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PETITS ÉDITORIAUX SUR LES SIGNES DES TEMPS
CENSURE IMAGIÈRE, TERRORISME, PANIQUE ET PICTORICIDE


PETITS ÉDITORIAUX SUR LES SIGNES DES TEMPS
Les paroles et les actes

5 novembre 2011. — Je lis les réactions de la presse et de la blogosphère à l’attentat contre Charlie Hebdo, dans la nuit du 2 novembre, réactions fréquemment hostiles au journal, en dépit de la réserve hypocrite sur le « respect de la liberté d’expression », — voire menaçantes (je crois que, dans certains milieux, s’il y avait une tentative de meurtre contre un dessinateur, elle serait immédiatement excusée et justifiée, et, comme il se doit, au nom du respect et de la tolérance) —, ou bien simplement injurieuses.
Parmi les plus minables, je relève celle de l’ex-chroniqueur télé Daniel Schneidermann (sur son webzine @rrêt sur images, 2 novembre), qui se montre dédaigneux et outrageant (l’hebdomadaire bombardé de bombes incendiaires a droit à « Nous soutenons hautement le droit de Charlie Hebdo à faire la une sur ces cons-ci, plutôt que sur ces cons-là. C'est dit. On peut passer à autre chose ? »), et qui fait preuve d’une méconnaissances des faits troublante. Schneidermann croit ainsi que la couverture de Cabu qui avait valu à Charlie en 2006 d’être cité en justice par les associations islamistes de France représentait... Allah, ce qui est tout de même un peu fort de café de la part de quelqu’un qui se permet de donner des leçons de journalisme, en écrivant : « Hop, un petit coup de turban à la Une, ça fera le buzz, et ça évitera à nos lecteurs de réfléchir trop profondément aux rapports de la charia et du droit civil dans l'ensemble des pays musulmans, ou à la nature précise du parti Ennhada. » Parce que M. Schneidermann, qui ne sait même pas que la célèbre couverture de Cabu représentait « Mahomet débordé par les intégristes » (et non Allah !), est un esprit universel, qui a, contrairement aux méchants caricaturistes islamophobes de Charlie, des vues profondes et originales sur le droit musulman, dont il est un spécialiste, et sur les complexités de la scène politique tunisienne, dont il est également un spécialiste.
M. Pascal Boniface, qui juste avant l’envoi du cocktail molotov fatidique (soit le mercredi à minuit, le journal brûlant une heure plus tard) expliquait sur Facebook : « Pourquoi Charlie Hebdo suscite régulièrement la polémique et pas les Guignols de l’info ? Charlie stigmatise une minorité, déjà en position de faiblesse, les guignols se moquent de tous et avant tout [d]es puissants », a cru devoir justifier ensuite ses propres propos, dans une interview donnée au site Atlantico.fr, en prenant parti lui aussi contre Charlie et en faveur des islamistes tunisiens : « Le propos de Charlie Hebdo réside actuellement dans la dénonciation d’une menace islamiste, et se justifie soit disant par une ligne éditoriale, supposée s’en prendre à tous les extrémistes, y compris catholiques. Or ce discours est biaisé, puisqu’il est impossible de mettre sur le même plan des gens qui sont effectivement des extrémistes, et l’ensemble de ceux qui ont voté pour le parti Ennahdha en Tunisie. Il y a un amalgame entre les salafistes, et un parti légal qui a participé aux élections constituantes tunisiennes. » La cervelle troublée par ses obsessions de complots anti-musulmans, M. Boniface raconte de considérables âneries. La ligne éditoriale de Charlie Hebdo n’a jamais été de « s’en prendre à tous les extrémistes ». Charlie Hebdo est un journal anticlérical et, à ce titre, il s’en prend virulemment à la religion catholique dans sa totalité, à l’ensemble des fidèles catholiques, et à l’ensemble des ministres du culte catholique, le pape en tête. S’il y a une anomalie dans la ligne de Charlie, c’est le fait que, quand on en vient à l’islam, le journal ne caricature que les islamistes, autrement dit qu’il accorde au mahométanisme un régime de faveur.
Je ne sais pas pourquoi, les contributions de MM. Schneidermann et de M. Boniface m’ont remis en mémoire le roman de Conrad, The Secret Agent (1907). L’agent secret est M. Verloc, qui tient une vague librairie-papeterie qui vend en réalité de la pornographie sous le comptoir. Dans son travail d’agent secret, Verloc produit, sans évidemment révéler par qui il est stipendié, une abondante littérature de propagande. Au début du roman, Verloc est convoqué chez ses commettants, qui lui expliquent qu’il n’en fait décidément pas assez et qui décident qu’il doit faire sauter l’observatoire de Greenwich. Je n’accuse évidemment pas MM. Schneidermann et Boniface d’avoir fait sauter Charlie Hebdo.
Mais que dire de l’infecte dépêche AFP du vendredi 4 novembre, aussitôt reprise par tous les journaux, signée Gaëlle Geoffroy et Amer Ouali, qui vont prendre la température à la sortie d’une salle de prière parisienne, dépêche qui n’a pas d’autre fonction que de « dé-stigmatiser » les musulmans, en laissant entendre qu’ils sont tolérants. Cette dépêche donne jusque dans son titre — « Caricaturer Mahomet ne justifie pas de brûler Charlie Hebdo, disent des musulmans » — un brevet de civisme et de modération aux intéressés, tandis que le corps du texte est rhétoriquement ordonné selon un crescendo : 1. condamnation de l’incendie criminel, 2. plainte victimaire sur la sensibilité musulmane, la blessure musulmane et le sens musulman du sacré, 3. appel pur et simple à la censure : « “Si Moïse ou Adam étaient caricaturés, ça me ferait mal car ce sont des prophètes, des exemples”, explique le jeune homme à la djellaba. “On peut très bien s'exprimer, mais dans le respect”, dit-il. Pour Chayma El Khaira, le “problème” serait “réglé” si l'on “arrêtait de caricaturer les religions des uns et des autres, islam, judaïsme ou christianisme”. “La liberté des uns commence là où celle des autres se termine. Il y a des limites à la liberté d'expression, pour les uns comme pour les autres, et il faut savoir trouver le juste milieu pour vivre ensemble”, résume Youssef Dhabbah, 27 ans. »
Bref, les sympathiques fidèles, plus ouverts et modérés les uns que les autres, répètent comme des perroquets le programme que les institutions panislamiques tentent de faire adopter à l’ONU, l’instauration d’un délit de « diffamation des religions ». Comme l’écrit l’anthropologue Jeanne Favret-Saada dans son petit ouvrage Jeux d'ombres sur la scène de l'ONU : Droits humains et laïcité, éditions de l’Olivier, 2010 : « Une majorité d'Etats refusant désormais de reconnaître l'universalité des Droits de l'homme, l'organisation internationale se rabat sur leur justification implicite par les religions. (...) On assiste ainsi à une déraison du langage où “civilisation” signifie d'emblée “religion”, où “religion” connote “suprêmement honorable” et où “critique de la religion” s'appelle “racisme”, “intolérance”, “haine” ou “islamophobie” : la langue ressuscitée du 1984 d'Orwell creuse l'ornière d'une prétendue “tolérance” nouvelle. »
Voilà ce que l’AFP présente comme de la tolérance, voici ce qu’elle propose comme modèle de civisme aux musulmans de France ! Autrement dit, voilà ce que l’avenir nous réserve !

