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Extraits du journal de Harry Morgan

2010

JOURNAL SUR LES MAUX ET LES CALAMITÉS DU TEMPS
POLÉMIQUES ANTI-CHRÉTIENNES ET CARICATURES DE MAHOMET

Alexandre Dumas et les noirs. - La mort d'un dissident. - René Girard et la théorie mimétique. - Persécutions anti-chrétiennes et caricatures de Mahomet. - Le jihad contre le dessin de presse. - Un Ku Klux Klan afro-musulman. - Enseignement de l'ignorance et littératures dessinées. - Le français aujourd'hui. - L'étourderie d'un journaliste. - Les attaques contre l'Église. - Calomnies pascales. - Réactions d'internautes. - France 24 et le factoïde. - Annales de la métadiscursivité : la censure de South Park. - Lars Vilks. - Les Dover books. Belzébuth. - Les lotophages. - Livres pour vieilles personnes. - L'assassinat de Mgr Padovese. - Quand la vie réelle ressemble à mes propres écrits satiriques. - Antidotes. - Le New York Times réformateur de la théologie. - Vérité d'une coquille. - Le droit des bandits à n'être pas appelés bandits. - Fin d'été dans ma bibliothèque. - En lisant Buffon. - Les évidences d'une remplaciste. - Serins et perroquets. - Le cas de Molly Norris. - La censure. - L'invasion des profanateurs de sépulture. - Le triomphe des mal-pensants. - Le poumon digital. - Savoir-vivre. - La nouvelle peur des images. - Un fou du volant. - Les cimetières de mots. - L'affaire de Bagdad. - Libérez Barrabas ! - La censure du « Je vous salue Marie ». - Sentiment et sentimentalisme. - Pour conclure le Journal sur les maux et les calamités du temps.


17 février. — Parce que Gérard Depardieu tient à l’écran le rôle d’Alexandre Dumas, des intellectuels afro-antillais déclenchent une polémique, complaisamment entretenue par les médias, Dumas étant désormais supposé être noir, et devant par conséquent être joué par un noir, en vertu du monopole que les communautaristes s’attribuent sur leur communauté.
Le Progrès de Lyon se surpasse dans la bêtise en écrivant (14 février) : « Un acteur blanc, Gérard Depardieu, pour incarner le grand écrivain métis Alexandre Dumas : une décision qui montre à quel point les élites peinent à être en phase avec la diversité de la France, estiment des personnalités du monde des médias et de la société civile. » Et le quotidien précise : « Nombre de Français connaissent l'auteur des Trois Mousquetaires mais rares sont ceux qui savent qu'il était métis comme Barack Obama. »
Écrire à propos d’Alexandre Dumas « le grand écrivain métis » c’est se montrer totalement dépourvu du sens du ridicule, et cela témoigne de surcroît d’une véritable obsession racialiste. Alexandre Dumas était fils d’un mulâtre, autrement dit un quarteron. Cela ne suffisait pas, ni à son époque ni aux suivantes, pour le définir comme « noir » ni même comme « métis » (mais on aurait dit « mulâtre », au XIXe siècle, un métis étant un descendant de blanc et d’indienne, ou de blanche et d’indien). Même les Goncourt, si méchants, si réactionnaires, si antisémites, le tiennent pour « à peu près blanc » (Journal des Goncourt, 5 mars 1886). Le Castex et Surer de 1954 décrit Dumas comme « fils d’un créole de Saint-Domingue qui fut général d’Empire », créole désignant, d’après le dictionnaire de Littré, « un homme blanc, une femme blanche, originaire des colonies ». Il faut attendre la fin du XXe siècle pour trouver des ouvrages sur la « négritude » de Dumas. Pour déterrer des allusions anciennes à la qualité de mulâtre de Dumas il faut consulter le pamphlet injurieux de Mirecourt — qui est du reste l’origine du vocable de « nègre » tel qu’utilisé en littérature, les collaborateurs de Dumas qui ne signaient pas se ravalant, selon le pamphlétaire, « à la condition de nègres, travaillant sous le fouet d’un mulâtre » (Eugène de Mirecourt, Fabrique de romans, maison Alexandre Dumas et compagnie, 1845, p. 46). Ou alors, il faut puiser dans la littérature des mabouls, tels Charles Carroll, auteur de The Negro a Beast (1901) et de The Tempter of Eve (1902), qui explique sérieusement que le noir est un singe supérieur et qu’il n’a par conséquent point d’âme, et qui, à propos du mulâtre Dumas, note ceci : « The mere fact that Alexandre Dumas possessed a fine mind is no evidence that he possessed a soul. » (The Negro a Beast, p. 373. Cité par Martin Gardner, Fads and Fallacies in the Name on Science, Dover, 1957 [1952], p. 157.)
Dans l’actuelle polémique, le comble de l’impudence est atteint par le Martiniquais Emmanuel Goujon et par l’Ivoirien Serge Bilé, qui se présentent comme « écrivains et journalistes » et qui, sur le site Rue89 (mise en ligne le 09 février 2010, à 17H16), écrivent : « Alexandre Dumas se décrivait, d'ailleurs, lui-même, dans ses Mémoires, comme un « nègre », avec des « cheveux crépus » et un « accent légèrement créole ». Tout l'inverse, à l'évidence, de… Gérard Depardieu. »
Je lis, moi, dans ces fameux Mémoires (Michel Lévy frères, édition de 1865, p. 288) : « Quant au physique, je faisais un assez joli enfant : j’avais de longs cheveux blonds bouclés, qui tombaient sur mes épaules, et qui ne crêpèrent que lorsque j’eus atteint ma quinzième année ; de grands yeux bleus qui sont restés à peu près ce que j’ai encore aujourd’hui de mieux dans le visage ; un nez droit, petit et assez bien fait ; de grosses lèvres roses et sympathiques ; des dents blanches et assez mal rangées. Là-dessous, enfin, un teint d’une blancheur éclatante, lequel était dû, à ce que prétendait ma mère, à l’eau-de-vie que mon père l’avait forcée à boire pendant sa grossesse, et qui tourna au brun à l’époque où mes cheveux tournèrent au crêpu. »
On n’est pas plus noir !

Je retrouve dans les Mémoires de Dumas le passage auquel MM. Goujon et Bilé font allusion. Le contexte est le suivant : Dumas menace de ses pistolets le commandant de la place de Soissons pour se faire ouvrir la poudrière car il a promis au général La Fayette d'offrir cette poudre aux insurgés parisiens qui en manquent. La femme du gouverneur s'écrie : « C'est une seconde révolte des nègres ! » Dumas note alors ceci : « À mes cheveux crépus, à mon teint bruni, à mon accent légèrement créole, — si toutefois, au milieu de l'enrouement dont j'étais atteint, il me restait un accent quelconque, — elle m'avait pris pour un nègre, et s'était laissée aller à une indicible terreur. » (Mes Mémoires, sixième série, nouvelle édition, Michel Lévy, 1868, p. 233.) Comme on le voit, c'est frauduleusement que MM. Goujon et Bilé lisent dans ce passage une proclamation de négritude. On peut même faire l’observation que ces messieurs refont l’erreur de la femme du gouverneur.

24 février. — Journal de France Culture, ce matin à sept heures. J’entends ceci : « Il s'appelle Orlando Zapata. Ce prisonnier politique cubain est décédé hier dans un hôpital de la Havane. Il est mort des suites de la grève de la faim qu'il avait entamée il y a plus de deux mois pour protester contre ses conditions de détention. Aucun détenu politique n'était mort en détention depuis le début des années 70 à Cuba. »
Cela a duré exactement dix-sept secondes. Suit un sujet sur un congrès abolitionniste qui s’ouvre à Genève, à l’initiative d’une ONG, Ensemble contre la peine de mort. Interview d’un militant qui s’occupe d’un condamné à mort américain, Roger McGowen, et qui déclare ceci : « C'est vrai que j'ai rencontré un homme absolument délicieux et magnifique. Parce qu'il faut voir dans quel endroit il vit. [Larmes dans la voix.] C'est un être qui a décidé de donner de l'amour comme seule façon de s'en sortir dans cet enfer. » Et on continue dans la même veine, ce sujet sur le congrès abolitionniste durant deux minutes exactement.
Je crois qu’il y a là une excellente illustration de ce qu’est l’idéologie de notre temps, et de la nature monstrueuse de cette idéologie. Roger McGowen est un voleur et un meurtrier, condamné à mort pour avoir assassiné la patronne d’un bar au cours d’un hold-up. McGowen occupe ses loisirs forcés à écrire des fadaises spiritualisantes. Il faut donc répéter partout que McGowen est victime d’une erreur judiciaire, qu’il est un saint et que ses conditions de détention sont cauchemardesques. Tandis qu’Orlando Zapata, qui était innocent et qui croupissait dans un cachot de Castro, aux mains des tortionnaires de Castro, n’intéresse personne.

26 février. — J’ai l’intuition que l’islam conquérant, et l’empressement de l’Occident à se mettre aux normes mahométanes, représentent, sur le plan anthropologique, une extraordinaire régression, puisqu’il s’agit de revenir, avec la violence islamique, à l’aveuglement de la foule des persécuteurs, et de faire fi de ce qui est, selon René Girard, le centre de la révélation néotestamentaire — et par conséquent le centre de la culture occidentale —, la découverte que la victime de la violence mimétique est innocente. (À la question : « Robert Redeker est-il innocent ? », une majorité de mes contemporains répondrait certainement par la négative. Et si l’on demandait de quoi Redeker peut bien être coupable, la réponse spontanée serait certainement que la preuve que Redeker est coupable, c’est que la communauté musulmane l’accuse.)
Il est singulier que l’idéologie occidentale qui a permis ce retour à la violence sacrée soit structurée précisément autour de la représentation persécutrice et de la déploration victimaire. Mais une société qui place au centre de son paysage mental les grands massacres du XXe siècle ne se prémunit nullement contre de nouveaux massacres, bien au contraire. La concurrence victimaire qui découle de la commémoration de ces massacres n’est pas autre chose, si l’on applique le schéma de Girard, qu’une rivalité mimétique, prélude à la violence sacrificielle.
L’instrumentalisation de la Solution finale relève du cas d’école, tant le mécanisme de la rivalité mimétique y est évident. On ne ressasse l’Holocauste que pour expliquer que désormais ce sont les juifs qui sont les occupants, que désormais ceux qui enferment leurs victimes dans des ghettos, ce sont les juifs, enfin, que, désormais, le nazisme porte le nom de sionisme et que ceux qui, hier, étaient les victimes sont aujourd’hui les bourreaux. À l’hystérie commémoratrice répond l’hystérie accusatrice. Les deux discours sont parfaitement symétriques et leur intensité croît ensemble.
De même, cette terrifiante obsession de notre temps, celle de l’indifférenciation générale (multiculturalisme, injonction de métissage, pansexualité), loin d’annoncer la fin des conflits de nations, de races, de religions, de sexes, de générations, représente le paroxysme de la crise mimétique, le moment où cette crise constitue littéralement les rivaux en doubles. Généralisée à l’ensemble de la société, cette culture de l’indifférenciation où plus rien ne distingue l’homme de la femme, le citoyen de l’étranger, le maître de l’élève, le jeune homme du vieillard, amène cet état de chaos qui, comme le montre Girard, prélude à la crise sacrificielle, où, de la lutte de tous-contre-tous, on passe à la lutte de tous-contre-un, et par quoi la société se décharge temporairement sur un bouc émissaire de son trop-plein de violence.
Et sans doute faudra-t-il accepter cette vérité, si épouvantable qu’elle nous paraisse d’abord : si l’on n’enseigne plus rien d’autre aux petits Européens qu’Auschwitz et que les horreurs de la colonisation, ce n’est pas du tout dans le dessein de les dissuader de nouvelles aventures totalitaires. C’est tout au contraire pour leur faire accepter les massacres futurs.

3 mars. — Les blogs chrétiens mandent qu’au Pakistan deux chrétiens, le mari et la femme, ont été condamnés à 25 ans de prison sous l’inculpation d’avoir touché le Coran sans s’être lavés les mains au préalable. Il n’y a rien là qui doive surprendre et de telles condamnations sont monnaie courante au pays des « purs ». Car lorsque, en terre d’islam, la plèbe ressent le besoin d’assassiner un prêtre ou des fidèles, de brûler une église ou d’incendier un quartier chrétien, il se découvre invariablement que les chrétiens avaient fait, ce jour-là, des saletés avec le Coran. Et si l’État inscrit dans son code pénal, comme l’a fait le Pakistan, la profanation du Coran (punie d’emprisonnement à perpétuité, art. 295-B), et le blasphème contre Mahomet (puni de mort ou d’emprisonnement à perpétuité, art. 295-C), il faut, aux exactions spontanées des fanatiques, ajouter les rigueurs de la loi.
Comment ne pas repenser à l’affaire dite des caricatures de Mahomet, c’est-à-dire aux émeutes et aux saccages de février 2006, qui n’étaient pas autre chose après tout qu’un gigantesque pogrom anti-chrétien, mené simultanément au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie, en Iran, au Liban, à Gaza, après que la fureur de destruction des émeutiers avait été excitée par l’habituelle accusation de sacrilège.
Et en effet, à bien examiner, l’affirmation que les Européens auraient, en le représentant sous forme de dessins humoristiques, insulté Mahomet apparaît de même nature exactement que l’accusation d’avoir touché le Coran avec des mains sales, la vermine chrétienne ne pouvant entrer en contact, ne pouvant même se trouver dans la proximité d’un symbole de l’islam sans le contaminer. En Malaisie, le gouvernement en était arrivé l’an dernier à interdire aux chrétiens d’employer dans leur presse en langue malaise le mot « Allah » (qui signifie « Dieu », tout simplement), puisque, n’étant pas musulmans, ce nom, ils le souillaient chaque fois qu’ils l’imprimaient.
Ce qui confond l’esprit, c’est qu’il se soit trouvé en Occident, après les exactions de février 2006, des misérables pour entrer dans les raison des jihadistes, pour se persuader que ceux-ci devaient avoir un juste motif de plainte, pour présenter des excuses — comme vient de le faire encore le rédacteur en chef du quotidien Danois Politiken (qui n’a reproduit les caricatures qu’en 2008, après le premier complot contre Kurt Westergaard) —, pour demander, comme le dessinateur Plantu, la « trêve des caricatures » ou, pire encore, pour déposer comme le député du Gard, Jean-Marc Roubaud et le député-maire du Raincy Éric Raoult, le projet d'une loi anti-blasphème qui, si elle avait été votée et appliquée, aurait réduit les non-musulmans en France à la condition des chrétiens martyrisés du Pakistan.

10 mars. — Nouveau complot jihadiste, déjoué en Irlande, par la garda. Un groupe islamique s’apprêtait à assassiner un dessinateur suédois, Lars Vilks, qui a, dans trois dessins exécutés en 2007, représenté Mahomet sous forme de rondellhund. Un rondellhund est une sculpture de chien placée sur un rond-point par des anonymes, dans l’intention de moquer l’art urbain. L’une des images de rondellhund de Vilks parut le 18 août 2007 dans le quotidien local d’Örebro, Nerikes Allehanda. Elle illustrait un éditorial sur la liberté d’expression à l’heure du jihad planétaire.
Comme tout dessin de presse, le croquis de Lars Vilks était de nature métadiscursive, non seulement parce qu’il fallait, pour le comprendre, connaître le référent (et donc savoir ce qu’est un rondellhund), mais aussi — et surtout — parce qu’un dessin éditorial est par définition un commentaire sur une actualité. Le dessin de Lars Vilks posait la question que posaient déjà les caricatures danoises du Jyllands-Posten : « Avons-nous, nous autres Européens, encore le droit de nous exprimer librement sur l’islam ? »
Le projet d’attentat contre Lars Vilks, comme les deux tentatives d’assassinat de Kurt Westergaard, auteur de la plus fameuse des caricatures du Jyllands-Posten, sont des réponses en actes, données, au nom de l’oumma, par les jihadistes, réponses qui complètent les protestations par la voie diplomatique (si on peut encore la nommer telle) des régimes iranien, pakistanais, afghan, égyptien, jordanien, ainsi que de l’Organisation de la Conférence islamique.

12 mars. — Je découvre sur la Toile le programme d’un parti nouvellement constitué, le Parti des Indigènes de la République, issu du mouvement du même nom, et qui apparaît comme une sorte de Ku Klux Klan afro-musulman, militant pour l’abolition de l’Europe blanche.

Le parti est également violemment monté contre la République française, décrite comme un régime d’apartheid (« un système politique, idéologique et social basé sur les inégalités raciales au sein de l’Hexagone, à l’encontre de l’immigration coloniale et de ses enfants »). Le concept d’« immigration coloniale », introduit dans cette phrase, n’est pas clair, mais, si je comprends bien, les intéressés s’imaginent vivre dans un gigantesque empire colonial, qui serait dominé par les blancs, et dont ils constitueraient les populations indigènes. Et, de cet empire, ils prétendent se rendre maîtres en s’appuyant sur une triple revendication : libre circulation vers la « métropole » (qu’ils appellent « l’Hexagone »), citoyenneté de plein droit à tout migrant (« citoyenneté de résidence »), et communautarisation de ce que les intéressés appellent bizarrement l’État français, les migrants conservant leur langue, leurs coutumes et leurs institutions propres.

