La préméditation n’allait pas dans le sens d’une bouffée délirante. » Voilà donc un journal qui, comme tous les journaux, a publié pendant deux jours ce qu’il savait parfaitement être un mensonge.
Je crois décidément que l’affaire se joue du côté de la disparition du sens. Il s’agit de vider une frappe terroriste de sa signification, en cherchant d’abord la sidération, puis en épuisant la possibilité même de la réaction émotionnelle, par les « rien ne permet à ce stade de conclure », la possibilité même de l’analyse, par la spéciosité des arguments.

6 octobre. — Fureur de la population. La stratégie consistant à dénier tout caractère terroriste aux attentats (Villeurbane, préfecture de police), expérience faite, s’avère désastreuse. Le résultat étant qu’on s’accuse en tous sens.
Le plus curieux est que l’« islamiste radicalisé » infiltré au cœur du renseignement policier et laissé inexplicablement libre d’agir relève des mondes imaginaires ni plus ni moins que le « déséquilibré » ayant tué dans une « crise de folie ».

7 octobre. — Le Figaro fait dans son éditorial de ce matin cet étonnant mea culpa : « Si nous n’avons rien vu venir de ce qui se tramait à la préfecture de police de Paris, c’est que nous n’avons rien voulu voir ! Et si nous n’avons rien voulu voir, c’est que nous sommes, en France, collectivement victimes d’un mal étrange, particulièrement virulent dans les administrations, les cabinets ministériels et les salles de rédaction, une maladie de l’esprit, proche de la cécité volontaire, une maladie qu’il faudra bien, si l’on veut la combattre, se résoudre à appeler par son nom : le dénislamisme. (...) Le dénislamisme, c’est cet étrange tour d’esprit qui toujours fait reconnaître un “déséquilibré” derrière chaque attentat perpétré sur le sol national. »

8 octobre. — L’affaire de la préfecture de police prend les dimensions d’une affaire d’État parce qu’elle rappelle le motif romanesque du réseau criminel ayant pénétré au cœur même de l’appareil de sécurité. On pourrait proposer comme titre : Les Infiltrations dangereuses. Je persiste à penser qu’on serrera de plus près la vérité en relevant que ce qui s’est propagé jusqu’au sommet de l’État, c’est l’idéologie victimaire. Chacun dispose d’un capital victimaire plus ou moins élevé, en fonction du sexe et de l’orientation sexuelle, de la race, de la situation personnelle, et naturellement de l’appartenance religieuse. Le capital victimaire du tueur de la préfecture, nègre de la Martinique, handicapé (surdité), salafiste, était considérable.
La classe politico-médiatique, la clique et la claque, tente de faire oublier ses compromissions en adoptant un rigorisme de façade. On nous explique donc très sérieusement que le refus de saluer les collègues femmes ou l’habitude d’aller à la mosquée en djellaba étaient des signes de « radicalisation » qui auraient dû entraîner des réponses drastiques. (Les mêmes nous répètent à longueur de journée qu’il ne faut pas faire « d’amalgame » entre « musulman » et « terroriste »). Et on nous avertit qu’à l’avenir il ne faudra rien laisser passer. Ce que valent ces résolutions, il est aisé d’en juger. Il y a eu un attentat au camion-bélier en Allemagne et la dépêche parle d’« un acte aux motivations encore obscures », exactement comme à l’accoutumé. On revient donc invariablement à l’ordre politique. C’est un ordre troublé, où la doctrine officielle se replie sur elle-même comme un couteau suisse, où l’on dit une chose et où l’on fait l’exact contraire, un ordre dans lequel les islamistes ont tout intérêt à sur-jouer leur personnage, puisque cela les fait bénéficier de ce qui est en dernière analyse une immunité diplomatique, un ordre dans lequel, à chaque échelon d’autorité, on cherche à se protéger, et non à protéger la population, qui doit s’arranger comme elle peut pour conserver une gorge non fendue.

9 octobre. — Une manifestation était prévue à Gonesse en soutien au terroriste de la préfecture de police, « cet homme qui a perdu la raison et dont on a commencé à salir la mémoire ». Quel meilleur exemple après tout du « musulman victime » ?
On mande que cette manifestation vient d’être interdite par arrêté préfectoral, pour trouble à l’ordre public et apologie du terrorisme. Cependant il a fallu quarante-huit heures au préfet pour arriver à cette décision, quarante-huit heures pendant lesquelles on a répété qu’on ne pouvait rien faire, qu’il n’existait aucun moyen légal d’empêcher une pareille manifestation.
De cette complaisance généralisée témoigne le double verrou qu’on a posé sur la langue : partout où il faudrait dire « l’islam », on dit « l’islamisme » ; et quand il faudrait dire « l’islamisme », on dit « l’islamisme radical ». Il n’y a que le président, en somme, qui appelle « l’hydre islamiste » ce que j’appelle la mahomerie.

11 octobre. — Badisches Landesmuseum. Intéressante collection de verres à surprise, caractéristiques de la convivialité vineuse de la Renaissance.

12 octobre. — Excellente journée à Heiligenhain avec Mme Sardine. Il fait un temps à ne pas croire, un temps de fin d’été. Rentré chez moi, je vois la façade de ma maison entièrement couverte de bêtes à Bon Dieu.

13 octobre. — Décidément on se déballonne. Une journaliste de l’AFP confie anonymement que l’agence a reçu des consignes pour parler du terroriste de la préfecture de police comme d’un « déséquilibré ». Plus étonnamment encore, une journaliste de la presse hebdomadaire révèle qu’un confrère de la télévision a été menacé de sanctions par sa direction parce qu’il a parlé d’attentat islamiste de façon « prématurée », en clair, qu’il n’a pas respecté la consigne des quarante-huit heures de mensonge.

