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FEUILLETON DU MATIN DU 8 MAI 1912
3.La Marseillaise Verte
Grand roman d'aventures astronomiques et coloniales
PAR LE MAJOR QUINARD
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LIVRE PREMIER
L'ALRUNE VENUE DE MARS

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RÉSUMÉ DES DEUX PRÉCÉDENTS FEUILLETONS. — Dans les salons du Grand Hôtel de Marseille, deux télégrammes interceptés par l'agent double Ruta Baga, la danseuse javanaise bien connue, contenaient les mêmes mots sibyllins : « L'Alrune est partie de Mars. » Le Deuxième Bureau et le MI-5 surveillent les Prussiens qui, sous la cathédrale de Strasbourg, dont la flèche a été changée en antenne, communiquent radioélectriquement avec l'ordre des Mandragores d'Aeria, dans la planète Mars.

III
Où, dans le désert, un phénomène aérien change l’issue d’une bataille

Fez, 24 septembre 1909. — Radiotélégramme de l’envoyé spécial du Matin. — En raison de l’attitude menaçante de la harka qui est en formation du côté de Dar-el-Kebdani, le bataillon du capitaine Sabine a été envoyé aujourd’hui en observation dans les dunes de l’Erg Chegaga, à quatre jours de Tafraout. Il est chargé de surveiller les mouvements de l’ennemi.
Le bruit court que cette harka attaquerait cette nuit. Mais aux dernières nouvelles, aucun mouvement ne se dessine.
Fez, 24 septembre 1909. — Radiotélégramme de l’envoyé spécial du Matin. — La harka qui est en formation du côté de Tafraout continue ses pourparlers avec les tribus. Elle comprendrait déjà 500 cavaliers, 3000 fantassins berbères, et compte recevoir d’autres renforts.
Le bataillon du capitaine Sabine occupe les dunes et barre à l’ennemi la route d’Agadir.

« Le régiment ? demanda l’émir Ibn Kilkil à son séide, qui venait de soulever le tapis qui fermait la tente, et se confondait en salamalecs.
— Derrière ces dunes, commandeur des croyants.
— Le régiment sera annihilé, dit froidement Kilkil. Les soldats égorgés, yeux crevés, langue coupée, et ce que vous savez fourré dans la bouche, selon nos usages.
— Il en sera fait selon tes désirs, commandeur des croyants. »

