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Mise à jour permanente du

Petit critique illustré

Guide des ouvrages de langue française consacrés à la bande dessinée


Les ouvrages recensés ici sont parus après juillet 2005. Pour les ouvrages parus avant cette date, consultez Le Petit Critique illustré, 2e édition, PLG, 2005.

Les notices des ouvrages parus après juillet 2010 sont reprises de la rubrique des Miscellanées stripologiques. Elles sont identifiables par leur titraille en capitales.

signale un ouvrage ancien, non recensé dans Le Petit Critique illustré.


1. Ouvrages généraux

 

1.1. Histoires et introductions générales

 

Histoire d'un art : la bande dessinée
Karine Delobbe
Éditions Pemf, 2003

Dans une collection d'introductions aux arts (la danse, le théâtre, le cirque) vraisemblablement destinées à la jeunesse, petit album cartonné de 33 pages arborant Popeye en couverture et présentant « Tintin, Spirou et autres Lucky Luke » en démarquant une documentation aussi maigre qu'aberrante (l'album de Sélection du Reader's Digest, un volume du dictionnaire de Filippini, le Que-sais-je de Mme Baron-Carvais et L'ABCdaire de la bande dessinée de Moliterni et Mellot). Déclenche rapidement chez le spécialiste un rire inextinguible, les absurdités les plus criantes étant répétées de page en page avec un parfait aplomb.


Comment lire la bande dessinée ?
Frédéric Pomier
Klincksieck, collection 50 questions, 2005

Introduction générale destinée aux enseignants, aux étudiants et au grand public cultivé, sous la forme d'un quiz (de « la bande dessinée est-elle un divertissement d'ilote ? » à « le produit dérivé rend-il justice à la bande dessinée ? »). Si on le compare à un ouvrage du même type comme 99 réponses sur... la bande dessinée d'Alain Chante, CRDP Langedoc-Roussillon, 1996, l'ouvrage de Frédéric Pomier apparaît à la fois plus au fait de la théorie contemporaine (Case, planche, récit, de Benoît Peeters est qualifié d'« ouvrage canonique ») et plus en phase avec la littérature dessinée elle-même, qui n'est plus perçue comme une culture ésotérique qu'il serait obligatoire d'étudier avec les outils du sociologue, mais comme un domaine culturel pas différent d'un autre, et qu'on ne peut aborder de façon pertinente que moyennant une connaissance suffisante de son histoire, de sa théorie et de son esthétique. Dans un tel cadre conceptuel et méthodologique, l'auteur se montre à la fois éclectique et tolérant, ne privilégiant aucune forme éditoriale ni aucune aire culturelle.

Les limites de l'ouvrage restent celles du principe même du quiz. Si on peut trouver, avec l'auteur, « consolant » que Lewis Trondheim figure au Petit Larousse, fallait-il pour autant consacrer une entrée à ce sujet ? Les deux entrées sur le vieux thème de la bande dessinée, art et « par ailleurs » industrie sont typiques de problématiques désuètes (la défense et illustration de la bande dessinée d'une part, la définition de la bande dessinée comme médium de masse d'autre part). L'entrée narratologique sur le « point de vue » se perd rapidement dans des considérations sur les réalités alternatives qui relèvent de la théorie des univers fictionnels et non des questions de narratologie.

Ce sont là des critiques de détail. L'ouvrage tient ses promesses en ouvrant à son lecteur, qu'on supposera peu au fait de la question et/ou désireux de se mettre à jour, des pistes et des perspectives nouvelles. C'est la supériorité de ce type d'introduction modeste sur de prétendus ouvrages encyclopédiques qui, indépendamment des questions de fiabilité, se présentent pour le grand public cultivé comme des massifs impénétrables.


The Essential Guide to World Comics
Tim Pilcher, Brad Brooks
Collins & Brown, 2005

Sous la forme d'un gros tome de 320 pages richement illustré en couleur, panorama mondial de la bande dessinée par deux spécialistes britanniques. La planète est divisée en dix zones donnant lieu à dix chapitres. Chaque chapitre se conclut sur l'examen d'un maître d'envergure mondiale. (Tezuka pour le Japon, Breccia pour l'Amérique du sud, etc.)


La Bande dessinée
Pierre Fresnault-Deruelle
Armand, Colin, collection 128 pages, 2009

Ce petit ouvrage sans prétention renonce à l'encyclopédisme et fait le choix excellent de tracer des lignes de force, ce qui évite des listages interminables dont le lecteur non spécialiste ne peut par définition rien tirer. L'évolution de la bande dessinée est ainsi ramenée à trois noms, Töpffer, McCay et Saint-Ogan, la bande dessinée franco-belge à Spirou, Tintin, Vaillant et Pilote. L'ouvrage donne par ailleurs le point d'arrivée de l'évolution de l'éminent pionnier de la théorie des littératures dessinées qu'est Pierre Fresnault. La conception anhistorique du structuralisme n'a plus cours, caricature et burlesque étant ramenés à leurs origines historiques (les arlequinades, le grotesque). Les aspects sémiologiques (l'opposition linéaire/tabulaire), plastiques (la couleur) et narratologiques (la « récitation » des histoires dessinées) du récit dessiné ne sont plus pris en compte au titre des codes, mais à celui des contraintes du support et des contraintes éditoriales. (Mais il faut noter que les considérations de Fresnault sur les couleurs, en particulier dans l'école belge, ont toujours été très pertinentes.) La question de la spécificité est remplacée par celle des interactions entre la bande dessinée et le reste des arts graphiques (dessin humoristique, dessin de mode), la notion, chère à Fresnault, de narration figurative s'étayant, quant à elle, sur une étude stylistique (la ligne claire d'Hergé et le style de Baudoin étant perçus comme antipodiques et Caniff représentant une voie moyenne).

Une troisième partie propose des lectures d'images (mais le début de l'ouvrage en contient de nombreuses), genre dans lequel l'auteur excelle.

On regrettera la multiplication de fautes, gênantes dans un ouvrage d'introduction, manifestement écrit trop vite et trop peu relu. L'auteur de Red Ryder est Fred Harman, et non Harmon (p. 15). Wonder Woman date de 1941, et non 1944 (p. 16). Clay Wilson ne fonde pas Zap Comix avec Crumb (p. 18). Pellos se prénommait René et non Guy (p. 20). Bob Morane n'est pas initialement dessiné par Gérald Forton mais par Dino Attanasio (p. 23). il n'est pas possible d'écrire que les mangas « se constituent véritablement en genre narratif au sortir de la seconde guerre mondiale, avec (...) Tesuka Ozamu » (p. 29). les mangas sont un genre narratif dans la première moitié du XXe siècle et le grand mangaka s'appelle Tezuka Osamu. Ce qui est écrit p. 44-45, respectivement sur le Comics Code (qui aurait permis paradoxalement le retour du gore !) et sur la loi de 1949 (dont se seraient fort bien accommodés les bons journaux comme Spirou !) trahit l'influence désastreuse d'historiens à lubies. George Wunder n'a pas repris Steve Canyon en 1988 (il est mort en 1987), mais Terry And the Pirates en 1946 (confusion avec l'assistant de Caniff, Dick Rockwell, qui continua Steve Canyon à la mort du grand cartoonist) (p. 69). Schulz n'a pas été pasteur protestant (p. 89). Notons enfin, détail qui devient touchant chez le vieux maître, que Pierre Fresnault se sera avéré incapable, en quarante ans de littérature secondaire, d'orthographier correctement Little Orphan Annie (le génial strip de Harold Gray) et Wonder Wart-Hog, le désopilant comic underground de Gilbert Shelton.


La Bande dessinée, son histoire et ses maîtres
Thierry Groensteen
Skira/Flammarion, 2009
Le Petit Catalogue du musée de la bande dessinée
Thierry Groensteen
Skira/Flammarion, 2009

Publié à l'occasion de la réouverture du Musée de la bande dessinée d'Angoulême, dans son nouveau site des chais en bord de Charente, La Bande dessinée, son histoire et ses maîtres se présente comme un pavé solidement cartonné, de deux kilos et demi, où l'on ne sait ce qu'il faut admirer le plus, du texte érudit ou des reproductions de planches et de publications. L'ouvrage est flanqué d'un petit frère, Le Petit Catalogue du musée de la bande dessinée, qui donne un texte réduit mais qui propose de belles reproductions, judicieusement choisies, des trésors du Musée.

Le contenu de La Bande dessinée, son histoire et ses maîtres en fait un monument scientifique de première importance. La première partie reprend en la complétant l'histoire de la bande dessinée franco-belge déjà donnée dans Astérix, Barbarella et Cie, dont nous avons déjà écrit tout le bien qu'il fallait en penser (Le Petit Critique illustré, PLG, 2005, p. 50). La deuxième partie propose une remarquable histoire de la bande dessinée américaine. Dans la troisième partie, Thierry Groensteen donne la synthèse de sa réflexion sur l'esthétique de la bande dessinée. Une quatrième partie est consacrée à la technique de la bande dessinée.

On pourrait discuter le choix de n'avoir traité de façon historique que les domaines francophone et états-unien. Mais, à l'examen, ce choix se révèle excellent, car il permet d'échapper à ce qu'ont été trop souvent les ouvrages généraux sur la bande dessinée, des listages indigestes de noms, de titres et de dates, présentés dans la plus grande confusion, et qui sont — on ne le répétera jamais assez — totalement inutilisables pour un lectorat non spécialiste. L'ouvrage de Thierry Groensteen présente une chronologie en pied de page, ce qui permet à l'auteur de donner dans le texte lui-même une analyse claire et lisible, non seulement de l’histoire des éditeurs et des supports, mais aussi des contenus, et, finalement du statut de la bande dessinée.

S'il fallait absolument pinailler, on pourrait regretter, dans la partie consacrée aux littératures dessinées d'expression française (et ces critiques sont déjà applicables à la première mouture du texte dans Astérix, Barbarella et Cie), le passage à la trappe de la bande dessinée catholique, une synthèse sur le petit format (p. 68 sq.) factuellement exacte, mais bien maigrelette pour traiter d'un support éditorial d'une foisonnante richesse, et une analyse un peu trop prudente des effets de la loi du 16 juillet 1949 (quoique l'auteur rende compte lucidement des virulentes attaques des éducateurs contre la bande dessinée). On trouvera de plus quelques confusions sans gravité dans l'iconographie (choisie et annotée par l'équipe du Musée). Contentons-nous d'un exemple. La mention dans le texte de la publication humoristique Kiwi, centrée sur l'oiseau éponyme de Jean Cézard, appelle une reproduction du petit format Kiwi des éditions LUG (fig. 76), qui publie Blek le Roc, alors qu'il aurait fallu montrer les Albums comiques de Kiwi, chez le même éditeur. (D'un autre côté, le petit format en question contient bel et bien des petites histoires du Kiwi de Cézard entre deux récits réalistes.)

Dans la chronologie américaine, on pourra toujours disputer sur le choix des œuvres relevées comme importantes. Il nous semble que le strip policier Charlie Chan (1938) et le western Casey Ruggles (1949) s'assimilent à des non-événements, même s'ils ont eu la faveur d'éditions françaises (notamment dans la revue RétroBD et chez l'éditeur Michel Deligne). Inversement, le strip de science-fiction semble n'intéresser guère notre auteur, et la reprise de Flash Gordon par Dan Barry, ou le strip Twin Earths de LeBeck et McWilliams auraient mérité, croyons-nous, un développement.

L'iconographie (et en particulier les reproductions de planches originales, dans les deux catalogues) représente un véritable tour de force technique.


Cent pour cent bande dessinée
Cité internationale de la bande dessinée et de l'image/Paris bibliothèques, 2010

Catalogue d'une exposition au musée de la bande dessinée d'Angoulême en janvier 2010, exercice littéraire proposé à 110 dessinateurs, chargés de commenter sous forme d'une planche l'une des planches des collections du musée. Traduction des textes des planches, commentaires, notices sur les œuvres sources et leurs auteurs.


CENT CASES DE MAÎTRES
Gilles Ciment & Thierry Groensteen
La Martinière, 2010

Cent cases de bandes dessinées, de cent maîtres du genre, reproduites dans un très grand format, dans un ouvrage qui ressemble à une boîte à gâteaux, destiné à faire un très beau cadeau de fêtes de fin d'année pour les bédéphiles, avec des textes de Vincent Baudoux, Gilles Ciment, Erwin Dejasse, Pierre Fresnault, Thierry Groensteen, Dominique Hérody, Jean-Paul Jennequin, Harry Morgan, Jacques Samson, Antoine Sausverd et Thierry Smolderen, textes relevant de la discipline philosophique de l'esthétique, mais écrits dans un style volontairement non technique, et qui constituent à ce titre une éducation de l'œil pour apprécier sur le plan plastique un art dont il faut rappeler que sa finalité est narrative.


HISTOIRE DE LA BANDE DESSINÉE POUR DÉBUTANTS
Frédéric Duprat
Qidesign, 2011

Dans une collection Pour débutants, imitant la célèbre collection Pour les nuls (qui, c'est la dure loi du petit commerce, intentera fatalement un procès pour contrefaçon, et qui le gagnera peut-être, parce que « pour les débutants » s'abrège sur la couverture en « pour les déb » [débiles], ce qui introduit un risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne), paraît un ouvrage qui serait mieux titré Histoire de la bande dessinée par un débutant. On y apprend entre autres que Robert Crumb faisait un fanzine tiré à quelques centaines d'exemplaires qui s'appelait Zaps, que le début des années 1950, où paraît Fils de Chine dans Vaillant, est l'époque où les maoïstes tenaient en France le haut du pavé, que Tezuka Osamu, qui s'appelle aussi Osamu Tezuka (cela change d'une ligne à l'autre), a été renié par les dessinateurs de gekiga à cause de son dessin jugé trop enfantin. On pourrait citer les perles ou les coquilles à l'infini. Mais à vrai dire, l'ouvrage échappe à toute analyse, parce qu'il est tellement mal écrit, tellement mal bâti, tellement mal relu, qu'on n'y démêle plus rien. L'infortuné lecteur se retrouve devant une collection de propos décousus, aberrants, ineptes et contradictoires. Et malheur au non-spécialiste qui recopierait dans ce calamiteux ouvrage un nom, une date, un fait, car il risque fort de recopier une ânerie.


L’ART DE LA BANDE DESSINÉE
Sous la direction de Pascal Ory, Laurent Martin Sylvain Venayre et jean-pierre Mercier avec Thierry Groensteen, Xavier Lapray, et benoit Peeters
Citadelles et Mazenod, 2012

