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notes pour
Le Livre des escrocs
des faussaires et des plagiaires
avec plusieurs imposteurs, mythomanes, simulateurs et autres charlatans
et quelques jobards
ABANKWA (Regina DANSON, dite Adelaide). Arrivée aux Etats-Unis en 1997 avec un passeport grossièrement truqué, Adelaide Abankwa passa deux années en centre de rétention aux Etats-Unis, pendant que sa demande d'asile politique faisait le tour du système judiciaire américain. Abankwa fondait sa demande d'asile sur le fait que si elle retournait dans son pays, le Ghana, elle serait victime de mutilations génitales. Elle gagna à sa cause les grands noms du féminisme américain (Gloria Steinem), de Hollywood (Julia Roberts, Vanessa Redgrave), et de la politique (Hillary Clinton). Après deux jugements en sa défaveur, elle obtint finalement l'asile politique, par décision d'un tribunal fédéral. Le service de l'immigration et le Washington Post découvrirent alors simultanément qu'Adelaide Abankwa était une imposteuse. Elle était bien ghanéenne, mais s'appelait en réalité Regina Danson, et avait travaillé dans un hôtel.
A mieux y regarder, les deux juges qui avaient successivement ordonné l'expulsion de la Guanéenne n'avaient peut-être pas absolument tort, la prétendue Adelaide Abankwa racontant une histoire plus proche d'un roman de Rider Haggard ou d'un comic book de Sheena, reine de la jungle, que d'un documentaire ethnographique de Jean Rouch ! Abankwa racontait qu'elle était fille de la reine-mère (?) de sa tribu. A la mort de sa mère, en 1996, elle-même était devenue reine-mère ipso-facto. Mais pareille fonction supposait une virginité intacte. Or Abankwa n'était plus vierge. La punition de ce manquement, selon les antiques lois de la tribu, aurait été l'ablation du clitoris et des grandes lèvres.
L'enquête révéla que la mère de Regina Danson était vivante, et qu'elle n'était pas reine-mère, sa tribu ne pratiquant du reste pas la gynécocratie. Par ailleurs on ne pratique pas les mutilations génitales dans cette région du Ghana. Et de toute manière il n'existe pas d'endroit sur la planète où les mutilations génitales punissent la perte de la virginité. (Les sociétés qui punissent la perte de virginité la punissent généralement par l'assassinat de la contrevenante.) On avait tout simplement confondu un problème juridique (le droit d'asile) et un problème social (les mutilations génitales) avec des élucubrations post-féministes sur la « castration » des femmes par le pouvoir patriarcal.
Voir aussi CARABOO.
AMBROSE (Stephen). Historien à l'université de Pennsylvanie. Copia des paragraphes de son collègue Thomas Childer (The Wings of Morning, 1995), dans son propre ouvrage, The Wild Blue. (Les deux livres sont consacrées aux pilotes de bombardiers américains pendant la seconde guerre mondiale.) Après une première carrière normale, l'historien s'était mis à partie de 1994 à écrire des best-sellers à une vitesse accélérée, ce qui peut expliquer un soin rudimentaire apporté à leur confection.
BA (Omar). Le Sénégalais Omar Ba publia deux ouvrages sur la dure condition d’immigré clandestin en Europe (Soif d'Europe : Témoignage d'un clandestin, Editions du Cygne, 2008, et Je suis venu, j'ai vu, je n'y crois plus, Max Milo Editions, 2009) et fit le tour des médias francophones, où il peignait de façon pathétique les vicissitudes des clandestins, les traversées de l'océan sur de frêles esquifs, la chaleur et le caractère sablonneux du Sahara, l'horreur administrative des centres de rétention, cet autre enfer, froid et neigeux, celui-là, qu’est la rue. À noter que le deuxième ouvrage de Ba concluait que le jeu n’en valait pas la chandelle et adressait une mise en garde aux candidats à l’émigration (« Ne venez pas ! »), ce qui permettait à l’auteur de se vendre aussi aux médias mal-pensants.
Finalement, les compatriotes de l’imaginatif Omar trouvèrent qu’il en faisait un peu trop et qu’il gâchait le métier. On nous informa donc charitablement qu’Omar Ba, pendant les années de sa supposée émigration clandestine, de 2001 à 2003, était étudiant en sociologie à l'université Gaston-Berger, à Saint-Louis du Sénégal. Sa présence en France à partir de 2003 s’expliquait très naturellement par le fait qu’il était étudiant (dûment muni d'un visa idoine) à l’université de Saint-Etienne. En 2005, il était inscrit à l’EHESS, où on le vit assez peu, à telle enseigne que sa directrice d’études mit fin à leur relations pour absentéisme chronique. Par contre, Omar Ba avait, pendant son séjour (régulier) en France, multiplié les incartades, le parquet d’Evry comme celui de Créteil conservant sur lui des dossiers assez épais. Comme le déclarait dans Le Monde du 8 juillet 2009, qui dénonçait la supercherie, un compatriote d'Omar Ba, Abdoul Aziz Sow : « Il est libre d'écrire ce qu'il veut, de faire gober des histoires aux Toubabs (Blancs), mais il n'a pas le droit de raconter des choses qu'il n'a pas vécues. »
Détail qui ne trompe pas, Omar Ba, lorsqu'il détaillait ses souffrances à des journalistes en tête à tête, ou lorsqu'il parlait à la télévision, était fréquemment au bord des larmes. Voir WILKOMIRSKI (Bruno Dössekker, dit Binjamin).
BENVENISTE (Jacques). Le 30 juin 1988, le Dr Benveniste et son équipe publièrent dans Nature une étude qui établissait apparemment que l'homéopathie a des bases scientifiques. Une eau qui avait contenu un principe actif continuait à agir, à condition qu'on ait pensé à l'agiter, même quand ce principe avait été trop dilué pour être encore présent. Dans des expériences ultérieures, des dilutions très importantes d'histamine continuaient à influer sur le débit d'artères coronariennes de cobayes. Si elle fit très plaisir aux actionnaires de laboratoires d'homéopathie, la découverte de la « mémoire de l'eau » ne fut jamais confirmée ailleurs que chez Benveniste. Comme souvent en pareil cas, les très jolis résultats étaient liés à la présence d'une secrétaire modèle, vivant secrètement dans l'adulation de son grand homme.
BLAIR (Jayson). L'affaire Jayson Blair secoua le quotidien de l'intelligentsia américaine, le New York Times, en 2003. Pendant plus de quatre ans, un jeune reporter noir polytoxicomane avait écrit 600 articles, tous plus ou moins bidonnés. Il « couvrit » ainsi, sans sortir de chez lui, la vague d'assassinats par les deux snipers du Maryland et interviewa dans sa tête les familles des soldats américains qui se battaient en Irak. Blair avait été réprimandé en 2002, mais il promit de faire plus attention et fut promu. Après sa démission du Times, Blair ne manqua pas d'écrire son livre de souvenirs. L'étoile du journalisme « intégré » y apparut comme un individu narcissique et âpre au gain, dont la défense pouvait se résumer en quatre mots : je suis un incompris.
BLONDES. En septembre 2002, l'organisation mondiale de la santé découvrit que la blondeur des cheveux était due à un caractère récessif et que les blondes allaient disparaître en deux siècles. Les médias britanniques puis américains répercutèrent l'information, avant de se rendre compte qu'il s'agissait d'un hoax. L'OMS n'a jamais conduit d'enquête sur la blondeur et n'a pas de doctrine officielle sur la postérité des blondes.