14 octobre. — Il m’arrive de me dire que la situation actuelle n’est pas très différente de celle qui prévalait il y a un siècle, après la Grande Guerre, celle d’une disjonction entre des institutions devenues obsolètes et les réalités contemporaines. Une telle situation a l’avantage de ménager des surprises. En politique, le renouveau correspondrait au renoncement à la doctrine victimaire, à l’abandon du communautarisme ethno-religieux, à la fin de la culture de l’indignation, au rejet de la morale de la « diversité et de l’inclusion ». Ce serait la mahomerie défaite et renvoyée dans un hinterland tribal. Dans la vie intellectuelle, rien n’interdit d’imaginer de nouvelles années vingt. Il y a cent ans les premières étaient caractérisées par une effervescence culturelle (« modernisme » en littérature, Art déco, expressionnisme dans les arts plastiques), des médias portés à leur perfection, radio, comics, cinéma (muet). Pour ce qui est de nous, il faudrait que la Toile, média émergent, devînt le lieu d’un jaillissement créateur. Dieu sait qu’on en est loin, c’est le royaume de la médiocrité et du rabâchage. Par ailleurs je crois hélas significatif que le produit culturel unanimement apprécié, celui qui fait l’objet d’une consommation pléthorique et d’appréciations dithyrambiques de tous les beaux esprits, ce soit le feuilleton télévisé de nos grands-mères, rebaptisé « série ».

16 octobre. — Je rêve d’un journal qui serait capable d’imprimer simplement la vérité, sans s’entêter dans l’idéologie. Un tel quotidien pourrait s’appeler The Noos, ou The Nous, ou The Daily Nous. Il suffirait pour une telle entreprise quotidienne de très peu de pages, deux ou trois au plus, car il faut très peu de place pour écrire : « Le pouvoir ne peut demeurer sans réagir face au terrorisme islamique, mais il ne peut pas davantage protéger la population, car le coût politique d’une action efficace serait trop élevé. »

19 octobre. — Tout à l’heure, à mon bureau, comme j’étais occupé à bouquiner sur Gallica, je m’aperçois que je suis en train de tourner de l’œil. Pas d’explication. Pas de réplique. L’après-midi, je me suis adonné comme chaque jour à la course légère, fréquence cardiaque normale. Pris ma tension. Normale.
Effet curieux d’un journalisme où tout le monde radote. Que si, faute d’abonnement, je lis seulement les titres du journal sur la Toile, je sais pourtant très exactement ce que cela raconte.

27 octobre. — The Daily Nous. Entendant le président Trump dire qu’un « brave and talented dog was injured » en traquant le chef du Califat au fond de son trou, près d’Idlib, je consulte anxieusement la Toile et mon cœur s’arrête quand je lis les mots « dog » et « died ». Mais c’est le calife qui est mort comme un chien, au bout d’un tunnel sans issue, en faisant sauter sa ceinture d’explosif.

29 octobre. — Mis des chrysanthèmes sur les tombes. Impression d’une temporalité aplatie, toutes les époques se confondant, une vie entière contenue dans une journée. Dans cette espèce de transe, ce sont, bizarrement, les panneaux routiers indiquant le nom des patelins qui sont les plus évocateurs, parce qu’ils juxtaposent les noms des lieux.

30 octobre. — The Daily Nous. Le président ayant demandé au Conseil français du culte musulman comment celui-ci entendait lutter contre le « communautarisme », le Conseil religieux de cet organe oléiforme publie un communiqué qui dénonce « l’islamophobie », ne dit pas un mot des attentats, et réclame « la liberté de tout un chacun de vivre sa foi dans le respect du cadre républicain », en instituant de surcroît le port du voile en « prescription religieuse ». Bref, le moyen de lutter contre le communautarisme, c’est le communautarisme.

31 octobre. — Rêvé que j’assistais à un colloque. Le thème en était « une prison pour Dieu ».

L’idée m’est venue d’une publicité inversée, d’une publicité émanant d’un consommateur, et adressée à une entreprise.

« Vous aussi vous proposez
une isolation à 1 € ?
et si vous cessiez de gruger les gens
et rentriez au Kosovo ? »

« Vous aussi vous m’appelez pour
une isolation à 1 € ?
et si vous fermiez votre call-center
à Ouagadougou et cessiez
d’emmerder les toubabs »

« l’abonnement
à 1 €pendant 2 mois ?
j’ai une meilleure idée
Je vous donne 1 €
si vous cessez de paraître. »

Cette idée de publicités vengeresses excite l’imagination et fait ressortir en soi le pire. J’imagine le « spot » télévisuel suivant. On verrait d’abord des chiens, des chats, des cochons, se précipiter sur de la nourriture et l’avaler goulûment. Puis on verrait des humains, hommes et femmes, de tous âges, tous proprement mis, agir de façon similaire, prenant la nourriture avec les doigts, s’empiffrant, avalant avec avidité, en s’en mettant partout. Finalement, un carton indiquerait : « Nous, on se contente de de créer les recettes. »

Idée pour un récit fantastique (pour Hallowe’en). L’ami du narrateur est un type brillant mais hanté, qui s’est toujours arrangé pour rater les occasions, il n’a pas épousé la femme aimée, il n’a pas obtenu la position académique convoitée, ses travaux ont été menés à bien mais sont restés impubliés. On se perd de vue. Finalement, les deux hommes renouent et le narrateur est invité à villégiaturer chez son ami pendant le « pont » de la Toussaint. Là, il découvre le pot aux roses, à savoir le fantôme qui hante son ami. Ce n’est ni un fantôme terrifiant, ni un fantôme comique. C’est un fantôme plein de reproches et d’amertume, qui l’appelle « mon petit bonhomme » et l’accable de sarcasmes, ce qui reste d’une mère.