[Nous offrons généreusement ce projet d'affiche au Parti des Indigènes]

14 mars. — Je tombe par hasard sur un essai mis en ligne sur le site du Centre régional de documentation pédagogique de l'académie d'Aix-Marseille, intitulé « La vision des Arabes dans une bande dessinée des années 1930 », et signé par quatre élèves de classe de première Économique et sociale d'un lycée privé du sud de la France, vraisemblablement (bien que cela ne soit précisé nulle part) dans le cadre de leurs « travaux personnels encadrés », tant vantés sur le plan pédagogique comme favorisant l'autonomie de l'élève, et censés préparer l'accès à l'enseignement supérieur en initiant l'élève à une démarche de recherche.
Le moins qu'on puisse dire, au vu de ce travail jugé suffisamment exemplaire pour être récompensé par une publication en ligne, est que ces objectifs sont loin d'être atteints.
La bande dessinée choisie par nos chères têtes blondes (on va voir pourquoi dans un moment) est une œuvre de jeunesse de Robert Dansler (qui signera Bob Dan), Mohamed Fil-de-Fer et Ali Boubou Marius chez les Barbaresques, 'une tartarinade, avec personnages marseillais prototypiques et caricaturaux.
Notons pour commencer que nos lycéens ont borné leur recherche documentaire à une requête sur google. Ce qu'ils écrivent de Robert Dansler est copié/collé de la notice du dessinateur sur le site bedetheque.com, faute comprise, puisque Bob Dan devient Dan Bob. À la fin de l'article sont cités d'autres titres de Dansler, repris sur une source quelconque, mais — pas de chance ! — Dans Les Griffes du serpent vert et Le Bal des serpents ne sont pas des bandes dessinées, comme le croient nos chercheurs en herbe, mais des romans populaires en fascicules, Dansler ayant pratiqué à la fois l'écriture et la bande dessinée.
Comme on le voit, le travail minimal, adapté aux possibilités d'un élève de première, qu'aurait été la consultation d'un dictionnaire ou d'une encyclopédie de la bande dessinée dans une médiathèque n'a pas été fait. Dans de telles conditions, il y avait évidemment peu de chance qu'on s'aventurât jusqu'à la littérature savante. Pas plus que les enseignants qui les encadrent, les élèves ne savent qu'il existe une littérature secondaire sur la bande dessinée, et que, si on veut apprendre des choses sur Bob Dan, il faut consulter la revue Hop ! C'est bien dommage, puisque cela aurait permis de découvrir ce qu'est une revue d'études, d'apprendre dans quelles institutions on peut consulter une revue d'études, de comprendre comment on utilise un sommaire analytique ou comment on consulte une base de données.
Il faut donc conclure que, loin d'initier ces jeunes gens à la recherche documentaire telle qu'elle est pratiquée à l'université, on leur a confirmé qu'il fallait faire ce qu'ils font déjà spontanément (rechercher sur internet). C'est absolument anti-pédagogique et cela déprépare à l'enseignement supérieur. Du coup, on a gâché un sujet pourtant très propre à intéresser des jeunes gens. Car un embryon de recherche sérieuse, et un minimum de curiosité, toujours dans les limites de ce qui est accessible à un lycéen, auraient amené de belles questions. Qu'est-ce qu'un album ? Qu'est-ce qu'un roman populaire en fascicule ? Pourquoi fait-on toujours des albums, alors qu'il n'y a plus de romans populaires en fascicules ? Pourquoi cet album-là est-il en bichromie et non « tout en couleur » comme ceux que nos jeunes gens ont l'habitude de lire ? Qu'est-ce qu'un « auteur » de bande dessinée ou de roman populaire ? Quel est son statut ? Comment vit-il ? Est-il riche ? Est-il célèbre ? Pourquoi donc Robert Dansler est-il si prolifique ?
Passons au fond. Le travail de nos lycéens se borne en réalité à une étude de contenu. Et quelle étude ! « Que nous raconte cette bande dessinée ? » se demandent nos jeunes chercheurs. Réponse : « Une population arriérée et violente : les Arabes nous sont présentés comme agressifs  », « violence barbare », « justice tyrannique et arbitraire dans son fonctionnement et barbare dans ses punitions (supplice du pal) », « le cadi est dessiné sous les traits d’un homme perfide et manipulateur », « une population naïve, inculte et finalement inoffensive : les Arabes ne sont finalement pas si méchants. Ils sont seulement naïfs », « mais les Arabes ont beau être des sauvages ils n’en sont pas moins poltrons », « En définitive, une situation de sauvagerie qui justifie la colonisation comme "mission civilisatrice" (Jules Ferry) ». Et comme les enseignants qui supervisent le travail sont zélés et qu'on se prépare aux études supérieures, on a droit à cet endroit à une analyse savante sur le contenu idéologique, qui ne serait pas déplacée dans un mémoire de master ou une thèse : « La colonisation souvent présentée comme une libération est ici présentée comme une double libération : libération de la sauvagerie mais aussi de nos deux héros marseillais. »
Résumons : Mohamed Fil de Fer et Ali Boubou Marius, c'est islamophobe. Les 5000 signes que compte l'essai de nos « premières » sont intégralement consacrés à établir ce point essentiel. Nos jeunes gens n'ont choisi d'étudier l'album que parce qu'il constituait à leurs yeux un document incriminant sur la « vision » d'un dessinateur, vision que, avec une mauvaise cautelle, ils jugent « peut-être » raciste, mais qui, en tout état de cause, « correspond certainement à ce que pensait la population de l’époque ». (Au passage, nos bouillants jeunes gens règlent définitivement son compte à un auteur plus considéré : « Et finalement en matière de cliché sur les civilisations différentes il [Dansler] n’a rien à envier à un auteur plus connu : Hergé. »)
Et peu importe que les griefs relevés soient contradictoires (car enfin, il faudrait savoir : les Arabes sont-ils cruels ou « pas si méchants » ? on ne peut se contenter de lancer une accusation de façon ad hoc, parce qu'un élément du récit semble l'étayer ponctuellement). Et peu importe qu'on soit devant une bande dessinée comique (qui joue par définition sur des effets hénaurmes, des supplices « pour rire », qui met par définition en scène des personnages de matamores, ou au contraire de naïfs, de poltrons).
Si nos jeunes gens s'étaient penchés sur les héros de l'album, Marius et Fil-de-Fer, ils auraient peut-être trouvé que ceux-ci ne sont ni plus ni moins caricaturaux que les Arabes représentés. Et comme il est difficile de supposer chez le parisien Robert Dansler un racisme anti-marseillais, cela aurait peut-être aiguillé nos lycéens vers le stéréotype du personnage (le gros vs. le maigre, le jovial vs. le triste) et le stéréotype régional (le Marseillais est expansif et amateur de galéjades), qui fit les beaux jours de la littérature destinée à la jeunesse pendant un siècle, et qui ne diffère pas fondamentalement du stéréotype colonial.
Au total, le résultat de la recherche apparaît aussi étique que la méthode. Sur le plan idéologique (puisque c'est à cela que s'est bornée l'analyse), on n'a pas touché du doigt la notion de stéréotype, la fonction que peuvent avoir ces stéréotypes dans le récit, la fonction qu'ils peuvent avoir dans une société, comme constitutifs de l'identité collective. On n'a pas davantage fait voir à ces adolescents que les représentations collectives prenaient sens dans une société donnée et qu'elle évoluaient avec le temps. On s'est contenté, ici aussi, de conforter les attitudes spontanées des élèves, en les plaçant dans la position de dénonciateurs du « méchant raciste », conformément à une rhétorique qui est en réalité celle des médias, érigés depuis une génération en juges de la moralité publique, et perpétuellement occupés à traquer les « dérapages », et à monter en épingle les « polémiques » et les « scandales ».
Outre qu'une telle attitude de dénonciation systématique ne contribue pas nécessairement à la paix sociale dans une société multi-ethnique, puisqu'elle semble faite à dessein pour encourager l'hyper-susceptibilité des populations allochtones et pour nourrir leur préoccupation du grief, elle nous oblige à reconsidérer notre rapport à notre propre histoire et aux œuvres de notre passé, fût-ce une modeste bande dessinée due à la plume d'un dessinateur aujourd'hui inconnu du grand public. S'il faut désormais analyser l'intégralité de notre littérature dessinée comme s'il s'agissait de caricatures antisémites du Stürmer ou des Fliegende Blätter nazifiés, il faut poser sérieusement la question de la conservation de cette littérature, et de la façon dont nous enseignons son histoire et son esthétique.
Voilà, au final, ce que révèle cet excellent travail d'élèves de première, scolarisés dans un lycée catholique de centre-ville, travail récompensé par une publication en ligne sur un site de l'Éducation nationale. En confortant l'élève dans l'idée que sa façon de faire instinctive ou que sa conception spontanée sont les bonnes, qu'il n'est besoin ni de méthodes ni de concepts plus élaborés, on encourage la paresse intellectuelle et l'absence de curiosité, et on prépare aussi mal que possible le passage à l'université. En n'étudiant un album que pour son contenu idéologique, on confirme un préjugé de la classe moyenne faiblement éduquée (qui juge systématiquement une œuvre de fiction à l'aune des « idées » qu'elle contient ou qu'elle est censée contenir), en faisant complètement l'impasse sur ce qui relève de la forme de cette œuvre, et qui en fait l'intérêt (l'album comme objet éditorial, les codes du récit dessiné, les genres littéraires du voyage comique et de l'épopée burlesque, les figures du comique marseillais, etc.).
Mais le plus gênant est sans doute l'éducation permanente au soupçon qui se décèle ici, vis-à-vis de n'importe quelle œuvre du passé, et l'encouragement systématique à une lecture de cette œuvre qui est en réalité malveillante, lecture dictée par une idéologie pas moins pesante que dans un totalitarisme (nos lycéens auraient pu surmonter leur essai d'un slogan tel que « nous bâtissons l'antiracisme », sur le modèle du « Wir bauen den Sozialismus » des jeunes Est-Allemands).
Et lorsqu'on fait baigner la jeunesse dans un climat intellectuel dominé par la suspicion et la pratique du mouchardage, il faut s'attendre à ce que cette jeunesse succombe de temps en temps à des tentations paranoïaques. Un peu vexés que leurs maîtres leur reprochent de n'avoir rien trouvé sur l'album, les lycéens se justifient ainsi  : « Nous n’avons trouvé aucune information sur cette BD, aucune référence. La date de publication n’est pas indiquée mais c’est probablement juste après 45 puisque c’est édité chez Artima. Peut être avons-nous mal cherché, peut être y a-t-il volonté de ne pas écorner un auteur connu. » Traduisons : si on ne trouve pas, en faisant une recherche sur google, de notice sur Mohamed Fil-de-Fer et Ali Boubou Marius c'est que les spécialistes de Bob Dan, connaissant la nature de cette œuvre, ont choisi de la passer sous silence, pour ne pas compromettre la réputation de leur grand homme.

Sur Robert Dansler (Bob Dan) dessinateur de bandes dessinées, on consultera Hop ! n° 5/6 (déc. 1975), n° 7 (mars 1976), n° 11 (mars 1977) (bibliographie), n° 20 (juin 1979) (article sur Jack Sport), n° 29 (sur un projet d'adaptation, resté sans suite, du Petit Sheriff), n° 71 (2e trim. 1996) (Bill Tornade), n° 73 (4e trim. 1996) (Tarou), n° 75 (2e trim. 1997) (Jack Sport), n° 77 (4e trim. 1997) (Corsaires et Flibustiers). On consultera aussi Le Collectionneur de bandes dessinées n° 35 (nov.-déc. 1982). Sur Robert Dansler et le roman populaire, on consultera Le Rocambole n° 34/35, printemps-été 2006, p. 162-174. [Manuel Hirtz]

18 mars. — Le terroriste de nationalité américaine, David Headley, de son vrai nom Daood Sayed Gilani, membre des redoutables Lascars pakistanais (Lashkar-e-Taiba), a plaidé coupable aujourd'hui devant un tribunal de Chicago pour son rôle dans les attentats de Bombay en 2008 et dans la première tentative d’assassinat de Kurt Westergaard, en 2008.
Cette information vient à point pour nous rappeler que les gens qui menacent les dessinateurs et les écrivains sont des terroristes, et non d’humbles croyants outragés par les « blasphèmes », comme voudrait le faire croire le storytelling islamique. Cependant si, en Occident, rares sont ceux qui approuvent les attentats aveugles, il en va tout autrement lorsque les terroristes visent un auteur, et les voix s’unissent alors pour accabler la victime.

« Contées dans une prose magnifique et extraordinairement concrète, avec forces détails et précisions quasi cinématographiques, ces mémoires sont à la fois chargées du flot de l’Histoire et d’une foule de micro histoires qui ont cependant, chacune à leur manière, une signification historique. Elles racontent ainsi toute la liberté et toute l’horreur du XXe siècle, faisant du Lièvre de Patagonie un livre unique, qui allie la pensée, la passion, la joie, la jeunesse, l’humour, le tragique. »
-Présentation de l'éditeur de l'ouvrage de Claude Lanzmann, Le lièvre de Patagonie, Gallimard - 12 mars 2009.

Personne n'est à l'abri d'une coquille ou d'une étourderie, et j'ai trop à faire de corriger les miennes pour donner des leçons aux autres. Mais tout de même, il y a des cas où l'on est obligé de prendre acte de ce qui n'est pas autre chose qu'une ignorance grossière de la langue française. Il faudra donc se faire à l'idée que, en ce début du XXIe siècle, les collaborateurs de l'illustre maison Gallimard ignorent le genre de mots appartenant au lexique littéraire, et ne savent pas que le mot « mémoire » quand il s'agit des « mémoires » d'un écrivain est du genre masculin.

19 mars. — Dans une société où la libre expression est empêchée, et où le discours des médias a pour fonction de dissimuler et non d'instruire, c'est dans les trouées et les clairières de la parole, dans ce que les linguistes nomment messages à fonction phatique, que l'on distingue la vérité. Journal de France Culture de ce 19 mars, 8 heures. Le présentateur explique que le conseil d'État belge a suspendu l'interdiction du port de signes religieux dans les écoles, en attente d'une décision de la cour constitutionnelle. Le présentateur passe alors à la question des commerces halal, qui connaissent un très grand développement en Belgique et qui viennent d'obtenir une homologation par la chambre de commerce de Bruxelles. Or la transition entre ces deux sujets connexes passe par cette phrase : « Et pour ce qui est du commerce, l'adaptation va plus vite », par laquelle le présentateur de France Culture avoue ingénument sa conviction, qui est aussi, n'en doutons pas, celle de sa rédaction, de sa station et de son gouvernement : l'Europe est désormais musulmane et il faut donc procéder à l'adaptation du continent à la nouvelle civilisation qu'il abrite. Cette adaptation se fait plus malaisément pour le droit que pour le commerce, mais elle se fera, inéluctablement, et il faudra bien finir par abolir la laïcité.

24 mars. — Campagne médiatique contre l’Église et contre le pape. Le New York Times monte en épingle l’affaire d’un prêtre, Lawrence Murphy, qui a abusé d’enfants sourds entre 1950 et 1975, et le quotidien essaie maladroitement d’impliquer Joseph Ratzinger, l’actuel Benoît XVI, en prétendant (sans en apporter la moindre preuve) que celui-ci, en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, aurait refusé de réduire Murphy à l’état laïc, en 1996, soit plus de vingt ans après les faits, à une époque où le prêtre était en fin de vie et séquestré dans un in pace, dans la meilleure tradition de l’Inquisition. Vouloir tirer, comme le fait le quotidien, de cet échafaudage d’allégations et de culpabilité par association, l’indice d’une volonté d’étouffer les affaires de pédophilie de la part de Ratzinger, qui est précisément l’homme qui a décidé de prendre à bras le corps les problèmes de pédophilie dans l’Église, relève de l’aberration mentale. Même en tant que propagande, la manœuvre est idiote.
Il n’est pas anodin qu’après les emprunts à la propagande du KGB (accusations de sympathies nazies proférées contre Pie XII), les médias choisissent de recourir à celle du NSDAP. Le Dr Goebbels avait mené une campagne de diffamation du clergé, en inventant le chiffre de 7000 prêtres condamnés pour perversion sexuelle entre 1933 et 1937, en réponse à l’encyclique Mit Brennender Sorge, lue dans toutes les églises allemandes le 21 mars 1937, dimanche des Rameaux, et qui condamnait le nazisme.

4 avril. — Pas un reportage, pas un article sur les fêtes de Pâques, cette année, qui ne soit assorti d’un commentaire sur les « scandales qui secouent actuellement l’Église » (Le Figaro). Même la bénédiction urbi et orbi à Saint Pierre de Rome devient « une bénédiction sur fond de scandale » pour Véronique Pellerin (France Culture). Cependant la situation qu’on nous présente est l’effet d’un performatif médiatique, car ce sont les journalistes eux-mêmes qui ont décidé qu’il y avait « scandale », et qui créent ce scandale en répétant qu’il existe. (Le scandale, c’est l’éclat fâcheux de quelque mauvaise affaire ; il suffit donc de donner à une affaire quelconque suffisamment d’éclat pour qu’il y ait scandale : c’est précisément ce que font les médias.)
À cet égard, la palme revient au Monde, qui a osé titrer : « Des fêtes de Pâques ternies pour le catholicisme », comme si l’offensive médiatique était aussi une offensive métaphysique, et que le choix médiatique de monter en épingle des affaires de pédophilie vieilles de plusieurs dizaines d’années dût ternir le mystère de la Résurrection.
Le traitement médiatique conduit aussi à désacraliser la liturgie pascale. Il n’y a plus de célébration qui tienne, mais seulement une situation de communication, pas différente d’un meeting politique ou d’une conférence de presse (comme si une messe se résumait à une homélie), au cours de laquelle on attend une « réaction » du principal mis en cause, le pape lui-même, ou de l’un quelconque de ses représentants, par exemple Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France. Admirable illustration de cela au Grand Rendez-vous, de Jean-Pierre Elkabbach et Patrick Cohen, et sur Europe 1, dont l'invité est précisément Mgr André Vingt-Trois, et où l'on entend ceci : Le journaliste Antonin André (ton agressif, non celui d'une question, mais celui d'une mise en demeure) : « Qu'est-ce que vous attendez de la bénédiction du pape urbi et orbi de tout à l'heure : est-ce qu'elle doit aller plus loin que les classiques prières dites sur la place du Vatican ? » Traduction : Le pape doit-il s'excuser publiquement ? — Car notre journaliste sait que le véritable pouvoir, désormais, c'est le sien, c'est celui des médias, qui décident de ce qui est juste et de ce qu'il faut penser. Quand les médias ordonnent, il faut s'exécuter, et le pape doit sauter à travers le cerceau qu'on lui tend. (Mgr André Vingt-Trois a répondu dignement : « Jamais le message pascal du pape ne s'est borné à être une "classique prière". »)
Mais le plus admirable est que ce performatif médiatique ne laisse aucune échappatoire à l’accusé. L’absence de « réaction » de sa part l’accable, car son silence vaut aveu, et trahit le peu de cas qu’il fait des victimes. Ainsi, ce soir, les journaux notent, amers, que le pape « n'a pas fait référence aux scandales de pédophilie depuis le 20 mars » (Le Figaro). « Le pape muet sur les cas d'abus lors de sa bénédiction pascale », titre Le Nouvel Observateur. De même, Le Figaro relève que « Mgr André Vingt-Trois n'a fait aucune référence aux scandales qui secouent actuellement l'Église ». Que si, à l’inverse, l’accusé réagit, le déchaînement médiatique redouble alors d’intensité, et on découvre un nouveau scandale, né du précédent, par exemple dans le fait que le prédicateur du Vendredi Saint à Saint Pierre de Rome, Raniero Cantalamessa, ait lu la lettre d’un ami juif, qui notait ceci : « L'utilisation du stéréotype, le passage de la responsabilité et de la faute personnelles à la faute collective me rappellent les aspects les plus honteux de l'antisémitisme. » Mieux encore, lorsque, voulant se dépêtrer de ce scandale au second degré, le malheureux capucin s’excuse, dans le Corriere della Sera, auprès de ceux qu’il aurait choqués sans le vouloir, la presse triomphe : s’il s’excuse, c’est bien qu’il est en tort.
Les médias, m’objectera-t-on, ne sont pas seuls en cause. S’il y a scandale, c’est parce qu’il y a des groupes et des individus qui accusent, par exemple les associations américaines de victimes de prêtres pédophiles, qui mènent activement campagne contre Benoît XVI, ou bien des dignitaires de la communauté juive américaine, italienne ou allemande, choqués par le rapprochement entre cathophobie et antisémitisme. Mais ce sont bien les médias qui donnent autorité à ces accusateurs, moyennant un double raisonnement circulaire : autodéfinition du grief (si un rabbin se déclare choqué par le parallèle avec l’antisémitisme, c’est que ce parallèle est choquant), autodéfinition de la sanction appropriée (si un groupe de « survivants » de prêtres pédophiles estime que le pape doit démissionner, cette démission devient une revendication légitime).

5 avril. — Voici venu le temps des fous. À Münster, en Allemagne, un homme armé d’un manche à balai a attaqué l’évêque en pleine messe pascale, celui-ci se garant des coups à l’aide de son encensoir.