Paru chez Citadelles et Mazenod, dans la prestigieuse collection L’art et les grandes civilisations, et particulièrement imposant par son format, par le luxe de sa réalisation, par la qualité des reproductions de bandes dessinées imprimées ou d’originaux, L’Art de la bande dessinée tient le milieu entre deux ouvrages tout aussi imposants, l’ouvrage historique qu’est La Bande dessinée, son histoire, ses maîtres, de Thierry Groensteen (Le Musée de la bande dessinée/Skira-Flammarion, 2009), et l’ouvrage d’esthétique qu’est Cent Cases de maîtres, dirigé par Thierry Groensteen et Gilles Ciment (La Martinière, 2010).
L’Art de la bande dessinée consiste en huit chapitres, le premier classificatoire, les trois suivants écrits par des spécialistes du médium, les derniers écrits par des historiens spécialistes de l’histoire culturelle.
Dans le chapitre 1, Thierry Groensteen pose la question de la définition de la bande dessinée avec l’intelligence et la rigueur intellectuelle qu’on lui connaît. Après avoir fait un peu de « lexicologie comparée », il passe en revue les tentatives de définition de la bande dessinée proposées par les divers experts depuis Francis Lacassin en 1963 dans le fanzine Giff Wiff. Groensteen conclut en proposant une motion de synthèse via la définition de l’universitaire britannique Ann Miller, caractérisant la bande dessinée par la production du sens via « des images qui entretiennent une relation séquentielle, en situation de coexistence dans l’espace, avec ou sans texte », avant in fine de relancer le débat.
Le chapitre 2 est une histoire de l’émergence de la bande dessinée à partir de la caricature anglaise du XVIIIe siècle par Sylvain Venayre qui nous porte jusqu’aux années 1920. L’auteur est prudent, documenté, clair et agréable à lire.
Dans le chapitre 3, Jean-Pierre Mercier fait une histoire de la bande dessinée américaine de la fin des années 1920 à nos jours. L’auteur qui connaît parfaitement son sujet y fait preuve de goût et de discernement. On regrettera qu’il ne dispose pas de suffisamment d’espace pour développer son propos, ce qui le force à faire disparaître quelques auteurs majeurs, tels Billy De Beck, Cliff Sterrett, Rube Goldberg, Chic Young, Percy Crosby, Otto Soglow.
Dans le chapitre 4, Benoît Peeters fait congrument l’histoire de la bande dessinée belge.
Plus discutables sont les positions défendues par Pascal Ory dans le chapitre 5, consacré à « la révolution européenne », autour du triangle « France, Belgique, Italie ». Pour commencer, Pascal Ory nous ressert sa théorie de la « désaméricanisation de la bande dessinée française », à la faveur de la fameuse loi de 1949, qui créerait selon notre historien un environnement favorable à la bande dessinée belge. Comme on peut valablement argumenter que l’assimilation des codes nord-américains est achevée dans la bande dessinée d’expression française au début des années 1940, ce que confirme le témoigne des dessinateurs qui, après guerre, se réfèrent tous au modèle américain, cette notion de désaméricanisation apparaît sans objet ni contour véritable. Le prétendu contre-modèle belge (le beau journal de Spirou) n’est ni plus ni moins américanisé que le reste de la bande dessinée du temps. Quant à la loi de 1949, son objet était d’intimider éditeurs et dessinateurs pour les dissuader de publier des bandes dessinées. Prétendre que la loi de 1949 ait pu favoriser quelque bande dessinée que ce soit relève du parti pris, pour ne pas dire de la polémique.
Pascal Ory nous propose ensuite, dans le même chapitre, un court historique de la bédéphilie française et italienne et nous explique qu’à la fin des années 1960, la bande dessinée française devient la plus belle du monde, grâce à nos grands artistes français et belges et à quelques dessinateurs italiens, argentins et espagnols, venus les soutenir. Suit essentiellement une histoire extatique de Pilote et de ses dérivés. L’auteur trouve également des trésors dans (À Suivre) et dans Vécu (étant historien, M. Ory apprécie beaucoup la revue Vécu).
Le chapitre 6, également écrit par Pascal Ory, est une histoire de la bande dessinée française, de l’Association à nos jours, où se sont glissés quelques étrangers. Plus on avance dans le temps plus les auteurs apparaissent aux yeux de Pascal Ory comme des « artistes », sans que l’on comprenne bien si le concept doit s’entendre au sens sociologique ou si ce sont leurs productions qui sont esthétiquement supérieures aux œuvres du passé.
Dans le chapitre 7, Laurent Martin nous brosse une histoire de la bande dessinée érotique bien faite et excellemment documentée. C’est à cet auteur qu’a été confié le soin de perpétuer la vieille tradition de l’apologie des albums d’Éric Losfeld. Il porte donc aux nues Nicolas Devil et Guy Peellaert, dont il reconnaît pourtant honnêtement que leurs albums sont illisibles — et pour faire bonne mesure, ressort d’un juste oubli le Xiris de Serge San Juan.
Dans le chapitre 8, Sylvain Venayre est prié de traiter le reste de la bande dessinée mondiale. Il nous explique donc que, comme cela a été suggéré précédemment, la bande dessinée est « un monde bipolaire », la bande dessinée américaine dominant l’Amérique, et manifestant de surcroît des ambitions hégémoniques, via notamment les grands trusts que sont Disney et Marvel, et la bande dessinée franco-belge lui résistant vaillamment. Au marges de ce duel entre deux empires règne la « périphérie ». Sylvain Venayre nous apprend qu’on trouve, parmi les grands dessinateurs, des Helvètes, des Britanniques, des Français installés au Canada. L’auteur crée même des catégories spontanées, puisqu’il nous révèle l’existence d’un « axe italo-argentin », au prétexte que des dessinateurs, dont Hugo Pratt, se sont installés à une époque à Buenos Aires. L’histoire de la bande dessinée japonaise et asiatique est menée au pas de charge. L’auteur conclut sur l’Afrique, qui, si nous avons bien compris, ne produit pas réellement de bandes dessinées, mais dont, en tout cas, « il y a beaucoup à attendre ».
L’ouvrage s’achève sur un dernier chapitre, titré « la bande dessinée hors d’elle-même », de Xavier Lapray, consacré au rayonnement intermédial de la bande dessinée.
Un singulier résultat obtenu par nos historiens de la culture est que, dans un ouvrage intitulé L’Art de la bande dessinée, la bande dessinée britannique est totalement absente, à l’exception d’Andy Capp et, dans le chapitre consacré à l’érotisme, d’Arthur Ferrier et Norman Pett (dessinateur de la « Jane » du Daily Mirror). La revue Eagle, modèle pourtant de Pilote, dont M. Ory fait le plus grand cas, et par conséquent Frank Hampson, âme et cœur battant dudit Eagle, sont passés sous silence, de même que toute la bande dessinée populaire britannique, à commencer par les productions de Amalgamated Press (Rainbow) ou de D. C. Thompson (The Dandy, The Beano). On n’y trouvera d’ailleurs pas davantage les continuateurs des formes narratives victoriennes que sont Raymond Briggs et Posy Simmonds. Quant aux Italiens, ils ne sont là que par intermittence. Si Milo Manara a droit à deux pleines pages de reproduction (plus une couverture réalisée anonymement pour Prolo), les dessinateurs Sebastiano Craveri, Rino Albertarelli, Luciano Bottaro, Franco Capriolo, Romano Scarpa, pour ne citer qu’eux, ne sont mentionnés nulle part. Marteen Toonder et l’école néerlandaise manquent également à l’appel, ainsi que, chez les Scandinaves, Tove Janson.
Dans de telles conditions, toute appréciation d’ordre esthétique s’égare inévitablement dans le solipsisme, pour ne pas dire dans la lubie. La bande dessinée dont il est rendu compte ici est strictement celle qu’ont pu lire des Français de la classe moyenne intellectuelle, abonnés à Pilote et à (À Suivre). Comme cette bande dessinée valorisée est « réaliste » plutôt que « comique », il s’ensuit une anomalie qu’un simple feuilletage de l’ouvrage révélera. Le chapitre 2, qui porte sur l’esthétique, fait le pont entre la caricature et les comics. Mais passés les chapitres historiques sur les différentes aires culturelles, on constate que la bande dessinée comique ne figure dans l’ouvrage que par exception.
On relèvera aussi une solution de continuité entre le discours critique, dès lors qu’il émane d’experts compétents, et la tradition iconographique propre à la littérature secondaire, dont le présent ouvrage représente l’aboutissement. Jean-Pierre Mercier note très lucidement que le Tarzan de Hogarth, qui impressionna tant la première génération d’exégètes, semble aujourd’hui quelque peu daté. Il n’empêche que l’iconographie lui consacre trois grandes pages, contre un tiers de page pour Harold Foster (Prince Valiant). Nous avons relevé plus haut l’insistance sur une œuvre comme la Saga de Xam, sans commune mesure avec l’importance réelle (historique, esthétique, critique) d’une telle œuvre.
La structuration du propos par le fil conducteur journalistique et mélioratif du « passage à l’âge adulte » conduit les auteurs à insister sur des revues considérées comme des laboratoires d’idées (Pilote, Métal Hurlant, (À Suivre), etc.), au risque d’ailleurs de tout mélanger (inscrire la revue italienne Linus et le comic underground Zap dans le même mouvement d’émancipation sous prétexte que ce sont tous deux des périodiques n’est-ce pas encourir le reproche qu’adressait Robert Musil au Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler : il y a des papillons jaunes, il y a des Chinois jaunes, le papillon est donc l’analogue nain et ailé du Chinois ?). Mais d’un autre côté la bande dessinée dont il est question chez nos historiens de la culture est celle qu’ils connaissent, autrement dit celle qui paraît en album, à l’exclusion de toute autre forme de publication (y compris la presse généraliste). Est-ce à dire qu’une revue n’est qu’un support de prépublication d’albums ? Mais dans ce cas, c’est le propos sur l’importance stratégique desdites revues qui se démonétise.
Achevons sur la question toujours délicate des erreurs factuelles. Nous n’en avons pas trouvé chez les spécialistes du domaine. Elles se multiplient sous la plume des historiens de la culture, sans atteindre des proportions extrêmes. Expositions de « planches originales » au musée des arts décoratifs, en 1967 ? Plutôt d’agrandissements photographiques. Système original de distribution, les fameux syndicates américains ? Mais ce sont très banalement des agences de presse (et, dans le cas des dessinateurs du sud, par exemple espagnols, des agences internationales, fonctionnant selon le principe de la division internationale du travail). La loi de 1949 fait barrage à l’importation des produits américains ? Mieux vaudrait consulter la liste des premiers titres visés par la Commission de surveillance avant de s’aventurer en eaux troubles. On y trouve certes strips et comic books américains (Tim Tyler's Luck, King of the Royal Mounted, Mandrake, le Fantôme du Bengale, Jungle Jim, Secret Agent X9, Sheena, Captain Marvel). On y trouve aussi des bandes italiennes (Panthère blonde, Dick Fulmine, Jim Taureau, Gazelle blanche, Sciuscia), françaises (Targa, Brik) ou anglaises (Garth). La Commission ne s’occupait pas de l’origine des bandes, qu’elle était d’ailleurs incapable d’identifier, n’employant pas d’historien de la bande dessinée. En sens inverse, le barrage contre les produits américains n’a jamais rien barré, puisque les strips américains ont continué à paraître dans les illustrés des années 1950 et 1960, au milieu des bandes françaises, belges, italiennes, britanniques, espagnoles, néerlandaises, etc.
Sylvain Venayre fait naître Zorro et Tarzan la même année 1912, en citant Jean-Paul Gabilliet. Or Curse of Capistrano, premier roman mettant en scène Zorro (dans All-Story Weekly), date de 1919. Confusion avec John Carter qui paraît effectivement en 1912, la même année que Tarzan ? Ce que le même Sylvain Venayre écrit des couvertures des pulps aux tons criards adaptés au mauvais papier montre qu’il n’a jamais vu un pulp magazine. Ce poétique objet éditorial, confectionné en papier journal plié en cahiers et agrafé par le travers, est muni d’une luxueuse couverture en papier glacé, qui permet, elle, des impressions presque aussi fines que celles d’un volume de Citadelles et Mazenod.
On l’aura compris, ce volume de Citadelles et Mazenod comporte plusieurs ouvrages. Celui qui sort de la plume des spécialistes du domaine est irréprochable. Celui des historiens de métier est tout au plus une pièce à verser au dossier des « discours sur la bande dessinée », ou à celui de la « légitimation de la bande dessinée », certainement pas une analyse scientifique.
Surtout, l’ouvrage est une mine d’images dont la reproduction est un tour de force technique. Ces images émanent souvent du Musée de la bande dessinée, en particulier lorsqu’il s’agit d’originaux, mais les auteurs se sont arrangés pour qu’il n’y ait pas de redondance avec les ouvrages que l’érudit possède déjà dans sa bibliothèque, à commencer par La Bande dessinée, son histoire, ses maîtres.


LA GRAND AVENTURE DE LA BANDE DESSINÉE, HISTOIRE, INFLUENCES, ÉVOLUTION, 1. DES ORIGINES AUX DÉBUTS DE LA CRITIQUE
Christian Staebler
PLG 2018

Une très agréable histoire personnelle de la bande dessinées des origines à 1966, adoptant – chose rare – le point de vue du dessinateur. Deux volumes suivront, qui nous conduiront jusqu’à la période contemporaine.
Si la partie sur l’origine de la bande dessinée, débutant à Töpffer, bénéficie des acquis de la recherche des dernières décennies, plus faible est la partie sur le strip américain des années 1920 et 1930, où l’auteur se place dans la tradition des « exégètes français » des années 1960 et 1970. Ainsi, l’auteur « oublie » Roy Crane, préférant parler de la Connie de Frank Godwin. Mais pour le reste, dans les deux aires culturelles, européenne comme américaine, l’auteur est comme à la maison, même s’il cède parfois à des simplifications excessives. À signaler, le fait que l’auteur n’oublie ni les bandes dessinées parues dans la grande presse, ni le domaine des petits formats.
L’ouvrage prend sa pleine dimension par ses deux paratextes. D’une part, chaque chapitre est précédé par une bande dessinée à suivre qui met en scène un enfant émerveillé qui se promène dans l’histoire de la bande dessinée. D’autre part, l’iconographie de l’ouvrage consiste, non en reproduction des œuvres citées, mais en pastiches souvent très enlevés.


1.2. Encyclopédies et dictionnaires


The Standard Catalog of Comic Books
John Jackson Miller, Maggie Thompson, Peter Bickford, Brent Frankenhoff
Krause Publications, 2002
2nd Edition
Kraude Publications, 2003

Énorme bottin, format annuaire de téléphone, de près de 1500 pages. A la différence du « Overstreet », contient non seulement les comic books mais aussi les graphic novels et les magazines comme Mad ou Heavy Metal, mais pas les sections de strips (par exemple le supplément dominical du Spirit) ni les reprints de strips.

Les séries sont résumées et des indications de tirages (par exemple les commandes au distributeur Diamond) sont données quand elles sont connues.

L'ouvrage sert aussi de checklist, chaque numéro étant visualisé par une petite case à cocher.


DICTIONNAIRE DES LIVRES ET JOURNAUX INTERDITS
2e ÉDITION
Bernard Joubert
Cercle de la Librairie, 2011

On se demande parfois à quoi servent les blogs consacrés à l'actualité de la bande dessinée. Il faut consulter la deuxième édition, entièrement revue, et augmentée de plusieurs dizaines de notices, du Dictionnaire des livres et journaux interdits, de Bernard Joubert, pour apprendre que la célèbre loi du 16 juillet 1949 a été modifiée, dans le silence complet des médias, par la loi du 17 mars 2011, une de ces lois fourre-tout dont l'intitulé, imaginé par des humoristes, est désormais « loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit ». Ce toilettage s'est fait sous prétexte de rendre le droit interne conforme au droit européen, en l'occurrence à la célèbre directive Services.
Si la finalité du texte n'a pas changé — il s'agit toujours de donner à une commission de siphonnés, qu'on recrutera exprès, la faculté de menacer les éditeurs de bandes dessinées de poursuites pénales, sous un prétexte d'ordre moral —, la définition de cet ordre moral, et par conséquent la base philosophique du texte, a été profondément modifiée. Citons, d'après Légifrance, la version initiale et la version actuelle du fameux article 2 de la loi du 16 juillet 1949, correctionnalisant la publication de mauvaises bandes dessinées. Voici la version d'origine :

Les publications visées à l'article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisime, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche et tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse.
Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse.

Et voici la version 2011 du même article :

Les publications mentionnées à l'article 1er ne doivent comporter aucun contenu présentant un danger pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique ou lorsqu'il est susceptible d'inciter à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, aux atteintes à la dignité humaine, à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants ou de substances psychotropes, à la violence ou à tous actes qualifiés de crimes ou de délits ou de nature à nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral de l'enfance ou la jeunesse.
Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse.

Comme on le voit, les principes de morale catholique laïcisée de 1949, inspirés des dix commandements, ont été remplacés en 2011 par les principes de ce qu'on appelle de façon plus ou moins impropre la rectitude politique, la bien-pensance, ou l'idéologie victimaire. Dans la version initiale, la présentation sous un jour favorable du mensonge faisait naturellement référence au huitième commandement, celle du vol au septième, celle de la haine au cinquième, celle de la débauche au neuvième ; et si la liste commençait par une très invraisemblable « présentation sous un jour favorable du banditisme », c'est parce que les milieux catholiques d'avant-guerre s'étaient habitués à qualifier les journaux pour enfants commerciaux du temps — à commencer par Le Journal de Mickey — d'« illustrés gangsters », sous prétexte qu'ils publiaient des strips américains, remplis comme chacun sait d'émules d'Al Capone, saluant chaque aube de rafales de mitraillettes.
Dans la nouvelle version du texte, c'est, très victimairement, le danger pour les mœurs des petits enfants qui ouvre la série, la pédophilie étant considérée comme le crime suprême dans une société où les petits enfants sont, dans l'échelle du grief et de la réclamation, les victimes par excellence. Et vient en second lieu l'incitation à la discrimination ou à la haine, autrement dit le délit de « racisme », déjà réprimé par l'article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais qu'il faut réprimer davantage encore, puisqu'il constitue, dans le logiciel des médias, des politiciens et des « associations », la faute originaire, source de tout mal.
Et on notera au passage que le marketing a fait des progrès non moindres que le droit, puisque la longue litanie du texte initial sur ce qu'on peut imprimer dans un journal (une illustration, un récit, une chronique, une rubrique, une insertion), est remplacée par un seul mot : tout cela, mon bon monsieur, cela s'appelle des contenus.