Au milieu de cette boue épaisse et nauséabonde, propos lucides de M. Philippe Bilger (sur son blog Justice au singulier, 3 novembre). Il fallait un ancien procureur (aujourd’hui magistrat honoraire) pour rétablir cette simple vérité : ce qui se joue ici n’a rien à voir avec les limites de la liberté d’expression, mais a tout à voir avec des agissements criminels. J’expliquais moi-même, à propos du procès intenté à Charlie par les islamistes en 2006 qu’il était erroné de poser le problème dans les termes d’un conflit entre un prétendu droit au respect et la fameuse liberté d’expression, que cette façon de juger nous entraînerait immanquablement à un mélange de censure et de violence islamique. M. Bilger a bien compris que c’était une stratégie perdante, une défense de dernière ligne, puisqu’il écrit que les partisans de la liberté d’expression « tentent de convaincre les énergumènes qui ont causé cet incendie que leur comportement n'est pas républicain. Qu'il y a des valeurs et des principes qui s'opposent à ce qu'on détruise de la sorte la pensée d'autrui. »
Seulement voilà, les énergumènes ne veulent pas se laisser convaincre. Autrement dit, nous sommes déjà dans le régime que j’annonçais prophétiquement, mélange de censure (Charlie, s’autocensurant, a représenté un gentil Mahomet, en s’efforçant de ne vexer personne) et de violence islamique. Or, face à cette violence terroriste, continuer à invoquer l’opposition de la « liberté d’expression » et du « respect » devient une absurdité pure et simple. M. Bilger écrit : « Dès lors qu'il n'y a pas l'ombre d'un dialogue possible, il convient d'abandonner ce champ pour se contenter de décréter que cet incendie volontaire est un crime, que ceux qui l'ont perpétré sont des criminels, qu'ils doivent être pourchassés et sanctionnés comme tels. »
Il n'est pas inutile de rappeler certaines vérités. Quand on incendie un journal, on est un incendiaire. Quand on envoie des menaces de mort à un journaliste, on est un criminel d’intention. Quand on agit en bande organisée pour troubler l’ordre public par des destructions, dégradations et détériorations, avec pour but l’intimidation et la terreur, on commet des actes de terrorisme (art. 421-1 du Code pénal). Tout cela n’a rien à voir avec les restrictions à la liberté d’expression, restrictions qui sont bien connues et qui sont, de la part de celui qui s’exprime, les faits d’injure ou de diffamation, ou encore le fait, de la part de celui qui s’exprime, d’inciter à la haine ou à la violence.
Les médias ont donc réussi à retourner cul par dessus tête notre droit pénal en posant que la limite à la liberté d’expression, c’est désormais le fait que celui qui s’exprime s’expose à des appels à la haine et à des appels au meurtre de la part de certains membres du public, suivis parfois d'un passsage à l'acte.