6 avril. — Elle n'est pas inintéressante, cette émission du dimanche de Pâques sur Europe 1, Le Grand Rendez-vous, de Jean-Pierre Elkabbach et Patrick Cohen, recevant Mgr Vingt-Trois. Elle illustre d'abord la grossière ignorance des journalistes en matière religieuse. Ignorance du vocabulaire le plus élémentaire. Le journaliste Antonin André déclare par exemple à Mgr Vingt-Trois : « Parce que vous avez des problèmes pour recruter des prêtres et des évangélistes (sic) : en tout cas des hommes pour prêcher (sic). » Ignorance des faits, à commencer par la simple chronologie. Elkabbach déclare ainsi : « L'évangile n'interdit pas aux évêques d'avoir une épouse : la pratique remonte au moyen-âge », à quoi le cardinal-archevêque répond sans se démonter : « L'évangile ne connaissait pas les évêques. » Quand, interrogé sur le célibat des prêtres, Mgr Vingt-Trois rappelle que, dans les Églises d'Orient, les prêtres sont mariés, il s'établit un dialogue de sourds, car Elkabbach ne sait pas qu'il y a des Églises d'Orient qui dépendent de Rome. Il croit que toutes les Églises d'Orient sont schismatiques. Le même Elkabbach, relayant les accusations du cardinal Schoenborn contre la « diplomatie vaticane », soutient tout aussi fautivement que la « diplomatie vaticane » c'est la « Curie romaine », et se fait corriger par son invité.
En second lieu, l'émission montre que la connaissance qu'ont les journalistes des dossiers est des plus précaires, les faits étant grossièrement déformés et simplifiés, et ces factoïdes n'étant employés au surplus que pour leur valeur de symboles, dans des oppositions manichéennes. Ainsi, nos as des médias parlent avec beaucoup d'assurance de la « réintégration des intégristes dans l'Église », et il faut que Mgr Vingt-Trois leur explique qu'il n'est rien arrivé de tel. Même ignorance de la notion d'infaillibilité pontificale, qui désigne clairement pour Elkabbach l'omnipotence de quelque idole stalinienne, et qui expliquerait la persistance de ce pape antédiluvien. (« Quand [la société] veut se débarrasser d'un dirigeant qui a pas compris son peuple elle le remercie et s'arrange pour élire un successeur. Mais le pape est infaillible. »)
L'émission illustre enfin l'arrogance des journalistes, dont témoigne cet échange savoureux. Mgr Vingt-Trois explique que l'actuel pape diffère de son prédécesseur en tant qu'il est un intellectuel : « Il a un fonctionnement intellectuel particulièrement rigoureux et donc quand il réfléchit, on le voit réfléchir, et quand il parle, ce qu'il dit c'est sa réflexion, et je crois que cette grande rigueur de la pensée intellectuelle n'est pas exactement ajustée aux modes de communication actuels. » À quoi Elkabbach répond ingénument, comme une chose qui va de soi : « Donc il est inadapté à l'époque. »

7 avril. — Pas de jour décidément sans que la presse ne révèle un nouveau cas de pédophilie dans l’Église universelle, vieux de plusieurs décennies et depuis longtemps jugé par les juridictions civiles et ecclésiastiques, ou depuis longtemps prescrit, en concluant rituellement que « le Vatican était semble-t-il au courant », formule véritablement magique, qui est censée gravement compromettre le pape.
La simple logique semble ici prise en défaut puisque, si la presse a vent de ces dossiers, c’est bien parce que le pape lui-même a exigé qu’on fasse la pleine lumière, même sur des affaires très anciennes. La propagande médiatique arrive donc à retourner complètement la réalité : parce que Joseph Ratzinger a décidé de révéler au plein jour ce qui se traitait jusque là dans la discrétion, on l’accuse d’avoir, lui, dissimulé ces affaires. Le binarisme médiatique se combine ici à une sorte d’arthrose interprétative, les journalistes n’arrivant à articuler que deux blocs de concepts, « l’Église-qui-dissimule », contre « les-médias-qui-révèlent ».
Le scandale du jour est fomenté par Associated Press (l’un des principaux responsables de l’agitation médiatique antipapale, avec le New York Times). Il concerne le diocèse d’Oakland et l’accusation est que le pape aurait traîné des pieds pour défroquer un prêtre pédophile, Stephen Kiesle. L’intéressé avait déjà été condamné par la justice civile, en 1978, à trois ans de liberté surveillée pour avoir molesté deux garçons. À la fin de sa peine, Kiesle demanda à quitter la prêtrise. Son dossier fut envoyé par John Cummins, l'évêque d'Oakland, au Vatican en 1981, mais il avança lentement : il y eut une requête de supplément d'informations en 1982 ; on perdit le dossier en 1983. En tout, l'Église californienne écrira trois fois à Joseph Ratzinger pour savoir où en est l'affaire. La lettre obtenue par AP est une réponse signée par le futur pape à la troisième et ultime relance de 1985. Dans cette lettre écrite en latin, et datée du 6 novembre 1985, Joseph Ratzinger explique que les arguments en faveur de la destitution de Kiesle sont en effet très graves mais qu'une telle décision exige une évaluation méticuleuse et davantage de temps. « Il faut prendre en compte le bien de l'Église universelle », écrit Joseph Ratzinger.
Les responsables de la cabale contre Benoît XVI détiennent donc pour la première fois une lettre du cardinal Ratzinger censée démontrer le mauvais vouloir du futur pape à sévir contre les prêtres pédophiles, puisque Ratzinger répond en substance qu'il a l'intention de s'asseoir sur le dossier (dans l’affaire Murphy, en l’absence d’une telle lettre, les cabaleurs avaient tout simplement postulé son existence).
Le problème est que la lettre du cardinal Ratzinger ne peut absolument pas démontrer sa mansuétude dans les affaire de pédophilie, pour l’excellente raison que la lettre date de 1985 et que la Congrégation pour la doctrine de la foi ne sera chargée des affaires de mœurs qu’en 2001. À l'époque de la correspondance, la punition ecclésiastique pour les crimes sexuels de l’abbé Kiesle dépend strictement de son évêque.
Il est vrai par contre que cet évêque espère se défausser sur la Congrégation pour la doctrine de la foi. En effet, Kiesle lui-même a demandé à être dispensé de l’état clérical, car il a l’intention de se marier, espérant échapper ainsi à ses pulsions sexuelles. Si Rome acceptait de défroquer Kiesle comme une faveur faite au criminel, l’évêque d’Oakland n’aurait plus l’embarras de lui faire un procès ecclésiastique. C’est cette facilité que Ratzinger refuse à Mgr Cummins.

10 avril. — Parcouru, sur internet, des commentaires de lecteurs à la suite des articles de la presse française et britannique sur le « scandale des prêtres pédophiles ». Comme les journaux s’en prennent au pape, les lecteurs se chargent des fidèles. Je relève beaucoup d’expressions de haine (mais je n’arrive pas à en vouloir aux lecteurs des quotidiens de Londres ; après tout chez des anglicans l’antipapisme est culturel), et presque autant d’expressions de mépris envers ces idiots de croyants, victimes d’un lavage de cerveau, qui avalent les pires imbécilités et qui voudraient défendre encore ce pape que les médias présentent à présent comme la tête d’un réseau pédophile. Ces contributeurs anonymes, parce qu’ils sont athées, sont convaincus d’être supérieurs aux plus grandes cervelles de la civilisation occidentale. Ils croient aussi qu’ils sont, sur leur cime d’athéisme, absolument libérés de toute allégeance. Seulement leurs imprécations contre les chrétiens ressemblent beaucoup à celles des staliniens, et aussi à celles des nazis. On est toujours, dans ces sortes d’affaires, moins seul qu’on ne croit.

20 avril. — Caroline Fourest écrit dans Le Monde du 9 avril : « Il y a des réflexes que l'on trouve dans toutes les religions. A peine le couvercle sur les affaires de prêtres pédophiles est-il soulevé que certains voudraient déjà le refermer. Débattre des faillites du chef de l'Eglise relèverait de l'acharnement, voire d'une forme de racisme envers le pape. A travers lui, tous les catholiques se sentiraient attaqués...
« C'est ce qu'a déclaré Christine Boutin. Son raisonnement rappelle étrangement ceux qui voulaient interdire les caricatures sur Mahomet. Exactement comme le mot "islamophobie" - qui sert à faire passer tout esprit critique envers l'intégrisme musulman pour du racisme -, le mot "papophobie" vient d'être forgé pour intimider. Comme pour l'affaire des caricatures, cette intimidation doit être refusée, et le débat mené. »

Je partage naturellement, sur le plan des principes, la position de Caroline Fourest. Il ne saurait être question de réclamer pour les catholiques, aujourd'hui minoritaires, une quelconque immunité victimaire. Je trouve absolument déplorable que le juge français ait ordonné en 2006 le retrait d'une affiche publicitaire parodiant la Cène au motif qu'elle scandalisait les catholiques (décision confirmée en appel, mais cassée par la suite). Cependant ce qui agite aujourd'hui les médias ne relève ni de la critique ni de la caricature. Ou plutôt, cette critique et cette caricature ne sont plus assignées aux formes qui sont les leurs (l'éditorial, la tribune, le billet d'humeur, le dessin de presse), mais sont trompeusement présentées comme de l'information, par le recours aux factoïdes (voir l'entrée du 6 avril), c'est-à-dire à des faits grossièrement déformés et simplifiés, employés pour leur valeur de symboles.
Voici, à titre d'exemple comment le site de la chaîne France 24, en date du 19 avril, présente les cinq ans de pontificat de Benoît XVI (je me contente de morceaux choisis et je respecte l'orthographe de l'original) :

« Dès sa première audience publique, le 27 avril 2005, Benoît XVI se fait remarquer. Il affirme regretter que le projet de Constitution européenne ne mentionne pas explicitement les racines chrétiennes de l’Europe. » « Le 12 septembre 2006, Benoît XVI prononce un discours sur la foi, à l’université de Ratisbonne, en Allemagne. Pour condamner la violence faite au nom de la religion, il cite l’empereur byzantin Manuel II Palaiologos. Ce dernier dénonce le "mandat de Mahomet de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait". La communauté musulmane à travers le monde est choquée. » « En juillet 2007, Benoît XVI libéralise par un décret la messe en latin. Il accorde ainsi le droit aux communautés traditionnalistes de célébrer la messe quotidiennement, selon le rite tridentin. Cette mesure est perçue par l'opinion publique comme une régression par rapport au mouvement de modernisation du concile Vatican II. » « Le 24 janvier 2009, Benoît XVI lève l’excommunication de quatre évêques intégristes de la communauté Saint Pie X, dont monseigneur Williamson, connu pour ses propos négationnistes sur l’Holocauste. » « "Le préservatif aggrave le problème du sida" Cette phrase s'est répandue dans les médias du monde comme une trainée de poudre. Le pape Benoît XVI l'a prononcée en mars 2009 dans l'avion qui le conduisait au Cameroun pour son premier voyage en Afrique. Par ces termes, il va plus loin que son prédecesseur, Jean-Paul II, qui s'opposait au préservatif comme solution au problème du sida. »

On hésite sur la nature de ce qui se présente ostensiblement comme une information neutre, purement factuelle. S'agit-il d'une liste de « gaffes » présumées d'un souverain pontife considéré comme inapte à la profession de « communicant » ? S'agit-il d'une liste de « scandales », c'est-à-dire de réactions hostiles à des déclarations intempestives, réactions qui constitueraient elles-mêmes l'événement ? Ce n'est pas tout à fait l'un et ce n'est pas tout à fait l'autre. Les « gaffes » n'en sont que parce que les journalistes interprètent les prises de position du pape à partir du postulat qu'il est ultraréactionnaire. Et les réactions scandalisées émanent précisément de ceux qui partagent cette conviction que le pape est « intégriste », « négationniste », « pronazi », etc. La critique n'est pas détachable ici du fait (ce fait consistât-il en une « petite phrase ») et cet agglomérat de fait et de critique que je nomme factoïde ne trouve son sens que dans un storytelling qui en maximise l'impact : le pape se rendrait coupable d'un « dérapage », révélant ses arrières-pensées troubles, et devant l'indignation qu'il susciterait, il serait contraint à une rétractation partielle. Et peu importe que cet enchaînement ne colle que très mal aux événements. L'essentiel est qu'il soit exemplaire.
L'usage du factoïde peut aller jusqu'à la désinformation pure et simple. Il n'y a pas eu levée de l'excommunication d'un évêque « connu pour ses positions négationnistes » ; les propos de l'évêque Williamson ont été révélés le jour même de la levée de l'excommunication, par la télévision suédoise, dans le but manifeste d'embarrasser le pape. (Et l'évêque schismatique n'est absolument pas devenu évêque catholique du fait de la levée de l'excommunication, en dépit de ce que laissent entendre les médias.)
Un cas particulier de factoïde désinformateur est la citation à contresens. Le discours de Benoît XVI dans l'avion du Cameroun manifestait un revirement sur le préservatif, toléré de facto, mais qui risquait selon le pape d'entraîner des effets pervers en encourageant la promiscuité. France 24 reprend ici la communis opinio de la classe médiatique, qui avait choisi de lire dans cette déclaration un raidissement doctrinal du pape, déclenchant une campagne d'opinion sans précédent, puisqu'il était devenu fashionable d'accuser le pape de crime contre l'humanité, ce qui témoignait, soit dit en passant, d'une curieuse logique : si un monsieur séropositif choisissait d'avoir un rapport non protégé avec une malheureuse — faits qui constituent en droit français l'infraction d'administration d'une substance de nature à nuire à la santé —, c'est le pape qui était tenu pour responsable des conséquences plutôt que le responsable de l'imbibition.
Cependant l'essence du factoïde est la confusion entre le fait et l'opinion, et par conséquent ce sont surtout le paralogisme et la pensée circulaire qui triomphent à travers les factoïdes de France 24. Le pape « se fait remarquer » à propos des racines chrétiennes de l'Europe. « La communauté musulmane à travers le monde est choquée » par le discours de Ratisbonne. La messe en latin est « perçue par l'opinion publique comme une régression ». Ainsi, si quelqu'un, informé ou non, de bonne foi ou non, se déclare « choqué », ou simplement en désaccord, ou s'il a du pape ou d'une de ses initiatives une « perception » négative, la cause est entendue. Le jugement normatif, la simple opinion sont présentés par France 24 comme des faits (paralogisme), et ces faits sont présentés alors à charge, pour valider ce qu'on avait posé dès le départ (raisonnement circulaire).

23 avril. — Je n'ai plus la télévision depuis une bonne dizaine d'années et m'en passe fort bien (à la vérité, je ne l'ai jamais beaucoup regardée). Je suis obligé pourtant de m'intéresser ces jours-ci au petit écran, car il est le terrain de bataille de la dernière offensive des fondamentalistes contre la caricature.
Les 200e et 201e épisodes du dessin animé satirique South Park, de Trey Parker et Matt Stone, devaient être un concentré des éléments les plus controversés de la série. La chaîne câblée Comedy Central vient de censurer le 201e épisode, le rendant incompréhensible. L'intrigue de la comédie est la suivante : toutes les célébrités qui ont été ridiculisées dans South Park menacent la ville d'une action collective (class action suit) à moins qu'on ne leur livre Mahomet, car l'acteur et scientologue Tom Cruise, chef des célébrités, a fait la découverte que ledit Mahomet semble mystérieusement à l'abri de la satire. Tom Cruise a donc conçu le dessein d'extraire de Mahomet la substance qui le rend inattaquable. Les habitants de South Park produisent Mahomet dans un costume d'ours. C'est à partir du moment où le personnage de Mahomet quitte sa peau d'ours qu'il est caché sous un rectangle noir par les soins de Comedy Central. Dans tout l'épisode, chaque mention du nom de Mahomet est remplacée par un sifflement. L'épisode montre par ailleurs différentes divinités (Jésus, Bouddha, Krishna, Joseph Smith, le fondateur du mormonisme, Lao-Tseu, plus une caricature du superhéros Aquaman) sous forme d'une équipe de superhéros (Super Best Friends), sans les masquer ni effacer leurs noms, tandis que la chanteuse Barbara Streisand apparaît sous la forme d'un robot géant qui détruit la ville. À la fin de l'épisode (19e minute), le petit garçon Kyle Broflovski, Jésus et le Père Noël chantent une petite chanson dont on peut supposer qu'elle fait l'apologie de la liberté d'expression. Cette chanson est entièrement censurée.
La censure exercée par Comedy Central est motivée par les menaces voilées d'un groupe (ou d'un individu) se réclamant du mahométisme, Revolution Muslim, menaces ainsi libellées : « We have to warn Matt and Trey that what they are doing is stupid and they will probably wind up like Theo Van Gogh for airing this show. This is not a threat, but a warning of the reality of what will likely happen to them. »
Les auteurs du dessin animé ont fait la déclaration suivante sur leur propre site, southparkstudio.com : « In the 14 years we’ve been doing South Park we have never done a show that we couldn’t stand behind. We delivered our version of the show to Comedy Central and they made a determination to alter the episode. It wasn’t some meta-joke on our part. Comedy Central added the bleeps. In fact, Kyle’s customary final speech was about intimidation and fear. It didn’t mention Muhammad at all but it got bleeped too. We’ll be back next week with a whole new show about something completely different and we’ll see what happens to it. »
On retrouve dans ce triste exemple de censure le trait de métadiscursivité. Ce n'est pas la représentation du prophète de l'islam qui déclenche les menaces des assassins, mais le commentaire sur le diktat islamique. Les menaces de Revolution muslim étaient motivées par le fait que l'épisode 200 présentait Mahomet comme possédant le pouvoir d'être à l'abri de toute critique. Et l'autocensure de Comedy Central visait à effacer ce running gag sur Mahomet (en caviardant le personnage dans l'image et le son). Mais Comedy Central caviarda aussi le petit laïus de Kyle sur la liberté d'expression. Il est interdit de mentionner l'interdiction qui pèse désormais sur tout non-musulman de représenter Mahomet.
C'est l'affaire des caricatures du Jyllands-Posten qui a symboliquement marqué l'instauration de cet étouffement, puisque ces caricatures n'ont été commandées aux dessinateurs que pour vérifier s'il était toujours possible de publier des images du prophète en Occident.
Le premier soin d'un totalitarisme est de dissimuler sa nature totalitaire. À cet égard, l'islamisme, tel qu'il s'impose aujourd'hui dans l'aire culturelle occidentale, me semble être la forme achevée du totalitarisme, et peut-être le modèle de tout totalitarisme.

24 avril. — Lu dans Le Figaro du 22 avril : « Un des évêques catholiques allemands les plus controversés, Mgr Walter Mixa, a présenté sa démission après avoir été accusé d'avoir frappé des enfants. (...) Mgr Mixa, 68 ans, avait d'abord nié avoir commis tout acte de violence sur des enfants avant d'admettre avoir bien distribué quand il était prêtre "une ou deux gifles il y a 20 ou 30 ans" à une époque où "c'était complètement normal". (...) Certains témoignages sur les châtiments corporels reprochés à Mgr Mixa vont plus loin que la version de la simple gifle et l'accusent de coups de bâton. »

3 mai. — Seul dans la presse européenne, l'excellent quotidien londonien The Daily Telegraph mentionne une piste probable de l'attentat manqué de Times Square (similaire dans son mode opératoire aux attaques sur Londres de 2007) : il pourrait avoir visé les bureaux de Viacom, et constituer la mise à exécution de la menace proférée par Revolution Muslim contre les réalisateurs de South Park.