BLONDLOT (René). En 1903, René Blondlot, de la faculté des sciences de Nancy, découvrit en expérimentant sur les rayons X, que venait de découvrir Röntgen, de nouveaux rayons qu'il baptisa rayons N, en hommage à sa ville. Tout le monde s'en mêla, à Nancy, mais aussi à Lyon et jusqu'à Paris, et les communications sur les rayons N plurent. En 1904, Blondlot fut couronné par l'académie des sciences pour l'ensemble de son uvre. C'est le physicien américain Wood qui démontra la supercherie en 1904-1905. Les rayon N n'étaient plus que la folie passagère d'un mandarin universitaire, travaillé par l'esprit revanchard (il fallait faire pièce aux rayons X, invention boche), entouré d'une cour de sycophantes à Nancy et en correspondance avec des nulités à Paris (dont le physicien Becquerel, fils d'Henri Becquerel, inventeur de la radioactivité, et qui devait naturellement sa brillante carrière aux relations de papa).
CARABOO (Mary Baker, dite princesse). Elle débarqua le soir du jeudi 3 avril 1817 dans un cottage du village d'Almondsbury. Recueillie par un magistrat, Mr Worrall, et sa femme, elle expliqua par gestes, et à l'aide de gravures, qu'elle avait été déposée par un navire sur les côtes anglaises. On tira d'elle son nom : Caraboo. On finit par trouver un Portugais qui comprenait sa langue. Il se découvrit qu'elle était princesse de sang, capturée pour des raisons obscures par des pirates, dans son île de Jevasu, Indes orientales. Caraboo devint la coqueluche de Bath, station à la mode. Finalement, une logeuse lut un article sur la princesse dans une gazette et vint la voir, parce que Caraboo lui rappelait une demoiselle de moeurs légère qu'elle avait autrefois logée. Apercevant la matrone, Caraboo fondit en larmes et avoua qu'elle s'appelait Mary Baker et qu'elle avait inventé tout l'affaire pour se rendre intéressante. Par charité, Mrs Worrall organisa son passage vers l'Amérique. (Pour plus de détails, voir Les Excentriques anglais.)
CASTANEDA (Carlos.) En 1968, un obscur étudiant en anthropologie, accéda instantanément à la célébrité en publiant The Teachings of Don Juan : A Yaqui Way of Knowledge. Carlos Castaneda prétendait avoir rencontré le sorcier yaqui Don Juan Matus à un arrêt de bus à Nogales, Arizona, en 1960. Suivirent neuf autres livres sur les pratiques méditatives yaqui, qui lancèrent en grande partie la vogue du New-Age et se vendirent à huit millions d'exemplaires.Tout porte à croire que le fameux sorcier yaqui n'a jamais existé ailleurs que dans l'imagination du grand homme. Selon l'ex-femme de Castaneda, son nom a été inspiré par le Mateus, un vin portugais très apprécié de l'auteur. Notons que la plupart des détails biographiques de Castaneda sont sujets à caution, l'écrivain ayant délibérément recherché l'anonymat. Sa mort, en 1998, est tout aussi mystérieuse, Castaneda étant à ce moment-là aux mains d'une secte qui s'était constituée autour de lui.
CAYCE (Edgar). Chiropracteur et médium américain. C'est probablement le plus nul et le plus inconsistant des innombrables guérisseurs « psychiques » et celui dont la célébrité se justifie le moins. Loin de retomber, son incompréhensible popularité est, au début du 21e siècle, à son sommet, grâce à la vogue du New-Age. Cayce s'écroulait en transe sur un canapé, « voyait » ses malades à distance, et débitait des sornettes sur des lésions de la moelle épinière, avec l'appui technique d'un osthéopathe, assis au pied de son lit de repos. Ses remèdes étaient inspirés par l'homéopathie et la naturothérapie. Il passa sa vie à décrire des « subluxations de la cinquième dorsale » et à prescrire des massages d'huile de cacahuète, des tisanes de cendre de bambou, et du jus de punaises à des correspondants affligés de rhumatismes articulaires, de tuberculose et d'hydropisie. Les amandes étaient selon lui un bon remède contre le cancer. Naturellement, une partie des malades crevait. Cayce donna aussi des consultations sur les vies antérieures et les incarnations futures de ses patients.
COOKE (Janet). Prix Pulitzer à 26 ans, en 1981, pour l'histoire de Jimmy, petit héroïnomane noir de 8 ans, dans le Washington Post, Janet Cooke dut rendre son prix, après qu'on se fut rendu compte que pas un mot de son histoire n'était vrai.
DARSEE (John. R.). Le 9 juin 1983, la première publication médicale américaine, le New England Journal of Medecine, publia en gros caractères une rétractation. Des cardiologues de renom s'excusaient d'avoir cosigné des billevesées, reposant sur des données inventées de toutes pièces. S'excusait encore plus que les autres l'auteur des travaux en question, John R. Darsee, de la faculté de médecine de l'université de Harvard. Darsee avait découvert par exemple des liens entre les groupes tissulaires et les cardiomyopathies, ce qui représentait un progrès diagnostic considérable. Mais son étude portait sur une famille de 43 personnes qui n'avait manifestement jamais existé. Un autre article citait des liens entre des dosages d'acides aminés et des maladies cardiaques et invoquait à l'appui un biochimiste et deux médecins qui apparemment n'existaient pas non plus ! Le second signataire dudit article, le Pr Heymesfield, chef du service de cardiologie de l'université Emory à Atlanta où travaillait à l'époque Darsee, qualifia cet article d'« horrifiant, complètement insensé ».
L'affaire Darsee reste exceptionnelle par son ampleur. 116 articles dans le Science Citation Index. Des dizaines de médecins à la réputation compromise parce qu'ils avaient cosigné des insanités. Deux chapitres entiers d'ouvrages de référence sur la cardiologie a récrire sur des bases moins hallucinatoires et à réimprimer, pour un coût monstrueux.
DEMIDENKO (Helen Darville, dite Helen). En 1995, l'Australienne Helen Demidenko rafla une foule de prix littéraires pour son roman sur l'holocauste en Ukraine. On s'aperçut trop tard que Helen Demidenko s'appelait en réalité Helen Darville, qu'elle n'était pas d'origine ukrainienne, et qu'elle avait tout inventé.
EDERN-HALLIER (Jean). Mythomane, escroc, organisateur de son faux enlèvement, faux aveugle (devenu aveugle en regardant le soleil à Venise, miraculeusement guéri au cours d'un pèlerinage à Lourdes !). Ses colères commandées et ses pamphlets à trois sous la ligne lui valurent une certaine renommée. Finit à la télé, qui est, comme chacun sait, une pépinière de talents, et pour quoi il semblait, il est vrai, taillé sur mesure.
ELIZALDE (Manuel Jr.). En 1971, Manuel Elizalde Jr., un riche Philippin qui devint ministre de Ferdinand Marcos, annonça la découverte d'une tribu vivant à l'âge de pierre. Les Tasaday, qui étaient 24, vivaient sur l'île de Mindanao, étaient chasseurs-cueilleurs et ne s'aventuraient jamais loin de leur caverne. Les anthropologues convergèrent sur l'île mais le scepticisme l'emporta rapidement, l'impression dominante étant que les Tasaday étaient grassement payés pour simuler un mode de vie sauvage. La taille des dépôts d'ordures, en particulier, était incompatible avec le fait que ces gens avaient en théorie vécu là, totalement isolés, depuis des siècles.
Elizalde dut quitter les Philippines en 1983, après avoir eu des mots avec Mme Marcos. Il établit une plantation de café au Costa-Rica, dans laquelle il vivait avec douze filles nubiles, mais le gouvernement costa-ricain l'expulsa en 1986 pour outrage aux murs. En 1988, il était de retour aux Philippines, continuait à s'occuper de ses intérêts financiers et essayait de relancer une carrière politique compromise par ses liens avec les Marcos et par le bidonnage des Tasaday. Elizalde mourut en 1997.
ELLIS (Joseph). Historien, auteur d'une biographie très remarquée de Thomas Jefferson. Un autre ouvrage, Founding Brothers : The Revolutionary Generation, lui rapporta un prix Pulitzer. Ellis avait pris l'habitude, pendant ses cours d'histoire, dans la petite mais très chic université pour demoiselles où il enseignait depuis trente ans, de parler de son service au Vietnam. Il se trouve qu'Ellis n'est jamais allé au Vietnam. (Il passa les trois ans de sa conscription à enseigner l'histoire à West Point.)