PANORAMA ILLUSTRÉ DE LA FANTASY ET DU MERVEILLEUX
André-François Ruaud
Les Moutons électriques, 2015

Nouvelle édition augmentée du PIFM paru en 2004. C’est pour l’amateur d’imaginaire un livre sans équivalent, pierre de fondation d’une bonne bibliothèque consacrée au vaste domaine du merveilleux. La première édition était un bel objet d’environ quatre cent pages en noir et blanc, ici c’est un somptueux volume en couleur, de plus de six cent pages, sous couverture rigide avec jaquette. L’approche est essentiellement encyclopédique, mais les questions théoriques ne sont pas négligées, puisqu’on s’interroge par exemple sur la nature réactionnaire de la fantasy. Les entrées concernent essentiellement des hommes de lettres, mais aussi des dessinateurs, des peintres et des musiciens. Le corpus abordé est celui de la littérature romanesque et de l’illustration, mais on déborde volontiers sur les littératures orales et le folklore. Et sont abordés au passage des domaines comme la chanson ou le jeu de rôle. Chronologiquement, on nous mène de la « matière de Bretagne » jusqu’à J. K. Rowling et à son petit sorcier Harry Potter.
L’iconographie du volume est somptueuse et bien choisie, et reflète bien la diversité des inspirations d’un genre qui n’a nullement vocation à se figer dans des poncifs.
André-François Ruaud, qui est à l’origine d’une grande partie du volume, propose une définition du merveilleux proche des conceptions que les Anglo-Saxons se font du domaine. Sont admis dans le merveilleux toutes les formes du féerique, y compris dans les littératures pour l’enfance, et dans le genre humoristique. Par contre une dichotomie nette est établie entre féerique et fantastique. On trouvera donc des entrées sur Mervin Peake ou Haruki Murakami, mais pas sur Kafka et ses disciples. Il est question du Voleur d’éternité de Clive Barker, mais pas de L’Autre Côté d’Alfred Kubin.
Quelques articles frappent cependant le lecteur par leur arbitraire. Gaston Bachelard et Julien Gracq sont introduits en quelque sorte de force. Inversement, quelques manques importants sont à signaler. Pas d’entrée sur Hoffmann, père fondateur du fantastique littéraire moderne, qui a aussi beaucoup œuvré dans le merveilleux. Le trop oublié Marcel Brion, dont La Ville de sable, 1959, et L’Enchanteur, 1965, relèvent directement de notre genre. Manque également un article BD et merveilleux qui permettrait d’ordonner les entrées sur des dessinateurs dans une perspective plus vaste. On eût été également en droit d’attendre un article sur les auteurs qui n’ont pas écrit de fantasy selon la stricte définition d’A. F. Ruaud, mais qui n’en ont pas moins eu une profonde influence le genre, au-delà de toutes les querelles de définition, tels Rider Haggard, W. H. Hodgson et Arthur Machen. Mais il faut dire que, tel quel, l’ouvrage est déjà plein comme un œuf, ses metteurs en œuvre ayant à cœur de ne négliger aucune plume qui leur paraît importante, leur perspective restant fondamentalement celle de lecteurs et d’amateurs éclairés du genre.


1.3. Anthologies


30 Héros de toujours : chefs-d'œuvre de la BD : 1830-1930
Claude Moliterni
Presses de la Cité, collection Omnibus, 2005

Une anthologie qui se caractérise par la désinvolture présidant au choix des extraits et par l'effroyable sans-gêne de la réalisation. Pour le Yellow Kid, il faut se contenter de scans malpropres faits à partir de l'ouvrage de Bill Blackbeard. Toutes les rééditions chez Pierre Horay sont mises à contribution, de sorte que Little Nemo est représenté par des planches massacrées, aux couleurs criardes et au lettrage illisible. Krazy Kat quant à lui est illustré par des planches en noir et blanc sorties nous ne savons d'où et au trait bouché.

On notera par ailleurs que Le Bringing Up Father de McManus est échantillonné via des unes de Robinson, tandis que le Popeye qui nous est montré sort de Hop-Là !, l'anthologiste ne se posant manifestement aucune question d'ordre programmatique. (Fait-il une anthologie des œuvres originales ou des « illustrés de l'âge d'or », c'est-à-dire de leur version française des années 1930 ?)

Naturellement, lorsqu'on choisit les extraits au hasard, on se trompe de temps en temps. Dirks (The Katzenjammer Kids) est représenté par des planches (signées, pourtant) de... Knerr. Pas de chance non plus pour ce pauvre Pinchon, qui est représenté par des planches de Bécassine chez les alliés, qui est dessiné, comme le savent tous les bécassiniens, par Zier. (Ici, c'est l'absence de signature des planches qui aurait dû mettre la puce à l'oreille de l'anthologiste, en admettant évidemment que ce genre de question l'intéresse !)

M. Moliterni fait un effort d'originalité avec des planches de Stofano (qui signait Sto), de Rubino ou du Rupert de Mary Tourtel, mais tout est saccagé, et à la place des charmants petits vers de Mary Tourtel, on ne trouvera qu'une traduction hâtive, qui n'est plus versifiée.

L'anthologie de M. Moliterni ne ressemble somme toute que très peu aux ouvrages de Caradec ou de Peignot dont elle s'inspire ostensiblement. Son véritable modèle est plutôt le calamiteux 100 ans de BD des éditions Atlas (1996). Il s'agit de faire un nouvel ouvrage à peu de frais en scannant au petit bonheur, semble-t-il, le contenu de sa bibliothèque.

La question ne se réduit malheureusement pas à des affaires de gros sous. L'anthologie de M. Moliterni s'adresse à un public de culture moyenne, qui en l'achetant croira faire un effort pour élargir ses horizons. Devant le ramassis illisible qui lui est proposé, ce public ne pourra qu'être conforté dans des préjugés (cette BD du passé est décidément bien laide, bien naïve et n'a plus au fond d'intérêt qu'historique ou nostalgique) qui — est-ce un hasard — sont précisément ceux que véhiculent les ouvrages « historiques » ou « encyclopédiques » de M. Moliterni (mythe du progrès de la forme, croyance en un évolutionnisme, du type « de la barbarie vers la civilisation »).


1.4. Variétés

 
DADA : LA BANDE DESSINÉE UN 9e ART
Éditions Arola/Cité internationale de la bande dessinée, s. d., 2011

Cette revue d’art destinée aux enfants propose comme elle l’avait déjà fait par le passé (n° 35, 1997), une honnête introduction à la bande dessinée, à partir de documents bien choisis, d’auteurs classiques. On pardonnera volontiers aux contributeurs de donner une version quelque peu schématique de l’histoire du médium, marquée par un évolutionnisme confiant. Ainsi, il est entendu une fois pour toute que la bande dessinée est inventée par Töpffer, et qu’elle est renouvelée dans les années 1990 par l’Association.
Le risque d’une telle entreprise est celui de la condescendance vis-à-vis d’un public qu’on suppose arriéré. Si les contributeurs de Dada y échappent pour la plupart, regrettons cependant une analyse particulièrement mal venue d’une planche du Maus de Spiegelman, celle où le cartoonist se demande comment animaliser son épouse, Françoise Mouly, qui est Française. Le dessinateur a tracé sur un carnet de croquis un élan (peut-être à cause d’associations avec le Canada francophone), un caniche (French poodle), une grenouille (froggy), d’autres animaux encore. Cela est interprété ainsi : « Spiegelman révèle ici l’absurdité de la notion de race. Nous possédons tous de multiples identités… » Le journaliste prend ici son auteur en otage pour caler un préchi, précha bien-pensant, en faisant dire à l’œuvre le contraire exactement de ce qu’elle dit, puisqu’il n’aura échappé à personne (et pas même aux enfants) que Maus repose précisément sur une spécification des protagonistes (les nazis sont des chats, les juifs, des souris).


LA CRYPTE TONIQUE
Le magazine du magasin
n° 0 sept-oct. 2011
n° 1 nov. déc. 2011
n° 2 janv-fév. 2012
n° 3 mars-avril 2012
n° 6 nov-déc. 2012
n° 8 mars-avril 2013

n° 9 été 2013
Philippe Capart
n° 10 sept-oct. 2013

16 galerie Bortier 1000 Bruxelles

Singulière entreprise que celle de Philippe Capart, qui a racheté le fonds du libraire et éditeur Michel Deligne, l'a installé dans sa crypte, et qui, dans le numéro zéro de sa revue, brosse l'histoire des librairies bruxelloises spécialisées en bande dessinée, mais aussi du fandom et des fanzines. Le numéro un est à la gloire de Félix le chat et de Charlie Chaplin. Le numéro deux parle des difficultés du journal de Spirou avec la modernité. Le numéro trois parle du Moyen-Âge dans la bande dessinée, les livres pour enfants et le cinéma des années 1930 aux années 1950. Le numéro six est consacré à Walthéry. Le numéro huit examine les liens entre bande dessinée et photoroman. Le numéro neuf est consacré à la ligne de vitesse (speed-line). Le numéro dix est consacré à la narration graphique sous l'Occupation.
Les articles signalés dans le magazine par un astérisque sont disponibles dans le magasin.


AU COIN DE MA MÉMOIRE
Francis Groux
PLG, collection Mémoire Vive, 2011

Mémoires de Francis Groux, cofondateur du festival de la bande dessinée d'Angoulême, avec Jean Mardikian. Avec une modestie de bon aloi, l'auteur nous raconte sa vie et celle du festival, en nous régalant de savoureuses anecdotes, que l'historien prendra naturellement avec toute la prudence qui est de mise.
L'ouvrage est agréablement illustré de planches originales et de dessins dédicacés offerts à M. Groux par les dessinateurs reconnaissants.
Ouvrage indispensable à qui s'intéresse à l'histoire sociale de la bande dessinée.
Préface de Thierry Groensteen.


BEAUX ARTS HORS-SÉRIE HUMOUR & BD
Beaux Arts magazine, TTM éditions, s. d., dépôt légal décembre 2011

Un petit panorama de la bande dessinée humoristique, honnête travail de journaliste, brossé au moyen d'une suite de courts articles. C'est aussi, de fait, une petite anthologie de la bande dessinée pour rire. Le lecteur y trouvera ce qu'il lit ordinairement et découvrira le reste. Du côté de la production actuelle, le pire côtoie le meilleur. Par contre, dans les classiques, on trouvera dix-sept planches bien reproduites et bien commentées, qui nous mènent des Katzenjammer Kids à Régis Franc.


2. Monographies

 

2.1. Études historiques par périodes


Alec : Comment devenir un artiste
Eddie Campbell
Çà et là, 2008

Récit dessiné de la carrière d'Eddie Campbell, de l'auto-édition jusqu'à la gloire (From Hell), qui donne aussi une histoire de la bande dessinée britannique contemporaine, des années 1980 à nos jours. Le récit repose sur une stratégie rhétorique et sur une stratégie narratologique typiques de ce type de littérature. Premièrement, il se présente ostensiblement comme une exhortation, ce qui explique qu'il soit écrit au futur : réussiront artistiquement et financièrement les impétrants qui garderont la foi et préserveront leur intégrité. En second lieu, par un procédé typique de l'autofiction, il met en scène le double fictionnel de l'auteur, Alec, alors que tous les autres personnages sont « eux-mêmes ». (Paul Gravett est désigné par une périphrase mais est aisément reconnaissable.)

L'ouvrage est intéressant par ailleurs par le fait que le statut professionnel d'« Alec » est étroitement associé à l'évolution du statut de la bande dessinée au Royaume-Uni, et à l'apparition d'une forme éditoriale, le graphic novel, qui ouvre au produit « bande dessinée » le circuit des librairies britanniques. De ce fait, l'histoire qui nous est proposée est aberrante. Sur le plan événementiel, ce qui est donné comme des moments-clé est purement contingent. Sur le plan de l'analyse, il suffit de consulter la liste de graphic novels importants que produit l'auteur pour se rendre compte qu'elle est totalement disparate, puisqu'on y trouve des auteurs qui ont toujours été en librairie (Raymond Briggs) et quantité d'autres dont les œuvres sont parues le plus normalement du monde en comic books. La lecture de ce volume est donc indispensable à qui s'intéresse au statut des littératures dessinées anglophones, aux discours tenus sur elle et à la perception de ces littératures par les acteurs mêmes du secteur.

L'auteur ne se départit jamais d'une saine ironie, ce qui rend la lecture fort plaisante.


LA BANDE DESSINÉE OU COMMENT J'AI RATÉ MA VIE
Benoît Barale

PLG, Collection Mémoire vive, 2018

Autobiographie dessinée d’un auteur et amateur de bande dessinée, signant BSK. Considéré du point de vue de l’histoire du genre, l’ouvrage témoigne éloquemment du changement de statut du créateur de bande dessinée, BSK étant remarquablement proche d’un diariste, donc d’un auteur qui par définition s’adresse à lui-même, qui aurait choisi le médium bande dessinée (« Parfois j’ai l’impression de faire des bandes dessinées uniquement dans le but de les lire »). À cet égard, l’apport du livre s’éclairera à la comparaison avec l’ouvrage d’Eddie Campbell, Alec : Comment devenir un artiste (éditions Çà et là, 2008).
Il est remarquable d’autre part que l’auteur ne fasse aucune distinction entre le type de bande dessinée qu’il pratique, son ouvrage constituant à cet égard une contribution à l’histoire du fanzinat et de la petite presse, et la bande dessinée la plus populaire, dont il est nourri, et dont il donne au fil des pages des critiques, elles aussi en bande dessinée, genre dans lequel il excelle. BSK ne distingue pas davantage ce qui relève de son parcours de créateur et ce qui relève de sa biographie, voire de son intimité.
Sens de l’humour et auto-dérision voisinent tout du long avec d’authentiques affres de la création, inséparables du doute sur soi.

 

2.2. Études historiques par pays

2.2.1. France et francophonie


Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans
Raymond Perrin
L’Harmattan, 2001, dernière édition, 2006


Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle

Raymon Perrin
L’Harmattan, 2007

Ces deux ouvrages proposent un panorama, le premier historique, le second d'actualité, de la littérature pour l'enfance, dans lesquels la bande dessinée figure au milieu de la littérature écrite et de la presse. Il ne faut pas chercher dans ces ouvrages d'analyse ni de point de vue particulier — outre une évidente prédilection de l'auteur pour toute la littérature destinée à la jeunesse —, mais des collections de faits historiques, de données statistiques, de tendances générales.

Littérature de jeunesse et presse des jeunes au début du XXIe siècle rappellera au lecteur familier de la littérature secondaire sur la bande dessinée les synthèses de Gilles Ratier, où ne manque pas une indication de tirage, et où l'on cite trois noms propres à la ligne. Par contre, Raymond Perrin ne faisant pas partie du « petit milieu » de la bande dessinée, il échappe à cette culture de la connivence qui fait qu'on ne peut, lorsqu'on écrit sur la bande dessinée, avancer aucune critique ni oser aucune restriction. M. Perrin note donc avec une parfaite naïveté à propos d'Astérix : le ciel lui tombe sur la tête, que « cette bande dessinée désolante prouve à quel point une publicité tapageuse, un marketing efficace et un battage médiatique complice et éhonté, allié à un conformisme culturel, peuvent gâter le goût et fabriquer artificiellement un best-seller », sans même se douter que de tels propos lui vaudraient le bûcher s'il faisait partie du club.

L'érudit et le chercheur utiliseront Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans pour son histoire extrêmement fouillée des éditeurs et des publications, en prenant la masse de données fournies avec la plus extrême prudence, car la vision qui nous est donnée procède d'une synthèse de la littérature existante. On retrouve donc, fossilisés, pour ainsi dire, les épatements, les débats, les partis pris, les rancœurs, les erreurs, qui furent ceux des différents intervenants dans le domaine, petits lecteurs, parents et éducateurs, éditeurs, etc. L'auteur considère ainsi comme acquis que les littératures dessinées sont des littératures enfantines (qui ont été annexées à un moment donné par les adultes), que la bande dessinée « moderne » ou la « vraie » bande dessinée se caractérise par la bulle, que Paul Winkler publie dans Le Journal de Mickey des bandes américaines « achetées à bas prix », et qui, dans leur forme américaine (le newspaper strip) étaient initialement destinées aux adultes (alors qu'il crève les yeux qu'on a traduit précisément ce qui était susceptible de plaire à un enfant), que l'article 14 de la loi de 1949, confiant à la Commission de surveillance l'examen de la presse et de l'édition pour adultes, date de 1958 (l'art 14 était présent dès 1949), etc.

D'autre part, il ne faut pas chercher dans Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans une problématique qui serait spécifique aux littératures dessinées, car celles-ci ne sont pas mises en relation les unes avec les autres.

Ces restrictions étant faites, on trouvera dans Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans une scrupuleuse histoire de la presse et de l'édition de bande dessinée, sertie au milieu de l'histoire de la presse et de l'édition enfantine, ce qui tranche avec la littérature secondaire sur notre domaine, qui le considère en général de façon autiste.


2.2.2. Allemagne

Die Deutschsprachige Comic-Fachpresse
Eckart Sackmann
Comicplus+, 2000

Histoire très documentée et bien contextualisée des revues d'études de langue allemande.

L'auteur commence par présenter les revues d'études sur la bande dessinée dans le monde, puis il aborde les fondements du discours fanique et du discours universitaire, avant d'analyser la situation de la bande dessinée allemande.

Puis vient le gros de l'ouvrage. Nés au début des années 1970, les fanzines et revues d'études de langue allemande connaissent leur apogée au début des années 1980. Mais, n'ayant pas trouvé de véritable débouchés commerciaux, ils sont en régression dans les années 1990. Tout cela nous est présenté chronologiquement, revue par revue, de Comics World (1970, un seul numéro paru) à Hit Comics (1998, existe toujours en 2000). Le point de vue de l'auteur est bienveillant mais sans complaisance, et les publications analysées sont décrites pour ce qu'elles sont.

Sont examinés ensuite, de façon également exhaustive, les bulletins de clubs d'amateurs de bandes dessinées.

L'auteur présente pour finir une synthèse très argumentée sur les facteurs historiques, sociologiques et commerciaux qui ont donné leur physionomie aux revues d'études. Née du fandom de science-fiction et de la culture des chineurs, cette presse peine à surmonter les maladies infantiles que sont le populisme et l'amateurisme.