16 mai. — Tribulations du cartoonist Lars Vilks, qui représenta en 2007 Mahomet sous la forme d'un rondellhund (une sculpture de chien artisanale placée sur un rond-point), ce qui lui valut une fetfa du terroriste irakien Abou Omar al Baghdadi. Mardi 11 mai, sa conférence à l'université d'Uppsala était interrompue par des fanatiques qui hurlaient « Allahou akbar » et qui tentèrent de s'en prendre à lui physiquement (un policier, en voulant s'interposer entre Lars Vilks et ses agresseurs, a donné un violent coup de tête à l'artiste). Le lendemain, le site sur la Toile de Vilks était vandalisé. Finalement, dans la nuit de vendredi à samedi, on mit le feu à sa maison de Nyhamnsläge, à l'aide de cocktails molotovs. L'incendie ne fit que peu de dégâts. L'artiste n'était pas chez lui au moment de l'attaque. La police arrêta deux musulmans kosovars ayant obtenu la nationalité suédoise.
Lars Vilks a toujours refusé de se cacher, même après la découverte au mois de mars 2010 d'un complot terroriste international visant à l'assassiner, mais il est provisoirement entré en clandestinité.
Parmi les réactions, je relève celle du correspondant du Monde, Olivier Truc. M. Truc écrit que le complot terroriste déjoué au mois de mars avait pour but de « punir Lars Vilks pour ses provocations ». Le complot avait naturellement pour but d'assassiner M. Vilks, non de lui adresser des remontrances. M. Truc adopte ici ostensiblement la posture du paranoïaque vertueux, si caractéristique de l'islamisme (qui nous répète sur tous les tons qu'il faut respecter l'islam, le prophète et la charia, faute de quoi, c'est la punition sévère).
M. Truc conclut ainsi son papier : « Même si l'agression mardi de Lars Vilks est unanimement condamnée dans la presse, un certain nombre de Suédois estiment cependant que ce coup de tête, d'où qu'il vienne, n'est pas volé. » Au-delà du fait que M. Truc exprime manifestement ici une animosité personnelle, cette chute témoigne d'une analyse orientée du cas Lars Vilks, celle de la « provocation gratuite ». (À propos d'une exposition des fameux rondellhunde à tête de Mahomet, fermée pour cause de menaces islamistes, M. Truc écrit perfidement : « La Suède avait "son" affaire. Et Vilks son heure de gloire. »)
Un abonné du Monde a bien compris la leçon du professeur Truc, puisqu'il écrit à propos de Lars Vilks : « Si je comprends ce monsieur [Vilks], au nom de la liberté d'expression, on devrait pouvoir attaquer la pudeur et les tabous des autres. » Ce touchant cri du cœur, qui exprime sans aucun doute la position du Monde lui-même, pose cependant problème : il n'aura échappé à personne que l'une des finalités de ce qu'il est convenu d'appeler l'art contemporain (et qui est, dans une large mesure l'art officiel, en tout cas celui qui est acheté par les musées) est précisément la provocation, d'où la présence dans les collections de photos de crucifix plongés dans l'urine, de merde ou de boudin d'artiste, d'animaux plus ou moins disséqués, plongés dans le formol, et j'en passe... Conclusion provisoire : on ferme les musées, on arrête les artistes. Et on liquide Lars Vilks.

27 mai. — Lu sur le site de Libération de ce jour :

«Alice» a été amputée.

Un lettre mise aux enchères ce jeudi à Londres, révèle que roman de Lewis Carroll a été coupé d'un chapitre entier. »

Alice au pays des merveilles, publié en 1865, avait été amputé d’un chapitre entier, l’illustrateur refusant de dessiner la «mouche à perruque». «Ne me considérez pas comme brutal mais je suis obligé de dire que le chapitre sur la mouche ne m’intéresse pas le moins du monde et... je ne me vois pas en tirer une illustration» qui en était l’héroïne, née de l’imagination fertile de Lewis Carroll, révèle une lettre mise aux enchères jeudi à Londres. , écrivait Sir John Tenniel, l’illustrateur du livre.

«Le livre, si tant est que vous le vouliez», ajoutait-il dans une lettre mise en vente jeudi par la maison Bloomsbury, pour un prix estimé entre 15 et 20.000 livres (18 à 24.000 euros).Charles Lutwidge Dodgson, qui se cachait derrière le nom de plume Lewis Carroll, était alors largement moins connu que l’illustrateur et il a vite obtempéré. La «mouche à perruque» n’a ainsi jamais pris son envol. «Qu’on lui coupe la tête», aurait probablement dit comme à l’accoutumée la Reine de Coeur, la souveraine acariâtre que rencontre Alice.

(Source AFP)

« Le Frelon à perruque » n'est pas un chapitre supprimé d'Alice au pays des merveilles mais d'À travers le miroir. Le texte fut longtemps considéré comme perdu, mais un jeu d'épreuves fut mis en vente chez Sotheby's en 1974. Le chapitre parut en langue anglaise en 1977 et en France dès 1979. La suppression de ce chapitre n'a jamais été un mystère. La lettre de Tenniel mise aux enchères jeudi chez Bloomsbury Auctions est mentionnée dans le canon depuis la biographie de Collingwood (1898). Collingwood écrivait ceci : « The story, as originally written, contained thirteen chapters, but the published book consisted of twelve only. The omitted chapter introduced a wasp, in the character of a judge or barrister, I suppose, since Mr. Tenniel wrote that "a wasp in a wig is altogether beyond the appliances of art." Apart from difficulties of illustration, the "wasp" chapter was not considered to be up to the level of the rest of the book, and this was probably the principal reason of its being left out. » La lettre de Tenniel figure aussi in extenso dans The Annotated Alice (1960) de Martin Gardner, texte de référence de tout carrollien moyennement informé.

Lorsqu'un journaliste de Libération tâche de délayer une dépêche de l'AFP écrite en anglais, il dévoile son ignorance scandaleuse de cet idiome, son incapacité à écrire deux paragraphes en français qui soient à peu près cohérents, et pour finir son inculture crasse en matière littéraire. D'un autre côté, cette prose de crétin inculte révèle parfaitement les deux ou trois obsessions complotistes qui servent de pensée à l'honorable corporation : le scoop, la révélation (on nous avait caché quelque chose), la manipulation déjouée (le texte d'Alice que nous connaissons n'est pas le bon, il a été coupé), la récrimination, le grief (il manque « un chapitre entier » ; le chapitre en question fait un peu moins de cinq feuillets de 1500 signes).

28 mai. — Je lis dans Die Welt du 27 mai : « Die Jesuiten haben über Jahrzehnte systematisch sexuelle und körperliche Gewalt gegen Kinder an den Schulen des Ordens vertuscht. » Ceci devient dans un article du Figaro basé sur une dépêche AFP du même jour : « Au moins 205 enfants ont été victimes de violences, sexuelles ou non, au cours des dernières décennies dans des institutions allemandes dirigées par les Jésuites. »
Comment des sévices qui ont été perpétrés « durant des décennies » deviennent-ils des sévices exercés au cours des « dernières décennies » (et donc des sévices récents, alors que le nœud de l'affaire est précisément que les infractions signalées sont prescrites, la moitié des prêtres perpétrateurs étant d'ailleurs décédée) ?
Qu’il y ait présentation orientée n’est pas douteux. Mais peut-on dire qu’il y a malveillance ? C’est ce que je ne crois pas, penchant plutôt pour la bêtise, qui exacerbe les préjugés et qui rend les intentions transparentes (il s'agit, en l'occurrence, de donner l'impression d'une actualité brûlante). Bêtise aggravée par la difficulté qu'ont les journalistes à traduire une langue étrangère, et par leur ignorance crasse du français (ces dépêches cosignées par l’AFP et par Le Figaro sont proprement ahurissantes).

29 mai. — Je visionne pour me récréer les très divertissantes comédies des studios Ealing (Passport to Pimlico, The Lavender Hill Mob, The Man in the White Suit, The Titfield Thunderbolt, etc.) Mais la récréation ne vient qu’après qu’on s’est infligé deux jingles — qu’il est impossible de sauter, et qui passent chacun deux fois ! —, le premier, du distributeur britannique Optimum Releasing, le second, du distributeur français Studio Canal (qui a racheté le précédent), et ce jingle français aussi tonitruant que prétentieux, une traversée de nuages avec une musique urgente et qui a l’air d’être mue par quelque engrenage. (Je suppose que les nuages symbolisent « le rêve », et que la musique à engrenage évoque la technique du cinéma. L’ensemble m’évoque plutôt, à moi, quelque Djaggernat ailé, qui s’apprête à écraser ses fidèles sous ses roues sitôt qu’il aura atterri.)
Ces marques visuelles et sonores ne sont ni marques de fabrique (ces sociétés n’ont pas produit les films) ni labels de qualité (les films sont de simples transferts depuis des cassettes VHS, avec tous leurs défauts). Elles sont en réalité l’équivalent de tampons, elles signifient : « Ceci m’appartient », et ne sont pas beaucoup moins irritantes que les petits courts métrages de menace qui se jouaient naguère sur les DVD d’un autre distributeur, pour accuser le malheureux qui s'était aventuré à acheter un film de l’avoir piraté, et le menacer des pires sanctions.

30 mai. — Les livres des éditions Dover que j’ai tant aimés et si longtemps collectionnés, dépensant de petites fortunes pour les faire venir des États-Unis, sont devenus depuis la mort du fondateur de la firme, Hayward Cirker, en 2000, de véritables cochonneries. Aujourd’hui les reliures sont infâmes, les couvertures sont trop petites pour les livres, les cahiers, mal alignés et mal collés, gondolent. Il est évident qu’on a trouvé une façon d’économiser sur le façonnage en loupant un exemplaire sur deux. J’allais oublier les maquettes de couvertures faites sur Photoshop, et qui ont l’air de publicités pour l’Église de scientologie.

COUVERTURES NE COUVRANT PAS LE LIVRE

RELIURE TIRE-BOUCHONNÉE DANS THE PROSE EDDA

RELIURE TIRE-BOUCHONNÉE DANS EMINENT VICTORIANS

Je garde un souvenir attendri de mes vieux Dover Books, rééditions d’ouvrages alors totalement introuvables de Lewis Carroll, d’Anthony Trollope, de Wilkie Collins (Dover contribua beaucoup à l’engouement pour le roman victorien à la fin des années 1970), des fantastiqueresses Amelia Edwards, Vernon Lee, Mrs Riddell, rééditées par E. F. Bleiler (qui rédigeait tous les catalogues, Dover vendant surtout par correspondance), mais aussi des poupées de papier de Tom Tierney, des ouvrages d’égyptologie de Wallis Budge, des Fairy Books of Many Colours d’Andrew Lang, des Gustave Doré, des partitions.
Du côté des littératures dessinées, on trouvait un choix original et d’un intérêt considérable, un volume d’A. B. Frost, trois volumes des Brownies de Palmer Cox, les Katzenjammer Kids de Dirks, en couleur, réédition d’un album paru chez Stokes en 1908, des pages de Little Nemo en couleur, clichées directement sur des pages dominicales du New York Herald, ce qui n’avait jamais été fait. Et pour le newspaper strip, Little Orphan Annie et Moon Mullins, du Chicago Tribune.
Et je ne parle pas de la bibliothèque très complète de romans à énigmes, des livres de sciences et de mathématiques, des ouvrages de mains, des archives graphiques. Tout cela suggérait une économie pour île déserte, une famille d’anglophones naufragés trouvant sa nourriture intellectuelle dans une caisse de Dover Books. On se représentait un père amateur de romans policiers et d’ouvrages de mathématiques, une mère pianiste et adonnée aux travaux d’aiguille, des enfants échelonnés entre l’âge des « livres d’activités » et l’âge des grandes lectures.
Ma ferveur alla jusqu'à grangerizer mes deux volumes des Roosevelt Bears de Seymour Eaton avec les illustrations publiées par Dover en cartes postales, car ces cartes étaient en couleur, alors que les illustrations étaient reproduites en noir dans les livres.
Willem écrivait dans sa célèbre « Revue de presse » de Charlie Hebdo, en 1976 : « Avec sa finesse, son goût, choix de papier, etc., Dover s’est placé au-dessus de toute concurrence. Les livres publiés chez D., on peut les acheter les yeux fermés et la conscience tranquille. »
Hélas...

31 mai. — Lu dans Le Monde de ce jour, sous le titre « Les insectes, bifteck de l’avenir » : « Substituer des larves à la viande ou au poisson est une des pistes envisagées par les Nations Unies pour nourrir 9 milliards de personnes à l’horizon 2050. »
Il est tout simplement prodigieux que ce qu’on ne saurait désigner même de la façon la plus allusive et la plus euphémistique sans encourir la charge de crime de pensée (thought crime) — le problème de la surpopulation — soit évoqué pourtant à travers ses conséquences, avec le cynisme le plus consommé et sous une forme proprement apocalyptique. Nos enfants mangeront des steaks hachés qu’on fabriquera à partir des asticots grouillants sur on ne sait quel charnier en putréfaction. Le monde vers lequel nous allons sera voué à Belzébuth, le seigneur des mouches.

1er juin. — Nous sommes une société d’individus à qui il n’est jamais rien arrivé et qui revendiquent au nom du respect de leurs droits élémentaires qu’il ne leur arrive jamais rien.
Ce qui passe pour des événements désormais, c’est la construction par les médias de « faits d’actualité » qui ont valeur de symboles et sur lesquels nous dissertons de façon dogmatique.

2 juin. — Qu’on n’ait pas en français la Jeanne d’Arc de Boutet de Monvel (le livre vient de ressortir, en anglais, aux éditions Dover), ni les Patapoufs et Filifers d’André Maurois, avec les dessins de Jean Bruller, c’est-à-dire de l’écrivain Vercors (il faut l’acheter en anglais, chez Faber & Faber), montre assez à quel degré de crétinisme on est parvenu dans ce pays, à croire qu’il ne reste pas en France un éditeur digne de ce nom.
J’ai fini par comprendre que les excellents auteurs que sont H. G. Wells, Georges Duhamel, Maurice Genevoix, C. S. Forester, Somerset Maugham, sont toujours trouvables, mais uniquement dans les gros volumes de la collection Omnibus, qu’on ne voit dans presque aucune librairie. Il faut les commander. Ce sont aujourd’hui des lectures pour des vieilles dames.

[Ajout de juillet 2011] Une excellente nouvelle. Les éditions Langlaude viennent de rééditer la Jeanne d'Arc de Boutet de Monvel.

5 juin. — Le président de la conférence épiscopale de Turquie, Mgr Luigi Padovese, a été égorgé en Anatolie, jeudi 3 juin. Il devait se rendre le lendemain à Chypre, à l'occasion du voyage apostolique de Benoît XVI. Je note que les persécutions des chrétiens en islam ont des parfums. Au Pakistan, les chrétiens martyrisés ont invariablement profané le Coran en y mettant leurs sales pattes, ou fait des confetti avec les sourates. Chez les Ottomans, l'assassin est invariablement décrit comme un déséquibré, ce qui permet d'écarter le mobile « politique ». Ceci n'empêche nullement du reste les « déséquilibrés » en question de déclarer qu'ils appliquaient la charia (ainsi, le père Santoro, martyrisé en 2006, avait été accusé de prosélytisme). De cette façon, on gagne sur les deux tableaux.
Il est trop tôt pour dire si le meurtre rituel de Mrg Padovese est destiné, comme le soupçonne l'Avvenire, le journal de la Conférence des évêques d'Italie, à saboter la visite pontificale à Chypre, dont le tiers nord est occupé militairement par la Turquie.
Je relève dans le communiqué du parti de l'In-nocence, fondé autour de l'écrivain Renaud Camus, les lignes suivantes  : « Ce qui rend particulièrement saisissante l'éradication méthodique du christianisme et du judaïsme de tous les pays arabes et musulmans, c'est sa "coïncidence" dans le temps avec l'accroissement fulgurant de la présence arabe, turque et musulmane dans l'Occident judéo-chrétien : il se construit presque autant de mosquées en France et dans les pays voisins qu'il s'assassine de chrétiens et de juifs au Proche-Orient. »

http://www.in-nocence.org/public_forum/read.php?3,58770

8 juin. — Dans Le Bas Monde, au chapitre « Le Voyage en Vulgarie », dont j'ai déjà donné des extraits sur mon site, j'ai écrit le passage suivant (il s'agit d'un brouillon, je n'en change pas une virgule) :

« Un mauvais plaisant a fait un canular. Il a envoyé à tout ce que la Vulgarie compte de responsables politiques, d’hommes de médias, d’écrivains et d’artistes, une circulaire déplorant le sort des Anéantis, habitants des îles du Néant, éternels parias, victimes injustement oubliées de toutes les persécutions et de toutes les exactions. Il n’en faut pas davantage pour que les Anéantis occupent tous les esprits et fassent la une de tous les journaux. La Vulgarie entière ne vit plus désormais que pour la consolation des Anéantis.
Notre mauvais plaisant révèle alors que les Anéantis n’ont jamais existé, qu’il a tout inventé.
Dans un premier temps, tout le monde se trouve un peu bête. Puis la princesse royale Maman retrouve suffisamment de présence d’esprit pour contre-attaquer, bientôt suivie par le reste du troupeau. Qu’est-ce que c’est que ce préjugé imbécile qui ferait qu’on perdrait tous ses droits simplement du fait qu’on n’existerait pas ? On est ici clairement à la limite du racisme.
Un philosophe mondain apporte des arguments de poids à la femme politique. On sait depuis Avicenne que l’essence est indifférente à l’existence ; tous les étudiants de première année savent cela. L’essence de la chevalité est cernable indépendamment du fait que les chevaux existent ou non. De la même façon, on peut définir l’essence des Anéantis, qui est précisément leur condition de victimes, et le fait que les Anéantis existent ou non est un simple accident qui n’ôte strictement rien à ce statut de victimes.
Ainsi confortée dans sa position, la princesse royale repart de plus belles : « Les Anéantis représentent tous les opprimés. Lorsque nous nous insurgeons contre l’injustice et l’oppression, nous sommes tous des Anéantis. »
Et la princesse royale, fine mouche, ajoute qu’en dernière analyse, le fait qu’ils n’existent pas est encore la plus belle démonstration de l’injustice faite aux Anéantis : on va jusqu’à les nier dans leur existence même ! »

Voilà donc mon morceau. Bon ou mauvais, je ne sais pas. Or les gazettes m'apprennent la chose suivante :

S. Royal cite un humaniste imaginaire
Le Figaro/AFP 07/06/2010
Léon Robert de L'Astran, présenté sur des sites internet comme un adversaire rochelais de l'esclavage au XVIIIe siècle et cité par la présidente PS du conseil régional de Poitou-Charentes, Ségolène Royal, est en réalité le fruit de l'imagination d'un internaute.
"Ce capitalisme négrier dont la région porte l'empreinte eut ses dissidents: au XVIIIe siècle, Léon-Robert de l'Astran, humaniste et savant naturaliste mais également fils d'un armateur rochelais qui s'adonnait à la traite, refusa que les bateaux qu'il héritait de son père continuent de servir un trafic qu'il réprouvait", écrivait le 10 mai Mme Royal, sur son site Facebook, lors de la journée nationale des mémoires de la traite.
"Je n'ai jamais vu ce nom là; on ne peut vérifier aucun des détails qui sont donnés; il ne figure sur aucun registre de l'époque pas plus que le nom du bateau de son père qui était armateur", affirme Jean-Louis Mahé, historien rochelais.
Ce bibliothécaire a été amené à découvrir la supercherie, fin mai, après avoir été sollicité par un étudiant qui devait écrire un article sur ce personnage, présenté sur wikipédia (qui a par la suite supprimé la page) comme "un naturaliste et savant humaniste" né en 1767 à La Rochelle.
Après quelques recherches et coups de fil, le bibliothécaire a retrouvé l'inventeur de ce personnage, un adhérent du Rotary club de La Rochelle Aunis qui l'a fait entrer sur internet dès 2007.

Et les gazetiers précisent encore ceci :

Le Monde 07/06/2010
Sophie Bouchet-Petersen, confondatrice de l'association de Ségolène Royal "Désirs d'avenir", a expliqué être "l'introductrice en 2009 dans la sphère de Ségolène Royal de cette histoire locale". "Errare humanum est ! J'avoue être l'auteure de la référence à Léon-Robert de L'Astran, opposant à l'esclavagisme dont on aurait aimé qu'il existât, tant l'histoire était belle", écrit-elle dans un communiqué. "D'autres s'y sont laissé prendre. (...) Mais prenons-le du bon côté, tant mieux si ce canular sans gravité permet de parler de la traite négrière et de tous ceux qui (...) ont réellement combattu 'l'infâme commerce'".