Une histoire commencée dans la pénombre du vrai-faux pédagogique (tout ce qu'un enseignant dit à propos de lui-même n'est pas littéralement vrai : il est parfois dans une sorte de « fiction professorale » où il endosse un rôle, pour animer son cours ou appuyer une démonstration), prit peu à peu de l'épaisseur. Pour ses étudiantes, Ellis n'avait pas seulement vu le feu, il était devenu aussi un militant pour la paix et pour le mouvement des droits civiques. Les avantages de cette posture pour Ellis étaient évidents : 1. sa fiction lui donnait une aura d'ancien combattant (et fournissait un utile contrepoint d'expérience humaine à ses connaissances livresques) ; 2. elle le situait a gauche, sur l'échiquier politique, ce qui ne pouvait qu'aller dans le sens de son public estudiantin.
Ce qui aurait pu rester une manie de vieux pédant, contrariée seulement par des rumeurs échangées au-dessus de tasses de thé par les épouses des professeurs, tourna au cauchemar. Par un manque de discernement colossal, mais au fond assez typique d'un rat de bibliothèque, Ellis continua à raconter qu'il avait été au Vietnam quand ses livres eurent fait de lui un homme public, et régala la presse de ses exploits pendant dix ans, en donnant de plus en plus de détails. Les ennuis sérieux commencèrent en 2000, quand le Boston Globe dévoilà la vérité sur les états de service de l'imaginaire soldat Ellis.
FINKEL (Michael). Reporter free-lance écrivant pour le New York Times Magazine, Michael Finkel fabriqua en novembre 2001 un enfant esclave malien, Youssouf Male. Techniquement parlant, Youssouf Male était un composite. Finkel lui faisait vivre des aventures typiques de celles d'enfants-esclaves, d'après les récits d'employés d'ONG. La vérité éclata par le plus grand des hasards. Finkel avait illustré son article d'une photo du prétendu Youssouf Male. Il se trouve que l'organisation Save the Children retrouva le petit garçon de la photo, et découvrit qu'il ne s'appelait pas Youssouf Male. Sommé de s'expliquer, Finkel avoua à son journal que Youssouf Male n'existait pas. On expliqua au reporter qu'on se passerait à l'avenir de ses services.
FLEISCHMANN (Martin), PONS (Stanley). Ces deux électrochimistes annoncèrent le 23 mars 1989 au cours d'une conférence de presse qu'ils avaient réussi la fusion nucléaire à température ambiante, par simple électrolyse d'une solution d'eau lourde. Ils offraient donc à l'humanité une source d'énergie inépuisable et absolument sans danger, puisqu'elle ne produisait aucun déchet radioactif (ni rien par conséquent qui pût avoir un usage militaire !). Las ! passé trois semaines, pendant lesquels tous les laboratoires confirmèrent la découverte, des études un peu plus poussées furent incapables de reproduire le phénomène.
FLYNN. Mr. Frank Flynn enseigne à la business school de l'université de Columbia. En septembre 2001, il fête l'anniversaire de son mariage dans un restaurant chic de New-York. Victime d'une grave intoxication alimentaire, il passe la nuit à se tenir le ventre sur le carrelage de la salle de bain, entre deux crises de vomissement dans la cuvette des vécés, ce qui n'est pas des plus romantique. Bien qu'il n'envisage pas de porter plainte, il écrit au restaurateur pour exprimer son mécontentement et demander ce que celui-ci a l'intention de faire.
Le problème de cette histoire banale est que Mr. Flynn a envoyé la même lettre à 240 restaurants newyorkais. Il s'agissait en fait d'un hoax inventé par l'enseignant-chercheur dans le cadre d'une étude sur la façon dont les restaurants réagissaient aux plaintes des clients. Le fait que les propriétaires des restaurants en question allaient incendier leur personnel, réviser la chaîne de production toute entière et faire analyser jusqu'au dernier petit pois n'avait pas effleuré l'universitaire. Plusieurs restaurateurs malins se doutèrent de quelque chose (le prétendu malade était inexplicablement muet sur le jour de sa visite et sur le mets qu'il avait ingurgité) et vinrent aux nouvelles à l'université. Le doyen s'excusa, obligea son professeur à écrire une circulaire d'excuses, et promit des mesures disciplinaires.
FUJIMURA (Shinichi). En 1993, on trouva des outils en pierre à Tsukidate, Japon. Pour les Japonais, la nouvelle était presque trop belle pour être vraie. On tenait enfin la preuve que le Japon était peuplé il y a un demi-million d'années, c'est-à-dire depuis au moins aussi longtemps que la Chine. La thèse selon laquelle le Japon aurait été peuplé depuis la péninsule coréenne était donc ravalée à la plaisanterie de mauvais goût. (Les Japonais méprisent les Coréns.) L'anthropologue à l'origine de la découverte s'appelait Shinichi Fujimura. Las ! en novembre 2000, le Mainichi Shimbun publia à sa une trois photos montrant le grand homme enterrant lui-même des outils de pierre in situ. Fujimura n'eut qu'à s'excuser et on n'eut plus qu'à récrire les manuels d'histoire.
GLASS (Stephen). Des 41 articles que Stephen Glass écrivit jusqu'en 1998 pour The New Republic, 27, soit les deux tiers, étaient bidonnés au moins en partie, 6 se révélant être intégralement des inventions. Glass, 25 ans au moment des faits, était rédacteur-en-chef adjoint de The New Republic. Sa spécialité était l'invention pure et simple de personnes, d'administrations privées (un think tank républicain), voire de villes (un patelin de l'Iowa dévasté par la sécheresse). Les inventions de Glass s'accompagnaient de la confection de fausses archives, y compris de faux communiqués de presse et, dans un cas, d'un site web bidon, dans le but de déjouer les contrôles des fact checkers.
GOLAN (Oded). En 2002, devant les caméras de CNN, le marchand d'antiquités Oded Golan, dévoila un ossuaire sur lequel était gravée en araméen l'inscription : « Ya'akov bar Yosef akhui d'Yeshua », c'est-à-dire : « Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus ». Le Ya'akov en question serait le Jacques de L'Epître aux Galates 1-19 : « Et je ne vis aucun des autres apôtres, sinon Jacques, frère du Seigneur. » Autrement dit, l'ossuaire contiendrait les restes de Jacques (Ya'akov), le frère de Jésus (Yeshua), et l'inscription serait par conséquent le premier et à ce jour l'unique témoignage épigraphique de l'existence du Christ ! Cependant les expertises montrèrent 1. que l'inscription provenait de deux mains différentes, 2. qu'elle contenait des impossibilités manifestes (le faussaire avait trouvé son modèle dans un item d'un catalogue des ossuaires rédigé en hébreu ; il avait retranscrit ces caractères hébreux en araméen ; il avait soigneusement recopié une coquille), 3. que sa patine était artificielle. C'en était fait d'Oded Golan (qui n'en était pas à son coup d'essai) et du témoignage épigraphique de l'existence du Christ.
GUPTA (Vishwa). Vishwa Gupta, de l'université du Pendjab à Chandigarh, bidonna apparemment in extenso vingt années de paléontologie himalayenne, de 1969 à 1988, ses fossiles provenant d'un peu partout sur la planète sauf précisément de l'Himalaya. L'affaire éclata en avril 1989 dans la revue Nature.