Cet ouvrage de 320 pages peut donc être considéré comme l'ouvrage de référence sur le sujet qu'il étudie. Il permet de mettre en perspective le développement de l'érudition savante en matière de bande dessinée allemande.

Deutsche Comicforschung
Eckart Sackmann
Comicplus+, 2004 à 2007

www.comicforschung.de

La stripologie allemande est, comme le reste des stripologies européennes, la stripologie nord-américaine, voire la stripologie japonaise, en plein bouleversement, du fait d'un renouveau d'intérêt pour les productions du XIXe siècle, et d'une réappréciation de certaines littératures dessinées du XXe siècle jusque là tenues pour marginales, l'un et l'autre de ces développement étant favorisé par le progrès des technologies (scans, consultation de ressources documentaires en ligne, etc.) et par l'apparition d'une communauté de chercheurs disposant d'une méthodologie véritablement scientifique, et prenant réellement les littératures dessinées pour objets d'études, sans les d'instrumentaliser dans une perspective sociologisante.

En Allemagne, cette stripologie, ou Comicforschung, se concrétise dans de très beaux volumes annuels édités, et écrits en grande partie, par l'érudit Eckart Sackmann. Citons, parmi les contributeurs à cette nouvelle stripologie germanique, Berndt Dolle-Weinkauff, Günter Dammann, Gerd Lettkemann, guido Weißhahn, Dietrich Grünewald.

La Comicforschung échappe à la nostalgie bêtasse, et elle prend résolument ses distances avec l'érudition pré-existante. D'une part, elle renonce à un présupposé à la fois historique et esthétique selon lequel la bande dessinée serait d'abord la bande dessinée américaine. (On connaît l'engouement fanique des Allemands pour l'œuvre de Carl Barks.) D'autre part, elle renonce à une approche essentialiste, dans laquelle la bande dessinée était définie de façon restrictive (la bulle, la gouttière).

Dès lors, la littérature dessinée allemande est mise en relation avec différentes formes éditoriales, l'imagerie populaire des Bilderbogen (équivalent allemand des planches imagières du type image d'Epinal), l'illustration, la caricature et le dessin d'humour des journaux comiques du XIXe et du début du XXe siècle.

Pour ce qui est du XXe siècle, on peut noter que si la bande dessinée outre-Rhin a pu paraître présenter une situation de relative pénurie (il y a infiniment moins de titres dans l'équivalent allemand du BDM que dans le BDM français), c'est parce qu'on n'a pas su chercher aux bons endroits. C'est la presse généraliste, et en particulier la presse populaire, qui contient les récits en bandes. Il faut donc examiner les journaux quotidiens, les magazines à grand tirage, la presse destinée aux jeunes, pour voir fleurir dans les coins de pages des strips et des planches. Le fait qu'une telle pléthore ait été inaperçue jusqu'à présent n'est pas sans rapport avec l'indifférence complète que la recherche savante de l'aire germanique a pu manifester par le passé vis-à-vis de sa propre culture de masse, toute forme de littérature non-canonique étant traditionnellement rangée dans la catégorie infra-littéraire de Triviallitteratur et la littérature dessinée se retrouvant quant à elle casée dans la Schundlitteratur, la littérature de bas étage (mais l'expression désigne aussi la littérature pornographique).

Cependant la Comicforschung allemande ne se cantonne pas à l'étude des périodiques, mais elle privilégie, dans la lignée de la recherche savante contemporaine, une approche intermédiale, les littératures dessinées étant situées au confluent, entre autres, de la ballade illustrée néo-gothique, de l'image commentée par un bonimenteur, de la lanterne magique, des silhouettes en ombres chinoises, des images à découper (une immense partie de l'imagerie populaire de type spinalien consiste en images à découper), etc.

Dans de tels rapprochements, le risque est évidemment celui d'une lecture anachronique, et il est donc nécessaire de préciser (nos érudits le font avec un sérieux tout germanique) que telle production ancienne (par exemple un manuscrit illuminé du moyen-âge) à nos regards modernes apparaît comme une proto-bande dessinée, mais que les lecteurs du temps n'en faisaient évidemment pas le même usage.

Un exemple particulièrement frappant est le mélodrame en images Lenardo und Blandine, 1783, d'après la ballade de Bürger, dessiné par Göz (ou Götz) [Voir la gravure]. On suit toute l'action de la pièce d'après les mimiques des personnages, dans une série de dessins au format identique, légendés en une ou deux lignes. Pour un lecteur du XXIe siècle il s'agit à l'évidence d'une bande dessinée. Cependant un examen plus attentif révèle que le récit est en fait un manuel d'expressions dramatiques. Il vise à montrer comment on est censé représenter les scènes de la pièce en mettant en œuvre les ressources de la pantomime. C'est donc bien l'intermédialité qui donne ici la clé de l'œuvre : celle-ci peut se lire comme un récit dessiné, mais elle est par ailleurs, dans son intention du moins, à la source d'une autre production qui est une production scénique. A cet égard elle s'inscrit dans une problématique classique, qui est celle du code de l'expressivité, problématique qui est commune à tout le dessin, toute la peinture et toute la gravure occidentale (on pense au célèbre Traité des passions de Le Brun, par ailleurs peintre du roy).

Passons à une recension de l'essentiel des quatre volumes parus de Deutsche Comicforschung.

Deutsche Comicforschung 2005
Comicplus+ 2004

Au sommaire du volume de 2005 :

Leonardo und Blandine (voir plus haut).

• L'influence de Töpffer sur l'aire allemande.

• L'aventure du supplément dominical des comics du Chicago Tribune en 1906-1907. Le rédacteur-en-chef du journal, James Keeley, fit un voyage en Europe et embaucha des dessinateurs allemands pour réaliser ce supplément, ce qui était une façon pour le Chicago-Tribune d'échapper aux gags stupides à base de tartes à la crème qui faisaient jusque là l'ordinaire des suppléments dominicaux américains. (Le journal conserva néanmoins deux excellents strips américains, The Naps of Polly Sleepyhead de Peter Newell et Buster Brown d'Outcault.)

Le journal s'adjoignit donc, entre autres, les services de Karl Pommerhanz, Lothar Meggendorfer, Victor Schramm, August von Meissl, tous de grands maîtres dans leur pays. Si le dessinateur Hans Horina s'installa en Amérique, les autres préférèrent travailler depuis l'Europe. Cependant le plus célèbre de ces Allemands œuvrant pour les États-Unis y était né et y avait grandi. Il s'agit de Lyonel Feininger. Avec les Kin-Der-Kids et Wee Willie Winkie's World, il donna au newspaper strip deux de ses plus grands chefs-d'œuvre.

Le supplément « allemand » du Chicago Tribune fut un complet échec, toute cette affaire de dessin d'art et d'humour subtil passant bien au-dessus de la tête des Américains. Il fallut attendre les lendemains de la Grande Guerre pour que le capitaine Patterson dotât à nouveau le Chicago Tribune d'un supplément dominical décent, entièrement américain, cette fois.

• Carl Storch, talentueux disciple de Wilhelm Busch.

• Le Pr Munchhausen qui vécut dans les années 1910 des aventures dans les suppléments des quotidiens, sous la plume de plusieurs dessinateurs.

• « Avec la foi et un bon fusil », quatre albums publiés entre 1928 et 1935 narrant les aventures coloniales désopilantes de l'Oncle Bleise.

« Famany l'homme volant », un strip de superhéros et aussi une bande dessinée pour adultes, réalisée au crayon gras, créé en 1937 pour la revue Die Gartenlaube (La Tonnelle).

• Emmerich Huber, un dessinateur comique ayant œuvré du milieu des années 1920 au années 1960 et qui est très connu aussi pour ses bandes publicitaires, entre autres pour les pneus Dunlop.

• Les bandes dessinées dans les premières années du Hamburger Morgenpost d'après-guerre.

• Heinz Schubel, auteur des albums pour enfants de Lurchi la salamandre, extraordinairement populaires pendant des décennies. Il s'agit d'un récit en forme mixte, qui devient parfois une bande dessinée, parfois un texte très illustré, parfois une grande image légendée.

• Richard Hambach (« Ri »), l'un des premiers dessinateurs œuvrant en RDA, excellant dans les séries animalières.

• Les Tiny-Winys, les aventures d'un club de jeunes fanas d'automobile, paraissant en pleine page dans l'hebdomadaire ouest-allemand Das Grüne Blatt (le journal vert), mais qui ressemble comme deux gouttes d'eau aux productions d'un Hannes Hegen en RDA.

Deutsche Comicforschung 2006
Comicplus+ 2005

Au sommaire du volume de 2006 :

• Le Codex Palatinus Germanicus 67 (1475) comme proto-bande dessinée.

• « Ludwig Emil Grimm, un précurseur sans imitateurs », sur un contemporain de Töpffer qui fit des journaux de voyages dessinés, qui restèrent inédits, sans quoi cet inconnu serait célébré à l'égal du grand Genevois.

• Carl August Reinhardt, actif dans la seconde moitié du XIXe siècle, qui fait penser à Doré et Nadar (qui plagia son Schneider Lapp) et qui par ailleurs s'inscrit dans l'intermédialité (ballade illustrée, théâtre de marionnettes, boniment du montreur d'images) telle qu'elle est portée par une tradition néo-gothique, celle des Deutsche Bilderbogen.

• Johan Bahr, petit maître à cheval sur le XIXe et le XXe siècle, d'une grande versatilité, dont le dernier style (bandes anti-françaises de la Grande Guerre) fait vaguement penser à Forton.

• Paul Simmel fut dans les années 1920 et 1930 l'un des caricaturistes les plus connus et les plus imités. Son style « jeté » est particulièrement remarquable.

• Les scénarios de bande dessinées du célèbre romancier Erich Maria Remarque (À l'ouest rien de nouveau).

• Les bandes communistes de l'Arbeiter Illustrierte Zeitung.

• L'imagerie de type spinalienne dans sa version élaborée par la propagande nazie (la série des Bilderbogen vom Kriege, à partir de 1939), montant en épingle des faits de guerre, ce qui, outre l'aspect idéologique, pose un intéressant problème sémiotique car il s'agit d'une véritable apologie de la violence, sous forme graphique. Par exemple, une planche sur la bataille de Rotterdam finit sur une grande case peignant avec délectation la ville en flamme et le port détruit et accompagnée d'un texte en vers de mirlitons qui dit à peu près :

« Qui s'acoquine avec les Anglois

« Sous le feu allemand périra ».

• Dans la même veine, étude sur une campagne de presse anti-Superman sous le Troisième Reich, les autorités allemandes n'ayant pas supporté que le superhéros s'engage dans l'effort de guerre. Si un article de L'Illustrierter Beobachter (24 août 1944) énumère un argumentaire anti-bande dessinée qui ne diffère pas fondamentalement de ceux des autres pays (on reproche au strip américain violence, érotisme et merveilleux, à quoi s'ajoute de façon opportuniste la germanophobie), un article dans l'hebdomadaire de la SS Das Schwartze Korps (25 avril 1940), s'inspirant pour sa documentation d'un article du Look américain, relève purement et simplement de la diatribe antisémite.

Le lecteur apprendra aussi que, jusqu'à la guerre, on continua à trouver un peu de bande dessinée américaine dans le Reich (en traduction et même en version originale, dans les kiosques), la censure manquant de personnel.

• Les réclames en bandes dessinées des cigarettes Salem.

• La grande revue pour enfants de RDA, Mosaik, dont la popularité fut telle qu'elle survécut à la Chute du mur. Il va sans dire que le malheureux maître d'œuvre, Hannes Hegen (le Walt Disney Est-Allemand) dut avaler toutes les couleuvres, d'autant plus que la revue lui faisait gagner beaucoup d'argent.

• Nouvelle approche intermédiale par Eckart Sackmann, insistant sur les cousinages entre feuille d'image, plaque de lanterne magique, chanteur ambulant montreur d'images (Bänkelsänger), article complété par une étude des bandes en films fixes en RDA.

Deutsche Comicforschung 2007
Comicplus+ 2006

Au sommaire du volume de 2007 :

• La Passion de Turin de Memling comme récit séquentiel, avec des aperçus sur l'image dite « multiple », « simultanée » ou « synchronique » (celle où le personnage est répété dans la même image).

• Le classique Staatshämorrhoidarius, de Franz von Pocci, connu dans la littérature secondaire par l'ouvrage de David Kunzle, The History of the Comic Strip : The Nineteenth Century, University of California Press, 1990. Le Staatshämorrhoidarius n'est pas seulement un archétype du rond de cuir, il permet un commentaire sur la politique du temps (révolution de 1848), commentaire très apparent dans la version des Fliegende Blätter, mais qui tend à disparaître dans les éditions en volumes.

• Les comics américains en version allemande. (Un quart de la population américaine est d'origine allemande et les journaux américains germanophones publièrent naturellement les strips en allemand.)

• La revue des années 1920 et 1930 Der Papagei (Le Perroquet), assez conservatrice sur le plan de la forme (on pense aux Belles Images en France ou aux hebdomadaires britanniques), mais qui publia des bandes d'aventures et qui publia Prince Valiant, sous le nom Prinz Waldemar.

• Le dessinateur Hans Kossatz, qui fit un strip à bulles dans un quotidien berlinois dans les années 1930, donc en plein nazisme.

• Hans Füsser, l'auteur du fascicule Jackel und Bastel (1948) qui n'eut que deux numéros mais qui fait partie des premières bandes dessinées parues après-guerre et qui est mythique chez les amateurs.

• L'illustré autrichien communiste d'après-guerre Unsere Zeitung (Notre Journal), qui publie notamment une curieuse série de science-fiction, Max auf dem Mars (Max sur Mars).

• Herbert Reschke, auteur d'un western humoristique dans le mensuel de RDA Das Magazin, qui est en réalité une satire politique sur les laquais des Américains.

Detektiv Schmidtchen, par F. W. Richter-Johnsen, cas unique de strip policier réaliste publié dans le Bild Zeitung de 1954 à 1962.

• Le Nick Knatterton de Manfred Schmidt, l'un des rares succès populaires de la bande dessinée en Allemagne, paru dans le magazine à grand tirage Quick, qui s'attira les foudres des bien-pensants, du fait de la présence de pin-ups (humoristiques). En Bavière et en Hollande, le strip fut retouché.

• La campagne anti-bande dessinée en Allemagne dans les années 1950, et son aboutissement, l'équivalent de notre Commission de surveillance, la Bundesprüfstelle fut Jugendgefährdende Schriften (soit la Commission d'examen des publications présentant un danger pour la jeunesse), créée en 1954.

• Kurt Caesar, Allemand d'origine, installé en Italie, mais qui travailla pour un éditeur allemand in extremis.

Astérix dans sa version allemande publiée par Rolf Kauka (le créateur de Fix und Foxy), qui en fit une satire anti-RDA. Ayant perdu les droits de la bande, Kauka publia un démarquage d'Astérix, en conservant la satire anticommuniste.

Deutsche Comicforschung 2008
Comicplus+ 2007

Au sommaire du volume de 2007 :

• Une réflexion théorique d'Eckart Sackmann sur la littérature secondaire, toutes aires culturelles considérées, l'auteur plaidant pour une définition ouverte des comics.

• L'évangéliaire de Henri le lion, duc de Saxe (Heinrich der Löwe), (XIIe siècle) comme proto-bande dessinée.

• Carl Maria Seyppel, disciple de Wilhelm Busch, qui produisit dans les années 1880 dans le style pseudo-égyptien, donnant une de ces étonnantes formes mixtes dont les Allemands semblent avoir le secret.

• La littérature dessinée dans la presse des tranchées.

• Les planches imagières de la Grande Guerre.

• Les bandes dessinées de Walter Trier, surtout connu comme illustrateur du roman d'Erich Kästner Émile et les détectives.

• Les récits en image dans la presse des coopératives, presse qui fut comme il se doit nazifiée.

• La carrière du dessinateur Barlog, collaborateur du Berliner Illustrirte, spécialisé dans le comique troupier pendant le nazisme, et qui se consacra après-guerre à l'humour pour enfants et à la gaudriole.

• Le dessinateur de presse Max Otto, dont on ne sait presque rien, mais qui fut prolifique avant et après-guerre, et dont la patte est proche de celle des cartoonists américains (son personnage de Stips a un faux air de Castor Oyl, dans Thimble Theatre de Segar).

• Friedrich Pruss von Zglinicki, qui abrégea son nom en Nicki et produisit après-guerre un quasi-plagiat de Hergé (Max und Flax) qui a la particularité d'avoir l'air d'être dessiné avant-guerre.

• Les bandes pour enfants dans le Wochenpost est-allemand.

• L'adaptation du Winnetou de Karl May par l'excellent dessinateur Helmut Nickels, à partir de 1963, lorsque l'œuvre de Karl May tomba dans le domaine public.


2.2.3. Belgique


2.2.4. Etats-Unis


Silver Age : The Second Generation of Comic Book Artists
Daniel Herman
Hermes, 2004

Histoire du silver age par un fan, très illustrée d'originaux rares et de couvertures sans prix.


Zap! Pow! Bam! The Superhero : The Golden Age of Comic Books 1938-1950
The Breman Museum, 2004

Essentiellement une mine de documents rares et autres crayonnés historiques sur les débuts des comics de superhéros.