Bref, la vie réelle imite étrangement mon morceau satirique. Que la vie copie la littérature est l'une de mes convictions les mieux ancrées, ce Journal en témoigne fréquemment. Mais c'est ma propre prose que des personnes vivantes démarquent ici, ce qui m'accable et m'interdit.

4 juillet. — À propos de l’écrivain qui demeure écrivain en politique, Mauriac note dans son Bloc-notes (21 septembre 1956) : « Il introduit le style dans une matière où il n’est pas commun, parce que le conformisme y règne et que l’expression écrite du conformisme est le cliché. S’interdire les clichés, pour un journaliste écrivain, c’est donc s’obliger à découvrir et à formuler pour soi-même une pensée politique. » Et précisément, je trouve, en lisant Le Monde du 1er juillet, une excellente occasion d'appliquer le programme de Mauriac du style contre le conformisme.
Un monsieur Hakim El Karoui, qui se présente comme banquier d'affaires et président de l'Institut des cultures d'islam, s'y déchaîne contre un article de Caroline Fourest paru dans le même journal le 18 juin. Madame Fourest expliquait dans son papier que le « populisme marque des points là où des élus cèdent au communautarisme et à l'intégrisme ». Et elle citait à l'appui l'organisation par divers groupuscules d'illuminés d'un « apéro » républicain, dans un quartier de Paris où les extrémistes d'une mosquée salafiste débordent sur les trottoirs et bloquent les rues chaque semaine, depuis dix-sept années.
Ce papier de Caroline Fourest, M. El Karoui l'accueille d'un trait : « Les raccourcis sont formidables, au sens propre du mot : ils font peur. »
Or voici. Formidable ne signifie pas au sens propre « qui fait peur ». Formidable signifie selon Littré : « capable d'inspirer la plus grande crainte, en parlant de personnes ». « Il se dit aussi des choses », ajoute Littré. Et craindre, toujours selon Littré, c'est : « Eprouver le sentiment qui fait reculer, hésiter devant quelque chose qui menace. »
Dans cet article Craindre, Littré fait la distinction entre la crainte et la peur : « Avoir peur désigne un état de l'âme où devant le péril le courage fait défaut ; on peut craindre le danger et pourtant y faire tête ; mais si on a peur du danger, il est le plus fort et nous emporte. »
Mais il faut encore faire la nuance entre la crainte effective, et la capacité à inspirer la crainte qui est contenue dans le mot formidable. Le capitaine Nicholl, dans Autour de la Lune, demande à Michel Ardan : «  As-tu entendu la détonation qui certainement a dû être formidable ? » Une détonation formidable est d'une force qui suffirait pour faire faire un bond en arrière à qui l'entendrait. Il n'est pas besoin que cette personne soit là, la détonation n'en reste pas moins formidable (dans l'espèce, les passagers du boulet de la Columbiad sont partis trop vite pour l'entendre). Et c'est la raison aussi pour laquelle dans Les 500 millions de la Bégum, « les canons de Herr Schultze sont formidables ».
J'accorde volontiers à M. El Karoui que les raccourcis de Caroline Fourest sont formidables. C'est d’ailleurs précisément pourquoi le papier de Mme Fourest est excellent. Elle y appelle chat un chat, intégriste un intégriste, salafiste un salafiste. Tandis que, dans le monde de M. El Karoui, les islamistes sont des gens que la police poursuit un petit peu (jamais tous, jamais très vite) quand ils ont fait sauter la mosquée d'une secte concurrente, ou vitriolé des femmes ; mais les fanatiques qui prêchent la haine ne sont jamais inquiétés, et aucune mosquée n'est salafiste, cela n'existe pas. (M. El Karoui écrit dans son papier, citant toujours Mme Fourest : « "Que fera la mairie lorsque des prêches douteux résonneront dans ces murs ?" Mais, pourquoi ce ton si assuré ? Pourquoi considérer à [sic] priori que des prêches douteux seront prononcés ? »)
Analyser, comme le fait monsieur El Karoui, l'article de Caroline Fourest en termes de peur, c'est tout simplement revenir au poncif islamiste de l'islamophobie, c'est-à-dire d'une peur de l'islam, d'une réticence à accepter l'islam qui, du point de vue musulman, est évidemment très fâcheuse — et qui au surplus, toujours du point de vue musulman, est criminelle, puisque l'islam est tout, qu'il est parfait, et que ceux qui le refusent commettent par conséquent une mauvaise action. Seulement, je crois que Mme Fourest se soucie comme d’une guigne de l’islam ou de l’islamisation. Elle n’en a qu’aux intégristes, et aux intégristes chrétiens beaucoup plus qu’aux intégristes musulmans.
Monsieur El Karoui entremêle sa sornette de l'islam qui « fait peur » d'un peu de rhétorique antiraciste. (C'est normalement à cela que sert le terme d'islamophobie, qui agrège une notion psychiatrique, la phobie, et une notion quasi-pénale, la « peur de l'Autre », autrement dit le « racisme ».) Mais notre banquier a bâclé ce paragraphe, par quoi commence sa diatribe, et où les mots « peur » et « dérive » alternent comme le tic-tac d’une pendule, et l'on voit bien que truc-là est éculé, qu'il ne prend plus.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/01/un-peu-de-verite-dans-le-debat-sur-l-islam-francais_1380952_3232.html

13 juillet. — Rencontré ceci dans Philippe Muray, Le XIXe Siècle à travers les âges, TEL, 2008 [1984] (p. 184) : « Le baptême est la manière pas bête du tout qu’avait trouvée l’Église de désigner tout de suite au petit bonhomme, à travers ses parents, sa boiterie fondamentale. Pour qu’il ne perde pas trop de temps ensuite à se croire enfant trouvé. Donc à imaginer aussi que tout le genre humain l’attendait de pied ferme pour modifier les données de la société, faire table rase du passé et proposer un nouvel idéal de vie collective harmonieuse. »
Pour n’être pas très catholique, cette idée n’est pourtant pas absurde du baptême comme antidote au « roman familial », et donc au narcissisme enfantin. Quant à l’association que fait Muray entre ce narcissisme et le progressisme naïf, elle est typique de la pensée « réac », mais, en l’occurrence, l'auteur me semble viser juste. Je n’arrive pas à m’habituer à la complète satisfaction d’elle-même que manifeste constamment la génération montante, celle des enfants désirés et planifiés, élevés de façon non directive. Quant au conformisme bêtasse de cette génération, il tend à prouver — n’en déplaise aux « réacs », justement — que la pédagogie « constructiviste » est beaucoup plus efficace que l’ancienne pédagogie, au moins pour le formatage moral. Mais l’extraordinaire est que, conformiste, cette jeunesse soit convaincue d’être à l’avant-garde de la subversion, comme si les valeurs « de gauche » qui ont présidé à son éducation la rendaient rebelle par essence.

16 juillet. — Ayant été abonné pendant près de vingt ans à l’International Herald Tribune, c’est avec incrédulité que je lis aujourd’hui son journal « parent », le New York Times, dans quoi je découvre une feuille violemment, haineusement et virulemment anticatholique.
Le journal en est arrivé dans son éditorial du 16 juillet à exiger :
1. que les affaires de pédophilie soient reconnues par le Vatican comme un « crime d’État » (state crime), comme si les crimes pédophiles étaient organisés au plus haut niveau, à la façon d’un génocide ;
2. que les religieux suspects de pédophilie soient remis automatiquement à la justice civile sur simple soupçon ou sur simple dénonciation. (On sait ce que donnent des instructions de ce genre quand on les applique par exemple dans le monde enseignant).
Ce faisant, le quotidien s’aligne sur la position des évêques nord-américains, qui ne sont peut-être pas la meilleure autorité morale en la circonstance, et qui ne pratiquent aujourd’hui un maximalisme pénitentiel que parce qu’ils sont réduits à quia.
Mais pourquoi s’en prendre au pape, qui est précisément l’homme qui a entrepris de nettoyer les écuries d’Augias ? Pourquoi déplorer, article après article et éditorial après éditorial, et quoi que fasse le souverain pontife, que ce n’est pas assez, que toutes les mesures nouvelles sont autant d'écrans de fumée ? Pourquoi répéter que les excuses du pape sont opportunistes, peu sincères, et que cette façon même de s’excuser n’est qu’un tour de plus du vieux roué ? (« Pope Benedict XVI’s latest apology (...) is strong on forgiveness but far short of the full accountability that Catholics need for repairing their damaged church. » NYT, 24 mars 2010.) Pourquoi exiger qu’on livre les coupables, tous les coupables, de façon toujours plus automatique, et toujours plus rétroactive ? (Et qu'on les livre à qui, au fait, si la justice temporelle s’est déclarée incompétente, si les faits sont prescrits, si les perpétrateurs sont morts ?)
C’est que le fond de l’affaire est théologique, comme toujours. La querelle porte, quoique le New York Times arrive à entortiller ce point de façon extraordinaire, non sur les procès civils mais sur les procès et les sanctions canoniques. Or en matière canonique, l’Église demande pardon des fautes de l’Église, mais elle ne saurait damner un coupable. C’est pourtant cela que demandent les cabaleurs menés par la « national religion correspondant » du New York Times, Laurie Goodstein : ils exigent non la condamnation mais la damnation des coupables.

20 juillet. — J'ai souvent fait cette observation qu'on pouvait, sans perte notable pour le sens, remplacer le mot « presse » par le mot « paresse ». La paresse parisienne, la paresse régionale, la paresse étrangère, la paresse intellectuelle, la paresse populaire. Le journal Le Monde est le fleuron de la paresse intellectuelle, le New York Times, de la paresse étrangère.

24 juillet. — Dans Le Monde de ce jour, opinion d’un monsieur Guillaume Mazeau, qui se présente comme maître de conférences en histoire de la Révolution française :

« Le 21 juillet, Nicolas Sarkozy a annoncé une réunion "sur les problèmes que posent les comportements de certains parmi les gens du voyage et les Roms", afin d'expulser "tous les campements en situation irrégulière".
« En quelques jours, un problème de droit commun a ainsi conduit à la stigmatisation officielle d'une communauté tout entière. Soeurs d'infortune des sans-papiers, ces populations sont ainsi livrées en pâture à l'opinion publique comme les "ennemis de l'intérieur" d'une société dépressive, malade d'elle-même et qui cherche des coupables. »

Comment peut-on écrire des insanités pareilles ? Comment peut-on interpréter “les comportement de certains” comme signifiant “les comportements de tous” ? Comment un simple rappel à la loi consécutif à un acte de guerre civile (des gitans ont, en l’occurrence, mis à sac un village, jusqu’à en couper les arbres) peut-il devenir la “stigmatisation d’une communauté” — et la stigmatisation “officielle”, encore ?
Et comment M. Mazeau peut-il accuser les autorités politiques d'« organiser une chasse aux boucs émissaires », alors que l’État est à peu près impuissant face au caractère insurrectionnel que prend la violence de certaines factions, et qu'on bafoue impunément les premiers droits de l’homme, qui sont le droit à la propriété et le droit à la sûreté ? (Article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « ... Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles. » Art. 2 : « Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. »)
L'explication est que les nouveaux droits de l’homme, les seuls qui comptent désormais, ce sont les méta-droits découlant du narcissisme : le droit à ne pas être « stigmatisé », le « droit au respect », le droit de « ne pas être choqué dans ses convictions ». Le premier droit du bandit, c’est qu’on ne l’appelle plus bandit, et celui qui s’y risquerait est plus coupable que lui.
Et comme tout de même la demande peut paraître un peu excessive, on invoque à l’appui deux arguments, toujours les mêmes : 1. On mélange tout (c’est l’argument de « l’amalgame ») ; 2. On caricature (c’est l’argument du « cliché »).
Ainsi, on nous avise qu’il ne faut pas confondre Roms et tsiganes, Roms et gens du voyage, gens du voyage et nomades, et, du coup, chacune de ces catégories est censée se rendre inattaquable, puisqu’on ne saurait lui imputer les éventuels problèmes causés par « les autres ». Et semblablement, puisque le « romanichel voleur de poules » est un stéréotype, il est interdit de remarquer que certaines personnes « issues de la communauté des gens du voyage » sont spécialisées dans le vol de cuivre, et que les TGV sont bloqués de temps à autre suite à leurs méfaits, ou que le métro de Paris est mis en coupe réglée par des bandes de petits pickpockets gitans.

24 août. — Depuis quelques années, je suis heureux dans mes idées. Sérénité retrouvée dans une vision harmonieuse, celle de l’ancrage du canon littéraire occidental et de l’iconosphère occidentale dans le christianisme qui, parce qu’il est une religion de l’incarnation, est une religion du récit (c’était la grande idée de G. K. Chesterton) et une religion iconophile (c’est la grande idée de Marie-José Mondzain).
Le chantier littéraire du Bas-Monde n’est pas étranger à ces retrouvailles, à quoi contribua aussi l’étrange climat d’une époque qui semble désireuse de sa propre disparition et qui croit pouvoir s’évacuer elle-même par l’imbécillité. J’avais écrit il y a quelques années dans mon Journal que j’étais sorti vivant (je n’ai pas écrit vainqueur) de mes guerres privées, mais qu’il me restait à mener une grande guerre qui ne finirait qu’avec moi qui était la guerre contre la bêtise.

28 août. — Lorsqu’on lit un auteur classique, on constate que les citations de cet auteur qui sont familières à tous sortent toujours des parties des ouvrages les plus faciles et les plus plaisantes.
Que cite-t-on de Buffon ? « Le style est l’homme même » (déformé en « le style, c'est l'homme »), parce que le Discours sur le style est très bref et qu’on le met souvent au début des éditions de Buffon. Et puis les déclarations générales sur le lion-roi-des-animaux (article Le lion) et le cheval-plus-noble-conquête-de-l’homme (« La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats. etc. » Incipit de l’article Le cheval), parce que, dans l’Histoire naturelle, on passe volontiers les partie sur la formation de la Terre ou le discours sur la nature des animaux, pour aller aux descriptions, qui sont ce qu’il y a de plus imagé et de plus amusant.
On peut faire la même démonstration sur La Fontaine. Les fables qui sont les plus connues sortent du livre I des Fables, et la plus connue de toutes est la toute première (La Cigale et la fourmi ; Le Corbeau et le renard est la seconde).
Tout cela est pour dire que la mémoire littéraire collective, ce qu’on appellerait aujourd’hui la culture générale, est celle de l’individu qui ne sait presque rien, qui n’a que très peu lu, et qui a feuilleté plus qu’il n’a lu.
Ceci rend d’autant plus désolante l’éradication de la littérature des programmes scolaires français, à partir des années 1980. On a supprimé, sous prétexte de démocratisation, ce qui était la démocratie même, puisque, si je reprends mes deux exemples, le bagage littéraire du Français moyen comprenait le souvenir confus d’une dizaine de fables de La Fontaine et deux citations de Buffon. Et l’individu hyper-démocratisé qu’on a obtenu par le moyen de cette éradication est à peu près dans la situation où Himmler voulait mettre les Polonais. Le bon Polonais, selon Himmler, savait compter jusqu’à 500, signer son nom et déchiffrer un panneau indicateur.

11 septembre. — Vu sur la Toile une interview par Oumma-TV d’une certaine Rokhaya Diallo, que je ne connais pas mais dont je devine qu’il s’agit d’une de ces « personnalités » télévisuelles qui jouent leur propre rôle sur les plateaux des talk-shows et qui portent le discours de la catégorie sociale qu’elles sont censées représenter. Celle-ci tient la partie de l’immigrée d’Afrique noire de la deuxième génération, décomplexée et qui n’a pas la langue dans sa poche. Ce qu’elle dit est intéressant à deux titres. Pour commencer, cette jeune femme s’exprime entièrement par slogans. En second lieu, elle révèle, par naïveté ou parce qu’elle veut se concilier ceux qui l’interrogent, des choses que l’on s’efforce en général de cacher.
« La place aujourd'hui qui est celle de l'islam dans l'espace médiatique j'estime que c'est une place de stigmatisation dans la mesure où l'islam n'est convoqué que pour pointer du doigt des travers qui seraient inhérents à la religion musulmane et a priori aux porteurs de cette religion. »
« (...) Parler d’une islamisation de l'Europe, je ne suis pas forcément fan de ce terme parce que je trouve qu'il induit [sic] un procédé de conquête, or ce n'est pas le cas. Effectivement il y a de plus en plus de musulmans en Europe, c’est vrai, mais c’est vrai pour des raisons démocratiques — démographiques pardon ! —, pas parce qu’il y aurait un projet conquérant de jihad. Les musulmans sont nombreux en Europe, ils sont particulièrement nombreux en France, c’est la deuxième religion du pays, mais c'est lié à une immigration qui a procréé une descendance dont [sic] un certain nombre de personnes se réclament aujourd’hui comme étant des musulmans et se réclament de l’islam. »
« Par la majorité des Européens, le fait islamique n’est pas perçu comme un fait qui a un sens particulier, mais il y a malheureusement une minorité qui perçoit ce fait-là comme une menace, et cette menace a été construite par un discours qui stigmatise tous les signes d'islamité visible, le port d'un foulard, le port d'une barbe, le port d’un certain nombre de vêtements, qui est perçu comme une étrangeté et comme une façon de ne pas vouloir se conformer à des règles qui seraient des règles européennes, comme si elles étaient figées pour toujours. Or je considère que le terreau européen change, il évolue au gré des différentes vagues d'immigration et puis de l'installation de personnes qui sont aujourd'hui née en France mais avec une religion qui autrefois était minoritaire mais qui tend à devenir une religion assez importante, quand même la deuxième d’Europe»
C’est cette conception du pays d’accueil comme hall d’aéroport (ou, pour reprendre la métaphore du terreau, comme jardin à planter) qui est particulièrement intrigante aux yeux d’un Français, ou d’un Européen, « historique ». Ces gens sont arrivés, se sont installés, ont reconstruit leur société à l’identique et, à présent, ils concluent que « nous » sommes « chez eux », comme si, en présence des mêmes acteurs, le fait colonial se reproduisait automatiquement.
Pour Mme Diallo, cette annexion du continent européen est légitime du seul fait que l’occupation de ce continent s’est faite sans violence, qu’il n’y a pas eu de « projet conquérant de jihad ». D’où le terrifiant lapsus sur « démocratique », quand la locutrice veut dire « démographique », parce que, dans l’esprit de Mme Diallo, c’est la même chose, que le fait d’être là confère automatiquement le droit d’être là, et confère dès lors tous les droits (c’est aux autres, aux « anciens », de s’adapter). D’où aussi la curieuse façon qu’a Mme Diallo de faire voisiner le mot musulman avec les mots République et citoyen (« Les musulmans sont tout à fait des citoyens comme les autres, ils vivent sereinement leur islamité dès lors qu’on ne la pointe pas du doigt, comme étant une étrangeté qui n’a pas sa place dans la République »), comme si l’« islamité » était une composante de la citoyenneté, voire de la République (mais il est possible que Mme Diallo, moins naïve qu’il n’y paraît, tienne ici un discours codé, à destination de ses hôtes, prônant la république islamique).
Enfin, il faut noter que Mme Diallo n’a rien d’une exaltée. Ses propos sont essentiellement lénitifs, raison pour laquelle elle fait cette justice à la majorité des paléo-européens qu’ils sont résignés à la substitution démographique (« par la majorité des Européens, le fait islamique n’est pas perçu comme un fait qui a un sens particulier » [sic]).
On est, dans le cas de MMe Diallo, non en présence d’une pensée politique, celle-ci fût-elle inepte et chétive, mais dans un discours de revendication victimaire radicalisé, inspiré par l’idéologie médiatique et démarquant le discours médiatique (d’où précisément l’impossibilité de Mme Diallo de s’exprimer autrement que par slogans). L’argumentaire se ramène à deux points : 1. Notre présence nous confère tous les droits (radicalisation du discours différentialiste) ; 2. ceux qui nous les contestent sont les « méchants », ils nous « stigmatisent » (radicalisation d’un contre-racisme diabolisant les « de souche »).
Et ce terme de « stigmatisation », que Mme Diallo emprunte à la langue de bois médiatique, et qui désigne normalement le rappel de vérités désagréables sur l’islam (ambition hégémonique, terrorisme, oppression des femmes, assassinat des apostats, assassinat des critiques) prend dans ce contexte son sens plénier : on stigmatise quand on refuse les mœurs musulmanes.
On pressent même un glissement de sens supplémentaire. J’imagine très bien qu’on dise dans quelques années, à propos d’un non-musulman qui mangerait aux yeux de tous un sandwich pendant le ramadan : « Ce n’est pas correct, il stigmatise. »

11 septembre. — Les journaux m'apprennent que la police danoise a arrêté le 10 septembre dans un jardin public de Copenhague un homme qui venait de se blesser dans une explosion, dans la salle de bain de sa chambre d’hôtel. L’homme était occupé à fabriquer une lettre piégée, qu’il destinait apparemment au Jyllands-Posten, journal qui publia en 2005 les célèbres « caricatures de Mahomet ».
L’individu s’appelle Lors Dukayev. C’est un Tchétchène, né en 1986, et qui vit en Belgique. Il a été mis en examen à Copenhague le 11 septembre.