HEGEMANN (Helene). Helene Hegemann, fille du célèbre écrivain et professeur de dramaturgie Carl-Georg Hegemann, publia en janvier 2010, chez Ullstein, alors qu'elle était âgée de dix-sept ans seulement, un roman de la veine « sexe et vomi », au titre bizarre, Axolotl Roadkill, racontant la vie nocturne de très jeunes adultes dans le monde nocturne des boîtes branchées, dont Berlin est la capitale. Elle en vendit 100 000 exemplaires, vraisemblablement à des adolescents boutonneux curieux de savoir ce qu'ils manquaient et à des parents souhaitant se documenter sur la vie nocturne de leur progéniture. Dès février 2010, un bloggeur perspicace fit remarquer les ressemblances de l'œuvre d'Helene avec le roman, très peu vendu, celui-là, d'un bloggeur de la scène nocturne berlinoise, œuvrant sous le pseudonyme d'Airen, qui était paru l'année précédente aux obscures éditions SuKuLTuR-Verlag, sous le titre Strobo. Helene reconnut du bout des lèvres qu'elle s'était peut-être appropriée des fragments du blog d'Airen, mais qu'elle ignorait l'existence de son roman. Comme il se découvrit immédiatement que son illustre papa lui avait commandé le roman, la défense ne convainquit guère, d'autant qu'on découvrit que la demoiselle s'était également appropriée les lyrics d'une chanson du groupe anglais Archive. Une nouvelle parue dans le magazine Vice devait beaucoup à un court-métrage de Benjamin Teske.
La bizarrerie du cas d'Helene Hegemann provient du fait que la jeune auteure se défendait en style post-moderne, invoquant la fluidité des identités textuelles et l'obsolescence de la notion d'œuvre originale, à l'heure de l'hypertexte, ce qui déclencha du reste un débat général sur le thème plagiat et intertextualité, car aucun Allemand ne peut résister à la tentation d'un beau débat théorique. Les éditions Ullstein, bêtement attachées à la notion obsolète de droit de propriété littéraire et d'œuvre originale, promirent de publier, dans la quatrième édition d'Axolotl Roadkill, une liste d'emprunts, une quarantaine en tout, dont la moitié au bloggeur Airen, tout en prévenant que, intertextualité obligeant, il y en avait peut-être d'autres.
HINE (Lewis H.) Qui n'a pas vu les admirables photographies de Lewis H. Hine sur les immigrants, les enfants au travail, les ouvriers des usines ou les bâtisseurs de l'Empire State Building ? Hine mourut en 1940. Walter Rosenblum, spécialiste de Hine et gardien de ses archives, vendit pendant des années des clichés prétendument signés par Hine mais dont les expertises montrèrent qu'ils avaient été tirés des décennies après sa mort. En août 2001, le FBI se saisit de l'affaire.
HUBBARD (Lafayette Ron). Romancier populaire (assez médiocre) et inventeur d'une parodie de la psychanalyse qu'il affubla du nom de dianétique. Fondateur de la pseudo-église de scientologie, destinée à commercialiser la dianétique au prix fort, et dont les membres, essaimés à travers le globe, eurent et ont encore de fréquents démêlés avec la justice. Le cas de Hubbard illustre bien la psychologie d'un gourou.
L. Ron Hubbard était un menteur pathologique. Il s'est prétendu explorateur, brillant officier de la Navy ayant vu le feu dans le Pacifique, physicien atomiste (sic). Il n'était rien de tout cela. Il rata lamentablement des études d'ingénieur. Ses états de service pendant la guerre sont accablants. Il perdit les pédales lors de sa première sortie en mer, ce qui lui coûta ses galons. C'était, selon le mot de son biographe, Russell Miller (Bare-Faced Messiah : the True Story of L. Ron Hubbard, Michael Joseph, 1987, traduction Plon, 1993), un lâche et un planqué (a malingering coward). Affecté sur un navire partant pour une zone de combat, il se fit transférer dans une école à Princeton.
Hubbard était bigame. Il abandonna sa femme et ses deux enfants pour enlever la maîtresse d'un sataniste californien, disciple d'Aleister Crowley. Il eut un enfant de sa deuxième femme. Les deux mariages finirent par un divorce. Sa seconde femme déclara pendant la procédure qu'il était fou à lier. A 41 ans, il épousa une jeune femme de 19 ans dont il eut quatre autres enfants. L'un de ses fils se suicida.
Souffrant d'un délire de persécution, il inonda le FBI de dénonciations d'un complot communiste contre l'Amérique. Il était étiqueté comme délirant par les services fédéraux. Il était également convaincu qu'un complot communiste et nazi voulait sa mort.
Il fut châtelain en Angleterre, où il se pencha un moment sur les manifestations émotionnelles des tomates, et tâcha de s'installer en Australie et en Rhodésie (d'où il fut chassé), avant de lever les voiles et de devenir Commodore d'une flotte de trois navires, sans avoir aucune expérience de la navigation. Sur le navire amiral, l'Apollo, il régna en empereur romain, obèse, la face molle, les dents pourries et l'haleine méphitique, les cheveux collés par une sainte crasse, servi par un état-major de gamines en mini-jupe et bottines à talons hauts qui ne tardèrent pas à abuser de leur pouvoir et à se muer en véritables monstres (Hubbard reconnut que l'idée de s'entourer d'enfants fanatisés lui venait d'Hitler). L'ambiance se dégrada et il y eut un suicide. A cette époque, Hubbard croyait à ses propre inventions. Ses équipages passèrent des mois à chercher en Méditerranée et dans l'Atlantique des trésors qu'il avait enfouis pendant ses « vies antérieures ».
Hubbard mit fin à sa carrière navale pour s'installer aux Etats-Unis, mais la scientologie eut à cette époque maille à partir avec la justice, parce que le gouvernement s'était rendu compte que les scientologues avaient infiltré l'appareil d'Etat au plus haut niveau et avaient commencé à déménager les archives concernant Hubbard et l'église. Voir le Dictionnaire des bibliocides.
Hubbard se cacha dans le désert du Nevada où il se lança dans le cinéma, sans avoir, comme à son habitude, aucune expérience préalable de la chose. Il semble également qu'il se soit beaucoup démené à cette époque pour obtenir un Nobel.
Hubbard avait perdu le peu de talent littéraire qu'il avait pu posséder. Il consacra les dix dernières années de sa vie à écrire de la très mauvaise science fiction que son église se fit une joie de vendre. De façon caractéristique, le premier volume de sa « décalogie » commence par un petit essai (non repris dans l'édition française) sur les satiristes à la Swift, ancêtres des écrivains de science-fiction. Il s'agit d'un travail indigne d'un étudiant de première année, visiblement recopié sur des sources diverses pendant deux ou trois après-midi studieuses, mais il y a peu de doute que son auteur considérait qu'il avait fait le tour de la question et qu'il ajoutait à ses nombreuses spécialités celle d'historien de la littérature d'imagination scientifique. La caractéristique principale de cette oeuvre romanesque tardive semble être la misogynie, ce qui explique que ces volumes soient lues surtout par des adolescents perturbés. (Hubbard a toujours eu un gros problème avec les femmes. L'une des principales sources de maux physiques et mentaux selon la dianétique est le fait que l'embryon entend in utero les préparatifs de sa mère en vue d'avorter.)
Comme tous les escrocs, Hubbard éprouvait un mépris incommensurable et un dégoût presque physique envers les gogos qu'il plumait. L'un des programmes de la dianétique consistait à traiter les pauvres jobards tombés dans sa pseudo-thérapeutique comme des enfants d'âge pré-scolaire, et à leur faire étudier des abécédaires. Le prétexte officiel était de les « reprogrammer », sans les « aberrations » de leur premiers apprentissages, mais Hubbard nota cruellement que ses fidèles ne le comprenaient pas parce qu'ils savaient à peine lire et ignoraient les règles élémentaires de la grammaire. (Apparemment, ces excellents volumes, avancée décisive en didactique de la langue maternelle, dont Hubbard était également un spécialiste, ne sont pas encore traduits en français.) D'un autre côté, la doctrine est si riche en néologismes que les disciples parlent pratiquement une langue artificielle, ce qui ne peut que contribuer à creuser le gouffre avec la vie normale.
Quand il mourut, en 1986, Hubbard se cachait dans un mobile home garé sur un ranch qu'il avait acheté.