1er novembre. — On rentre les maïs. À l’oreille, il semble que les collines soient, nuit et jour, le lieu de quelque activité hyper-technique, comme si on y avait dissimulé un aéroport. Si l’on y va voir, on découvre la faucheuse-hacheuse-chargeuse abattant la palissade verte et déversant par un tube l’or végétal dans la remorque que le minuscule tracteur du paysan traîne à ses côtés. Par temps de pluie, l’impression générale est plutôt celle d’éléphants se glissant par les chemins boueux et par les rues ruisselantes.

2 novembre. — Jour des morts. Réflexions religieuses. Si je vais un jour au ciel, je crois que j’aimerais y retrouver mes chats.
Il me semble que le pardon des fautes s’obtient par un renoncement à son propre point de vue. Il s’agit de considérer les êtres à leur échelle, de voir leurs failles et leurs échecs. On s’aperçoit alors que les dommages qu’on a subis soi-même sont les dégâts collatéraux d’un drame intime qui ne nous appartient pas, auquel nous sommes complètement étrangers.
Il ne s’agit certes pas de nier le mal qui a été fait. Tout au contraire, tout repose sur la reconnaissance de ce mal. Mais il s’agit de s’en extirper soi-même, et de demander pour ceux qui sont chargés de la faute qu’ils en soient à leur tour délivrés. C’est là, je crois, l’essence du message chrétien, et c’est ce qui fait la supériorité morale du christianisme sur une société qui n’a pour alternative que d’appeler le mal bien, et de s’en faire le complice, ou bien de figer pour l’éternité le grief irréparable de la victime.

5 novembre. — Pas d’internet. Par chance nous avons pu faire hier soir la réunion avec Paris par téléphonoscope.

7 novembre. — Dormi onze heures, à quoi s’ajoute l’heure et demi de sieste, un record, je crois.
Retards de lecture. Je viens à bout d’un backlog du Times Literary Supplement remontant à cet été. Je ne lis pas, je fourrage, je traverse pour savoir s’il y a quelque chose de digestible par moi là-dedans.
Internet étant rétabli, j’écoute un « mix » qui est calculé par un algorithme, un mélange incongru de vieilles chansons de Tin Pan Alley des années 1910 et 1920 et d’airs d’opéra. Mais après tout cela aussi a sa logique. C’était la musique populaire d’une époque plus simple et, je crois, plus aimable.

10 novembre. — Hier, trentenaire de la chute du mur, demain, cent unième anniversaire de l’armistice de 1918, les deux bornes du short twentieth century. Mais aujourd’hui, c’est une autre sorte de guerre qu’on célèbre, puisque la mahomerie organise finalement sa grande démonstration de force en plein Paris, rebaptisée « marche contre l’islamophobie ».

11 novembre. — Pas de journaux pour cause d’Armistice. J’étais curieux des réactions médiatiques à la démonstration de la mahomerie. Finalement, le soir, je découvre sur la Toile que le marchand de soupe est passé. Les médias réactionnaires se montrent plutôt moins critiques des islamistes que des partis de gauche qui les ont rejoints. La presse progressive vante des manifestants moins extrémistes que les organisateurs de la manifestation. En somme, l’extraordinaire bienveillance médiatique démontre la fausseté des accusations des islamistes. Loin d’être désignés à l’exécration publique, ceux-ci jouissent d’un droit inentamé à l’euphémisme et à la flatterie.

13 novembre. — Rêvé que ma mère, dans l’au-delà, était employée comme archiviste. Dans le rêve, l’au-delà consistait essentiellement en archives, ce qui ne paraît pas illogique puisque les archives par définition concernent les morts.

17 novembre. — Justification des militants de gauche après leur participation à la démonstration islamiste du 10 novembre (faisant exception seulement le PS et le PRG). Puisque ont défilé des « féministes » (même si ce sont des « féministes voilées »), des « antiracistes » (même si ce sont des « antiracistes » antisémites), leur faire reproche, à eux, militants de gauche, de leur participation, c’est attaquer le « féminisme », l’« antiracisme ». On se tire donc toujours d’embuche par une opération portant sur le langage, c’est-à-dire par le recours à des moyens magiques.
Cette gauche extrême – qui est aussi la gauche médiatique – ne paraît pas seulement se douter qu’en s’associant à la manifestation de la mahomerie elle a fait la démonstration que la rhétorique progressive est désormais une paraphrase de la rhétorique islamiste. Ce n’est plus le communautarisme qui parle de façon déceptive la langue tolérantielle, comme pouvait le noter il y a quinze ans un Pierre-André Taguieff, c’est désormais la gauche qui parle le langage du communautarisme, le mot même de « racisme » renvoyant désormais au concept d’« islamophobie » (alors qu’originellement, c’est ce concept artificieux d’« islamophobie » qui avait été forgé en référence au « racisme »). Les historiens expliqueront un jour comment, du socle juridique des droits de l’homme, c’est-à-dire du « droit à avoir des droits » de Hannah Arendt, on est passé en moins de trente ans au « droit illimité aux droits », selon l’excellente formule de Jean-François Colosimo, et comment l’universalité des droits de l’homme est devenu son exact inverse, le communautarisme des dradlomes, ce que résume cet ahurissant slogan d’une ethno-victimaire : « l’universalisme est excluant. »

19 novembre. — Journée à Baden. Je ne sais à quoi attribuer le bénéfice d’une journée de promenade. Il y a la fatigue qu’on s’économise, puisqu’on ne travaille pas ce jour-là, mais il y a aussi le simple plaisir de changer d’air, d’être au milieu de gens différents.
Las d’une bonne lassitude, et un peu enrhumé, car il a plu sans discontinuer, je me suis assoupi près du poêle ronflant, et j’ai entendu la conversation de mes chats, oublieux, dans le confort du sommeil, de leur vœu de silence. C’était une conversation à trois, faite de râles et de soupirs, où l’on remuait plus de pattes que d’idées.