13 septembre. — « (...) C’est par les rapports d’organisation que le serin répète des airs de musique, et que le perroquet imite le signe le moins équivoque de la pensée, la parole, qui met à l’extérieur autant de différence entre l’homme et l’homme qu’entre l’homme et la bête, puisqu’elle exprime dans les uns la lumière et la supériorité de l’esprit, qu’elle ne laisse apercevoir dans les autres qu’une confusion d’idées obscures ou empruntées, et que dans l’imbécile ou le perroquet, elle marque le dernier degré de la stupidité, c’est-à-dire, l’impossibilité où ils sont tous deux de produire intérieurement la pensée, quoiqu’il ne leur manque aucun des organes nécessaires pour la rendre au-dehors. » (Buffon, Histoire naturelle, Discours sur la nature des animaux).
« L’imbécile et le perroquet », dont la parole imitée « marque le dernier degré de la stupidité », on jurerait que Buffon a écrit cela en pensant aux gens de médias.

15 septembre. — J'apprends en lisant la presse américaine que la dessinatrice du Seattle Weekly, Molly Norris, a rejoint la cohorte des Salman Rushdie, des Robert Redeker et des Kurt Westergaard. Menacée de mort par les jihadistes, elle vient d’entrer en clandestinité, sur les conseils du FBI. Son journal annonce qu’elle ne publiera plus de dessins, qu’elle a changé de nom et qu’elle cherche à effacer ses traces. (Ce ne sera pas facile. Il suffit de googler « Molly Norris » pour voir s’afficher une photo de cette dame.)
Molly Norris est devenue la cible des assassins à cause d’une idée semi-blagueuse qui a mal tourné. À la suite des menaces d’attentat proférées contre les auteurs du dessin animé télévisé South Park, Mme Norris avait posté un dessin sur la Toile, suggérant que, chaque année, tout le monde fassse un dessin du prophète Mahomet un certain jour, devenu le Everybody Draw Mohammed Day. La dessinatrice avait fait le raisonnement que si des millions de personnes dessinaient Mahomet, les islamistes ne pourraient les tuer tous et que leurs menaces cesseraient par conséquent d’être crédibles (phénomène décrit par Molly Norris sur son blog comme « to water down the pool of targets »). Le seul inconvénient de l’audacieuse — quoique humoristique — initiative était que Molly Norris, elle, était parfaitement identifiable.

Le dessin de Molly Norris montrait des objets usuels, une tasse, un paquet de nouilles, une bobine de fil, se présentant comme la représentation du prophète. La dessinatrice rappelait ainsi le fait élémentaire qu’une image n’est pas autre chose qu’une représentation conventionnelle d’un référent. Simultanément, elle moquait le fait que la prétendue sacralité de l’image du prophète s’étendait à présent à n’importe quelle représentation (les menaces contre l’épisode n° 200 de South Park visaient un prétendu Mahomet enfermé dans une peau d’ours).
Le jour J du Everybody Draw Mohammed Day était fixé au 20 mai.
Malheureusement, pour Molly Norris, il se créa un groupe sur le site de socialisation Facebook, qui adopta son idée. La page Facebook du Everybody Draw Mohammed Day précisait : « We are not trying to slander the average Muslim. We simply want to show the extremists that threaten to harm people because of their Mohammad depictions that we're not afraid of them. That they can't take away our right to freedom of speech by trying to scare us into silence. »
La Pakistan Telecommunication Authority (PTA) bloqua Facebook le 19 mai, puis bloqua aussi Youtube et l’encyclopédie en ligne Wikipedia pour faire bonne mesure. Les habituelles manifestations d’« étudiants » pakistanais promirent une rétribution sanglante à qui s’aviserait de dessiner le prophète.
Se rendant compte de ce qui était en train de se passer, Molly Norris paniqua, prit ses distances par rapport au groupe Facebook et présenta des excuses au monde musulman. Dans un développement qui aurait été lui-même du plus haut comique si l’affaire n’avait pas été si sérieuse, la créatrice se désolidarisa de sa propre affiche, en expliquant que les dessins qu’elle avait faits (une tasse, un paquet de nouilles, etc.) devaient se lire au second degré, que ces objets usuels n’étaient pas des caricatures du prophète en dépit de ce qu’ils prétendaient, et qu’elle-même n’avait jamais demandé qu’il y eût réellement un Everybody Draw Mohammed Day, cette demande relevant elle aussi du second degré. Mais cette échappatoire par la métadiscursivité arrivait trop tard. Molly Norris venait bel et bien d’être désignée comme victime émissaire, promise au couteau des assassins, dans une de ces crises mimétiques qui caractérisent l’islamisme contemporain.
L’affaire Molly Norris permet de vérifier que les crises imagières naissent l'une de l'autre, en cascade. L’affaire Molly Norris naît de l’affaire South Park, qui naît elle-même de l’affaire des caricatures danoises. Il est à noter que l’affaire Molly Norris se prolonge elle-même en Afrique du Sud. L’interdiction pakistanaise des réseaux sociaux et de Wikipedia suscita en effet un dessin de presse du dessinateur Zapiro, dans le journal sud-africain Globe and Mail du 21 mai 2010, où l’on voyait Mahomet sur le divan d’un psychanalyste, notant que les disciples des autres prophètes disposaient d’un sens de l’humour.

Dans l’espèce, les islamistes sud-africains choisirent de rester dans la légalité (ce qui ne constitue malheureusement aucune garantie pour le dessinateur Zapiro). Le Muslim Judicial Council sud-africain opta pour la voie judiciaire et tenta de faire interdire le journal, manœuvre qui échoua.
Du côté islamiste, la situation se caractérise par une sorte de répétition lasse du fait qu’il désormais interdit aux Occidentaux de représenter le prophète, tout doute, toute interrogation, toute velléité de résistance occidentale étant perçues comme une obstination coupable.
On observe de ce fait-même une montée dans la métadiscursivité, puisque toutes les élaborations graphiques occidentales sont en réalité des rappels des affaires précédentes. Du point de vue islamiste, il est interdit de dessiner le prophète (c’est blasphématoire), mais il est interdit aussi de rappeler sous forme imagière qu’il est interdit de dessiner le prophète (une telle image de rappel encourt à son tour l’accusation de blasphème).
Il faut répéter inlassablement — parce que les médias le passent systématiquement sous silence — que la crise des caricatures danoises en 2005-2006, première crise imagière et modèle des suivantes, possédait déjà ce caractère de métadiscursivité, puisque le Jyllands-Posten cherchait à vérifier si oui ou non les dessinateurs danois hésitaient à dessiner Mahomet du fait des menaces islamistes. En mobilisant avec succès contre les Danois l’ensemble du monde islamique, l’imam palestinien Abou Laban apporta une réponse qui rendait obsolète la question. On pourrait dire que Flemming Rose, responsable des pages culturelles du quotidien, posait une question du XXe siècle (qu’on pourrait paraphraser ainsi : la présence d’une forte population musulmane, de plus en plus radicalisée et quérulente, ne risquait-elle pas de remettre en question la liberté d’expression graphique au Danemark, les dessinateurs étant susceptible de céder à l’intimidation ?) et qu’il reçut une réponse du XXIe siècle (qu’on pourrait paraphraser ainsi : les Danois, comme tous les Occidentaux, ont désormais statut de « soumis et d’humiliés » (dhimmi) dans l’islam ; il leur est interdit sous peine de mort de toucher ou de viser de quelque manière que ce soit les symboles de l’islam ; il leur est interdit a fortiori de mentionner cette interdiction).

21 septembre. — Elle me donne une bonne idée de la société vers laquelle nous allons, la censure en « temps réel » des contributions de lecteurs sur la Toile (mais au fait je ne crois pas que nous y allions, vers cette société, je crois que nous y sommes déjà).
C’est du reste un flagrant exemple de la popularité de toute censure. Les gens rechignent toujours à l’avouer mais ils sont convaincus que la libre expression des opinions est une abomination. Ceci n’empêche nullement que toute âme bien née et proche des pouvoirs — des vrais pouvoirs, ceux des médias et ceux de l’argent — adore dénoncer la censure. Il ne manque jamais de hurler à la censure, l’humoriste sans talent qui se fait congédier de la chaîne publique où il se répandait en imprécations haineuses. Mais lorsqu’on censure le péquin, il n’y a personne pour protester. D’ailleurs c’est la loi. La loi aujourd’hui protège toute les minorités contre toutes les vérités.
Il paraît que ce travail de censeur sur la Toile est sous-traité par les journaux, que ces gens travaillent chez eux, et à toute heure, par définition, que c’est payé au tarif plancher, mais que les censeurs ont souvent fait de longues études. On confie donc le travail à cette élite des diplômés qui ont un peu de mal à s’intégrer sur le marché de l’emploi. C’est peut-être, qui sait, le début d’une nouvelle bureaucratie soviétique. J’imagine assez bien que ces gens qui ont le pouvoir d’envoyer un commentaire au « cimetière des commentaires » (Libération) aient un jour le pouvoir d’y envoyer le commentateur.
Sur le fond, il m'a suffi d’essayer de poster une demi-douzaine de contributions sur le site du Figaro pour savoir à quoi m’en tenir. Toute trace d’humour, tout signe d’intelligence vaut suppression immédiate. Rien d’étonnant à cela. La première — et au fond la seule — loi de la censure est celle de la bêtise : le censeur élimine ce qu’il ne comprend pas. Mais au-delà, est éliminé tout message qui n’est pas attribuable par M. le censeur à un représentant de l’opinion telle que la fantasme un journaliste bien-pensant (les gentils de gauche, les grognons de droite, les minorités qui crient au racisme, etc.). Et c’est bien en cela que cette censure préfigure la société qui s’annonce. Dans une démocratie représentative, le peuple souverain n’exerce pas sa souveraineté. Il confie cet exercice à la représentation nationale. Au citoyen il reste la liberté d’opinion et la liberté d’expression. Mais je devrais écrire : il restait. On demandera à l’avenir au péquin de choisir son opinion dans une liste préétablie.

23 septembre. — Dans le concert des médias, les blogs ne sont pas ceux qui mentent le plus. Sur la flottille « humanitaire » à destination de Gaza, sur l’assassinat en Turquie de Mgr Padovese « par un déséquilibré », ce sont les journalistes qui se sont livrés à la désinformation et les blogs qui ont, les premiers, rétabli la vérité.
Rien de neuf là-dedans. Mauriac (Bloc-note, 31 août 1956) relève « l’idée ancrée chez la plupart [des journalistes] que leur devoir est de donner de l’événement une version conforme à ce qu’ils considèrent comme l’intérêt national et qu’ils confondent avec ce que leurs lecteurs souhaitent de lire ».
Deux sujets d’actualité n’ont fait une timide percée dans les mainstream media que parce qu’il était impossible à ceux-ci de les dissimuler plus longtemps, compte tenu de l’information de la population par les blogs. Le premier est la persécution des chrétiens en terre d’islam. Le second la profanation des cimetières et des lieux de culte chrétiens (une profanation tous les deux jours en France). Ce dernier sujet mérite un communiqué du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux daté du 22 septembre et un article dans Le Figaro du 23. Cependant le journaliste du Figaro rejoint les conclusions d’une note de la direction générale de la gendarmerie nationale, selon lesquelles les profanations ne signifient rien et n’ont aucune composante idéologique, alors même que les enquêteurs notent qu’il y a deux pics, l’anniversaire du Führer et les fêtes païennes que sont Hallowe’en (Samhain), les solstices et les équinoxes. Bref, nous sommes priés de croire que tout cela est « pour de rire » et que les auteurs agissent « par désœuvrement ».

24 septembre. — Les médias grondent contre les mal-pensants, en inventant au passage de nouvelles désignations infamantes (le préfixe « ultra » permet de démoniser l’adversaire, de sorte qu’ont droit désormais à l’appellation d’« ultra-laïques » les protestataires qui réclament véhémentement que l’islam se cantonne à la sphère privée, comme le font les autres religions en France, à commencer par celle qui y fut majoritaire durant 1500 ans). Seulement, les médias grondent comme gronde un instituteur que ses élèves n’écoutent plus. Les Français ne s'y laissent plus prendre. On ne parvient plus à les intimider en leur disant : « Vous êtes racistes. »
Il me semble que ce qui ne fonctionne plus est cette façon qu’avaient les autorités morales d’élever le débat au deuxième degré, en le faisant porter entièrement sur les supposés préjugés des Français. À celui qui évoquait un « fait » quelconque, on répondait qu’en brandissant ce fait, il ne faisait qu’exprimer son racisme, et le débat se portait alors entièrement sur ce racisme présumé. Et le fait lui-même n’était examiné que pour son potentiel « discriminatoire ». Il s’agissait d’examiner si le rappel de ce fait ne constituait pas une « stigmatisation », si on ne risquait pas en évoquant le fait de « diviser les communautés » ou de « nuire au vivre-ensemble ». C’est précisément ce populisme antiraciste, porté par les médias, qui, par son usage systématique du procès d’intention, par son refus farouche des vérités gênantes, a porté la fureur des « ultras » jusqu’à l’incandescence.
Ce n’est pas par accident que les « ultra-laïques » s’en prennent si âprement aux salafistes (qui réagissent à leur habitude par des menaces de mort). L’islamisme a poussé sur ce terreau de l’antiracisme idéologique comme un champignon sur un fumier onctueux. Cet islam saprophyte a recyclé à son profit les procédés et les contenus du populisme antiraciste tel qu’il est pratiqué par les médias, à commencer par le procès d’intention, en forgeant le concept d’islamophobie, qui servait à requalifier comme « raciste » tout rappel d’une vérité désagréable sur l’islam ou toute critique des visées islamistes elles-mêmes. (Et les médias ont superbement joué le jeu, en adoptant sans une seconde d’hésitation ce concept d’islamophobie, qui leur permettait de se placer dans leur position préférée de gardiens de la vertu, et d’anathémiser des personnes aussi diverses que le philosophe Robert Redeker, le pape Benoît XVI, ou le parlementaire néerlandais Geert Wilders.)
Seulement, ces procédés-là ne convainquent qu’aussi longtemps qu’on souscrit à l’antiracisme idéologique, et que l’on est persuadé que l’Occidental est forcément le salaud et que, en face, il y a forcément une innocente victime. Or, neuf ans après les attaques du 11 septembre, plus personne en Occident ne partage cette position. Dès lors, le discours antiraciste déraille : il ne peut que répéter que la résurgence islamiste n’existe pas, que l’islam ne pose rigoureusement aucun problème, ni sur ses terres, ni en Occident, mais que, à la suite d’un phénomène mal identifié, 100% des Occidentaux sont devenus des sympathisants du Ku Klux Klan.

28 septembre. — Lu dans les journaux de ce jour : « Un Kurde irakien actuellement en détention provisoire en Norvège et soupçonné d’avoir préparé un attentat avec deux autres suspects, a avoué avoir projeté une attaque visant vraisemblablement le journal danois Jyllands-Posten, a indiqué mardi la police norvégienne. » (AFP)

15 octobre. — Relevé sur la Toile le vendredi 8 octobre : « Un médecin refuse une consultation à une patiente d'origine marocaine » (L'Express), « Un Maghrébin et sa fille insultés par un médecin » (Midi Libre), « Plainte pour "injures racistes" contre un médecin aixois » (La Provence), « Il refuse de recevoir son patient qu'il traite de “sale arabe” » (Paris Match), « Un ophtalmo refuse de recevoir une fillette parce qu'”arabe” » (Le Parisien), « Un médecin refuse une consultation à un patient d'origine marocaine » (20minutes), « "Sale arabe, dégage, tu me salis mon cabinet !" » (Le Nouvel Observateur), « Un médecin refuse de soigner des Maghrébins » (Le Figaro). Même son de cloche sur RTL, France Bleu-Provence, Europe 1. Et je ne parle pas des télévisions, auxquelles je n'ai pas accès.
Trois jours plus tard, La Provence annonce laconiquement que le procureur d’Aix a classé sans suite la plainte du patient d’origine marocaine. Aucun des témoins n’a confirmé la version de la prétendue victime. Il n’y a jamais eu ni refus de consultation ni propos racistes. D’après les témoins, ce monsieur marocain, très énervé, aurait fait irruption à deux reprises dans le cabinet de consultation du praticien, parce qu’il attendait depuis un quart d’heure, et le praticien, qui était en consultation, l’aurait prié de sortir.
L’intérêt de l'anecdote est double. Pour commencer, ce lynchage médiatique est sans auteur véritable. La machine médiatique, une fois diffusée sur RTL l’interview de la prétendu victime, fonctionne en toute autonomie, chaque opérateur se contentant d’accomplir la tâche qui lui est affectée. De la sorte, on produit une crise médiatique — exactement de la même façon que l’organisation actuelle des marchés boursiers provoque les crises financières —, en clouant au pilori un malheureux médecin, qui est parfaitement identifiable, puisqu’on a indiqué son prénom et l’initiale de son nom, sa spécialité, la ville dans laquelle il exerce, le nom de sa clinique.
On est donc dans un ordre des choses dans lequel des individus font normalement le mal, sans intention maligne, parce que le système lui-même est ainsi organisé et que la machine médiatique combine aujourd’hui les caractéristiques de la « feuille de chantage » et de « l’organe du parti unique », c’est-à-dire, médiatiquement parlant, du pire de la société libérale et du pire de la société totalitaire.
Font exception à cet ordre des choses les militants, qui, eux, désinforment scrupuleusement et en pleine conscience. À cet égard, la palme revient à une journaliste qui exerce apparemment la profession de chef menteuse dans le webzine Rue89. Cette dame a osé titrer : « “Sale Arabe” : le conseil de l'ordre enquête sur l'ophtalmo », et elle précise, perfide, que l’ordre des médecins « tranchera en fonction de “la situation et la personnalité” du médecin. En clair : un récidiviste écoperait d'une sanction plus lourde. » On est ici si loin des faits que, sans préjudice de l’intention malveillante (il s'agit évidemment de donner l'impression que le médecin serait connu pour ses dérapages racistes), on tombe dans la pure fiction, la journaliste fantasmant une utopie totalitaire, dans laquelle les ordres professionnels surveilleraient leurs membres soupçonnés de déviation idéologique.
Le deuxième intérêt de l’affaire de « l’ophtalmologiste raciste », c’est que les internautes ont rétabli la vérité beaucoup plus vite que les médias. Sur le site de RMC, sont postées dès le 8 octobre des dizaines de réactions d’auditeurs, protestant contre la diffusion de la fausse nouvelle. Ainsi, face à un système médiatique devenu fou, la Toile assure aujourd’hui la fonction d’un poumon digital. Mieux encore, elle permet à tout un chacun d’observer moyennant une simple recherche sur quelques mots clés comment une information flagramment erronée envahit progressivement toute la médiasphère.