Dans les dunes, le capitaine Sabine était à la tête de 200 braves, zouaves et légionnaires, dont un bon nombre d’Alsaciens-Lorrains, qui s’étaient enrôlés dans la légion étrangère pour servir leur véritable patrie, la France. À ce nombre s’ajoutait une centaine de goumiers arabes.
« Le régiment sera annihilé », déclara tranquillement en patois germanique le capitaine Sabine. Il s’adressait à son aide de camp, un Alsacien de Schirmeck, qui venait de préparer le thé sur un réchaud à pétrole. Puis, du même ton immuable, Sabine pria qu’on lui passât un biscuit.
« Ils attaqueront sans doute un peu avant l’aube, observa l’aide de camp. Les indigènes ne se battent guère la nuit, car ils ont peur des afrits, des esprits mauvais.
— Qu’est-ce donc que cette espèce de duvet blanc qu’on voit flotter partout ? interrogea Sabine.
— Sais pas, dit l’aide de camp, jamais vu cela dans le désert. J’imagine que ce sont les aigrettes d’une fleur quelconque qui pousse au bord de l’oued.
— Cela ne vous fait-il pas penser à la manne qui nourrissait les hébreux dans le désert ? interrogea songeusement Sabine.
— Oh, moi, mon capitaine, tout Alsacien que je suis, je n’ai guère de religion. Encore un peu de thé ? »
Le capitaine Sabine tendit son quart métallique et accepta aussi l’offre d’un autre biscuit. Mordant dans la pâte sucrée qu’il avait trempée dans le thé pour l’amollir, il déclara :
« Ce doit être lié à cet orage dont on a entendu les échos hier soir, quoique ici il ne soit pas tombé une goutte. J’imagine très bien qu’un tapis de fleurs s’ouvre sous la violente ondée, plus haut dans le djebel, et qu’une pluie d’aigrettes s’abatte ensuite sur la vallée.
— Je ne suis pas si sûr qu’il y ait eu de l’orage, répondit pensivement l’aide de camp.
— Vous avez entendu tonner, comme moi, Wetzel.
— J’ai entendu ce qui ressemblait à une — ou plutôt à plusieurs explosions très rapprochées. Était-ce de l’orage ? Était-ce la détonation d’un canon ? ou bien de munitions ?
— L’ennemi n’a point de canon, dit Sabine. Et si ses munitions avaient sauté, nous serions bien fortunés, mais je n’y crois guère.
— La terre tremble assez souvent dans l’Atlas, fit observer l’aide de camp. Et les phénomènes telluriques se manifestent souvent par des détonations semblables.
— Cependant, dit rêveusement le capitaine Sabine, les phénomènes telluriques ne répandent pas des filaments végétaux. Ou bien peut-être que si, après tout. Imaginez, près du sommet du djebel, d’immenses champs de fleurs, remués par l’activité sismique, et répandant leurs aigrettes comme un édredon éventré répand son duvet... »
Cette extraordinaire conversation n’avait à l’évidence d’autre but que d’occuper l’esprit de deux braves qui attendaient impavides un assaut qu’ils savaient devoir leur être fatal. Pourtant la causerie prit un tour nouveau lorsque le capitaine Sabine leva les yeux au ciel.
« Tiens, une étoile filante. Et une autre. Une autre encore. Voyez, Wetzel ! Celle-ci s’étire à travers tout le ciel. C’est l’époque des Perséides, mais ces météorites-là ne viennent pas de la direction de Persée.
— Écoutez, mon capitaine.
— Une détonation, s’exclama le capitaine Sabine en sautant sur ses pieds. Donnent-ils l’assaut ?
— Non, non, mon capitaine, tout est calme. D’ailleurs la sentinelle nous aurait prévenus. Je crois bien que cette détonation venait du ciel.
— Alors ce serait l’explication de la détonation d’hier ? On sait que, pour peu qu’un aérolithe soit de dimension importante, il se désagrège dans l’atmosphère avec un bruit d’explosion. La détonation d’hier a retenti avant que la nuit soit close, ce qui explique que nous n’ayons pas vu d’étoile filante.
— Voilà donc la solution du mystère, dit l’aide de camp Wetzel en riant. Ou plutôt, l’absence de solution. Car il n’y a tout simplement aucun rapport entre les détonations que nous entendons dans l’atmosphère et les aigrettes que nous voyons flotter. Ce sont nos esprits trop systématiques qui cherchent une relation là où il n’y a qu’une coïncidence. »
Le capitaine allait répondre, mais à cet instant les goumiers lancèrent le cri d’alarme. Et aussitôt, le désert retentit de la galopade, de la fusillade et des « Allahu Akbar » de la harka de l’émir Ibn Kilkil.
Le jour poignait. Déjà le combat faisait rage. Les chameliers et les cavaliers arabes se lançaient à l’assaut de la double ligne défensive des hommes de Sabine, couchés dans leurs dunes comme derrière des bastions. L’infériorité numérique des Européens était dans un rapport de un à vingt et ils s’apprêtaient à vendre chèrement leur peau, sachant quel sort on leur réservait s’ils étaient pris vivants.
Trois fois la cavalerie maure fut repoussée. Trois fois elle remonta à l’assaut. Cette fois elle allait percer et les fantassins qui suivaient, au nombre de plusieurs centaines, ne laissaient aucune chance aux Européens.
Mais au moment fatidique, le sort de la bataille fut instantanément renversé. Dans un éclatement titanesque, et au milieu d’une véritable éruption de sable, un trait de feu jailli du ciel venait de s’enfoncer au milieu de la razzia des chameliers, anéantissant méharistes et montures. L’onde de choc jeta à terre les cavaliers, qui galopaient devant, et les fantassins, qui arrivaient par derrière. Quant aux Européens, abrités par les dunes, ils ne furent que fortement commotionnés par la chute du bolide.
Quand la poussière fut retombée, on vit le désert jonché des corps des assaillants et de leurs montures. Le miramolin Ibn Kilkil gisait, face contre terre, à la tête de ses troupes. La harka avait été annihilée. Une folle panique précipitait ceux des moudjahidin qui n’étaient pas morts vers leurs montagnes ou vers le désert, convaincus que le glaive d’Allah s’était abattu sur eux.
Sabine fit sommairement compter ses pertes. les assaillants lui avaient tué une centaine d’hommes, soit le tiers de ses effectifs.
« Mon capitaine, dit l’aide de camp originaire de Schirmeck, tout athée que je suis, je crois que je vais commencer à lire la Bible. »
Encore sonné, Sabine s’avança en titubant au bord du cratère conique qu’avait fait dans le sable le bolide.
« Voilà qui n’est pas ordinaire, grommela-t-il. Voyez-vous ce que je vois, Wetzel, ou bien la secousse m’a-t-elle dérangé la cervelle ?
— Je vois une sorte de calotte, comme la coiffe d’un obus de 380. Mais, parole, ce n’est pas en fonte, cela. C’est en pierre. On dirait une sorte de basalte.
— Les fragments de ce bolide se sont sans doute éparpillés dans tout le désert, à l’entour, dit Sabine. D’où la pluie d’étoiles filantes que nous avons observée.
— Mais mon capitaine, ça ne peut pas être un aérolithe. Vous voyez que c’est parfaitement lisse. Et puis c’est creux. Ça ressemble en somme à un gigantesque œuf de pierre. C’est totalement inexplicable.
— Notre travail ici est terminé, dit Sabine. Avant de rentrer, nous allons faire des patrouilles dans le désert, afin de ramasser les survivants dépenaillés de la harka — que nous passerons par les armes sans l’ombre d’une hésitation —, et nous en profiterons pour récupérer le plus possible de fragments de ces aérolithes.
— De ces aérolithes ? Vous pensez qu’il y en a plusieurs ?
— Je crois, répondit Sabine après réflexion, qu’il y en a au moins deux. Nous avons déjà entendu une détonation hier soir, qui signalait certainement la fragmentation d’un premier bolide.
— Ce n’est pas sûr. On ne sait pas.
— Mais si, dit Sabine, on sait. Parce que cette nuit, après la détonation correspondant à la chute du premier aérolithe, il flottait alentour ce curieux duvet blanchâtre.
— Mais rien ne dit..., commença l’aide de camp.
— Et qu’en ce moment même, après la seconde explosion... Mais voyez, plutôt, Wetzel. »
Et le capitaine Sabine montrait, dans un ciel où le soleil déjà dégageait une chaleur de haut-fourneau, une fine pluie d’une matière qui ressemblait à de la ouate.

(À suivre.)

Le capitaine Sabine