Masters of American Comics
John Carlin, Paul Karasik, Brian Walker
Yale University Press, 2005

Catalogue d'une exposition au Hammer Museum et au Museum of Contemporary Art de Los Angeles. Si le choix des quinze auteurs représentés (de McCay à Chris Ware) est sans surprise, l'ouvrage vaut par une masse de reproductions, souvent en couleur, de documents rares et précieux. Les témoignages et les essais de spécialistes et de cartoonists sont d'intérêt variable. Cependant le long texte de John Carlin est peu satisfaisant car son projet lui-même est contradictoire, puisqu'il prétend, à travers les quinze auteurs exposés, retracer toute l'histoire des comics.


Comics : dans la peau des super-héros
Philippe Guedj
Timée Éditions, 2006

Cinquante factoïdes sur les comics de super-héros et ceux qui les ont faits, couchés dans un style qui tient le milieu entre la vie de saint et la rubrique « people », décorent un « beau livre » tout en couleur, à la maquette particulièrement laide et agressive.


BEAUX-ARTS HORS-SÉRIE UN SIÈCLE DE BD AMÉRICAINE
Beaux-Arts Éditions, août 2010
Agréable panorama de la bande dessinée américaine, très abondamment illustré, avec un focus sur la bande dessinée érotique. Entretien avec Kim Thomson de Fantagraphic Books, disparu en 2013, texte de Bill Watterson et remarquable analyse de « Master Race » de Bernie Krigstein par Art Spiegelman.


SUPER-HÉROS LA PUISANCE DES MASQUES
Jean-Marc Lainé

Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2011

L'ouvrage s'ouvre sur une genèse des super-héros où toutes les sources connues de Superman et Batman sont convoquées, à l'exception notable des serials cinématographiques. (On peut observer en effet que The Iron Claw, 1916, avec Pearl White, ou The Master Mystery, 1920, avec Harry Houdini contiennent à peu près tous les ingrédients de Batman.)
L'auteur propose ensuite une histoire des super-héros où malheureusement la spécificité du médium bande dessinée est peu prise en compte, hormis les contraintes éditoriales de la publication en périodiques (les comic books). Dans cette histoire, notre auteur glisse une typologie des super-héros et de multiples considérations sur leur rapport avec le contexte culturel, social et politique.
Dans un second temps, M. Lainé disserte sur les super-héros à la télévision et au cinéma. En prime, un chapitre sur les super-héros japonais, bien documenté, et un autre sur les cousins européens des super-héros, critiquables à maints égards. Pour l'Italie, il nous semble que Diabolik et ses héritiers ont tout à voir avec Raffles the Amateur Cracksman, Zigomar, Fantomas, et rien avec le comic book. Par contre les illustrés britanniques, contrairement à ce que laisse entendre l'auteur, proposent bel et bien des super-héros tels que Captain Universe, Electroman, Thunderbolt the Avenger (en français dans Télépoche, Météor l'homme à la montre), qui ne diffèrent de leurs homologues américains que par leur britannicité.
On déplorera aussi certains simplifications abusives. Il nous paraît ainsi téméraire de soutenir que dans les comics du golden age la science ne susciterait « aucune méfiance », que « le progrès est le garant de l'avenir », et qu'il en irait autrement dans une après-guerre échaudée par la bombe atomique. L'opposition dialectique de la foi dans le progrès et de la méfiance de la technique structure l'ensemble de ces littérature.
Du bon côté, M. Lainé fait œuvre utile quand il dénonce certains poncifs largement remployés dans la littérature secondaire.


ART MAGAZINE HORS-SÉRIE N° 3 SUPER-HÉROS : SONT-ILS DES HOMMES COMME LES AUTRES ?
Fleurus Presse, juillet 2014

Une suite d'articles qui vont du médiocre au consternant, le ponpon revenant à « super ou ordinaire ? », où l'on peut lire à propos de la « révolution » du milieu des années 1980, que « le Comics Code Authority, un comité de surveillance et de censuré instauré sous Nixon pour surveiller les publications destinées à la jeunesse, commence enfin à perdre de son influence ».
En prime, un petit portfolio sur les super-héros dans l'art, de Warhol à nos jours, la réédition du premier épisode d'Iron Man, un épisode récent de Batman, un autre de Superman, sans intérêt, l'un comme l'autre.


SUPER-HÉROS UNE HISTOIRE FRANÇAISE
Xavier Fournier
Huginn & Muninn, 2014

Les historiens américain de la bande dessinée définissent en général le concept de super-héros à partir d’une série prototype, le Superman de Siegel et Shuster, et d’un support éditorial spécifique, le comic book. Cette littérature super-héroïque n’est pas née ex nihilo, mais entretient des rapports étroits avec les héros des pulps, et avant eux des Munsey Magazines, et avant encore des Dime Novels.
Quelques érudits français décidèrent que les super-héros avaient des origines plus lointaines, ces érudits se plaçant donc implicitement dans le sillage des exégètes des années 1960. L’hypothèse d’une gestation longue combinée à l’idée d’une littérature source aboutit spécifiquement, dans le fandom français, à la théorie d’une origine du super-héros dans la littérature feuilletonesque du XIXe siècle. Telle est précisément la thèse de Xavier Fournier.
L’auteur nous propose donc une histoire de la littérature populaire et de la bande dessinée française « à la lumière des super-héros », qui va de Vidocq à Photonik, ou de Rocambole à la Brigade Chimérique. M. Fournier a d’autant moins de mal à trouver des super-héros français qu’il lui suffit qu’un personnage ait les caractères du héros romantique pour qu’il corresponde techniquement aux critères du super-héros. À cette aune, Jean Valjean lui-même est un ancêtre lointain de Superman.
Le problème de cette thèse est que, en prouvant trop, elle ne prouve strictement rien. La ressemblance avec les généalogies proposées par les historiens américains est donc tout à fait trompeuse. Du côté américain, on peut montrer par exemple la filiation entre le Mouron rouge de la hungaro-britannique baronne Orczy (d’abord à la scène, puis en roman populaire), le Zorro de Johnston McCulley dans les Munsey Magazines, le Shadow dans les pulp magazines, et finalement Bruce Wayne dans les comic books. Il s’agit en réalité du remploi ou de la réinterprétation d’un même personnage. Le scénariste Bill Finger ne s’en est du reste jamais caché. Rien de tel du côté français. Qu’a-t-on dit exactement quand on dit que « Monte-Cristo est clairement un des aïeux lointains de Batman, mais pas le seul ». Rien, ou pas grand chose, puisque le peu d’éléments généalogiques retenus comme pertinents (bases secrètes, identités multiples, vengeance) est aussitôt réfuté (c’est un aïeul lointain ; ce n’est pas le seul). Par contre, il suffit à M. Fournier qu’un personnage de feuilleton porte un loup pour qu’il tombe automatiquement dans la catégorie des super-héros, les désignations de justicier, de vengeur, de surhommes ou de super-héros permutant à peu près librement.
La démonstration souffre aussi pour la partie roman populaire d’une érudition parfois de deuxième main. Le chapitre sur Rocambole notamment est bien discutable pour le spécialiste. Par contre, pour la partie bande dessinée, l’érudition de l’auteur est sans faille.


HÉROS ILLUSTRES ET ILLUSTRÉS POPULAIRES
LE ROCAMBOLE
N° 73
Bulletin des amis du roman populaire
Hiver 2015

À l’exception d’un article assez confus de Jean-Michel Ferragatti sur le « transfert culturel » des super-héros américains pendant l’Occupation, un bon dossier de près de 80 pages, examinant la presse enfantine depuis le XIXe siècle. On signalera l’article sérieux et informé de Daniel Compère sur le développement des publications pour la jeunesse au début du XXe siècle (où la bande dessinée apparaît en force au sommaire des revues), et l’étude de Philippe Delisle sur le catholicisme dans les hebdomadaire Spirou et Tintin des années 1940 à 1960, qui montre que le catholicisme influe le contenu éditorial de revues qui ne sont nullement des supports confessionnels, en particulier les bandes dessinées, mais que la forme bande dessinée impose en retour ses propres normes.


LES PUBLICATIONS AMÉRICAINES EN FRANCE
L’HISTOIRE DES SUPER-HÉROS
L’ÂGE D’OR (1939-1961)

Jean-Michel Ferragatti
Neofelis Editions, Collection Culture Comics, 2016

Sur plus de deux cent pages, une histoire très illustrée de la publication des super-héros américains en France de 1939 à 1961, héros par héros et fascicule par fascicule. Le lecteur curieux découvrira que les super-héros ont pénétré le marché français dès l’avant-guerre et qu’on en trouve sous toutes les formes jusqu’en 1949, et de façon plus discrète après la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. C’est donc une sorte de préhistoire du super-héros en France qui nous est donnée, à la fois parce que les personnages en question sont ceux de l’âge d’or américain et que les publications françaises sont elles aussi antérieures à celles qui ont institutionnalisé le genre en francophonie, l’ouvrage s’achevant sur la première période d’Artima, qui fait en quelque sorte la transition avec la période suivante qui verra les publications de la Sagédition (Superman et Batman) et de Lug (Fantask).
On regrettera un certaine confusion. L’iconographie reproduite est légendée à l’aventure. Le propos est obscurci par une langue bizarre et l’auteur s’égare dans les labyrinthes de sa propre érudition. Le lecteur devra donc fournir lui-même l’effort de mise en perspective, pour comprendre par exemple que si on nous parle depuis plusieurs pages de tel super-personnage, c’est parce qu’il en est paru chez nous deux fascicules. L’auteur finit même par nous parler de n’importe quel personnage de la DC sous prétexte qu’il a rencontré un jour un super-héros.


2.2.5. Canada


2.2.6. Italie

FUMETTO! 150 ANNI DI STORIE ITALIANE
A cura di Gianni Bono et Matteo Stefanelli
Rizzoli, 2012

De même format que L’Art de la bande dessinée, paru chez Citadelles, que Cases de maîtres, paru à La Martinière, ou que La bande dessinée, son histoire, ses maîtres, paru chez Skira/Flammarion, cet énorme album de plus de 500 pages, dirigé par Gianni Bono et Matteo Stefanelli, est rédigé par les meilleurs spécialistes cisalpins, et déborde d’une iconographie superbement reproduite, souvent en très grand format. L’ouvrage prend le parti d’une approche par auteurs, à l’intérieur d’un cadre historique, approche qui peut susciter la méfiance d’un lecteur français habitué à des dictionnaires d’auteurs qui sont des compilations sans propos véritable, mais qui dans le projet éditorial de Fumetto! se justifie pleinement.
La bande dessinée italienne est découpée en dix périodes, qui parfois se chevauchent. Pour chaque période, on trouve une histoire générale, suivie des fiche des auteurs saillants qui sont en réalité de petites monographies, qui complètent par conséquent le tableau historique.
L’illustration est au cœur du propos. Elle va de cases très agrandies à des reproductions systématiques des numéros un des principales publications. De cette façon, le lecteur a réellement une vision de ce que fut cette littérature, dont les spécificités éditoriales et esthétiques sont mises en évidence.
Le lecteur français devra naturellement tenir compte des particularités de la culture italienne (on distribue du « maestro » à tour de bras). Cela n’empêche nullement les auteurs de cerner les hiérarchies et de mettre en évidence les apports propres à chaque auteur.
Achevons sur deux critiques. Il nous semble d’abord que la place faite aux fumetti neri est quelque peu disproportionnée, mais un Italien en jugera sans doute autrement. Ensuite, quelques auteurs nous semblent manquer à l’appel, mais on sait bien qu’on ne peut pas « mettre tout le monde ». Auraient à notre avis mérité leur entrée Egidio Gherlizza (Serafino), Sergio Asteriti (Bingo Bongo), Guglielmo Letteri (Tex Willer).
À la fin de l’ouvrage on trouvera des articles brefs sur les rapports entre la bande dessinée et les autres domaines artistiques et des fiches sur les éditeurs et les personnalités. Et on achève sur les Italiens en Argentine, la bande dessinée italienne en France, les Italiens en Angleterre et dans le monde, les Disney made in Italy, par leur thuriféraire, Lucca Boschi.

2.2.7. Japon

 

Les mangas
Fabien Tillon
Nouveau Monde Éditions, collection Les Petits Illustrés, 2005

Dans la même collection qu'un Goscinny, et du même auteur, bref article sur le manga, ses perspectives et les raisons de son succès, honnête travail de journaliste.

 

Les Mondes Manga
Jérôme Schmidt, Hervé Martin Delpierre
EPA, 2005

Epais livre d'images sur les mangas à la mode et le phénomène Cosplay (les gens qui s'habillent en personnages de mangas).

 

Le Guide Phénix du manga
Asuka, 2005
Nouvelle édition 2006

Signé par un mystérieux « collectif d'auteurs », il s'agit d'une bible de plus de 600 pages comprenant articles généralistes et un catalogue des mangas parus en France, utile au collectionneur complétiste, mais totalement dépourvu d'analyse ou de perspective critique.


Culture manga
Fabien Tillon
Nouveau Monde Éditions, 2006

Gros album d'images qui a le mérite de relier le manga avec la culture graphique japonaise (les rouleaux peints, les estampes). Plus discutables sont les aperçus économico-sociologiques sur les raisons du succès des mangas.


Guide des mangas : les 100 séries indispensables
Julien Bastide, Anthony Prezman
Bordas, 2006

Cent « indispensables » classés par type de lectorat, chaque série faisant l'objet d'une double page de présentation. Complété par un chapitre sur les douze principaux mangaka.

Les cent mangas sont plutôt bien choisis.

 

Le manga
Stéphane Ferrand, Sébastien Langevin
Les Essentiels Milan, 2006

Honnête introduction par deux anciens de la revue Le Virus manga, qui était loin d'être la plus sotte sur le sujet. Utile pour la personne désireuse de s'initier au domaine et qui ne disposerait que d'une demi-heure. On regrettera quelques négligences de style (les auteurs confondent « passionnel » et « passionnant »), des flottements sur des points de culture (les kanji sont qualifiés successivement d'« alphabet » et d'« idéogrammes »), quelques erreurs factuelles (Norakuro est attribué à Nakataro Takamizawa), et des raccourcis elliptiques sur des points d'histoire (l'éditeur Viz, introducteur du manga aux Etats-Unis, est expédié en une phrase, alors qu'on nous dit qu'il se vend désormais plus de mangas dans ce pays que de comic books). On regrettera enfin que le volume soit si mal illustré, ce qui le rend peu informatif. Par exemple, un petit pavé sur le strip classique Fuji Santorô est surmonté d'un strip du très avant-gardiste Kotobuki Shiriagari.


Mille Ans de manga
Brigitte Koyama-Richard
Flammarion, 2007

Sous la forme d'un « beau livre », exploration des sources iconiques du manga, traitée par une universitaire spécialiste d'histoire de l'art, et donc sur des bases moins chancelantes que le Culture manga de Fabien Tillon (voir plus haut). Le texte est maintenu dans des limites étroites, ce qui est en l'occurrence une bonne idée, puisque cela permet de reproduire un maximum de documents qui parlent d'eux-mêmes, la problématique de la citation des sources anciennes par les mangas modernes, en particulier, traversant l'ouvrage.

On commence donc avec le livre à l'époque d'Edo, on passe par les lanternes magiques, les manga de Hokusai, les estampes, les européens Wirgman et Bigot, le fondateur japonais Rakuten Kitazawa, le manga avant et après-guerre et on finit par un tour d'horizon du manga actuel. La qualité d'historienne de l'art de l'auteur l'autorise à énoncer des choses qui sont parfois de bonnes évidences mais que la littérature fanique n'arrive pas à conceptualiser, par exemple l'influence évidente de Mucha sur des auteurs comme ceux du studio Clamp.

Pour le manga d'avant-guerre, l'auteur a puisé abondamment à la collection de Reiji Matsumoto (l'auteur de Galaxy Express 999, grand collectionneur devant l'éternel). On peut regretter que les scans soient parfois peu définis et aussi que l'auteur ne montre trop souvent que les couvertures, alors que la reproduction d'une ou deux planches en petit format permettrait de prendre connaissance de l'œuvre.

La partie la moins intéressante du livre est celle sur le manga contemporain, l'auteur nous proposant un tour d'horizon de l'industrie, plus une typologie des genres sur lesquels existe déjà une abondante littérature.

Cela n'empêche nullement que Mille Ans de manga est un ouvrage indispensable pour le lecteur occidental.


Europe Japan
Paul Herman
Glénat, 2009

Catalogue bilingue (français-japonais) d'une exposition censée confronter la vision de l'Occident dans les mangas et la vision du Japon dans la bande dessinée franco-belge, travail de documentaliste, où il ne faut pas chercher davantage qu'une collection d'images, alourdies de coquilles et inexactitudes diverses.