20 novembre. — Il arrive – très rarement – que mes lectures du moment (je suis dans Barrès) se trouvent coïncider avec « l’actualité culturelle », c’est-à-dire avec la polémique et le bourrage de crâne sous prétexte culturel. Dans les pages de France Culture sur la Toile, je tombe sur ceci : « Les termes “Grand Remplacement” figurent noir sur blanc dans L’Appel au soldat, deuxième tome du Roman de l’énergie nationale, de Maurice Barrès. » Cette absurdité m’épouvante, car un régime qui, à travers ses médias culturels, ou prétendus tels, peut mentir de façon aussi éhontée fait le calcul que la population qu’il tyrannise et qu’il propagandise ne dispose plus de l’équipement cognitif qui lui permet de vérifier sur pièce. (Après tout, nul besoin, pour en avoir le cœur net, de lire le roman ; il suffit de faire sur un fichier pdf du Roman de l’énergie nationale une simple recherche des termes « Grand Remplacement ». Ils n’y sont pas.)
Il n’y a aucune possibilité que Barrès, à la tout fin du XIXe siècle, puisse produire le syntagme « Grand Remplacement ». Barrès parlera, pour dénoncer l’influence ou la présence étrangères, de « cosmopolitisme », de « rastaquouérisme ». Il emploie dans L’Appel au soldat l’image du poison et du contre-poison. (« La France veut déterger des éléments étrangers qu’elle n’a pas l’énergie d’assimiler et qui l’embarrassent jusqu’à produire en elle l’effet de poisons. ») À l’extrême, il détournera à des fins polémiques les termes d’« invasion », de « submersion », qui désignent normalement l’invasion allemande de 1815, l’invasion allemande de 1870.
Dans L’Appel au soldat, Barrès en sort d’assez lourdes, il est capable d’écrire que « des peuplades débusquent » par la vallée mosellane, « notamment les juifs », avant d’aller « se perdre plus avant dans la collectivité française ». Mais précisément ces peuplades vont se perdre, se diluer dans la masse. L’idée d’une substitution ethnique, du remplacement progressif d’une population par une autre est inconcevable pour Barrès, hors le cas très particulier de la germanisation des provinces perdues.

23 novembre. — Je reviens aux Characteristiks de Shaftesbury. Il y a là bien des idées qui ont guidé ma vie. Le néoplatonisme appliqué à l’esthétique, l’idéal de l’honnête homme amateur d’art, le virtuoso, le dialogue avec soi-même comme clé du développement, la satire (freedom of raillery) comme remède social, l’esprit (wit) comme garant du sens commun. « Wit is its own Remedy. (...) The only danger is, the laying an Embargo. » Shaftesbury écrit encore : « I can very well suppose Men may be frighted out of their Wits : but I have no apprehension they shou’d be laugh’d out of ’em. » C’est tout à fait la situation actuelle. Frighted out of their Wits ferait un excellent titre pour un essai sur le climat intellectuel qui règne en Occident.

26 novembre. — Courir avec un cœur malade est source d’enseignements curieux. Je me suis ces jours derniers risqué à l’extérieur par une température de cinq degrés, et j’ai découvert à mon grand étonnement que si je veillais à me prémunir des douleurs thoraciques par un suffisant échauffement, cette température, loin d’être un handicap, représentait au contraire un optimum du point de vue des performances. Mais aujourd’hui, la température étant soudain remontée, je me traîne, ce qui ne m’évite du reste ni la migraine ni la diarrhée.

27 novembre. — Shaftesbury parle des privilèges de l’imposture (« ’Tis only in a free Nation, such as ours, that Imposture has no Privilege »). En lisant cet auteur, je comprends que la persécution de l’humour ne correspond pas à quelque manœuvre de basse police qui serait périphérique en quelque sorte au programme politique de l’ennemi. En tant qu’elle concrétise l’interdiction générale de toute critique, interdiction qui s’inverse rapidement en flatterie obligatoire, la rétribution sanglante de la satire représente à la fois l’essence du projet ethno-victimaire et la démonstration de son incompatibilité avec une société policée.

28 novembre. — Je m’aperçois que ma remarque d’hier, qui vaut pour les terroristes, vaut aussi pour les Occidentaux d’idées avancées. La dénonciation de la satire, en tant qu’elle s’insère dans le procès fait à la littérature et aux arts – les imprécations anti-littéraires remplaçant dans le champ académique les études littéraires –, est au cœur de la commination bien-pensante. On pourrait parler, à propos de ces dénonciations savantes, d’une littérature de Commission de surveillance (en référence à la Commission de surveillance française créée par la loi du 16 juillet 1949, chargée de persécuter les éditeurs d’illustrés pour la jeunesse). Et toutes les productions académiques du type Commission de surveillance reposent en dernière analyse sur la mépréhension – le critique adoptant par défaut une attitude de soupçon maladif, ou de susceptibilité blessée, et faisant une lecture délibérément fautive, une lecture malveillante de la production littéraire. Le seul usage que l’École du Ressentiment puisse faire de la littérature et des arts est de les faire comparaître à son tribunal, raison pour laquelle le militant victimaire en appelle constamment à l’impératif de justice.