JONES (David S.). EN 1992, un poète américain connu, Neal Bowers, reçoit un coup de fil de la rédactrice en chef d'une publication de poésie, l'informant qu'un poème très caractéristique de son style est paru sous une signature autre que la sienne, ce qui lui paraît suspect. La pièce litigieuse est faxée au département de l'université de l'Iowa où enseigne Bowers, qui ne peut que constater que le soupçon de sa correspondante est fondé. Le poème publié en décembre 1991 dans le Mankato Poetry Review, sous le titre Someone Forgotten et sous la signature d'un certain David Sumner, n'est autre que son poème Tenth-Year Elegy, paru en septembre 1990 dans Poetry.
Bowers enrôla sa femme, et éplucha dans son bureau toutes les revues de poésie des Etats-Unis, à la recherche de la signature de David Sumner. Il apparaîtra finalement que, de 1990 à 1993, 59 poèmes de David Sumner étaient parus dans 36 journaux littéraires. 12 autres avaient été acceptés. Tous étaient des plagiats, de Bowers mais aussi d'autres poètes. Bowers embaucha un avocat et plus tard un détective privé dans le but de débusquer David Sumner. Il y parvint. Son vrai nom était David S. Jones, il vivait à Aloha, Oregon, et avait été instituteur. S'ensuivirent deux années pendant lesquelles plagiaire et plagié jouèrent au jeu du chat de la souris. Jones admettait que tel texte était plagié, mais uniquement après que le détective privé lui avait mis le nez dessus. Le plagiaire invoquait alors la bévue, disant qu'il avait recopié le poème, l'avait étudié dans un atelier d'écriture, l'avait appris par cur, et qu'il avait finir par le prendre pour une de ses uvres. (Une excuse moins absurde qu'il n'y paraît, car un écrivain ne se souvient pas de tout ce qu'il a écrit, de sorte qu'une citation notée sur un coin de papier peut très bien être prise plus tard pour une pensée originale. Mais chez Jones, la bévue est un peu trop systématique pour être crédible !) Jones écrivit aussi des lettres exprimant un remords abject à Bowers, en les accompagnant de mandats. Petit à petit, Jones retira ses soumissions aux revues de poésie, en expliquant qu'il s'était rendu compte qu'il s'agissait de plagiats involontaires. Mais, comme le fait remarquer Bower, qui a été suffisamment traumatisé par l'affaire pour publier un article dans The American Scholar en 1994, puis un livre, trois ans plus tard, Jones a peut-être simplement changé de pseudonyme et sévit peut-être toujours.
Ce qui rend l'affaire Jones bizarre est son absence apparente d'enjeu. La publication d'un poème n'offre strictement aucun intérêt d'un point de vue pécuniaire, n'étant pas payée ou étant payée une somme ridicule. Contrairement à d'autres branches de la littérature, la poésie n'offre pas non plus de rétribution symbolique (notoriété, prestige d'être publié, invitations flatteuses, etc.), l'immense majorité des poètes en activité étant publiés dans des revues confidentielles et n'étant connus par conséquent que de quelques centaines de personnes.
KELLEY (Jack). Reporter vedette pour USA Today, le plus grand tirage quotidien des Etats-Unis, Jack Kelley bidonna des articles pendant dix ans, plagia d'autres articles, et se fit remettre des milliers de dollars pour de soi-disant traducteurs et de soi-disant chauffeurs, qui n'existaient pas plus que les faits qu'il rapportait. Ce n'est qu'au printemps 2004 que Kelley fut démasqué. Une enquête interne à l'automne 2003 l'avait blanchi.
KHOURI (Norma). L'Australienne Norma Khouri publia sous le titre Forbidden Love un livre qui racontait qu'en Jordanie, Dalia, la meilleure amie de Norma, avait été tuée à coup de couteau par son père, un musulman, parce qu'elle aimait un soldat de confession chrétienne. Ce courageux ouvrage contre les « meurtres d'honneur » en terre d'Islam se débitat à 200 000 exemplaires en Australie.
Une avocate jordanienne spécialisée dans les droits de l'homme, Amal al-Sabbagh eut vent de l'ouvrage, le lut, découvrit que les détails topographiques ne collaient pas, que les fautes de civilisation abondaient et pour finir que Dalia et son père n'avaient jamais existé. En Australie même, un journaliste arabisant découvrit avec perplexité que Norma Khouri ne parlait que trois mots d'arabe. Un journaliste de Sydney, Malcolm Knox, se livra à une petite enquête qui l'amena dans la banlieue de Chicago. La maman de Norma Khouri, Asma Bagain, y vivait toujours. Il apparut que Norma Khouri avait quitté la Jordanie pour les Etats-Unis à l'âge de trois ans. Elle avait eu une existence assez compliquée, incluant un mariage avec un nommé John Toliopoulos, recherché par le FBI pour un scandale immobilier, et elle avait déménagé sans laisser d'adresse en 1999.
Forbidden Love fut retiré de la vente.
KOOLMATRIE (Leon Carmen, dit Wanda). Cette aborigène australienne, qui publia ses mémoires en 1994 sous le titre My Own Sweet Time, était en réalité un chauffeur de taxi de Sydney.
KOUWE (Zachery). Zachery Kouwe, journaliste économique au New York Times, depuis octobre 2008, avait pris l'habitude de faire ses articles en s'inspirant de ceux du Wall Street Journal et de l'agence Reuters. On se passa de ses services en février 2010.
KUJAU (Konrad). En 1983, le magazine allemand Stern publia de prétendus carnets intimes d'Adolf Hitler. Les 60 carnets étaient en réalité l'uvre d'un faussaire, Konrad Kujau. Kujau fut condamné à quatre ans et demi de cabane en 1985. Il mourut en septembre 2000.
KUMMER (Tom). Ce reporter vedette pour la Süddeutsche Zeitung était apparemment intime avec la jet-set nord-américaine, puisqu'il publia de longues interviews d'Ivana Trump, Courtney Love et Sharon Stone. Et pourtant, en avril 1999, les rédacteurs en chef du quotidien décidèrent de se passer des services de Herr Kummer. Comme il est habituel dans ce genre d'affaires, les supérieurs de Kummer n'ignoraient rien de ses incartades passées (Kummer avait été licencié d'une autre publication, en 1990, pour fabrication d'un article), ce qui ne les empêcha pas de l'employer pendant cinq ans, en prétextant qu'il avait tiré la leçon de ses erreurs. Après le licenciement de Kummer, les lecteurs de la Süddeutsche Zeitung n'eurent d'ailleurs droit à aucun démenti au sujet des entrevues bidons dont on les avait régalés. Ce n'est qu'en mai 2000 que le magazine Focus révéla l'affaire, obligeant la Süddeutsche Zeitung a une mise au point. Kummer, quant à lui, soutint de bout en bout de l'affaire qu'il n'était pas spécialement fier de ce qu'il faisait mais qu'en tout cas ses supérieurs étaient parfaitement au courant de ses méthodes.
LEAVITT (David). En 1993, le romancier américain David Leavitt, un fondateur de la littérature gay, publia While England Sleeps, une histoire située pendant la guerre d'Espagne. Le poète anglais Stephen Spender reconnut un fragment de ses mémoires, considérablement épicé sur le plan sexuel, intenta un procès pour plagiat, en invoquant le droit moral, et obtint le retrait de l'ouvrage des deux côtés de l'Atlantique. Le roman reparut aux Etats-Unis en 1995, les passages plagiés étant refaits, et avec une préface où David Leavitt se plaignait amèrement qu'on l'empêchait d'écrire.