L'ANIMATION JAPONAISE DU ROULEAU PEINT AUX POKÊMON
Brigitte Koyama-Richard
Flammarion, 2010

Brigitte Koyama-Richard avait publié en 2007 chez Flammarion l'excellent Mille Ans de manga. La nouvelle incursion de cette universitaire, spécialiste de l'estampe japonaise, dans le domaine du récit imagier nippon révèle le même souci pédagogique et documentaire que son précédent ouvrage. L'auteur reprend l'ensemble des procédés donnant l'illusion du mouvement, importés d'Europe au Japon, les boîtes d'optique, les petits théâtres d'ombres chinoises, les lanternes magiques, et même les automates. Elle passe ensuite aux joujoux scientifiques que l'on tient pour les ancêtres du cinéma, phénakistiscope, zootrope et autres praxinoscopes. Suit un panorama historique des différentes maisons de production japonaises de dessins animés, pour le cinéma puis pour la télévision, avec visite des lieux pour les société encore existantes et interview des créateurs et des décisionnaires. (Manquent cependant les studios Ghibli, l'auteur ayant trouvé porte close.) Un chapitre est consacré à l'animation de poupées en stop motion, dont le maître est Kihachirô Kawamoto.
Le rouleau peint japonais est donné comme l'ancêtre à la fois du manga et du dessin animé, ce qui est en l'occurrence une excellente intuition. Le lecteur pourra en juger du reste, puisque est donné in extenso un e-maki, celui consacré au monstre Shuten Dôji (1695), dont la proximité avec les manga et l'anime saute aux yeux, tant sur le plan technique que sur le plan thématique. La leçon qui se dégage de l'ouvrage de Brigitte Koyama-Richard est en effet que si les Japonais sont les maîtres du récit imagier (en bande dessinée et en dessin animé) c'est parce qu'ils sont fermement ancrés dans leur culture imagière, et non parce qu'ils seraient passés maîtres dans l'imitation et le remploi des techniques et du savoir-faire occidentaux.
Notons pour finir que le lecteur un peu débrouillard et disposant d'internet pourra poursuivre l'investigation à partir de l'ouvrage, en saisissant sur google video les noms des pionniers du dessin animé japonais, et en regardant les extraits de films que des fans extatiques n'ont pas manqué de mettre en ligne.


MANGA : HISTOIRE ET UNIVERS DE LA BANDE DESSINÉE JAPONAISE
Jean-Marie Bouissou
Philipe Picquier, 2010

La particularité de l'ouvrage de Jean-Marie Bouissou consacré aux mangas est qu'il applique un programme fort de sociologie de la littérature, en liant le contenu des bandes nippones à la psyché, à la culture et à l'histoire sociale des Japonais. L'auteur tâche d'éclairer ainsi les spécificités du manga en s'adressant à un lecteur français théorique, qui serait amateur de bande dessinée franco-belge, mais qui se montrerait déconcerté ou rebuté par les littératures dessinées japonaises.
Le fait est que le Japon fait partie d’une aire civilisationnelle qui n'est pas l'aire occidentale, même si, comme l’écrit Jean-Marie Bouissou, il balance entre l’Occident et sa source asiatique. Cependant l'ouvrage de M. Bouissou amène à s'interroger si l'on peut expliquer de façon satisfaisante une littérature par le fait social.

Les littératures dessinées traditionnellement consommées en France provenaient d’Europe, des États-Unis et, marginalement, d’Amérique latine. La proximité culturelle des pays-source avec le nôtre va parfois jusqu'à l'indistinction. Ainsi, l’Italie, qui a nourri pendant un demi-siècle la bande dessinée populaire, apparaît fumettologiquement parlant comme un double pur et simple de la France et, dans les années 1950, on prend le même plaisir à lire Blek le Roc (Il Grande Blek) ou les aventures de Pipo et Concombre (Cuccioli et Beppe), qu'on habite Trévise ou Amiens. Le cas des États-Unis est un peu différent ; ils appartiennent au Nouveau Monde. De fait, la lutte contre les bandes américaines, perçues comme profondément étrangères au génie national, et imbues de sensations troubles servies par une esthétique alarmante, apparaît comme un élément fédérateur des diatribes contre la BD. Si les éducateurs français ont glapi contre les strips américains depuis les années 1930 jusqu’à la fin des années 1960, les propres exégètes de la BD, les Couperie et les Moliterni, vitupéraient encore le comic book, au début des années 1970, croyant faire la part du feu. Et pourtant les États-Unis sont, civilisationnellement, une extension de l’Europe. La société, les mœurs sont un peu différentes (les comics prouvent par exemple que, aux États-Unis, les filles sont beaucoup plus libres que leurs consœurs de l'Ancien Monde). Mais la culture est commune.
le Japon, lui, est réellement différent. Il faut donc — et c'est à quoi s'emploie Jean-Marie Bouissou — expliquer au lecteur français, supposé ignorant des choses nippones, pourquoi, dans les mangas, le Bien et le Mal sont relatifs et pourquoi l'important est d'aller jusqu'au bout de sa quête, ou bien pourquoi la figuration de la nudité, de la sexualité ou de la scatologie ne pose pas de problème particulier dans une société qui ne connaît pas l'interdit judéo-chrétien.
Cependant le programme que se fixe Jean-Marie Bouissou n'est pas sans soulever d'épineuses questions. À expliquer l'intégralité des séries parues au Japon depuis 1945 par les aléas de l'histoire (la défaite, la bombe atomique), de l'économie (le miracle économique, la crise) ou de l'histoire sociale (l'essor du salaryman, la désillusion des contestataires des années 1960, les générations sacrifiées de la crise), on s'expose tôt ou tard à faire entrer des objets carrés dans des trous cylindriques. L'extraordinaire récit de Kazuo Umezu, L'École emportée (1972-1974), résulte-t-il réellement de la catharsis des combats perdus (défaite de 1945, échec du Mai 1968 japonais) ? Et le genre post-apocalyptique sert-il vraiment dans l'esprit d'Umezu à dénoncer le Japon capitaliste ? Si l'on excepte les préoccupations écologiques explicites de l'auteur, le récit donne plutôt le monde d'origine des enfants comme un paradis perdu et le monde futur dans lequel ils sont jetés comme un enfer, enfer que leur destin est pourtant de coloniser. La lecture "défaitiste" du récit semble ici bien proche du contresens.

En somme, l'analyse sociologique de M. Bouissou apparaît convaincante tant qu'on demeure dans de grandes généralités (la génération du gekiga, les dessinatrices de "l'an 24"). Mais quand on pousse l'analyse jusqu'aux œuvres, la démarche trouve rapidement ses limites, précisément parce qu'une œuvre littéraire n'est jamais la stricte fonction de ses conditions de production, fussent-elles idéologiques.
L'autre écueil auquel achoppe Jean-Marie Bouissou est la définition en creux de son destinataire, cet hypothétique Français rétif aux mangas. C'est lui-même en réalité, que l'auteur prend comme cobaye, en tant qu'amateur de BD "moyen", se déclarant féru de Bourgeon, Bilal, Moebius... Mais les réactions de surprise de cet honnête homme du début du XXIe siècle devant les singularités du manga paraissent parfois convenues. Dans l'analyse des codes du manga, c'est toujours l'exception qui est prise pour norme (la destructuration du shôjo manga, le cinétisme d'un Ryôichi Ikegami). Mais un amateur de BD non lecteur de manga, qu'on aura mis devant un récit de Tezuka ou d'Ishinomori, ne sera guère dépaysé par la narration et, selon toute probabilité, trouvera tout au plus que "c'est mal dessiné", les codes graphiques et les standards de production différant de ceux auxquels il est habitué.
En sens inverse, quand Jean-Marie Bouissou, parlant cette fois avec la voix de l'expertise, tente de montrer en quoi c'est la bande dessinée occidentale qui diffère du manga, il hasarde des propositions intenables. En particulier, les nombreuses références qu'il fait à la censure des littératures dessinées en France apparaissent comme des contresens, l'auteur ne comprenant pas comment fonctionne la Commission de surveillance. M. Bouissou va jusqu'à écrire p. 127 que « en France où leurs héros de papier auraient été refoulés par la censure, ils [les éditeurs japonais] sont entrés par la télévision ». La Commission de surveillance française ne s'occupait pas de l'origine des bandes, qu'elle était du reste incapable d'appréhender, et l'arrivée du manga, en 1979, via la revue suisse Le Cri que tue n'entraîna aucune protestation des rapporteurs de la Commission, mais seulement une mévente complète.
Cette faible connaissance en matière de bande dessinée occidentale (l'auteur s'en excuse du reste dans son avant-propos) amène des erreurs d'appréciation et des erreurs de faits. Spécificité japonaise, l'importance culturelle des mangas ? Mais l'importance culturelle des comics ne fut pas moindre aux États-Unis. Retard de dix ans des Américains par rapport aux Japonais quant au récit confessionnel (p. 353) ? C'est oublier l'underground. Binky Brown Meets the Holy Virgin Mary, de Justin Green, paru en 1972, est confessionnel. Crumb entame ses propres confessions dessinées la même année. Disparition en France de la BD pour filles au début des années 1960 (p. 245) ? C'est dix ans trop tôt. Même Âmes Vaillantes n'a pas disparu au début des années 1960, en dépit de ce que soutient l'auteur. Le journal est devenu J2. Sacrilèges, en Occident, les machines dotées d'une âme, et donc vouées à la folie (p. 198) ? Mais l'ordinateur HAL dans 2001 l'odyssée de l'espace ne devient pas fou, comme le croit l'auteur, qui n'a pas lu les romans d'A. C. Clarke. Et les robots ont une âme dans les pulps américains et dans les comics qui en furent tirés, comme en témoigne l'Adam Link de Eando Binder dans Amazing Stories (1939-1942).
Ne cherchons pas une mauvaise querelle à M. Bouissou. Alors même que l'université française traite aujourd'hui assez souvent de la bande dessinée, elle se condamne dans ce traitement à un regrettable amateurisme. Tant qu'elle n'aura pas créé d'enseignement spécifique (en clair de chaire de littérature dessinée comparée), le plus scrupuleux des universitaires s'exposera à des bévues qui, si elles sortaient de la plume d'étudiants de 1e année, seraient sévèrement sanctionnées.
Regrettons pour finir, quitte à passer pour rustre, des coquilles ou des maladresses provenues d'une rédaction sans doute quelque peu hâtive. Les yeux des personnages de mangas sont des "icônes symboliques" (p. 159), étrange agrégat conceptuel dont un sémiologue peinerait à tirer du sens. Castigat ridendo mores ne signifie pas : "Je corrige les mœurs en faisant rire." (p. 192.) Il y a là deux fautes de version latine. Plus insolite est la "morale sexuelle judéo-chrétienne" juxtaposée à "sa vision manichéenne du Bien et du Mal" (p. 278). Le manichéisme, doctrine dualiste du IIIe siècle, est sans rapport avec le judéo-christianisme, qui désigne des personnes, ou des groupes, ou une théologie, qui font le lien entre christianisme naissant et judaïsme. Ce n'est pas le docte universitaire qui nous parle de la "vision manichéenne du Bien et du Mal" dans le christianisme, c'est l'ancien lecteur de Pilote.


KAMI ET MECHA : IMAGINAIRE JAPONAIS
Yellow Submarine n° 135, 2011

Plus de 200 pages bien tassées sur l'imaginaire fantastique japonais, dont une histoire de la science-fiction japonaise (Tony Sanchez), une histoire du robot japonais (Raphaël Colson) l'œuvre de Tezuka (M. Hirtz), le manga d'horreur (Anne Adam), les superhéros japonais (Julien Sévéon), la réception de la culture populaire nippone en France (Olivier Richard).


2.2.8. Autres pays


BD Mex, BD d'auteur mexicaine
Éric Samson, Ernesto Priego
Centre culturel du Mexique/Albatros, 2002

Catalogue de l'exposition consacrée à la bande dessinée d'auteur mexicaine, organisée par le Centre culturel du Mexique de Paris et Albatros diffusion, du 22 mars au 1er juin 2002.


La Nouvelle Bande dessinée finlandaise
Kirsi Kinnunen
Ambassade de Finlande en France, 2006

Petite plaquette de 30 pages publiée à l'occasion d'une exposition au 33e festival d'Angoulême. Notices sur douze auteurs avec une page d'illustrations.


Historieta : regards sur la bande dessinée argentine
Collectif
Vertige Graphic, 2008

Supplément — plutôt que catalogue — à une exposition à la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image, en 2008, ce bel ouvrage très illustré fascinera les amateurs de bande dessinée populaire, car il met au jour une sorte d'écologie parallèle, où l'on retrouve, comme dans les littératures dessinées d'aires culturelles plus familières, des ponts interculturels (en Argentine, l'influence des comic strips américains voisine avec celle des histoires en images européennes) et des niches écologiques caractéristiques (par exemple la revue bien pensante, soignée mais contrainte, et la revue plus interlope, mais qui ménage des espaces de liberté).

HISTOIRE DE LA BANDE DESSINÉE SUÉDOISE
Frédérik Strömberg
PLG, collection Mémoire Vive, 2015

Courte histoire de la bande dessinée suédoise, valant par sa riche iconographie, de la main d’un Suédois dont le souci est naturellement de présenter les auteurs importants de son pays.
Comme la plupart des pays européens, la Suède a connu au XIXe siècle un beau bouquet d’histoires à texte sous l’image, d’inspiration töpferrienne. Le strip se développe dans les journaux quotidiens à la fin des années 1920. L’influence d’Alex Raymond se fait sentir sur les auteurs du cru dans les années 1940. Les années 1950-1960 voient le triomphe d’une bande dessinée populaire et de qualité, qui naturellement effarouche professionnels de l’enfance et bien-pensants.
L’album ne se développe qu’au début des années 1970, les revues destinées aux adultes dans les années 1980.
Le tour d’horizon des dessinateurs actuels (qui sont souvent des dessinatrices) brouille cette belle ordonnance, car les facteurs esthétiques et éditoriaux deviennent trop nombreux, de sorte que se côtoient style punk, manga à la suédoise, album franco-belge, tandis que se développent autobiographie dessinée, reportage dessiné, et autres romans graphiques.
Remarquable bibliographie des bandes suédoises traduites en français et en anglais.


2.3. Études de revues et des éditeurs

 

Foul Play : The Art and Artists of the Notorious 1950s EC Comics
Grant Geissman
Collins Design, 2005

Sur près de 300 pages en couleur, anthologie des grands dessinateurs des EC Comics avec un aperçu biographique complet et documenté.


The World on Sunday : Graphic Art in Joseph Pulitzer's Newspaper (1898-1911)
Nicholson Baker, Margaret Brentano
Bulfinch Press, 2005

De grand format (32X35 cm) et entièrement en couleur, ce beau livre ne présente pas seulement les comics du supplément dominical en couleur du World d'avant la première guerre mondiale, mais des échantillons bien reproduits et au texte parfaitement lisible (encore que le lecteur voudra certainement s'aider d'une loupe) de l'ensemble de cette section magazine du célèbre quotidien new-yorkais. Reportages sensationnalistes, page enfantine (avec des BD, mais aussi des jeux, des sujets à découper, des vers de mirliton, etc.), spéculations scientifiques, etc. L'ouvrage est rédigé du point de vue du designer (« the art designer fluidly combines columns of text and black-and-white photographs with clear-lined, simple drawings... »), mais il est évidemment passionnant pour l'historien et pour le simple amateur de BD qui ne consultera jamais une collection du World on Sunday à la Bibliothèque du Congrès mais qui en trouvera dans ce livre un équivalent virtuel.


Les Editeurs de bande dessinée : Entretiens avec Thierry Bellefroid
Thierry Bellefroid
Niffle, collection Profession, 2005

Interviews de dix éditeurs ou responsables éditoriaux, présidant aux destinées de L'Association, Cornélius, Delcourt, Frémok, Glénat, Soleil, Casterman, Dargaud, Dargaud Bénélux/Kana, Les Humanoïdes associés, plus l'histoire du rachat de Dupuis par le groupe Média-Participations en 2004. On comparera avec profit les propos de JC Menu (L'Association) :« On ne fait pas des livres pour être compris, ni même lus, d'ailleurs... » et de Mourad Boudjellal (Soleil) : « Je ne sais pas quand, je ne sais pas avec qui, je ne sais pas comment, mais je serai un jour le numéro 1 dans l'édition de bande dessinée. »

Les portraits en BD d'éditeurs par leurs auteurs sont souvent fort savoureux.


Vaillant le journal le plus captivant : 1942-1969 : la véritable histoire d'un journal mythique
Hervé Cultru
Vaillant Collector, 2006

Une histoire du journal Vaillant passionnante et érudite de près de 300 pages, comprenant une analyse de contenu (l'histoire, l'humour, le sport, la science, le nonsense, etc.), mais aussi une histoire économique et institutionnelle (l'Union des Vaillants et Vaillantes, la vente militante, les tournées promotionnelles, etc.), avec à la clé de nombreuses révélations et anecdotes savoureuses. L'auteur a sérieusement mené ses recherches et chaque acteur important de l'histoire du journal a droit à son encadré.

Le regard d'Hervé Cultru est celui de l'historien professionnel, ce qui lui permet de montrer la cohérence entre le contenu rédactionnel et la partie bande dessinée, et de mettre en lumière l'évolution iconographique, le modèle du newspaper strip s'effaçant progressivement au profit de la bande dessinée belge.

Quelques réserves cependant. Pour commencer, le lecteur devra faire la part d'une culture ouvrière forte, celle du Nord, qui amène chez l'auteur un ton apologétique ou alternativement un certain embarras quand il aborde les sujets qui fâchent.