29 novembre. — Sérieuse alerte hier soir. J’étais à deux doigts d’appeler une ambulance. Finalement les douleurs angineuses se calment et je me mets au lit. Pas d’idée sur l’origine, sauf peut-être une série de problèmes informatiques le matin qui, allant s’aggravant, m’avaient mis dans les alarmes.
Ce soir, attaque terroriste au coupe-coupe, sur London Bridge, qui en avait déjà connu une semblable il y a deux ans.

30 novembre. — Journée des embêtements. Tombé en panne en allant en ville pour acheter un iPad. Laissé mon auto dans un garage et loué une voiture pour continuer mon expédition. Rentré chez moi avec l’iPad, j’ai passé la soirée à rentrer tous les codes et identifiants pour le wifi, pour le compte Apple, etc. – ce qui est pour moi, avec ma mauvaise vue, un cauchemar. Le comble : lorsqu’on se trompe dans le code qui sert à déverrouiller l’iPad, l’appareil vous annonce qu’il se met en grève pour des périodes croissantes, une minute, cinq minutes, un quart d’heure, etc., de sorte qu’on se trouve rapidement devant un équipement inutilisable.
Le terroriste de Londres présente sur les photos le regard par en dessous et l’air de méchanceté qui caractérisent son engeance, comme s’il se demandait quelle divinité maligne l’a condamné à vivre au milieu d’un population d’excréments à forme humaine. Il arbore tellement de cheveux, de barbe, de sourcils, qu’on se persuade qu’il en a acheté sur la Toile. Perquisitionné par la police anti-terroriste en 2008, arrêté en 2010 et jugé en 2012 pour la préparation d’un attentat terroriste contre la Bourse de Londres, il a été condamné d’abord, du fait de sa dangerosité, à une peine de durée indéterminée, dont il a cependant obtenu en appel la commutation en une peine de seize ans. Il a été libéré de façon automatique en 2018, ayant purgé la moitié de cette peine raccourcie, après avoir accompli l’acte administratif consistant à écrire une lettre pour demander à être intégré dans un programme de « deradicalidation » (sic). Il était sous bracelet électronique. Il a tué au sortir d’un groupe de parole, organisée par l’université de Cambridge dans le cadre de la réhabilitation de taulards, où il devait témoigner de sa « deradicalidation ».

1er décembre. — Premier dimanche de l’Avent. Marché de Noël à Heiligenhain. À l’entrée du musée, une machine à flocons. Mais elle est inutile car il tombe une fine petite neige. Couru une heure, comme tous les jours, puis rêvassé auprès du poêle.
Je crois que ma béatitude s’explique pour partie par une angoisse surmontée. À mesure qu’on se rapproche du Salon des ouvrages sur la bande dessinée, j’ai, comme à chaque occasion mondaine, le trac, mais ce trac disparaît à une semaine du jour J, tout aussi mystérieusement qu’il était apparu.
Le terroriste de London Bridge n’a pu entrer dans Londres, dont l’accès lui était interdit, que parce qu’il était invité au groupe de parole pour ex-taulards organisée par l’université de Cambridge. Il a apparemment tué un étudiant et une étudiante qui travaillaient pour ce programme. Parmi les témoins de la scène qui l’ont terrassé figuraient d’autres ex-convicts, dont certains sont des assassins. Ainsi le terroriste est un être tellement abject que même un homicide met un point d’honneur à le mettre hors d’état de nuire avec les moyens du bord, par exemple en vidant sur lui la mousse d’un extincteur.

2 décembre. — Course légère de quarante-cinq minutes. Il fait deux degrés au-dessus de zéro. Je cours sans effort particulier, à la vitesse pour moi miraculeuse de dix kilomètres à l’heure. Mais ce soir, je me sens encore plus las que d’habitude. Probable donc que cette course dans le froid soumet l’organisme à rude épreuve.

3 décembre. — Compte tenu du mouvement social contre la réforme des retraites, qui s’annonce très dur, j’ignore absolument comment je me rendrai à Paris cette fin de semaine. Mon train est supprimé. Les autocars me font arriver soit beaucoup trop tôt, au prix d’une nuit blanche, soit trop tard.

8 décembre. — Salon des ouvrages sur la bande dessinée, rubbing elbows with the haut monde. Je fais parler des spécialistes polonais sur la bande dessinée de leur pays, et des érudits français sur la nécessaire réécriture de l’histoire de la bande dessinée.

9 décembre. — Rentré sans encombre par l’unique train de ce matin. L’habituelle crise migraineuse.
Comme la Pologne était le pays invité du SOBD, j’ai ramené un ami polonais que j’aime déjà beaucoup, et qui s’appelle le professeur Filutek. C’est le personnage d’un strip muet de Lengren, entre le professeur Nimbus d’André Daix et le professeur Pi de Bob van den Born.

10 décembre. — Toujours migraineux. Ma mère m’avait raconté que, lorsque j’étais bébé, on avait eu l’idée lamentable de m’emmener en auto pour des vacances, et qu’il avait fallu faire escale et se mettre en quête d’un médecin, tant j’étais vert. Je crois que ce mal des transports, un peu déguisé, m’a accompagné toute ma vie, et qu’il se manifeste aujourd’hui rétrospectivement, sous la forme de ces migraines. Celle-ci est carabinée, puisqu’elle me tient depuis quarante-huit heures. Hier j’étais agraphe. Aujourd’hui je suis aveuglé par les fortifications et les scintillements.

13 décembre. — Normalisation de la langue journalistique : « Un déséquilibré francilien est mort jeudi après son interpellation par la police. » Loin d’amener l’inférence que l’auteur de l’attaque est irresponsable, qu’on n’est point par conséquent devant une frappe terroriste, ce mot de « déséquilibré » est devenu la désignation conventionnelle d’un exalté mahométan agissant seul.
Shakeshafte. Revu Much Ado About Nothing, production de la BBC de 1984. Cela m’a fait rêver à ce que devaient être, avec ce qu’ils impliquent chez les acteurs de complicité et de feintise, les rôles de Benedick et de Beatrice joués à la fin de l’époque victorienne par Henry Irving et Ellen Terry.