17 octobre. — Dans la société ultra-policée que, en bon anarque, je considère comme la seule supportable, il n’est pas d’autorité autre que celle du savoir et du talent, et pas d’autres règles que celles du savoir-vivre. Or l’une des caractéristiques de la société actuelle est qu’elle est revenue à la fois à une violence primitive et à une goujaterie généralisée. Il n’est pas mal trouvé, pour un fois, l’euphémisme politiquement correct d’incivilités pour désigner la délinquance de proximité. S’il est toujours fâcheux de se faire voler sa montre et son portefeuille (aujourd’hui, ce serait plutôt son téléphone portable et sa carte bancaire), le plus grave n’est peut-être pas la perte matérielle, ni même l’agression physique qui l’accompagne, mais le fait qu’on ait dû se frotter sous la contrainte à des gens de mœurs crapuleuses. C’est précisément cette horreur de la goujaterie accompagnant le vol qui a suscité dans notre littérature l’invention du bandit d’honneur, qui vous demande votre bourse avec la politesse la plus exquise et fait un brin de cour aux dames, et du gentleman cambrioleur, qui pense à nourrir le chat avant de partir avec l’argenterie.

« For my part, if a man must needs be a knave, I would have him a debonair knave... It makes your sin no worse, as I conceive, to do it à la mode and stylishly. » [Anthony Hope, The Prisoner of Zenda.]

20 octobre. — Mon ami Bernard Joubert me confie une anecdote minuscule, qui m'épouvante et ne me surprend pas. Une plasticienne lui écrit ceci : « La semaine dernière, l'une de mes collègues théoricienne m'a fait part de quelque chose de tout nouveau chez les étudiants de première année (cela a commencé il y a un an) qui demandent tout à coup à leurs professeurs s'ils ont le droit ou pas de représenter telle ou telle chose. Elle enseigne depuis 30 ans et n'avait jamais entendu cela avant. »

21 octobre. — Journal de France Culture, 7 heures du matin, ce 21 octobre. À propos de l'affaire de Villiers-le-Bel, remontant à novembre 2007. (Deux petits durs de quartier, juchés ensemble sur une mini-moto s'étaient écrasés sur un véhicule de police, et la pègre locale avait réagi selon un schéma insurrectionnel. Un commissaire venu pour parlementer avec les émeutiers fut battu à coup de barres de fer within an inch of his life.) Aurélie Kieffer explique qu'après des péripéties judiciaires (les plaintes contre les policiers qui ont subi l'impact de la mini-moto avaient été classées sans suite), le policier qui était au volant du véhicule vient d'être mis en examen. Julie-Marie Leconte enchaîne alors : « Il y a un an, la justice avait rendu un non-lieu en faveur des policiers, faisant porter toute la responsabilité de l'accident sur les deux adolescents. Ils roulaient trop vite sur un engin non homologué, sans casques, sans lumière et sans freins. Mais au printemps dernier, les familles avaient obtenu que l'instruction soit relancée. Me Jean-Pierre Mignard, leur avocat, explique que, mis en examen, le policier devra — enfin — répondre à de nombreuses questions. »
On entend alors Me Mignard, qui évoque : « Les circonstances dans lesquelles le véhicule se trouvait au moment précis au carrefour où il a heurté la petite moto, motocyclette des adolescents ; ensuite pourquoi sa vitesse était très supérieure à la vitesse autorisée, pourquoi d'ailleurs on a constaté une phase d'accélération tout à fait considérable au moment où il franchissait le carrefour, pourquoi il n'y avait pas de gyrophare, pourquoi il n'y avait pas d'avertisseur, pourquoi, j'veux dire, ce cumul d'infractions au code de la route tout simplement [sic]. »
Et Julie Marie Leconte conclut : « Dans un peu plus d'un mois, Villiers-le-Bel commémora les trois ans de la mort de X et de Y, décédés à 15 et 16 ans. Pour Me Mignard, la justice vient de prendre une décision d'apaisement. »
Si l'on traduit tout cela du victimaire on arrive à ceci : il faut, pour apaiser les velléités insurrectionnelles de Villiers-le-Bel, obtenir la condamnation d'un policier. Et pour cela, il faut ériger une contravention (car il est parfaitement possible après tout que les policiers aient traversé leur carrefour à 60 km/h) en une cascade d'infractions au moins aussi graves que le comportement des deux délinquants qui s'étaient délibérément changés en projectiles. Chemin faisant, on a transformé en affaire d'État l'excès de vitesse de moins de 20 km/h (art. R. 413-14 du code de la route).
En somme, comme il n'est pas admissible pour les émeutiers de Villiers-le-Bel que les adolescents X et Y soient morts de leur sottise, il faut fabriquer coûte que coûte une bavure policière. D'où la suggestion de Me Mignard que les policiers auraient eux-même follement accéléré en traversant le carrefour, certainement dans l'intention de tuer deux jeunes qui circulaient paisiblement sur leur « motocyclette ».
Cependant Me Mignard parle d'or quand il déclare que « la justice vient de prendre une décision d'apaisement ». Il s'agit de changer un policier en bouc émissaire. Or la violence mimétique a pour but de décharger temporairement la violence de la communauté en sacrifiant une victime émissaire, dont la caractéristique est précisément qu'elle est impuissante à susciter la vengeance, et dont le sacrifice ne peut par conséquent faire rebondir la crise. C'est bien cet apaisement-là que préconise Me mignard, et que les journalistes de France Culture, qui larmoient sur la mort de deux malheureux gamins, considèrent comme la moindre des choses.

1er novembre. — Promenade dans les cimetières de la Toussaint. Mes retrouvailles avec le catholicisme ne m’ont guère rapproché des rites sociaux de la religion, définitivement associés à de mauvais souvenirs familiaux. Et comme l’estrangement favorise la rêverie, j’ai imaginé que sous tous ces marbres encombrés de chrysanthèmes il y avait non des êtres mais des mots. Les mots disparaissent aujourd’hui sur le vieux continent plus vite que les espèces animales ou végétales. Les peuples européens enterrent leurs langues par dictionnaires entiers. Les mots disparaissent parce qu’on n’en a plus l’usage, leur référent n’existant plus, ou parce qu’on ne les comprend plus, l’Européen moderne ignorant à peu près tout de sa civilisation, ou parce qu’ils sont interdits.
On en interdit de plus en plus. L’aspect le plus frappant de la rectitude politique radicalisée et militante qu’est l’antiracisme persécuteur est précisément l’interdiction de nommer.
La disparition des mots consécutive à l’interdiction de la nomination évoque irrésistiblement les Principles of Newspeak, tels qu’exposés dans l’appendice de ce fleuron de la littérature d’anticipation britannique qu’est 1984 de George Orwell.
Cet ouvrage apparaît véritablement prophétique, puisque Orwell note dans ledit appendice qu’en 1984 « The leading articles of the Times were written in it [Newspeak], but this was a tour de force which could only be carried out by a specialist ». Or ceci s’est réalisé très exactement, les éditoriaux du Times de Londres étant en effet, dès 1984, couchés dans la prose multiculturaliste, et ce traitement représentant de la part de ses auteurs un indéniable tour de de force sémantique, parce que la langue anglaise elle-même résiste à la violence qui lui est faite. Mais la meilleure preuve du caractère prophétique de 1984 est l’idée-force d’Orwell, qui est précisément celle de la rectification lexicographique. L’instauration du Newspeak vise avant tout à réduire drastiquement le vocabulaire. De là les simplifications lexicales (on retient un mot par idée, soit verbe soit substantif) et grammaticales (la suffixation et la préfixation permettent de dériver tous les sens de la racine retenue). Et la finalité de la novlangue n’est pas simplement l’expression de la pensée officielle, mais aussi, mais surtout l’impossibilité d’exprimer aucune autre pensée. (« The purpose of Newspeak was not only to provide a medium of expression for the world-view and mental habits proper to the devotees of IngSoc, but to make all other modes of thought impossible. »)
Il est une autre preuve de la brutalité de la rectification lexicale, consécutive à la rectification démographique en cours, c’est que les mots subsistants, ceux que l’on n’a pas éradiqués, changent radicalement de signification. Ces mots-là ne dorment pas paisiblement sous les chrysanthèmes, ils ont été remplacée par des sosies monstrueux sortis des cosses du film de Don Siegel, Invasion of the Body Snatchers. C’est évidemment dans le lexique religieux que ce remplacement est le plus flagrant. Le jeûne en paléofrançais, c’est le jeûne catholique, pratiqué normalement le Mercredi des Cendres et le Vendredi saint (Can. 1251), qui fait qu’on ne prend, dans un but de pénitence, sur vingt-quatre heures qu’un seul repas, soir dîner, soit souper, complété par une collation légère. Mais le jeûne, en néofrançais, c’est la pratique islamique du ramdam, c’est-à-dire l’inversion alimentaire qui fait qu’on s’abstient de prendre aucun aliment du lever au coucher du soleil, pour faire ensuite la bamboche toute la nuit. Le mois du jeûne, le mois du ramdam est donc le mois de la surconsommation, voire du gaspillage éhonté de la nourriture, dont il découle que le jeûne en néofrançais désigne l’exact contraire du jeûne en paléofrançais. Infidèle désignait en paléofrançais celui qui n’est pas chrétien, il désigne en néofrançais celui qui est chrétien. Un martyr, en paléofrançais, c’est celui qui endure les tourments et la mort pour témoigner de la vérité de la religion chrétienne. Mais en néofrançais, un martyr, c’est celui qui se tue, qui fait le sacrifice de sa propre vie, à la condition qu’il entraînera dans la mort le plus grand nombre possible de victimes. Et comme il n’y a pas de martyrs sans culte des martyrs, le martyr en néofrançais, c’est l’assassin exemplaire, alors qu’en paléofrançais, c’était la victime exemplaire.
Le mot « libre » n’est plus utilisable en néofrançais que dans des expressions toutes faites telles que « libre de droits » (pour une production de l’esprit qui est tombée dans le domaine public), mais il ne peut plus être utilisé dans son sens ancien, pour désigner la « liberté politique » (« des hommes libres ») ou la « liberté intellectuelle » (« un esprit libre »), parce que ces concepts eux-mêmes ont été abolis. Il y a fort à parier que l’expression « un esprit libre » soit incompréhensible pour mes contemporains. Ou alors, elle évoque vaguement quelqu’un qui refuse le nouvel ordre de l’antiracisme omniprésent et obligatoire, autrement dit qui a des idées « nauséabondes ».

3 novembre. — Destruction d’un nid de chrétiens à Bagdad. Des jihadistes sont entrés dans la cathédrale syriaque catholique Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours en pleine messe et ont massacré prêtres et fidèles, en finissant par tout faire sauter avec leurs ceintures de bombes. Si la date est symbolique (la veille de la Toussaint), l’attentat est aussi la rétribution du synode des évêques pour le Moyen-Orient, qui s’est tenu du 12 au 24 octobre, car les infidèles n’ont pas le droit de se plaindre du sort qui leur est fait dans l’islam, puisque c’est le Coran lui-même qui ordonne leur sujétion.
Les journalistes n'ont pas manqué cette occasion de désinformer. On nous explique sur tous les tons et dans tous les médias qu’en Irak les chrétiens aussi sont victimes des troubles interconfessionnels et interethniques, qu’ils sont comme les autres factions irakiennes en butte aux vengeances et aux exactions. (« L’Irak, hélas, nous a habitués aux attentats et à leurs bilans terribles. Nul n’y est à l’abri de la terreur », écrit La Croix.) Transplanté en 1944, un journaliste bien-pensant eût déclaré l’esprit tranquille que, dans cette guerre qui embrasait le monde, les juifs subissaient eux aussi de lourdes pertes, comme les Anglais, comme les Allemands.
Comme la Qaida qualifie le massacre de représailles sur les chrétiens d’Irak, parce que, en Égypte, le régime a rendu aux coptes deux chrétiennes, épouses de prêtres, qui avaient été enlevées par les musulmans et converties de force, les médias occidentaux font en dépit d’eux des allusions à ce fait qu’en islam, et en Égypte tout particulièrement, on enlève des chrétiennes pour les convertir de force. Certes les journalistes racontent l’histoire dans sa version islamiste, en expliquant que ces chrétiennes se sont converties volontairement et que ce sont les coptes qui les séquestrent aujourd’hui dans des couvents, mais, outre qu’il n’est jamais de bonne politique de mentir trop flagramment, le caractère insolite de l’histoire amène l’esprit le moins soupçonneux à se demander pourquoi aucun média n’a jamais rendu compte de ces singuliers faits-divers.

[Pour faire suite. —] Surprise. Le Monde, qui n’a pas eu d’autre ligne politique depuis vingt ans que celle de l’islamisation de la France, et de la culpabilisation à outrance des Français, forcément « racistes » et « islamophobes », ouvre aujourd’hui un éditorial larmoyant sur les chrétiens d’Irak sur ces paroles :

« Difficile de parler de "terrorisme aveugle" quand des prêtres et des fidèles assistant à la messe dominicale sont tués dans leur église, à la veille de la Toussaint. »

Et le quotidien conclut sur ce lucide constat :

« Pour les communautés concernées, au-delà de l'islam radical, c'est désormais la confrontation au quotidien avec un islam politique qui rend difficile la survie de la culture et des traditions chrétiennes.
« Le Vatican a dit son désarroi. Il ne devrait pas être seul : l'exode des chrétiens d'Orient est un drame qui nous concerne tous. »

En faillite morale comme il est en faillite financière, Le Monde a donc décidé de faire quelques concessions au réel, espérant sans doute amadouer son lectorat. (Éric Fottorino a d’ailleurs déploré dans un éditorial quelques écarts anciens dans la ligne éditoriale du journal, au grand scandale de ses journalistes.) Seulement, comme on ne se refait pas, Le Monde garde des accents dissonants même dans sa palinodie. Car enfin, si l’éditorialiste commence par « difficile de parler de terrorisme aveugle », c’est bien que la tentation négationniste est toujours présente à son esprit. Il y a seulement un an, c’est probablement cette interprétation du « terrorisme aveugle », frappant indifféremment chrétiens ou musulmans, qu’aurait défendue le journal, à l’encontre de la vérité et à l’encontre de l’éthique.

Frank Hampson, The Road of Courage, 1960

23 novembre. — Un rapport officiel britannique vient de blanchir les officiers de probation chargés du contrôle judiciaire du monstre Jon Venables, qui avait, en 1993, à l’âge de dix ans, enlevé un petit garçon de deux ans à l’aide d’un complice, l’avait torturé, s'était livré sur lui à des sévices sexuels, et l'avait battu à mort, avant de le jeter sous un train, et qui est à nouveau en prison pour une infraction dont la nature est théoriquement un secret d’État.
En application de la morale du perpétrateur, Venables avait bénéficié de la protection de la justice et des services sociaux qui estimaient qu’il était, lui, la victime. Il fut relâché dans la nature en 2001, après qu’on lui eut créé une nouvelle identité, et qu’on lui eut fourni domicile et travail.
Ces dernières années, Venables travaillait semble-t-il comme videur de boîte de nuit. Venables est alcoolique, drogué et violent. Deux arrestations, en septembre puis en décembre 2008, l’une pour une bagarre d’ivrognes, l’autre pour possession de cocaïne, ne suffirent pas à faire lever sa liberté conditionnelle, quoique ses officiers de probation l’encourageassent alors à limiter sa consommation d’alcool et de stupéfiants. Venables a également la détestable habitude de se rendre continuellement sur les lieux de son crime, ce qui lui est strictement interdit aux termes de sa libération conditionnelle. (Il est vrai que la justice lui a facilité les choses en le relogeant dans le comté voisin.)
Finalement, Venables fut arrêté en février 2010 et condamné à une peine de deux ans de détention. Les tabloïdes britanniques passèrent outre la loi du bâillon à laquelle ils sont soumis et révélèrent que si Venables était à nouveau en prison, c’est parce qu’il avait téléchargé et diffusé des images pédopornographiques incluant des images de catégorie quatre, autrement dit des photographies de viols d’enfants (Level four : penetrative sexual activity involving a child or children, or both children and adult).
Le rapport officiel qui vient de paraître conclut que Venables a fait l’objet d’une surveillance adéquate des officiers de probation et que nul n’est à blâmer si ce charmant jeune homme boit, se drogue, hante les lieux de son crime et manifeste ce que la presse conservatrice appelle une « obsession pour la pédopornographie ». Cependant le parlementaire qui signe le rapport note que Venables aurait pu bénéficier de davantage de thérapie et d’une aide accrue à la recherche d’emploi, après qu’on lui eut procuré une nouvelle identité. En somme, l’État reconnaît ses torts envers un malheureux. [Pour ceux de mes lecteurs qui trouveraient ces manières propres à un État orwellien, et étrangères à notre génie national, je verse ici le témoignage de cette internaute qui écrit : « Super comme société si on torture des gamins de 10 ans, désolée moi j'en veux pas, même des gamins criminels restent des gamins », et qui pense donc que Venables n’aurait pas dû être inquiété du tout. (« Ecoute, Jon, tu n’aurais pas dû enfoncer le crâne de ce petit garçon à coup de briques, ni le jeter sous le train. Tu as fait une grosse bêtise, on est d’accord ? ») Telle est du reste la position de la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt de 1999 condamnant la justice britannique.]
On peut se demander par quel miracle Venables, dont on aura compris qu’il sert de cobaye pour un ambitieux programme de blanchiment général des criminels, a finalement été condamné, compte tenu de l’acharnement de l’appareil d’État à le disculper. L’ironie de la situation est que Venables retourne en prison parce qu’il a enfreint ce qui est, dans le logiciel judiciaro-médiatique, le tabou ultime : le téléchargement d’images pédopornographiques. L’infraction imagière (la copie d’images montrant des enfants victimes de sévices sexuels) vient donc à la fois oblitérer et révéler le crime de sang pour lequel Venables ne pouvait être condamné (l’acharnement sadique, au sens psychosexuel du terme, sur une victime enfant).
Un poncif récurrent dans la littérature spécialisée produite en abondance par l’appareil judiciaire et par les services sociaux — Venables est censé « vivre dans le remords » — pourrait incliner à penser que le complet retournement de valeurs qui s’observe dans cette espèce s’enracine dans le christianisme. Il est vrai que le pardon est une valeur chrétienne essentielle. Mais le sort fait à Venables doit s’interpréter à mon avis à la lumière d’une scène précise de l’Évangile où la foule réclame véhémentement à l'autorité le pardon pour un individu. L'intérêt de cette scène est de montrer que ce rachat d'un coupable ne peut se faire qu'au prix de l'accablement d'un innocent. Cette permutation des coupables et des innocents, je crois qu'elle est l'aboutissement du système de valeurs qui a si longtemps protégé Venables.
« ... Or, Barabbas était un brigand.  » (Jean, 18, 40.)