Ensuite, le problème de la rétribution des auteurs est insuffisamment abordé. On croit comprendre qu'elle est très variable d'un auteur à l'autre, qu'on est en général mal payé mais que les vedettes touchent des « piges » substantielles et on aimerait savoir selon quels critères celles-ci étaient attribuées.

Enfin, la rapide présentation de la campagne anti-BD de l'après-guerre est fortement biaisée, pour ne pas dire aberrante, et l'auteur semble victime ici d'une approche révisionniste de la question à laquelle la stripologie, science naissante, était évidemment plus exposée que des domaines plus traditionnels. Qualifier Georges Sadoul de polémiste anti-BD « talentueux », puis tenter de justifier la polémique par le « danger idéologique des feuilles d'Opera Mundi », c'est recourir à la pire langue de bois, et l'auteur aggrave son cas en déclarant la crainte d'une invasion de BD américaines après guerre « bien fondée ». Heureusement, M. Cultru est trop bon historien pour errer longtemps et il cite aussitôt après des faits qui infirment une conception manichéenne de la question. René Moreu tente en vain d'acheter du strip à Paul Winkler... qui refuse de lui en vendre. Et la référence du journal est bien le strip d'aventures réalistes à la Tarzan, à la Prince Valiant ou à la Flash Gordon, ce qui revient à dire que le journal publie ce que ses dirigeants condamnent au nom de la protection morale de l'enfance, contraignant ses rédacteurs à des contorsions hilarantes pour expliquer qu'il y a de bons et de mauvais Tarzans !

Ces critiques ne sont que de détail. L'ouvrage d'Hervé Cultru est un excellent tour d'horizon de ce qui reste, tout compte fait, comme le fleuron de la culture communiste française d'après-guerre.


Le journal Tintin : les coulisses d'une aventure
Dominique Maricq
Éditions Moulinsart, 2006

Une histoire du journal Tintin, de sa naissance à 1965, sérieusement faite, à l'iconographie intelligemment choisie, factuellement sans défaut, mais qui n'apprendra rien à qui possède quelques archives sur Hergé et l'école belge.

Le gros point noir du volume est le style, publicitaire, emphatique, niais et ultra-triomphaliste, qui porte rapidement sur les nerfs. On peut raisonnablement supposer que le chaland qui achète un tel ouvrage n'a pas besoin qu'on lui rappelle à chaque page que le journal Tintin est non seulement le plus bel illustré du monde, mais également l'incarnation de la civilisation en marche !

Dominique Maricq considère en somme l'amateur de bande dessinée belge comme un croyant aux convictions chancelantes, qu'il faudrait constamment ranimer dans sa foi.

En prime, le numéro un du journal de Tintin belge, en fac-similé.


Raymond leblanc le magicien de nos enfances : la grande aventure du journal Tintin
Jacques Pessis
Éditions de Fallois, 2006

Biographie de Raymond Leblanc, contrée sur son activité d'éditeur et de producteur de dessins animés, écrite par un journaliste spécialiste de l'histoire du music-hall.

Le travail de Jacques Pessis si on en juge par les remerciements en fin de volume, est basé sur des entretiens avec Raymond Leblanc revus par les filles de l'éditeur, entretiens complétés par les témoignages de Paulette Smetts, directrice de Belvision, et de Guy Dessicy, de l'agence de publicité Publi-Art. Pessis a aussi consulté les archives de la fondation Hergé.

L'amateur de bande dessinée belge lira cette biographie riche en anecdotes avec beaucoup de plaisir. L'historien la prendra avec moultes précautions.

On regrettera quelques erreurs factuelles pour ce qui concerne la bande dessinée. Si Cuvelier rejoint bien le journal Line en 1962, ce n'est pas avec Le Secret du boucanier, mais avec La Maison du mystère. On s'amusera de voir, p. 68, le dessinateur Loys Petillot devenir Loys et Pétillot.

Préface de Philippe Geluck.


PLG 32 ans de bande dessinée
PLG, collection Mémoire vive, 2010

À l'occasion de son trente-deuxième anniversaire, la maison PLG vous invite à lire son histoire, écrite par ses membres et documentée par ses auteurs. Si vous êtes aujourd'hui un professionnel de la bande dessinée, c'est parce que vos premiers travaux, quand vous étiez encore étudiant, sont parus dans PLG.

22 bandes dessinées parues dans PLG sont reproduites. Entretiens avec Gaudelette père et fils.


LE ROCAMBOLE N° 52/53, Association des Amis du Roman Populaire, automne-hiver 2010

Après une présentation des éditions Offenstadt, le gros du dossier est une chronologie descriptive par Jean-Louis Touchant de la revue L’Épatant, de plus de 150 pages en tout petits caractères, un travail remarquable, mais d’une lecture très austère, même pour l’amateur aguerri, d’autant que l’on conclut de tout cela que l’épine dorsale de L’Épatant était composée des bandes dessinées de Louis Forton et des romans feuilletons de José Moselli, ce dont on se doutait bien un peu.
Suit une hagiographie de La Semaine de Suzette, par son hagiographe attitrée, Marie-Anne Couderc, intéressante car cette revue est un peu négligée par la stripologie. Les revues Pilote et Vaillant/Pif Gadget ont par contre été abondamment traitées dans la littérature seconde et nos spécialiste, Raymond Perrin (pour Pilote) et Hosseïn Tengour (pour Vaillant/Pif Gadget), peinent quelque peu à trouver du neuf.
On trouvera aussi, en complément au dossier, une petite nomenclature très complète des super-héros américains publiés en France entre 1939 et 1949, et un article intéressant mais difficile à démêler sur la revue Siroco, qui ne contenait pas de bande dessinée.

L'ASSOCIATION : UNE UTOPIE ÉDITORIALE ET ESTHÉTIQUE
Sous la direction d’Erwin Dejasse, Tanguy Habrand et Gert Meesters
Les Impressions nouvelles, 2011

L’année 2011 aura été une année importante pour L’Association et pour Jean-Christophe Menu. Ce dernier a soutenu sa thèse de doctorat en Sorbonne en janvier, et il s’est retiré de la structure éditoriale dont il était l’âme en mai. Le moment n’est pas mal trouvé pour faire un livre sur le petit éditeur unanimement crédité d’avoir lancé la bande dessinée d’auteur. C’est ce à quoi s’est appliqué le collectif liégeois ACME.
Le groupe ACME entend étudier la bande dessinée « en soi », au lieu de l’utiliser à fin d’illustration de « thèses hégémoniques ». (C’est à peu près ce que prétendaient faire MM. Morgan et Hirtz quand ils notaient dans Les Apocalypses de Jack Kirby, Les Moutons électriques, 2009, p. 12, que la stripologie est une science autotélique, c’est-à-dire que l’investigation « a pour finalité la connaissance des récits dessinés eux-mêmes et non de leurs sources ni d’aucun autre élément périphérique (par exemple ce que ces récits révéleraient de l’imaginaire de leur société ».) ACME, quant à lui, revendique une approche pluridisciplinaire (sociologique, institutionnelle, esthétique, historique, etc.). Mais concrètement le discours des chercheurs est structuré d’une part par une approche socio-économique et d’autre part par une approche sémiotique. La première de ces préoccupations explique la place éminente que tiennent dans l’ouvrage les péritextes de l’éditeur (catalogues, bons de commande, primes, suppléments divers). La seconde explique que, dans les études d’auteurs, soient privilégiées la planche et la case. Et la première de ces approches le cède progressivement à la seconde à mesure qu’on avance dans l’ouvrage.
Si la notion d’utopie éditoriale annoncée dans le titre de l’ouvrage évoque irrésistiblement l’utopie sonore du catalogue de l’éditeur de musique Frémeaux et associés, le propos de nos théoriciens est plutôt de mettre en lumière la cohérence du projet éditorial de L’Association. À cet égard, nos auteurs évitent de survaloriser les vedettes ou les best-sellers, qui sont traités à leur place, dans les analyses d’auteurs ou dans les articles thématiques. Pour ce qui est de l’approche socioéconomique, le fil conducteur de nos théoriciens est le subtil équilibre de L’Association entre rupture affichée et réalités économiques (celles-ci incluant, le cas échéant, le succès commercial). Du côté de la création, nos chercheurs mettent en lumière le goût pour le détournement, la parodie, la contrainte, mais aussi la mise en scène d’eux-mêmes par les auteurs (article d’Erwin Dejasse sur l’autobiographie dessinée), ainsi que la capture de la réalité et le style « sur le vif » (étude sur le reportage dessiné par David Vrydaghs). Il arrive cependant que la méthodologie convoquée donne peu de résultats, et nous avouons ne savoir que penser des savants comptages par Gert Meesters, censés cerner la spécificité de la narration imagière des auteurs de L’Association par comparaison à un corpus de référence (l’hebdomadaire Tintin/Hello Bédé).
L’article conclusif de Dick Tomasovic, ostensiblement consacré à Shenzen de Guy Delisle, déborde son sujet et offre du coup une excellente analyse du style Association. Guy Delisle appartient à L’Association sur le plan stylistique par « la revendication du crayonné et de l’esquisse comme dessin terminé, le récit par épisodes sous forme de journal quotidien, la dérision réflexive comme point de vue sur le monde, le goût du détail qu’il soit graphique ou narratif et le recours général à la synecdoque ou la métonymie pour exprimer la subjectivité ». Quant aux choix éditoriaux de L’Association, ils sont caractérisés par « l’étrangeté des traits dessinés, le goût de l’anecdote aux dépens de la grande forme du récit, la réinvention perpétuelle des mises en page, la variété des formats des ouvrages, la revendication d’une morgue ironique envers le champ de la bande dessinée, le ludisme laborieux des exercices oubapiens (...), les démarches visant à accrocher le regard et la lecture ».


MON CAMARADE, VAILLANT, PIF, L'HISTOIRE COMPLÈTE 1901-1994,
Richard Medioni
Vaillant Collector 2012

Richard Medioni entra aux éditions Vaillant en 1968 et fut rédacteur en chef de Pif Gadget entre 1971 et 1973. Il est déjà l’auteur de Pif Gadget, la véritable histoire des origines à 1973, Vaillant Collector, 2003, que l’on complètera par la lecture de l’ouvrage de l’historien Hervé Cultru, Vaillant le journal le plus captivant, 1942-1969, la véritable histoire d’un journal mythique, Vaillant Collector 2006, et par la collection reliée des 25 numéros du fanzine (et webzine) Période rouge.
Avec Mon camarade, Vaillant, Pif Gadget, l’histoire complète 1901-1994, c’est une histoire exhaustive des illustrés « progressistes » que nous propose M. Medioni, depuis le cégétiste Jean-Pierre, dont le premier numéro paraît en décembre 1901, en passant par  Les Petits Bonshommes,  Le Jeune Camarade, lié aux Jeunesses communistes, Mon Camarade, créé en 1933 et dirigé par Georges Sadoul, Le Jeune Patriote, publié pendant la guerre, jusqu’à Vaillant et Pif, la carrière de cette dernière publication étant vue de l’intérieur. Le tout fait plus de 550 pages.
L’ouvrage est naturellement une mine d’anecdotes qui raviront le lecteur. On apprend ainsi qu’à l’époque des attentats de l’OAS le dessinateur Jean Tabary montait la garde aux éditions Vaillant, fusil à la main, ou encore que le petit format carré Pif Poche, une mine d’or pour l’éditeur, et une excellente occasion de recycler de vieux strips de L’Humanité, fut conçu à l’imitation de la célèbre collection d’ouvrages pratiques Marabout Flash.
On ne songera pas à reprocher à l’auteur le défaut de recul critique, compte tenu de son implication dans l’aventure. M. Medioni rechigne même à reconnaître que le style « réaliste » de Vaillant s’inspire des sunday pages américaines réalisées dans le style de l’illustration réaliste, comme Prince Valiant. Et du coup notre auteur se désole que le Jérémie de Paul Gillon n’ait pas eu le succès critique qu’elle méritait auprès des lecteurs de Pif, sans apparemment se rendre compte que le dispositif de cette série, avec ses images impeccables accompagnées de récitatifs en style ouvragé (« Dans l’éblouissement du soleil surgit une vétuste galiote qui met rapidement à la cape ») a dû profondément déconcerter les petits lecteurs français de la fin des années 1960.
Plus gênante est la volonté apologétique quand elle fait fi de la connaissance historique des fictions populaires. Prétendre que « ce qui est stupéfiant pour l’époque (1939), c’est que les indiens de Jim Mystère [de Bob Dan] sont présentés comme des hommes fiers, généreux, courageux, etc. », c’est véritablement tout ignorer de l’histoire du western européen.


L’AVENTURE (A SUIVRE)
Nicolas Finet
PLG, 2017

Édition revue et augmentée, à l’occasion du 40e anniversaire de la revue, d’un ouvrage de 2004. Une histoire de la revue (A Suivre), entrecoupée de 25 entretiens avec les auteurs historiques du mensuel, entretiens qui contrebalancent le ton quelque peu apologétique qu’emploie l’historien. Sont mis en exergue 39 portraits de personnages et 11 auteurs de la revue, chacun étant présenté en une page. L’auteur a très heureusement renoncé à un « pendant ce temps » consacré à l’actualité nationale et internationale qui n’apportait rien au propos.


PUBLIER LA BANDE DESSINÉE
LES ÉDITEURS FRANCO-BELGES ET L'ALBUM, 1950-1990

Sylvain Lesage
Presses de l'Enssib, Collection Papiers, 2018

Très complète histoire de l’album franco-belge sur la période de l’après-guerre, l’auteur se reposant sur sa thèse de doctorat, mais ayant l’intelligence de fabriquer un ouvrage autonome, de sorte que le lecteur éclairé aura intérêt à consulter et la thèse et le livre.
L’auteur appartient à la confrérie des historiens du livres qui se penchent sur les publications populaires et qui travaillent à partir des archives des éditeurs. Dans une telle optique de recherche, l’album est un objet d’étude commode, car le corpus est facilement délimitable à l’aide des catalogues d’éditeur, et facilement accessible, les albums ayant vocation à être conservés, alors que le périodique apparaît, en comparaison, un matériau amorphe (quantité, problème de datation et de repérage du contenu, caractère de mélange de ce contenu). En sens inverse, le choix de l’album est problématique, puisque cette forme éditoriale est, au départ de la période considérée, en réalité marginale, et l’auteur se tire d’embarras en adoptant une perspective évolutionniste et en montrant comment l’album devient la forme prédominante et même la forme standard de publication de la bande dessinée.
Une telle perspective n’a rien de critiquable en tant que telle, mais elle amène parfois l’auteur à des anachronismes. Pour ne donner qu'un exemple, l’auteur s’étonne ainsi que Hachette ne sorte plus d’album après les Mickey d’avant-guerre et jusqu’au début des années 1970. Mais pour l’éditeur, la forme normale de publication de la bande dessinée est la publication presse (Le Journal de Mickey), qui bat des records de tirage. Au surplus, la tentative au début des années 1960 de concurrencer les albums de Hergé, via les quatre albums cartonnés de Nic et Mino parus à l’enseigne des Éditions Hardi (mais avec un copyright Édi-monde) se solda par un semi-échec.
On pourrait aussi exprimer des réserves sur la question du statut culturel de l’album tel que traité par l’auteur, et faire la comparaison avec les positions moins naïves d’une Nathalie Heinich.
On regrettera pour finir un parti pris que rien ne justifie en faveur des publications communistes, au détriment des publications catholiques ou des publications « commerciales ». Ceci précisé, on ne peut reprocher à un auteur de manifester les biais de sa classe sociale ou de son institution. M. Lesage a l’avantage de faire son miel de toute fleur et, quoique citant dûment les travaux de ses prédécesseurs, il échappe à certains aveuglements typiques de la prose académique.


2.4. Études par sujets

 

2.4.1. Animaux

 

Le Chat dans la bande dessinée : De Félix à Blacksad
Julien Derouet
Éditions Cheminement, collection La Bulle Au Carré, 2008

Sous-titré « un siècle d'espièglerie féline dans le monde du 9e art », l'ouvrage présente deux courts articles, le premier sur les chats dans la bande dessinée franco-belge, le second sur les chats dans la bande dessinée américaine, et des interviews d'auteurs de bande dessinée ayant placé des chats dans leur œuvre.

 

2.4.4. Erotisme et censure


Encyclopédie de la bande dessinée érotique
Henri Filippini
La Musardine, 2006

Nouvelle édition, « augmentée et mise à jour », de l'encyclopédie d'Henri Filippini pour La Musardine (1997, 1999). La plume zélée de Christian Marmonnier, auteur des fiches sur les mangas, a corrigé un grand nombres d'erreurs, mais il en reste hélas. Erich von Gotha était déjà doté de son véritable nom, Robin Ray, dans l'édition de 1999. Par contre, l'édition de 2006 donne toujours (p. 81) Video Girl Aï comme interdit à la vente alors que cette série sentimentale n'a nullement fait l'objet d'une censure. (Confusion avec Angel d'U-Jin, qui a été interdit non pas à la vente, mais d'exposition.)