14 décembre. — Je lis dans le Piltdown Progressive les lamentations consécutives à la débandade électorale du Labour, passé à l’islamisme et à l’antisémitisme.
La presse populaire rend un tout autre son. « It’s not our party any more. Same label, different bottle », soupiraient paraît-il les prolétaires des Midlands en allant voter la mort dans l’âme pour les Conservateurs.

15 décembre. — Dans le Piltdown Progressive, explications de M. Corbyn, dont la rigidité doctrinale, la sympathie affichée pour le terrorisme et le refus ferme de s’ouvrir à la critique ont valu à son parti la déconfiture. Ce monsieur est très content de lui, car il a énormément gonflé les adhésions au Labour (il a rempli le parti de militants de la mouvance progressive, qui ne s’intéressent qu’aux « transgenres » et à « l’islamophobie »). S’il a perdu les élections, c’est selon lui à cause de l’hostilité de la presse, dominée par les « puissances d’argent » (comprendre : par les juifs).
Autres idéologues « hors-sol ». À Toulouse, des « antifa » ont attaqué une crèche vivante, aux cris de « fachos ». Des militants agressent des familles, des enfants, et jusqu’aux bêtes qui étaient venues jouer leur propre rôle dans la Nativité, parce que le bagage doctrinal de ces militants comporte la calomnie répandue par les médias pendant la bataille du « mariage pour tous » : les catholiques représentent « l’extrême droite ». Les  « antifascistes », c’est-à-dire les fascistes rouges, ne se réclament plus du stalinisme, ni du maoïsme, ni du polpotisme, mais du journalisme. Il y a ici matière à réflexions.

17 décembre. — Qu’est-ce qui me pousse, à l’approche du solstice d'hiver, à m’intéresser à l’occulte ? Sans doute ce qui poussait les Victoriens à se délecter de ghost stories. Je me replonge en tout cas dans les curieux ouvrages du démonologue Montague Summers.
Dans The History of Witchcraft and Demonology (1926), puis dans A Popular History of Witches (1937), Summers se collette avec Margaret Murray (The Witch-Cult in Western Europe, 1921), qui, sous l’influence du Rameau d’or de Frazer, voyait dans la sorcellerie la survivance d’un culte antique dont le prêtre divin se sacrifiait volontairement (les sorciers condamnés au bûcher consentaient donc à leur propre destruction). Summers relève – à juste titre – que cette thèse apparaît complètement forcée (elle est aujourd’hui totalement discréditée). Cependant Summers ne fait qu’embrouiller la question, puisqu’il plaide quant à lui pour l’existence d’un culte satanique remontant à la nuit des temps, et qui s’étend sur la planète entière. Voulant démontrer le caractère universel de ce culte, Summers cherche à établir en particulier que les sorcières anglaises signaient un pacte avec le diable et qu’elles allaient au sabbat (or les archives judiciaires anglaises sont décevantes sur ces deux points). Summers, qui procède par accumulation de données, gauchit celles-ci de façon opportuniste, en recourant à des exemples médiévaux d’interprétation difficile, en glissant opportunément des exemples écossais ou provenus des Channel Islands, ou en surinterprétant ses données, tout endroit où l’on se retrouve entre sorcières devenant un sabbath ou un coven, à commencer par la Malkin Tower des sorcières du Lancashire, alors qu’on ne trouve ni coven ni sabbath dans les interrogatoires menés par Thomas Potts, publiés sous le titre The Wonderful Discovery of Witches in the County of Lancaster (1613), et dont Ainsworth a tiré son roman The Lancashire Witches (1848). Le Hellfire Club, le club de débauchés de Francis Dashwood, est décrit quant à lui comme pratiquant des messes noires, ce qui ferait du peintre William Hogarth, ami de Dashwood, du publiciste John Wilkes, et même de Benjamin Franklin, des satanistes.
La thèse principale de Summers est que la sorcellerie est essentiellement une parodie diabolique de la religion chrétienne. Mais, ici encore, Summers est trop bon juriste pour ne pas relever que la sorcellerie n’a jamais été réprimée en tant qu’hérésie en Angleterre (il en allait autrement en Écosse). Les sorciers étaient poursuivis en tant que criminels, du fait de leurs atteintes aux personnes et aux biens. Ils étaient pendus, et non livrés au bûcher.
Montague Summers est un auteur capital, mais sa postérité se situe dans le domaine littéraire, et non en anthropologie. L’œuvre de Lovecraft en trahit l’influence évidente, et toute l’école de Weird Tales, illustrateurs compris.