L'affaire Leavitt est quelque peu délicate, car elle pose le problème de l'utilisation d'écrivains réels dans une uvre de fiction. On sait que le Mr. Skimpole de Dickens (dans Bleak House) est basé sur le poète et essayiste Leigh Hunt. (Boythorn, dans le même roman, est basé sur Walter Savage Landor). Somerset Maugham utilisa les romanciers Thomas Hardy et Hugh Walpole dans son roman Cakes and Ale. Le modèle de Saul Bellow dans Humboldt's Gift est le poète Delmore Schwartz. Celui de Philip Roth dans The Ghost Writer est Bernard Malamud.
LEBLANC (Marie). En juillet 2004, l'agression, crapuleuse au départ, d'une femme accompagnée d'un enfant en bas âge, dans un train de banlieue parisien, par une bande de six petits délinquants d'origine africaine (quatre maghrébins et deux noirs), dégénéra en agression antisémite. Les petits délinquants, en inventoriant le contenu du sac de la victime devant elle, tombèrent sur son passeport, lurent qu'elle habitait le 16e arrondissement (ce qui n'était plus vrai au moment des faits), et en conclurent qu'elle était juive. Les agresseurs tailladèrent les vêtements et les cheveux de la malheureuse et tracèrent des croix gammées au feutre sur son ventre. Les voyageurs témoins de la scène se gardèrent d'intervenir.
Arrivant au milieu d'une vague d'actes antisémites commis par de jeunes Français islamisés, l'attaque suscita une considérable indignation dans l'opinion publique, une forte couverture médiatique et la réprobation unanime de la classe politique.
Plusieurs jours furent nécessaires pour qu'on s'attachât aux bizarreries de l'affaire. L'inférence sur la judaïté de la victime à partir de son adresse était insolite, le 16e arrondissement étant un quartier chic, mais nullement un quartier juif. Les détails des mèches de cheveux coupés, des vêtements ouverts et des svastikas dessinées au marqueur ressemblaient à un mauvais scénario de BD porno beaucoup plus qu'à l'ordinaire des tribunaux correctionnels. S'ajoutaient les contradictions du témoignage de la victime (elle se serait déclarée incapable d'identifier ses agresseurs parce qu'elle aurait été trop terrifiée pour lever les yeux pendant toute la scène). On releva enfin l'absence complète de témoignages ou d'indices (aucune caméra de surveillance n'avait filmé la fuite des petits délinquants ; les employés de la station de RER auxquels la victime se serait confiée n'existaient pas). On conclut à regret qu'on avait affaire à une mythomane.
Marie Leblanc fut condamnée à quatre mois de prison avec sursis pour lui apprendre à avoir de l'imagination.
LEVY (Bernard Henri). La présence en ces pages du philosophe favori des médias est due à ce que le Canard enchaîné du 10 février 2010 appela drôlement un auto-entartage. BHL s'appuya dans son opus « théorique », De la Guerre en philosophie (Grasset, février 2010), sur le philosophe Jean-Baptiste Botul, auteur de La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant (Mille et une nuits, 1999), en n'étant apparemment pas gêné par des détails biographiques comme des conférences faites après-guerre au Paraguay à une colonie de néo-kantiens (vivant à Nueva Königsberg !) par un philosophe n'ayant jamais publié une ligne. Comme l'écrit Le Monde du 15 février : « Des conférences à des néokantiens du Paraguay... voilà qui aurait peut-être dû susciter une certaine méfiance (sic). Bernard-Henri Lévy ne s'est pas méfié. »
Botul, philosophe « oral » (ce qui explique que personne n'en ait jamais entendu parler), est une invention plaisante (mais nullement un canular, n'y ayant pas d'intention de tromper) de Frédéric Pagès, habitué de l'émission Des Papous dans la tête à France Culture, et collaborateur au Canard enchaîné, et de son cercle, qui, réunis dans l'Association des Amis de Jean-Bapiste Botul, se chargèrent de publier les œuvres du génial inconnu, La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant (conférences « retrouvées »), mais aussi Landru, précurseur du féminisme : Correspondance inédite, 1919-1922, Nietzsche et le Démon de midi (plaidoirie faite par Botul devant un tribunal professionnel de conducteurs de taxi pour sa défense contre une accusation de « détournement de jeune fille »), et Métaphysique du mou.
Aude Lancelin mit le feu aux poudres le 8 février sur le site du Nouvel Observateur. Le même jour, Bernard-Henri Lévy fit contrefeu sur son blog, laregledujeu.org. Le philosophe médiatique se montrait beau joueur (« un très brillant et très crédible canular » (sic)) et faisait l'élégant (« le canular étant, comme vous savez, une tradition normalienne j’avoue même éprouver un certain plaisir à m’être laissé piéger » ; traduction : je suis normalien, moi, monsieur). Mais surtout, BHL esquissait une défense : « Chapeau pour ce Kant inventé mais plus vrai que nature et dont le portrait, qu’il soit donc signé Botul, Pagès ou Tartempion, me semble toujours aussi raccord avec mon idée d’un Kant (ou, en la circonstance, d’un Althusser) tourmenté par des démons moins conceptuels qu’il y paraît. » Traduction : peu importait que La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant fût un ouvrage de l'inexistant Botul ou de M. Frédéric Pagès, lui-même agrégé de philosophie, l'essentiel était que l'ouvrage fût excellent et BHL le citait donc à bon droit. Cette stratégie, qui alliait l'apparence de l'équanimité aux avantages du raisonnement circulaire, fut déployée à l'émission de Jean-Marie Colombani et Jean-Claude Casanova, La Rumeur du monde, sur France Culture, le 13 février 2010, et nourrit la chronique de Christophe Barbier sur le site de L'Express, en date du 12 février, le chroniqueur arrivant à écrire : « La polémique BHL-Botul ne devrait pas dépasser cette querelle de méthode de travail (sic). » Quant à Josyane Savigneau, dans Le Monde du 15 février, elle usa de ficelles un peu grosses, en expliquant que ceux qui se moquaient de Bernard-Henri Lévy étaient probablement antisémites (« Sur Internet, certains propos dégagent une odeur franchement nauséabonde. Le site de Libération a décidé de fermer des forums "largement plombés par des dizaines de commentaires souvent insultants et antisémites". »), et qu'en tout cas il était déloyal de disqualifier le travail du grand penseur à cause d'une unique toute petite erreur (« Faut-il, parce qu'il s'est malencontreusement piégé, éviter de lire Bernard-Henri Lévy, tenir pour nuls ses reportages, ses prises de position, ses réflexions sur la littérature, sur la religion ? »).
LYSSENKO (Trofim). Né en 1898 à Poltava, il obtient à 27 ans son diplôme d'horticulture. On le retrouve en 1929 comme chercheur à l'institut de génétique de l'université de Kiev. Les purges staliniennes et une grande habileté politique lui permettent d'être élu président de l'académie des sciences agricoles en 1938, en décimant au passage les rangs de l'agronomie et de la biologie soviétique. (Ses rivaux échouent souvent dans des camps.)
Le couronnement de Lyssenko arriva après-guerre, quand il démontra qu'il existait une biologie prolétarienne et une biologie bourgeoise. Les lois de Mendel appartenaient à la science bourgeoise et les plantes soviétiques connaissaient l'hérédité des caractères acquis.
Lyssenko survécut à la déstalinisation, mais pas au renversement de Khrouchtchev.
