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Extraits du journal de Harry Morgan 2013
JOURNAL 2013. La manifestation du 13 janvier. - L'accusation d'homophobie. - Les canaux de Mars existent. - La manifestation du 24 mars. - Le défilé du 4 mai. - Toujours le mariage gay. - Violences symboliques et imagerie. - La manifestation du 26 mai. - L'école lombarde. - Monuments londoniens.
13 janvier. À Paris pour la manifestation contre le mariage homosexuel. Je n’accorde aucun crédit à la famille en tant qu’institution et je suis libéral en matière de mœurs. On peut sans me choquer beaucoup accorder à tout un chacun la faculté de déshériter ses enfants au profit de son pékinois ou de se mette en couple avec son propre grand-père. Mais ce qui me fait me déplacer est la volonté du régime de détruire nos structures juridiques et sociales une à une, pour achever l’oblitération civilisationnelle, au nom de la bêtise et de la revendication. Cela et ma vieille détestation des trafiquants de chair humaine, car, derrière la prétendue avancée sociale sous prétexte d’égalité, on prépare l’adoption par des couples du même sexe et la gestation pour autrui, autrement dit le trafic d’enfants.
J’étais dans le cortège des régions. Familles avec poussettes, élus en écharpes. Chez les messieurs d’âge mûr, tweed à carreau et casquettes de chasse. Rien de caricaturalement catholique, pas de curés en soutane, pas de jupes plissées ou de serre-têtes, mais plutôt la province, celle qui n’a pas changé depuis Vieille France (1933) de Roger Martin du Gard, qui ne désire pas de changer et qui, je l’espère, ne changera pas.
J’ai beaucoup plus attendu que je n’ai marché, compte tenu de l’afflux dans les trois cortèges de manifestants. Des comptages internes nous apprennent successivement que nous sommes cinq cent mille, puis huit cent mille (à dix-sept heures). Quand j’arrive enfin au Champ de Mars, après cinq heures de piétinement, j’apprends que les cars continuent à déverser les arrivants place d’Italie.
Le soir, stupéfaction, les médias semi-officiels du régime mentent, et mentent comme des imbéciles. Nous aurions été trois cent cinquante mille (en réalité, on a presque certainement dépassé le million). Le Monde a l’incroyable toupet de titrer « une mobilisation en hausse », en comparant les chiffres à ceux de la précédente manifestation, du 17 novembre, qui avait réuni 70 000 manifestants. Comme si un chiffre multiplié par douze ou par quinze pouvait s’interpréter comme une simple « hausse ». Titraille soviétique. Du reste, il ne s’agit que d’amortir la mauvaise nouvelle qu’est cette manifestation monstre. On finira évidemment par prendre la mesure du phénomène, et en parlera alors de la manifestation de 2013, comme on parle de la manifestation de 1984 en faveur de l’école libre.
Scandaleux propos de Harlem Désir, président du Parti socialiste, parlant d’une manifestation qui aurait été « l'occasion pour la droite et l'extrême droite de réaliser une alliance de fait en se retrouvant sous un même mot d'ordre d'intolérance ». On se demande bien où est l’alliance, puisque le Front National n’a pas appelé officiellement à manifester, et que sa présidente, madame Le Pen, n’a pas jugé utile de se déranger à titre personnel. On se demande où est l’intolérance, puisqu’on a pris un soin extrême pour écarter tout propos, toute image, qui pût être interprétée comme de l’« homophobie », fût-ce par le plus sourcilleux des « militants » gay, c’est-à-dire des indignés par vocation. L’intolérance, c’est donc l’intolérance vis-à-vis des décisions du régime, autrement dit c’est l’opposition politique, que monsieur Désir considère évidemment comme un crime. Mais on n’accuse pas impunément de dérives fascisantes une foule immense composée de personnes qui, justement, ne manifestent jamais vieilles dames, enfants sages et jeunes mamans à poussettes. L’apparatchik issu du mouvement associatif se dévoile ici, et il dévoile aussi rétrospectivement ce qu’était son idéologie frelatée de « l’antiracisme ».
Ce soir, le palais annonce qu’il ne retirera pas sa législation, puisque le mariage homosexuel figurait dans son programme. L’élection de M Hollande valait donc plébiscite. Je ne me trompais pas dans ce journal, en voyant dans l’actuel régime une sorte de bolchévisme ou de sans-culottisme.
16 janvier. « Vous êtes homophobe. » L’accusation de rétorsion qui, dans les médias, structure aujourd’hui tout débat, quel qu’en soit le sujet, a l’immense intérêt de répondre à tout, puisque tout rappel d’une vérité désagréable se trouve ipso facto criminalisé (ainsi, rappeler qu’un couple homosexuel ne peut pas faire d’enfants reviendrait à « affirmer la primauté du biologique », et on laisse entendre que de là aux sympathies nazies, il n’y a pas loin). Seulement un argument qui répond à tout est un argument qui ne répond à rien. L’accusation d’homophobie vaut donc exactement ce que valait l’accusation d’être contre-révolutionnaire pendant la Terreur, ou l’accusation de menées anti-soviétiques pendant les grandes purges staliniennes.