18 décembre. — Ayant écrit l’entrée d’hier, j’ai eu l’idée de consulter l’entrée Witches’ Sabbath sur l’Encyclopédie des crétins. Il est impossible de rien imaginer de plus confus, de plus décousu, de plus illogique – ni de plus idéologique, puisque l’entrée est entièrement rédigée en style victimaire. Le plus inquiétant est que n’importe qui, recopiant n’importe quoi, produise impunément ce qui, aux yeux de tous, passe pour une connaissance encyclopédique. Le dernier des jocrisses devient une sorte d’arbitre du savoir, en décidant par le hasard de ses recopiages de la physionomie que prend une entrée.
Oublié de noter, dans le quotidien « catholique de gauche » Le Carreau de l’enfer (dont le sous-titre est naturellement Le Pavé de bonnes intentions), un article d’un ton pincé sur une visite du ministre de l’Intérieur saoudien, qui est aussi le secrétaire de la Ligue islamique mondiale, demanderesse lors du procès intenté en 2006 à Charlie Hebdo. Ce monsieur, soudain converti à l’œcuménisme, a reçu la lumière de Noël dans une église de Rouen et est venu la porter lui-même, en compagnie d’un petit scout, dans l’église du prêtre martyrisé en 2016. Je vois une possible explication du revirement du cheikh saoudien dans les propos du premier ministre de Malaisie, Mahathir bin Mohamad, un fringant jeune homme de 94 ans, à l’occasion d’un forum islamique qu’il a organisé : « We have lost the respect of the world. » Le constat d’un fiasco. Pour une civilisation qui reste si inexplicablement persuadée de sa supériorité, ce ne doit pas être un constat bien agréable.
Les réactions islamiques aux réactions aux attentats étaient a marvel of inept rancor, un chef-d’œuvre de rancœur et d’ineptie, la mahomerie s’étant persuadée qu’elle pouvait dénier à l’opinion planétaire la faculté de s’indigner des atrocités mahométanes. La traduction de l’interdit dans les termes de l’« antiracisme » ajoutait à la rancœur et à l’ineptie une touche de grotesque. Quelle probabilité y avait-il que des Occidentaux massacrés dans leur propre pays par des immigrés de la deuxième ou de la troisième génération en tirassent la conclusion que leurs bourreaux étaient certainement en butte au « racisme » ?

19 décembre. — Deux heures de démonologie, deux heures de grec, deux heures de Barrès. Voici à peu près le menu de tous les jours.

20 décembre. — J’arrive au bout du Roman de l’énergie nationale de Barrès. Les Déracinés (1897) présente une situation habituelle dans les romans à thèse : le roman est meilleur que la thèse, c’est-à-dire que la démonstration de Barrès sur le « déracinement » (l’endoctrinement philosophique sur la base du kantisme aurait fondamentalement perverti des jeunes Lorrains) et le « racinement » (le retour au « terrianisme » comme l’appelle Barrès) ne démontre rien. Ceux des protagonistes qui deviennent des criminels le deviennent à cause de l’inégalité de classe (ils sont tombés dans la misère la plus abjecte), ce qui n’empêche nullement Barrès de titrer un chapitre : « Déraciné, décapité. »
L’Appel au soldat (1900) est intéressant comme récit de l’aventure boulangiste, et comme portrait d’un jeune homme – le représentant de Barrès dans le roman – idéaliste et fasciné par l’autoritarisme.
Leurs figures (1902) est bâti à partir d’articles de presse – pas toujours ceux de Barrès – et vaut comme une esquisse fiévreusement tracée de l’affaire de Panama, et comme une galerie de portraits des  « chéquards ». C’est Carnet de chèques de Caran d’Ache (1892), mis en roman, dix ans plus tard.
Si tout ceci garde un intérêt, cet intérêt tient précisément dans ceci que Barrès a réussi à faire du tout, en dépit de tous les passages théorisants, un roman, de sorte qu’il nous procure une expérience vicariale, et qu’il nous donne sur le monde un point de vue qui n’est pas le nôtre, ce qui est après tout la fonction de la fiction – et qu’un romancier réactionnaire contemporain (je pense évidemment à l’œuvre d’un Houellebecq) est parfaitement incapable de nous fournir. J’ajoute que tout cela est d’autant moins « à thèse » que la position du personnage focal par rapport aux événements est celle du désenchantement – il joue et perd, en politique comme en amour –, et que la position de l’auteur par rapport aux institutions, au parlementarisme en particulier, est loin d’être claire. Finalement, la thèse elle-même du « racinement », quand elle est réaffirmée, ajoute seulement un glacis sur des couleurs vivement contrastées.

22 décembre. — Heiligenhain, marché de Noël. Tout le centre-ville est bouclé et ressemble, les ruines en moins, aux photos de l’Allemagne occupée, en 1945.
Un énergumène qui aurait proféré des « menaces » a été arrêté sur le marché de Noël de Nice, qui a été évacué par précaution. Deux Syriens au comportement suspect ont été arrêtés sur le marché de Noël de la Breitscheidplatz à Berlin, qui a été évacué également. La peur est celle d’une réplique d’attentat sur des lieux déjà frappés, dont l’impact serait énorme, puisque la mahomerie dirait : « Voyez, vos précautions ne vous servent à rien. Nous frappons où nous voulons, quand nous voulons. »
Situation extraordinaire. Chacun retient son souffle. Mais ce qui est perdu est perdu à jamais et les chrétiens d’Occident sont désormais dans la même situation que leurs frères d’Orient. S’ils peuvent fêter Noël en paix, c’est par la complaisance de leurs nouveaux maîtres, qui sont susceptibles cependant à chaque moment de perdre patience et, gonflés d’une pieuse indignation, de sévir contre les associateurs.
Dans cette nouvelle guerre de religion, l’iconoclasme occupe une position focale. Le danger est le plus grand pour les lieux ou les objets les plus iconiques, parce que leur destruction est elle-même, médiatiquement, la plus frappante des icônes. La tour Eiffel et la Joconde sont enfermées dans un vitrage à l’épreuve des bombes.

24 décembre. — Messe de minuit à Heiligenhain. En sortant, vers deux heures du matin, je constate que les gendarmes ont garé leurs véhicules devant l’entrée de l’abbatiale et sont lourdement armés. Sans doute les grandes oreilles du Renseignement ont-elle tinté. Le message adressé à MM. les terroristes est donc : « Certes vous pouvez vous inviter à la fête avec une kalachnikov (très facile à obtenir dans les « cités »), mais il y a de fortes probabilités que vous soyez abattu dans les premières secondes. » C’est évidemment toute la différence avec les pays musulmans, où les héroïques forces de l’ordre apparaissent au bout d’une demi-heure.