MACPHERSON (James). Cet érudit écossais publia en 1761 et 1763, en traduction anglaise, des poèmes gaéliques dus à un certain Ossian, fils de Fingal, un barde du 3e siècle, qu'on considéra comme l'Homère des Highlands. Les poèmes ossianiques eurent un succès immense dans toute l'Europe et Mcpherson contribua à l'émergence du Romantisme ainsi qu'à la Renaissance Celtique. Napoléon, Chateaubriand, Goethe et Herder furent des admirateurs fervents. Mais on trouva aussi un certain nombre de sceptiques, dont le lexicographe Samuel Johnson, qui fut si violent dans ses attaques que Mcpherson le provoqua en duel, et le philosophe écossais David Hume. L'incapacité de Macpherson de produire les originaux ne contribua guère à sa cause. Quand au bout de dix ans il publia finalement les prétendus textes, on comprit qu'il s'agissait d'une rétroversion de son anglais en mauvais gaélique. Après sa mort, un comité d'enquête ayant à sa tête le romancier Henry Mackenzie conclut que Macpherson était parti d'un noyau authentiquement gaélique transmis par la tradition orale, mais qu'il avait essentiellement inventé les poèmes ossianiques, réalisant la plus sensationnelle imposture littéraire de tous les temps. (1736-1796)
MALLEY (Ern). Ern Malley, prématurément disparu le 23 juillet 1943, à l'âge de 25 ans, avait vécu en réparant des autos et en vendant des assurances, avait habité dans une pièce, et ne possédait qu'un livre, la Théorie de la classe oisive de Veblen. Après sa mort, ses poèmes, pieusement conservés par sa sur, furent proposés à Max Harris, le tout jeune directeur de la revue littéraire d'avant-garde Angry Penguins, qui reconnut dans l'inconnu prématurément disparu l'un des plus importants poètes australiens.
Ern Malley était l'invention de deux jeunes gens à l'esprit littéraire, Harold Stewart et James McAuley, qui s'ennuyaient sous les drapeaux, et profitèrent des loisirs de la vie militaire pour ridiculiser la poésie moderne et en particulier le brillant et ambitieux Max Harris. Stewart et McAuley s'étaient fixés des règles cocasses. Il ne devait pas y avoir de thème, mais des allusions à un sujet qui, comme un appât, est constamment tenu hors de la portée du lecture. Aucune attention ne devait être apportée à la forme, hormis l'introduction de termes crus pour accroître l'impression générale de négligé. Il s'agissait de plus d'imiter la poésie à la mode, en particulier Dylan Thomas et ses suiveurs.
Le hoax fut décelé au bout de quelques mois. Les auteurs s'étaient confiés à une amie étudiante en journalisme, ce qui était à la vérité peu prudent. (Mais, dès la publication du Nachlass d'Ern Malley, des universitaires, tout en reconnaissant la qualité des poèmes, avaient soupçonné Max Harris de les avoir écrits lui-même, comme une sorte d'auto-parodie.) Il y eut une brève période où tout le monde fut suspect d'avoir écrit les poèmes d'Ern Malley, puis les journaux trouvèrent la trace des deux jeunes gens.
Harris n'en fut pas quitte pour le ridicule. En effet, il fut poursuivi pour obscénité, dans une Australie qui était demeurée très victorienne, et il dut gloser les poèmes d'Ern Malley ligne à ligne et mot à mot, ce qui ne l'empêcha pas d'être condamné à une amende par un juge réfractaire à la poésie moderne.
Les auteurs du hoax n'écrivirent jamais rien qui approchât la qualité de l'?uvre d'Ern Malley. Harris fut sérieusement atteint par l'affaire. Il publia peu de vers par la suite, même s'il figure dans toutes les anthologies de la poésie australienne. Quant à Ern Malley, il reste l'un des poètes préférés des Australiens.
MALRAUX (André.) Après de menus ennuis avec la justice pour trafic d'uvres d'art volées (voir le Dictionnaire des bibliocides), Malraux fut le protagoniste d'une petite expédition en avion au royaume de la reine de Saba, qui n'eut que le défaut d'avoir été quelque peu « bidonnée ». On peut relever aussi à son actif un entretien avec Staline, de 1934, mené entièrement dans sa tête, une guerre d'Espagne et une Résistance largement fictives - et passons sur les diplômes tant vantés mais jamais décrochés, les langues qu'il disait posséder mais dont il ne parlait pas le premier mot, l'alcool et la drogue (quand le grand homme était indisposé, son entourage invoquait le « palu » - le paludisme, attrapé évidemment au temps où il était aventurier).
Même le transfert de sa dépouille au Panthéon (1996), cérémonie commandée par le pouvoir gaulliste, fut bizarre, car elle donna amplement l'occasion aux médias de rediffuser son intervention de ministre la plus célèbre, qui était justement le discours de réception des cendres de Jean Moulin au Panthéon, en 1964, de sorte que, par une sorte de loucherie de l'histoire, on ne savait plus au juste qui enterrait qui, ni pourquoi. (1901-1976)
MARTEL (Yann). Son roman Life of Pi, décrocha en 2002 le Man Booker Prize. il raconte l'histoire d'un jeune Indien qui survit à un naufrage et se retrouve dans un canot de sauvetage en compagnie d'un tigre. Martel avait oublié de signaler que son uvre était inspirée par un roman du Brésilien Moacyr Scliar, Max and the Cats, 1981, qui raconte comment un jeune juif survit à un naufrage et se retrouve dans un canot de sauvetage avec une panthère.
Voilà une existence bien
remplie dont on se dit, lorsqu'elle est achevée et qu'on la
considère rétrospectivement, que son fil conducteur a
été une volonté constante de berner et d'abuser
les gens.
PAUWELS (Louis). Plagiaire et polygraphe français. N'en a littéralement pas raté une : disciple de Gurdjieff, promoteur avec Jacques Bergier l'entreprise de décervelage du Matin des magiciens (1960), assez lamentable plagiat du Livre des damnés de Charles Fort, continué par L'Homme éternel, et surtout par la revue Planète, (mais il faut citer encore la série de best-sellers avec Guy Breton sur la parapsychologie et le spiritisme dans l'histoire de France, à partir d'Histoires extraordinaires, 1980), inventeur de la sinistrose (Lettre ouverte aux gens heureux, sous-titré : et qui ont bien raison de l'être ; si vous êtes ouvrier au chômage, divorcé, malade, avec un gamin en prison et l'autre au cimetière, et qu'en dépit de tout cela vous ne faites pas risette, vous êtes atteint de sinistrose), promoteur d'une version light du paganisme à la Himmler au Figaro Magazine, avant le retour au roman et à la religion catholique romaine qui, après tout, lui paraissait suffire à crétiniser les populations. Voilà une existence bien remplie dont on se dit, lorsqu'elle est achevée et qu'on la considère rétrospectivement, que son fil conducteur a été une volonté constante de berner et d'abuser les gens. Pauwels eût fait merveille comme sorcier, sur une île des mers australes, comme le Mr Blettsworthy de H. G. Wells. On l'imagine aussi, aux temps préhistoriques, un os dans le nez et revêtu de la peau du cul d'un mammouth, instillant une sainte frousse aux petits enfants en racontant des histoires de revenants. Il était évidemment taillé pour devenir l'idéologue et le grand mamamouchi d'une secte quelconque. Il choisit, au lieu de cela, de se consacrer à la grande presse et au livre, ce qui lui permit de tromper un nombre infiniment plus grand de personnes appartenant fréquemment à la petite ou la moyenne bourgeoisie - et souvent extrêmement naïves. (1920-1996)
REINACH (Salomon). Encore un brave gros homme d'érudit qui ne doit sa présence en ces pages qu'à son extrême naïveté. L'auteur des cinq gros volumes d'histoire des religions à l'usage des dames, titrés Cultes, mythes et religions, s'est trompé de façon irréparable non pas une, mais deux fois : d'abord en authentifiant la tiare de Saitaphernès, un faux acheté par le Louvre en 1897, puis en prenant parti pour Glozel, fraude préhistorique enfantine. Et ce n'est pas du bout des lèvres et dans les premiers temps qu'il s'engagea, mais à fond. Il signa et écrivit en grande partie le célèbre Rapport du comité d'étude de 1928. (1858-1932)
ROUGEMONT (Henri Louis Green dit Louis de). Dans les années 1880, Rougemont avait fait naufrage sur les côtes australiennes. Il vécut deux ans sur un récif, à fleur d'eau. Il chevaucha des tortues, des alligators, assista à des festins anthropophages, porta un bâton de commandement (dans les cheveux, car il ne voulait pas se percer le nez), et explora une partie du territoire du Nord-Est. Rentré en Europe, Rougemont devint la coqueluche de l'Angleterre. On vit sa statue de cire au musée de Mme Tussaud. Il se lança dans des tournées de conférences. Son livre fut traduit en quatre langues. Mais le Daily Chronicle décida d'en finir avec Louis de Rougemont et entama des recherches. On trouva que Rougemont était un ressortissant hélvétique, né à côté d'Yverdon. Il se serait appelé en réalité Henri Louis Green ou Grien, ou Grin, aurait travaillé pour la firme McQuettan et Green (ou Grien, ou Grin). Il aurait été un temps laquais de la famille Kemble. Il aurait réellement fait le voyage d'Australie où il aurait mené une vie errante, mais il n'y avait pas apparence qu'il eût été roi d'une bande de cannibales. Par contre, une fréquentation assidue de la salle de lecture du British Museum expliquait sa connaissance du terrain australien.