Cette accusation de rétorsion est d’ailleurs elle-même d’une brutalité inimaginable. Ainsi, ce que j’ai fait dimanche (participer à un défilé pacifique, au milieu de familles) constituerait d’après le think tank du parti socialiste, Terra Nova, une « violence homophobe ». Exactement comme si, fort de notre million, nous étions allés « casser du pédé ».
Quant à l’argument de « l’égalité » (« le mariage pour tous »), il se ramène à une sorte de « pourquoi pas » (pourquoi les homosexuels n’auraient-ils pas le droit de se marier ou d’adopter ?). Le danger ici est qu’on peut tout exiger au nom de l’égalité. « Profondément “hétérocentré”, notre système juridique devrait évoluer vers un modèle garantissant une réelle égalité », écrit Terra Nova. C’est, à la lettre, l’argument des musulmans qui notent que notre corpus juridique reste informé par le christianisme et qu’il est donc devenu « indirectement discriminatoire », pour reprendre l’expression de Dounia Bouzar, qui réclame par exemple, au nom de l’égalité, la généralisation de la viande halal dans les cantine scolaires.
L’argument de l’égalité est en vérité si fragile qu’il n’est jamais avancé seul, mais s’accompagne toujours d’une déploration victimaire (« SOS Homophobie, au mois de décembre, a vu ses appels augmenter de pas moins de 300 % », écrit Terra Nova). Et il va de soi qu’y répondre comme je viens de le faire, en disant qu’il justifie tout, qu’il permet tout, constitue une « dérive » ou une nouvelle « violence ».
26 février. Rapport du contrôleur général des prisons. M. Delarue explique qu’il souhaite voir sa juridiction étendue aux maisons de retraite, puisque chacun sait que les vieilles dames souffrant de la maladie d’Alzheimer y sont séquestrées par les soignants. Au lieu de conclure raisonnablement que M. Delarue est maboul (ce que des esprits subtils avaient pu déduire déjà de son activisme en faveur de l’amnistie des taulards), les journalistes répètent comme des perroquets qu’une maison de retraite est après tout un « lieu de privation de liberté », et c’est à peine si l’on entend les protestations des professionnels du secteur, atterrés d’être soudain désignés à la vindicte publique comme les geôliers de sortes de pénitenciers privés et semi-clandestins.
Une dame Florence Arnaiz-Maumé, présidente du principal syndicat professionnel des maisons de retraite, dénonce « la violence de l’amalgame » entre maisons de retraite et prison. La formule est heureuse. C’est en effet l’une des caractéristiques de l’actuel régime que cette utilisation systématique, contre des innocents, de l’arme de la calomnie.
27 février. Dernière catéchèse de Benoît XVI, qui renonce à 86 ans à la charge pontificale. Et par une ironie du destin, ce même jour, mort, à 95 ans, de Stéphane Hessel, auteur du médiocre pamphlet Indignez-vous. L’engouement médiatique pour ce grand vieillard quelque peu narcissique et quelque peu mythomane, mais qui du point de vue d’un journaliste représentait un providentiel encore qu’anachronique parangon un résistant de 1944 qui serait pro-Hamas , révèle ce qu’est cette moderne idéologie de la bien-pensance. Elle est un gâtisme, une bêtise satisfaite d’elle-même. France Culture diffuse en boucle, comme si c’étaient des paroles de génie, un passage où Hessel explique qu’il faut s’indigner, mais pas contre n’importe qui (c’est-à-dire pas contre un gouvernement socialiste). Déjà une pétition circule dans les milieux politiques de gauche pour réclamer que « l’indignation » soit accueillie au Panthéon.
Demain soir, Benoît XVI, cet intellectuel modeste qui ne s’est jamais pris pour un pape, abandonnera sa charge, et l’Église ne s’en portera ni mieux ni plus mal. Mais avec la disparition de Stéphane Hessel, les bien-pensants ont réellement tout perdu. Après tout, ayant fait le choix de la logique médiatique, ces gens sont astreints au temps médiatique. Leur culte aura duré deux ans et demi. Le cérémonial aura consisté en tout et pour tout à donner un million de fois une pièce de deux euros pour acheter une ineptie lue en dix minutes ce doit être à peu près le produit de la quête dominicale dans un pays « déchristianisé » comme la France. Si les thuriféraires de M. Hessel ne parviennent pas à diviniser « l’indignation » en couchant le grand homme au Panthéon, et en contraignant les enfants des écoles à s’y rendre en procession, tout indique que le culte s’éteindra avec lui.