25 décembre. — « Il me faut un sauveur qui fasse honte aux superbes, écrit Bossuet, (...) qui brave pour ainsi dire, par sa généreuse pauvreté, nos vanités ridicules. » Voilà la civilisation chrétienne in a nutshell, la civilisation dans laquelle les puissants savent que l’ordre secret du monde est inverse à son ordre apparent. Outôs esontai oi eschatoi prôtoi, kai oi prôtoi eschatoi (Mat. 20, 16). Cela est si profondément inscrit en nous que nous ne comprenons plus les autres civilisations, à commencer par la civilisation rivale installée au milieu de la nôtre, où la puissance ne signifie qu’elle-même, où la victoire du plus cruel et du plus vicieux est elle-même l’accomplissement du plan prophétique.
Voilà dix ans que je suis chrétien, et depuis dix ans j’explore le monde, et je m’explore moi-même, dans mes nouveaux contours, comme on explore une cité merveilleuse que l’on a découverte par un hasard miraculeux. Et la chose extraordinaire : c’est le même monde, c’est la même vie, examinés des deux côtés.

28 décembre. — Je découvre l’excellente expression « émeutiers en ligne » (online rioters). Je crois qu’il y a quelque chose d’inédit, et d’uniquement pervers, dans le dégueuloir internétique, qui est très loin de n’être, comme je l’avais cru d’abord, qu’une version collective et high tech du graffito de vespasiennes. Le mal a trouvé ici un nouveau débouché.
Parlant des terroristes, on a beaucoup insisté sur leur recrutement dans la pègre et chez les psychotiques – en interprétant par une incroyable perversité d’esprit la sur-représentation de l’une et l’autre de ces catégories sociales comme la preuve de l’innocuité foncière à la fois des intéressés et du culte au nom duquel ils frappaient. Par contre on n’a relevé le recrutement des jihadistes sur les réseaux que comme l’utilisation opportuniste d’un outil fort commode, puisqu’il est dématérialisé et qu’il permet une communication instantanée et discrète à travers la planète. Mais je crois que les jihadistes, comme les autres groupes d’émeutiers en ligne, opèrent non en réseau, mais en essaim. Leur fonctionnement cognitif relève de l’eusocialité, de l’âme collective des insectes sociaux, le génocide, le massacre des étrangers à la ruche, étant précisément un rituel de l’eusocialité. Je repense à ces femmes jihadistes (attentat raté aux bonbonnes de gaz, en face de Notre-Dame) qui n’étaient, elles, ni délinquantes, ni dérangées, et qui s’entre-recrutaient en se faisant passer pour des hommes. Pourquoi ces femmes apparemment paisibles voulaient-elles tuer de façon atroce leurs compatriotes ? L’explication fournie (le choc des images, regardées en boucle sur les sites jihadistes, des enfants martyrisés par la guerre au Levant) était contradictoire, puisque les images clandestines massivement consommées par les intéressées étaient indifféremment celles des enfants victimes et celles des atrocités commises par le Califat. Autrement dit, ce qui déterminait ces malheureuses à commettre des atrocités était précisément l’imagerie d’atrocités. Il n’y avait en réalité, dans cette imagerie califale, aucun appel ni à l’intelligence, ni au cœur. Elle n’était pas un message, mais un signal.

29 décembre. — La presse dénonce Renaud Camus et son « Grand Remplacement » avec une virulence redoublée. J’ai relevé : « le logo de l’homme blanc en colère » ; « idéologie meurtrière » ; « la menace du terrorisme d’extrême droite. »
Il me semble que si cette notion de « Grand Remplacement » excite tant les médias c’est précisément parce que Camus parle le langage des médias. L’envoyé spécial du New Yorker (article du 4 décembre 2017) paraphrasait la description par Camus de la contre-colonisation comme « an extinction-level event ». Or la presse à épluchures a précisément tendance à annoncer la fin du monde toutes les demi-heures (« A skyscraper-sized rock will skim Earth in less than one hour »).

Camus parle aussi le langage des intellectuels, parce que le phénomène lui-même du remplacement lui importe davantage que l’identité quelconque des « remplaçants ». En l’occurrence, c’est l’islam qui remplace, puisque ce qui entoure l’Europe, en un vaste arc qui va de la Mauritanie au Kazakhstan, c’est le monde musulman. Mais pour Camus, cela n’a pas de signification particulière : l’important est la structure abstraite, et non tel aspect concret que prend la réalité. Dans ce que Camus appelle « le remplacisme global », cette structure est devenue infiniment élastique, et n’importe quel élément permute librement avec n’importe quel autre. C’est ce qui amène Camus à décrire une perte de consistance généralisée (le « Nutella humain », l’humanité indifférenciée, qu’on peut tartiner comme une pâte), description paradoxale, au moment où jouent à plein les rivalités ethno-religieuses.
Sur le fond de l’affaire, ce qui me frappe est la vanité de la querelle, comme si chacun jouait un rôle, alors que la leçon des historiens est déjà comme inscrite dans les événements. « Il y a eu, écriront les historiens du futur, un peuplement très rapide de l’Europe par des immigrants venus du monde musulman et par leurs descendants. Mais cette Europe colonisée était déjà décadente... » Et on donnera les particularités de cette décadence.
Je crois qu’on aura fait un grand pas quand, au lieu d’analyser le phénomène migratoire du point de vue de la polémologie, donc en termes d’invasion, de remplacement, etc., on arrivera à examiner lucidement, tout au rebours, les erreurs de l’irénisme, et notre prétendue « charité » – bien dangereuse pour nous-mêmes. Là est le véritable point aveugle.

Vers le Journal 2020