Rougemont mourut dans Kensington Infirmary en 1921, en protestant toujours de sa bonne foi. (Pour en savoir plus, consultez Les Excentriques anglais.)
Voir aussi WONGAR.
SCHOEN (J. Hendrik). Schoen, un physicien de 32 ans travaillant aux prestigieux laboratoires Bell, publia pendant quatre ans dans les deux plus prestigieuses revues scientifiques de la planète, Science et Nature, des papiers révolutionnaires sur les supraconducteurs, qui faisaient de lui un nobélisable. En septembre 2002, un comité d'experts des laboratoires Bell s'aperçut que Schoen bidonnait ses résultats avec une grande constance. Conformément à l'usage, les papiers de Schoen étaient cosignés par un tas de gens qui n'avaient rien à voir dans les expériences, à commencer par le directeur de labo qui l'avait embauché, mais tous ces gens, qui étaient ravis de recueillir le prestige de ces publications, n'avaient rien fait pour contrôler le travail de leur collègue. Plus embarrassant encore, Science et Nature, qui soumettent en théorie les articles à l'examen d'un expert, n'y avaient vu que du feu, alors que Schoen avait copié/collé ses données trafiquées dans un nombre impressionnant d'articles.
SMITH (Patricia). Editorialiste pour le Boston Globe, finaliste pour un Pulitzer, Patricia Smith, 42 ans, inventait des gens et hallucinait leurs commentaires. Un papier sur une femme qui était en train de mourir d'un cancer était fabriqué de A à Z.
Fait inhabituel, Mrs. Smith, licenciée, reconnut la fraude dans un dernier éditorial. Il est vrai que c'était dans des termes qui semblaient bien proches d'une apologie ! « From time to time, in my metro column, to create the desired impact or slam home a salient point, I attributed quotes to people who didn't exist. »
TATE (Nat). Peintre américain du milieu du 20e siècle, appartenant au courant de l'expressionisme abstrait. Le père de Nat Tate s'était noyé, ce qui pouvait expliquer l'obsession du peintre pour les ponts, qui font l'objet en particulier d'une série de dessins inspirés par le poème fameux de Hart Crane « Le Pont », série détruite en grande partie lorsque le peintre se suicida, à l'âge de 31 ans. Tate avait rencontré le peintre Henri Matisse à l'automne 1959. Cette rencontre l'avait bouleversé. Quelques mois plus tard, il détruisait la plus grande partie de son uvre, prenait le ferry pour Staten Island et se jetait à l'eau. Son corps ne fut jamais retrouvé.
Le seul inconvénient de cette tragique histoire est que Nat Tate n'existe pas. Il est une invention du romancier William Boyd, auteur d'un article biographique paru en 1998 dans le magazine Modern Painters, ainsi que du livre Nat Tate, An American Artist, 1928-1960. Le hoax de William Boyd était conçu apparemment comme une expérience littéraire plutôt que comme un canular (en lisant le livre, les gens étaient censés se rendre compte progressivement qu'il s'agissait d'une fiction), ce qui n'empêcha nullement qu'à la party donnée à la galerie de Jeff Koons le 31 mars 1998 pour fêter les deux publications, l'article et le livre, la plupart des invités déclarèrent que le nom de Nat Tate leur était familier, même s'il s'agissait clairement d'un peintre mineur, plusieurs personnes allant jusqu'à affirmer l'avoir bien connu.
WILKOMIRSKI (Bruno Dössekker, dit Binjamin). En 1995 parut en Allemagne Fragments, un ouvrage de 155 pages écrit par un clarinettiste, Binjamin Wilkomirski, racontant son enfance dans le camp de concentration polonais de Maidanek, puis dans un deuxième camp, non identifié, mais qui est probablement Auschwitz. Rapidement traduit dans une douzaine de langues, l'ouvrage fut bombardé de prix. Wilkomirski fit des tournées en Europe, en Israël et aux Etats-Unis.
Les ennuis commencèrent durant l'été 1998. Un écrivain suisse, Daniel Ganzfried, lui-même fils d'un survivant, découvrit que Wilkomorski n'était pas un juif lithuanien né en 1939, mais un Suisse né en février 1941 d'une mère célibataire de confession protestante, Yvonne Grojean, et adopté en 1945 par un couple zurichois, les Dössekker, aujourd'hui décédés. Le père biologique de Bruno était connu, et avait payé une modeste pension jusqu'au moment de l'adoption par les Dössekker. A la mort de sa mère biologique, Bruno était entré en possession de son petit héritage.
Ganzfried publia les résultats de son enquête dans l'hebdomadaire Weltwoche et la conséquence fut que Bruno fit un épisode psychotique. Lorsqu'il fut rétabli, il lança une défense basée sur le fait que ses papiers d'état-civil avaient été truqués. La plupart des éditeurs des éditions en langue étrangère adoptèrent une attitude de soutien prudent, à la suite de l'éditeur allemand, Suhrkamp.
Néanmoins, le moment était venu de se poser des questions. Par exemple, comment Bruno pouvait-il rappeler des souvenirs antérieurs à l'âge de quatre ans, c'est-à-dire remontant à un âge où il n'y a pas d'encodage mnésique ? Il apparut que les souvenirs de Wilkomirski étaient des souvenirs « enfouis », remis au jour grâce à une thérapie, ce qui expliquait leur caractère fragmentaire, ou, suivant une autre version, des flashs mémoriels qui avaient hanté Dössekker toute sa vie, mais auxquels la thérapie seule put donner un sens. (Quoi qu'il en soit, le thérapeute de Bruno, Elitsur Bernstein, joue un rôle essentiel dans son histoire.)
On relut mieux l'ouvrage et on découvrit des impossibilités manifestes. Par exemple, le narrateur, qui est un petit garçon de trois ou quatre ans, résiste à des coups ou des chutes qui tueraient un homme dans la force de l'âge, ou arrive à s'extirper de sous une pile de cadavres.
Le personnage lui-même n'était pas sans équivoque. Il se faisait friser les cheveux chez le coiffeur et adoptait, d'après ses contradicteurs, un accent yiddish de comédie musicale. Les propres organisateurs de la tournée américaine de Wilkomirski furent bien forcés de noter les bizarreries de leur auteur. Par exemple, Wilkomirski pleurait beaucoup, au cours des débats avec le public. Comme le fit remarquer son éditeur américain, Arthur H. Samuelson, qui avait accompagné en tournée des gens aussi importants qu'Elie Wiesel et Primo Levi, les survivants ne pleurent pas.
WONGAR (Streten Bozic, dit B.). Cet auteur australien aborigène prolifique, vivant au milieu des chiens dingos, est en réalité un émigrant serbe né en 1932 et qui s'était installé en Australie en 1960. C'est en 1978 que des journalistes, qui cherchaient l'auteur aborigène de The Track to Bralgu trouvèrent un Serbe au bout du fil. S'ensuivit une vague polémique, des fonds australiens destinés aux aborigènes ayant été versés à Wongar-Bozic.
Voir aussi ROUGEMONT (LOUIS DE)