9 décembre. — Croyant rechristianiser la fête des Lumières de Lyon (qui est tout simplement la fête de l’Immaculée Conception), le cardinal Barbarin, qui s’est trompé de siècle et qui s’imagine vivre dans la France de Cœurs Vaillants et de Fripounet et Marisette, acheta, avec l’argent d’un généreux mécène, quatre pages de publicité dans le « gratuit » 20 Minutes. La veille de la parution, le journal demanda des changements, à quoi on consentit. Puis, à quelques heures du bouclage, revirement du journal : il fallait ôter le texte du « je vous salue ». L’évêché s'y refusa.
Il n’est pas facile dans ces affaires-là d’accoucher de la vérité. Mais on finit par y arriver. C’est La Vie (ex-catholique) qui nous révèle ceci : « ... le directeur de la rédaction indique pêle-mêle la volonté de “ne pas choquer” un lectorat diverse [sic] et multiple et le souci de ne “rien imposer à nos lecteurs sur des domaines aussi intimes”.
« Ne pas choquer », « ne rien imposer », on l’a compris, c’est ne pas exposer la première et la plus simple des prières catholiques aux yeux des musulmans.
On me répondra que les musulmans n’ont rien demandé et n’y sont pour rien, mais, dans la circonstance, c’est le directeur de la publication du « gratuit » qui a une bonne oreille et le cardinal qui s’est révélé tone deaf.
Dounia Bouzar qui se présente comme « anthropologue du fait religieux » mais qui apparaît surtout comme l’ambassadrice « politiquement correcte » de l’islam des confréries dans les médias bien-pensants, notait ceci à l’intérieur d’un charmant petit vademecum du paranoïaque procédurier, sur la Toile, où elle expliquait à ses pieux lecteurs comment emmerder les municipalités pour qu'on serve de la viande hallal dans les cantines scolaires :
« Du fait de son Histoire et de son système juridique laïque, on aurait pu s’attendre à ce que la France reconnaisse qu’un certain nombre de normes dites « neutres » sont en fait directement issues de l’Histoire chrétienne, et sont aujourd’hui devenues, sans qu’on le veuille, indirectement discriminatoires pour ceux qui ont d’autres références. »
Voilà un propos qu'on peut appliquer tel quel à l'affaire du « je vous salue » et qui en donne la clé. Pour que les musulmans de France se sentent bien, il faut qu’ils puissent penser que la France a toujours été musulmane, sans quoi on les renvoie à une vérité pour eux désagréable, qui est celle de leur immigration récente. Tout élément de culture provenu du christianisme doit donc disparaître puisqu’il est « indirectement discriminatoire ». Et voilà comment on rejoint par le truchement du « politiquement correct » la charia, dans laquelle les chrétiens qu’on a décidé de ne pas tuer, qu’on tolère moyennant rançon, doivent raser les murs, n’ont pas le droit d’arborer les signes de leur religion, ni de se livrer à aucune manifestation publique de leur religion, ni même d’entretenir leurs églises, qui doivent tomber en ruine, pour marquer le triomphe de l’islam.

11 décembre. — Je relis ce Journal sur les maux et les calamités du temps et, comme tout auteur qui se plonge dans sa prose publiée, au bout de trois minutes, j’oublie que c’est moi qui ai écrit cela, et je recouvre la faculté d’être en désaccord avec moi-même.
Et de m’apostropher en ces termes : « Fort bien, M. Morgan, on comprend que vous êtes accablé par l’inculture et la goujaterie de votre époque, et que vous vous détachez de cette époque à mesure qu’elle-même s’éloigne de ce que vous aimez, l’Angleterre de Goodbye Mister Chips, l’Amérique de Franklin Delano Roosevelt, la France pompidolienne. Votre position est celle du lettré. On conçoit aussi votre agacement de la propagande des médias et des officines préposées à ce que vous appelez l’antiracisme persécuteur. Mais, somme toute, vos observations ne diffèrent des jérémiades de la réacosphère que par la tenue du style, et votre conclusion ultime, dérivée de la théorie mimétique de René Girard, selon laquelle la bien-pensance, par le retournement systématique des valeurs, préparerait de futurs massacres, relève de la lubie. »
Seulement, ayant succombé au doute, et m’étant contesté moi-même, je réexamine mon époque et j’y découvre non pas une violence sans précédent (les siècles passés ont été bien plus violents), mais une alliance qui reste sans équivalent dans notre histoire de violence et de bêtise.
Le danger du discours bien-pensant, c’est qu’il repose sur une adultération des valeurs. Il ne fait plus de place au sentiment — le mot lui-même, ce mot essentiel de notre littérature, s’est perdu —, remplacé par un sentimentalisme à côté de quoi la mièvrerie victorienne ressemble à du stoïcisme. Il ne fait plus de place à la simple humanité (au sens du devoir d’humanité), remplacée par un humanitarisme vague et exalté.
Or — et c’est là toute ma démonstration — la violence réelle culmine avec l’hégémonie du discours sentimentaliste et humanitariste, qui dénonce la violence symbolique. Par sentimentalisme et par humanitarisme, on exige de supprimer les notes à l’école (« stigmatisantes »), mais tout le monde trouve très normale la persécution des bons élèves (« les intellos ») par les petites brutes analphabètes qui constituent désormais les deux tiers des effectifs, sans parler du massacre des enseignants, réduits à leur rôle de fusibles sociaux.
Tandis que, par sentimentalisme et par humanitarisme, on se gargarise d’écologie, le sort qu’on fait aux bêtes d’abattoir devient indescriptible. On croyait, à force de militantisme, avoir obtenu des avancées modestes, empêchant par exemple d’ébouillanter les poulets alors qu’ils sont encore vivants. Or voici que, en quelques années, tout s’est écroulé, puisque les bêtes sont désormais égorgées sans étourdissement préalable par des sacrificateurs islamiques, et qu’on les laisse agoniser en se vidant de leur sang. L’existence de ces êtres chosifiés n’est qu’un immense calvaire. Du moins leur mort aussi était-elle industrialisée, c’est-à-dire rapide. Mais non : il n’est plus question de leur faire grâce de cela. Il faut qu’elles souffrent, qu’elles souffrent abominablement et qu’elles souffrent aussi longuement qu’il est possible, compte tenu des impératifs de rendement, d’où cette solution de l’égorgement sans étourdissement. Le pervers méthodique qui calcule des rapports viande/os et qui découvre que l’animal de boucherie idéal est celui qui ne pourrait se mettre debout si on le libérait de sa cage de contention, car il se romprait les os, a trouvé dans le sacrificateur son meilleur ami, qui est capable de prolonger l’agonie de cet animal d’une façon quasi miraculeuse. Et tout cela est couvert par le doux ronron du discours humanitaro-mercatique sur le « bio » et le « développement durable », et par le discours humanitaro-ethnique sur nos concitoyens de confession ou de culture musulmane, véritables parangons d’une intégration réussie, la preuve en étant qu’ils sont en train de reconstruire à l’identique leur propre société.

12 décembre. — Ce que je redoutais vient de se produire. Samedi 11 décembre, un moudjahid a fait sauter une voiture piégée puis s'est fait sauter lui-même dans l'hyper-centre de Stockholm, bondé en cette période de l'Avent. Dans un mail audio en arabe et en suédois l'assassin revendique ainsi son crime (je donne la traduction anglaise d'après REUTERS) : « Our actions will speak for themselves, as long as you do not end your war against Islam and humiliation of the Prophet and your stupid support for the pig Vilks ». Les complots terroristes en vue d'assassiner Vilks ayant échoué (en mars, on arrêta en Irlande, avec le reste de son groupe, l'Américaine connue comme Jihad Jane, qui devait approcher Vilks pour l'assassiner ; en mai, l'attaque de la maison de Vilks au cocktail molotov ne fit que des dégâts matériels), les pieux musulmans ont apparemment décidé de se venger sur la population suédoise.
Grâce à Dieu, le double attentat n'a pas fait de victimes, hors deux passants légèrement blessés. Le moudjahid, qui transportait semble-t-il sa bombe sur le ventre, est mort.

29 décembre. — Les services de sécurité et de renseignement du Danemark ont annoncé l'arrestation mercredi de quatre musulmans qui préparaient un attentat contre le bureau du Jyllands-Posten à Copenhague (le siège du journal est à Aarhus), en rétribution des caricatures danoises de 2005. L'intention des fidawi était de s'introduire dans l'immeuble et de tuer autant de gens que possible, sur le modèle des attentats de Bombay. Un cinquième assassin a été arrêté en Suède, à Stockholm. Tous ces gens vivaient en Suède et avaient la nationalité suédoise, à l'exception d'un Irakien qui — c'est une dérision — jouissait du statut de réfugié politique. On ne sait pas si le groupe était lié au moudjahid qui s'est fait sauter dans l'hyper-centre de Stockholm le 12 décembre, pour punir les Suédois de soutenir leur propre caricaturiste, Lars Vilks.

On apprend le même jour que le terroriste Abdullah Sunata, qu'on juge actuellement en Indonésie, préparait l'attaque de l'ambassade du Danemark à Jakarta. Sunata est l'un des responsables des attentats anti-Occidentaux de Bali en 2002, qui avaient fait 200 morts. Il avait commencé à purger en 2006 une peine d'une sévérité toute islamique de sept ans de prison (soit douze jours de prison pour chaque Occidental pulvérisé), mais il avait été libéré dès 2009 par l'inflexible justice du « plus grand pays musulman du monde », au titre d'un programme de déradicalisation des jihadistes. On jugera si notre homme était déradicalisé.

POUR CONCLURE LE JOURNAL SUR LES MAUX ET LES CALAMITÉS DU TEMPS — QU’IL N’Y A PAS DE « DROIT AU RESPECT DE SES CONVICTIONS »

31 décembre. — Si j’ai pendant une année tenu un journal particulier, « sur les maux et les calamités du temps », c’est que la sottise du temps excédait ma capacité et que je n’en étais plus quitte pour pester de temps à autre dans mon journal général contre l’étouffante idéologie de notre temps (idéologie que d’aucuns ont décrite assez justement comme « le marché plus le “politiquement correct” »), ou contre l’un de ses aspects, l’inculture universelle, la pratique généralisée du procès d’intention, de l’intimidation et du mouchardage, ou encore ce retournement des valeurs qui fournit systématiquement à la violence barbare excuse et impunité.
Ce Journal sur les maux et les calamités du temps restait un journal intime, c’est-à-dire la sténographie d’une pensée au travail (je n’ai jamais eu l’intention de tenir un « blog » et la présentation sans forme de ces feuillet sur la Toile constituait dans mon esprit un suffisant démenti).

C’est chemin faisant que j’ai découvert que deux thématiques se dégageaient (ou que mon indignation était soulevée de façon préférentielle par deux sujets) : les attaques des médias contre l’Église et la pratique islamique du pictoricide. Si ces deux sujets se relient, comme il sied dans un journal intime, à des préoccupations d’ordre privé (respectivement : mon retour à la foi catholique et mon intérêt pour l’image narrative), je m’aperçois en examinant côte à côte mes deux thématiques qu’elles révèlent admirablement l’idéologie politico-médiatique. Mes deux sujets apparaissent à cet égard comme les deux faces d’une même médaille. D’un côté, la profession médiatique ne se fait aucun scrupule d’alléguer, en se fondant sur les raisonnements argutieux du New York Times et d’Associated Press, que le pape aurait couvert les agissements de prêtres pédophiles. De l’autre côté, il est à peu près impossible à l’honorable confrérie d’écrire clairement que l’assassinat de caricaturistes est l’une des formes contemporaines du jihad. Chacun sait en effet que des musulmans européens parfaitement pacifiques sont eux-mêmes contrariés par les représentations du prophète ; et par conséquent, associer au « terrorisme » la rétribution sanglante des dessinateurs, ce serait, dans l’hyper-correction médiatique, « stigmatiser » ou « faire l’amalgame ». — Cependant la sollicitude des médias ne va pas jusqu’à ménager les sentiments des catholiques qui pourraient, après tout, éprouver à leur tour qu’on « fait l’amalgame » ou qu’on les « stigmatise » en soutenant contre toute évidence, et même contre toute vraisemblance, qu’ils adhèrent à une Église dont le chef s’est compromis dans des affaires de mœurs.
L’inconvénient, c’est qu’en procédant comme j’ai fait dans ce Journal sur les maux et les calamités du temps on finit par donner une impression très fâcheuse. Celle-ci ne tient pas au sujet, ni même au traitement qu’on en fait, mais simplement au retour des thématiques. On donne l’impression de ressasser, et on passe pour obsédé.
C’est aussi que les gens aux idées avancées ont une certaine façon de balayer sous la carpette les sujets épineux, qui finit par s’imposer comme modèle. Charlie-Hebdo, qui a oublié il y a bien longtemps qu’il était « bête et méchant », illustre parfaitement cette tendance. Après s’être fait décerner en 2007 un brevet d’héroïsme par la 17e chambre correctionnelle pour trois dessins de Mahomet qui avaient scandalisé les institutions de l’islam de France (grande mosquée de Paris et UOIF, c’est-à-dire frères musulmans) et une institution panislamique d’Arabie Saoudite (la Ligue islamique mondiale), l’hebdomadaire satirique est revenu à sa préoccupation fondamentale qui est d’expliquer que tout homme politique qui se mêlerait de vouloir contrôler si peu que ce soit les flux migratoires ou de lutter si peu que ce soit contre la délinquance de proximité est un fasciste ou un nazi. Finalement, ce sont des dessins calembourdesques sur les burqas qui sont censés rappeler que Charlie méprise les islamistes, tout en faisant preuve de la distanciation qui prouve qu’on est entre gens du monde. De même, l’urgentiste Patrick Pelloux explique de loin en loin dans les colonnes de l’hebdomadaire que le salaud qui a défiguré une malheureuse à coup de marteau mérite de crever en prison. Après quoi, toute l’équipe peut rabacher l’esprit tranquille que tout ce populo qu’inquiète la recrudescence des atteintes à la personne est certainement d’extrême droite.
Des réflexions que j’ai pu tirer de ma double observation d’un acharnement médiatique, contre un vieillard qui cumule les tares d’être un mâle, blanc, allemand, et le chef d’une Église dont l’histoire se confond avec celle du continent, et d’un silence médiatique, sur l’homicide d’artistes par des représentants extrémistes d’une religion récemment implantée en Europe, et qui bénéficie à ce titre de toutes les indulgences des médias « remplacistes », toutes ne sont pas originales, loin de là, et beaucoup se confondent avec de simples jérémiades.
Sur l’idéologie politique du temps, ou ce qui en tient lieu, je n’ai au fond rien à rajouter aux lucides analyses de Pierre-André Taguieff (Les Fins de l’antiracisme, Éditions Michalon, 1995, La République enlisée, Édition des Syrtes, 2205). « L’intolérance, écrit Taguieff, en ce début du troisième millénaire, parle la langue “communautariste”, ou, plus exactement, “multicommunautariste”, laquelle s’affirme tolérantielle et se propose d’inscrire dans la loi ses exigences. Tel est le nouveau code culturel de l’intolérance réelle : celui de la tolérance obligatoire, voire terroriste. » (La République Enlisée, p. 17.)
Sur l’idéologie médiatique, qui est la traduction de la précédente dans les différents codes textuels ou imagiers, ma contribution la moins éphémère tient peut-être dans le concept de factoïde (j’emprunte le mot à Normal Mailer, en modifiant sa signification). Le factoïde désigne (je me cite moi-même) « un “fait” d’actualité, grossièrement déformé et simplifié, utilisé pour sa valeur de symbole ». Il permet à l’homme de média, en feignant de ne parler que des faits, de prendre sa posture favorite, celle du gardien de l’hyper-morale, et d’étouffer le débat public.
Mais c’est naturellement sur la question des conflits imagiers que j’ai le plus à dire, et si ma pensée est si souvent revenue là-dessus, c’est aussi, tout simplement, parce que je songe à donner à ma réflexion sur ce sujet la forme de l’essai.

Tout le monde, médias, islamistes, auteurs et éditeurs menacés par les susdits de voies de fait ou de voies de droit, se déclare d’accord au moins sur un point : tous posent le débat comme un conflit de normes entre la « liberté d’expression » et une norme « politiquement correcte » (Taguieff l’appellerait « multicommunautariste »), celle du « respect dû aux sentiments des différentes minorités ». C’est dans la réponse donnée que diffèrent les uns et les autres, les islamistes penchant pour le « respect », et les auteurs pour la « liberté d’expression ».
Je tiens, moi, peut-être contre tout le monde, qu’une telle façon de poser le problème est fondamentalement viciée. Il me semble du reste que l’actualité le démontre tous les jours, puisque le fameux « respect » se traduit par une mise au pilori médiatique d’à peu près n’importe qui, pour à peu près n’importe quels propos, avérés ou apocryphes, dès lors qu’ils sont au détriment de n’importe quelle « minorité », réelle ou fictive.
S’expose ainsi à une dénonciation médiatique générale et à des actions en justice qui n’ont pas d’autre fonction que de salir son honneur l’insensé qui s’aventure à rappeler que le SIDA s’est propagé à cause des pratiques à risques dans la communauté gay. L'archevêque de Malines-Bruxelles en sait quelque chose, puisque, pour avoir rappelé ce simple fait dans un livre d’entretiens paru en octobre, il est devenu aussitôt la victime d’une campagne de presse. Et MM. les journalistes ont aussitôt déformé ses propos dans une intention malveillante, pour lui faire dire que le SIDA était un châtiment divin de l’homosexualité, afin que l’archevêque passe pour bien haineux et bien obscurantiste. Seulement il n’existe pas dans le catholicisme post-conciliaire de Dieu vengeur. La fraude médiatique est patente même pour l’esprit le moins soupçonneux, parce que, comme dirait le P. Brown de Chesterton : « It’s bad theology. »
S’expose de la même façon le malheureux qui use d’une expression toute faite tirée du vieux fonds de notre langue populaire. Le parfumeur Guerlain a fait ainsi l’objet de poursuites pour avoir employé l’expression « travailler comme un nègre ». (Interrogé vendredi 15 octobre sur la création du parfum Samsara durant le journal de 13H00 de France 2, M. Guerlain, descendant du fondateur de la célèbre maison vendue à LVMH, a répondu : « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin... ») 
Et à vrai dire, il n’est même pas besoin d’avoir dit quoi que ce soit, puisque l’accusation suffit à déchaîner les foudres médiatiques, comme en a fait l’expérience, en ce même mois d'octobre, ce pauvre ophtalmologiste aixois accusé calomnieusement de propos racistes par un patient marocain qui n’aimait pas attendre.
On se demande donc quelle place les tenants de l’hyper-morale entendent faire à la « liberté d’expression » si le prétendu « droit au respect » constitue un droit absolu au narcissisme, toute expression qui ne soit pas méliorative étant criminalisée, et la simple accusation d’avoir usé d’une telle expression justifiant, au moins jusqu’à plus ample informé, un lynchage médiatique.

Le dernier mot de ce Journal sur les maux et les calamités du temps, c’est qu’on ne réglera par la question des conflits imagiers (ni aucune autre question intéressant l'islam) en s’abritant derrière des principes généraux à la noble apparence, mais, tout au contraire, en prenant de front les exigences d’une religion qui a établi une tête de pont en Europe et qui se pose tour à tour comme victimisée et comme conquérante et, simultanément, l’idéologie de la rectitude politique, aujourd’hui dominante dans la classe politique et dans les médias, et qui apparaît comme facilitatrice du programme de nos pires ennemis.
Et la première contre-offensive vise cette revendication exorbitante d'un hypothétique droit à n’être pas choqué, qu’il convient d’accueillir avec le mépris interloqué qu’elle mérite. Comme le dit le romancier Philip Pullman (auteur d’un livre, au demeurant parfaitement idiot, titré The Good Man Jesus and the Scoundrel Christ) : « No one has the right to live without being shocked. No one has the right to spend their life without being offended. » (Conférence au Sheldonian Theatre, Oxford, 28 mars 2010.)

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