Erotic Comics : A Graphic History : Volume 1 From Birth to the 1970s
Tim Pilcher
Ilex, 2008
La BD érotique : Histoire en images Volume 1, Des origines à l'underground
Tabou, 2008
Volume 2 From the 1970s to the Present Day
Tim Pilcher
Ilex, 2008
La BD érotique, Volume 2
Tabou, novembre 2009

Deux élégants volumes à l'italienne, qui sont essentiellement des livres d'images, tracent une histoire générale de l'érotisme dans la bande dessinée (toutes aires culturelles confondues) et même une histoire générale des bandes dessinées sexuellement explicites, puisque, comme le fait remarquer Aline Kominsky Crumb dans l'avant-propos du premier volume, à propos de ses propres bandes — mais la remarque s'applique à la plupart des bandes underground —, cet art est répugnant, vulgaire, horrible, visqueux, beaucoup trop explicite, et il n'a pas vraiment pour fin d'exciter le lecteur.

Un premier chapitre historico-culturel couvre l'érotisme fin de siècle, l'érotisme chez les Romains et l'imagerie orientale (Kama-Soutra, estampes japonaises), mais aussi, dans le domaine britannique, les estampes de Hogarth ou de Rowlandson, les productions victoriennes (y compris Beardsley), les cartes postales vulgaires que les Anglais achètent sur des plages, et, dans le domaine nord-américain, les Eight Pagers, aussi appelés Tijuana Bibles (ces minuscules comics érotiques imprimés clandestinement et vendus à la sauvette), et l'art des pin-up.

Un deuxième chapitre est consacré aux revues pour hommes, Playboy, Penthouse Hustler. Curieusement, on nous montre surtout des dessins d'humour, dans des scans pas toujours irréprochables, mais Little Annie Fanny n'apparaît jamais.

Suit un chapitre sur le bondage, depuis le pionnier John Willie en passant par Erich Von Götha, Crepax et consorts, jusqu'aux auteurs contemporains (l'auteur a oublié que le volume s'arrêtait en théorie aux années 1970). Le chapitre suivant est consacré à l'underground. Un tour d'horizon de la bande dessinée européenne complète ce premier volume. Si l'auteur ne manifeste pas un goût des plus sûrs en nous montrant les piteuses bandes de Lévis, la reproduction de celles de Robert Hughes (Colber) est presque une faute d'historien, car cet auteur ne se distingue en rien d'autres mercenaires de chez CAP/IPM tels que Chris (Musquera), Jo Cordes (Pailler) ou J-H Hopper (Géron). Colber faisait partie de la masse grisâtre des pisseurs de planches.

Le volume deux, qui reprend la chronologie vers le début des années 1970, retraverse l'Atlantique et tente un tour d'horizon des comics érotiques depuis la mort du Comics Code.

Le deuxième chapitre est consacré à la bande dessinée gay et lesbienne. Le chapitre trois revient en Europe et tente un nouveau tour d'horizon, de Manara à Melinda Gebbie. Le chapitre suivant est consacré au manga. Le dernier chapitre est consacré aux bandes dessinées sur la Toile. L'auteur, qui dispose d'un peu plus de place pour son texte, en profite pour résumer des « causes célèbres » (la controverse autour de l'éditeur Fantagraphics, qui se finance en publiant des bandes pornographiques sous le label Eros Comix, les démêlés de l'éditeur britannique Knockabout avec le tribunal de l'Old Bailey et les douanes, etc.)


2.4.5. Personnages  


Signalons, parce que nous ne l'avons pas encore fait, les jolis petits albums édités par le Centre belge de la bande dessinée, dans la collection Phila-BD, reprenant un ou plusieurs timbres commémoratifs édités par la poste belge, dans un album publié simultanément dans un tirage de luxe à quelques centaines d'exemplaires et un tirage ordinaire à quelques milliers d'exemplaires. Volumes récents sur Hergé, à l'occasion du centenaire de la naissance (avec reprise sous forme de timbres des 24 couvertures des albums de Tintin), sur les expéditions d'Alix, Astérix, les duos de Cauvin, Gotlib s'en tamponne. Les premiers volumes, épuisés, remontent à 1994.


ASTERIX

 

Astérix
Le Figaro, Hors série, 2005

Cet hors série du Figaro dont les pages s'ornent de dessins immensément agrandis représentant Astérix, Obélix et tous leurs amis séduira les lecteurs hypermétropes, d'autant qu'il est inutile de lire les textes, ressassant ce qu'on a écrit maintes et maintes fois, sur la politique, les femmes, les voyages, etc. dans les aventures du petit Gaulois.

 

Astérix
Lire, Hors série, 2005

Commentaires d'Uderzo sur tous ses albums, entretien, documents divers et hommages de célébrités. Un ensemble sans surprise mais honorable.

 

Astérix ou les lumières de la civilisation
Nicolas Rouvière
Presses universitaires de France, collection Partage du savoir, 2006
Astérix ou la parodie des identités
Nicolas Rouvière
Champs-Flammarion 2008

La question de l'identité nationale hante les études astérixiennes depuis leur fondation (André Stoll, Astérix, L'épopée burlesque de la France, Complexes, 1978 [1974]). C'est véritablement à une étude de la pensée politique dans Astérix que se livre Nicolas Rouvière dans Astérix ou les lumières de la civilisation, en traitant successivement des institutions symboliques des Gaulois (bouclier, sanglier, banquet,etc.), de l'absolutisme, qui trouve sa forme la plus complète dans le césarisme des Romains, et enfin des régimes barbares (Goths, pirates, Vikings), qui constituent une contre-utopie à l'utopie gauloise. Dans une seconde partie, l'auteur situe le mythe astérixien dans l'histoire de la pensée politique française, et le met en relation avec le gaullisme, le résistantialisme, le régionalisme, l'anticapitalisme, le mendésisme. On pourra trouver plus spéculatif le chapitre sur la mémoire collective. Le bouclier arverne a-t-il réellement un rapport avec la métaphore disculpatrice du « bouclier » pétainiste ? Astérix chez les Helvètes avec le recel dans les banques suisses des biens spoliés par l'occupant ? L'œuvre entière est-elle réellement hantée par le spectre du nazisme ? On pourra en discuter. L'auteur achève son ouvrage sur la satire de l'époque dans Astérix : engouement pour la psychanalyse, Living Theatre, autogestion, statut de la femme, marketing et politique. En conclusion, Astérix est présenté comme une œuvre du juste milieu, humaniste et individualiste, à égale distance du conservatisme culturel et de l'aventurisme de la modernité.

Astérix ou la parodie des identités analyse dans une première partie les souvenirs de l'imagerie gauloise de la IIIe République qui ont nourri Astérix. L'auteur identifie les références celtisantes aux personnage du barde (notamment la légende ossianique) et du druide. Une seconde partie est consacrée aux stéréotypes des Français dans Astérix, une troisième aux stéréotypes des étrangers, les auteurs ayant toujours à cœur, selon M. Rouvière, de dévoiler le caractère conventionnel des stéréotypes et la fausseté des idées reçues.

En redonnant sa juste place à la parodie, l'auteur va outre l'analyse d'André Stoll, qui voyait dans Astérix l'expression d'une culture carnavalesque. M. Rouvière montre que la parodie dans Astérix a une fonction double. Elle opère sur le registre de l'intégration, en proposant un petit manuel des représentations partagées, et simultanément elle propose une mise à distance burlesque de ces représentations. En faisant d'Astérix une telle lecture constructiviste M. Rouvière réfute magistralement les reproches récurrents adressés à la série (droitisme, franchouillardise).


BLAKE ET MORTIMER


Blake et Mortimer 50 ans de guerre
Nathalie De Swaef
Centre belge de la bande dessinée, 1996

Catalogue d'exposition. Dix pages sur la guerre froide et la guerre chaude chez Jacobs.


BLUEBERRY


Blueberry une légende de l'ouest
Arnaud de la Croix
Éditions Point Image, 2007

Un peu plus de cent pages à la gloire du héros de la série qui s'appelait initialement Fort Navajo.


NEMO

 

Little Nemo 1905-2005 : Un siècle de rêves
Les Impressions Nouvelles, 2005

Cet excellent ouvrage ne fait nullement double emploi avec le Little Nemo au pays de Winsor McCay paru chez Milan en 1990, qu'il complète au contraire.

Thierry Smolderen se penche sur la vie de McCay et sur l'influence des parcs d'attraction tels Coney Island sur l'univers de Little Nemo. (Le lecteur ne manquera pas de compléter ses connaissances sur le sujet en lisant les quatre tomes de la bande dessinée McCay, aux éditions Delcourt, scénarisée par Thierry Smolderen et mise en images par Jean-Philippe Bramanti.)

Jacques Samson s'intéresse à la dernière case, celle du réveil de Nemo.

Jean-Marie Apostolidès cherche l'idéologie implicite de Slumberland.

Jan Baetens donne quatre poèmes.

Pierre Fresnault-Deruelle parle de l'inflation du point de vue de la rhétorique classique (exaggeratio, aggravatio), tout en remployant ses figures favorites, la case matricielle, le tableau interne, la tabularité, la nature épiphanique de l'image.

Serge Tisseron discourt sur l'onirisme.

Pierre Sterckx sur l'anamorphose.

Henri Van Lier situe Nemo dans l'histoire intellectuelle de son époque, de Max Planck à Sigmund Freud.

Gilles Ciment aborde les rapports entre Little Nemo et le cinéma.

Peter Maresca traque avec une érudition sans faille hommages et imitations dans le newspaper strip américain.

Thierry Groensteen fait l'histoire de la réception de Nemo en France et commente pastiches et hommages.

A côté des commentaires écrits, des commentaires dessinées sont proposés par des auteurs comme David B., Mattotti, Spiegelman ou Schuiten.

Les points de vue sont parfois contradictoires, ce qui en l'occurrence enrichit l'ouvrage.


LES PIEDS NICKELÉS


Les Pieds Nickelés de Forton
Jean Tulard (de l'Institut)
Armand Colin, collection Une Œuvre une histoire, 2008

Petit essai sans prétention de 80 pages sur les Pieds Nickelés. On pardonnera à l'auteur, qui écrit manifestement dans une brume rose de nostalgie, à partir de sa collection d'illustrés, d'avoir manqué quelques épisodes en ce qui concerne la recherche sur les littératures dessinées. Histoire des publications, considérations d'ordre sémiotique, narratologique ou esthétique sont typiques de ce qui se pensait... au début des années 1960. Pour le reste, l'auteur procède avec une mauvaise foi réjouissante, et nous explique par exemple que Les Pieds Nickelés ont certainement quelque chose à voir avec l'invention de la bande dessinée française, mais que par contre Zig et Puce, ça n'est pas vraiment de la bande dessinée.


Les Pieds Nickelés arrivent...
Le Collectionneur de bandes dessinées n° 113/114
Automne 2008

Dans l'ultime livraison de la doyenne des revues consacrées à l'histoire de la bande dessinée, petit dossier célébrant le centenaire des Pieds Nickelés.


SCHTROUMPFS


LE PETIT LIVRE BLEU
ANALYSE CRITIQUE ET POLITIQUE DE LA SOCIÉTÉ DES SCHTROUMPFS
Antoine Buéno
Hors Collection, 2011

Ce bref essai, désinséré par son auteur d'un roman (Le triptyque de l'asphyxie ou chronique de la mort des macchabées, La Table Ronde, 2006), dans lequel il était censé représenter la thèse de doctorat de l'une des protagonistes, réussit à combiner les défauts de l'ignorance à ceux de l'outrecuidance. L'auteur, qui se présente comme enseignant à Science Po, et qui ne serait pas mal avisé, en effet, d'y suivre quelques cours, ignore qu'il existe sur le sujet « bande dessinée et politique » une littérature secondaire qui remplit aujourd'hui quelques bibliothèques. Le lecteur de cet opuscule devra se contenter, comme base théorique, d'un unique mémoire de master 2, certainement génial, mais écrit par un illustre inconnu, et demeuré inédit. Les questions de corpus n'intéressent pas davantage M. Buéno, qui mélange les albums de Pierre Culliford, dit Peyo, et ceux, d'une teneur toute différente, de Thierry Culliford, fils du précédent et continuateur de son œuvre. Quant à demander à M. Buéno une connaissance quelconque des littératures graphiques, de leur histoire et de leur esthétique, une telle proposition relève à l'évidence de la loufoquerie. M. Buéno ignore en particulier que les Schtroumpfs continuent une vieille tradition graphique mettant en scène des peuplades conjecturales de lutins distingués seulement par des attributs secondaires (le plus souvent, leur état social, ou un trait de caractère), auxquels nous avons donné l'appellation de myrmidons (d'après une peuplade achéenne, dans la mythologie grecque). Des exemples canoniques de myrmidons sont les Brownies de Palmer Cox, dans le St Nicholas Magazine de New York, à la fin du XIXe siècle, et les Teenie Weenies de William Donahey dans le Chicago Tribune, dans les années 1920. Au cinéma, les nains du Blanche Neige de Walt Disney, obéissent grosso modo au même principe : ils se distinguent, y compris morphologiquement, par leurs attributs, soit d'état (Prof), soit de nature (Atchoum, Simplet, etc.). Tirer d'un procédé de l'humour graphique des interprétations de type idéologique, comme le fait M. Buéno (les Schtroumpfs étant supposés, du fait de leur stéréotypie et de leur comportement de groupe, incarner une utopie totalitaire, soit fasciste/nazie, soit stalinienne), — et, a fortiori, tirer des interprétations de l'organisations sociale supposée des Schtroumpfs (en déduisant par exemple des spécialisations professionnelles un mode d'organisation économique sur le modèle de la corporation) — relève de l'aberration mentale. On pourrait démontrer au moyen des mêmes sophismes que les Brownies de Palmer Cox sont eux aussi imbus de nazisme et de stalinisme, alors qu'ils précèdent l'invention de ces idéologies d'un demi-siècle.
M. Buéno conclut son essai en se félicitant du succès de son entreprise et en lançant un appel pour que soit appliqué le même type d'analyse paranoïaque à n'importe quelle autre œuvre en apparence innocente et qui aurait la faveur du public. Que M. Bunéo soit, comme nous le croyons, dans la facétie, ou qu'il ait fini par croire à ses propres romans (ou plus exactement aux thèses que défendent les personnages de ses romans), force est de constater, au vu de l'incroyable faveur médiatique que rencontre son calamiteux pensum, qu'il n'est pas sans danger de proposer de tels programmes à l'encontre de littératures qui, comme nous l'écrivions naguère, ont été constamment victimes des discours qu'on tenait sur elles.


TARZAN


Tarzan !
Musée du quai Branly/Somogy, 2009

Catalogue d'une exposition au musée du quai Branly, commissariat de Roger Boulay, à qui on devait déjà une amusante exposition Kannibals et Vahinés en 2001-2002, au Musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie, ex-musée des colonies, Palais de la Porte Dorée, aujourd'hui fermé.

Les brefs articles sont d'un niveau correct : présentation générale par M. Boulay, points de vue du linguiste Louis-Jean Calvet, du psychanalyste Serge Tisseron, du cinéphile Charles Tesson, de l'historien de la culture Pascal Ory, qui classe Tarzan dans les mythes modernes.

Fait exception une longue paraphrase, au demeurant idiote, du roman Tarzan of the Apes par un bien-pensant, qui arrive à faire d'E. R. Burroughs une sorte de proto-nazi, partisan de l'eugénisme. (« Cette morale “si naturelle” de supériorité, l'éloge de la force, du chef, la création de la raciologie et des échelles raciales alors considérées comme une catégorie scientifique, firent des adeptes dans le monde entier, dont Burroughs. ») M. Dibie ne s'est naturellement pas donné la peine de lire l'œuvre romanesque d'E. R. Burroughs et il ignore que le romancier a publié, un an après Tarzan of the Apes, sa propre version de L'Île du Dr Moreau, et du Frankenstein de Mary Shelley tout à la fois, A Man Without a Soul, numéro de novembre 1913 de The All-Story, devenu en volume The Monster Men (Chicago, McClurg, 1929). Le lecteur qui souhaite vraiment savoir ce que Burroughs pensait de l'eugénisme, de la raciologie, de la vivisection humaine et de tous ces sujets passionnants est convié à s'y reporter.

Mais le catalogue vaut surtout par son iconographie où voisinent photos de plateau des films de la MGM, planches de bandes dessinées bien reproduites d'après les originaux, extraits des albums Hachette, hommages par des peintres et des dessinateurs modernes (François Avril rend hommage à Fiora, l'illustratrice d'E. R. Burroughs dans Le Journal de Mickey et Robinson d'antan) et figurines en plasticine par le génial Montyne pour les célèbres stéréoscopes View-Master.

Notons que, dans les bandes dessinées, c'est Burne Hogarth qui est présenté, jusqu'en couverture, comme le dessinateur central de Tarzan, résultat du travail de statufication de ce dessinateur par les exégètes français de la bande dessinée. Quant à Jesse Marsh, auteur de Tarzan en comic books aux éditions Dell, qui représente le centre du canon pour les Américains (réédition intégrale en cours aux éditions Dark Horse), il ne figure même pas au catalogue. Et pour cause : les fameux exégètes français ignoraient tout du comic book, qu'ils affectaient de mépriser.


THORGAL


Trois Femmes pour un héros : une analyse des personnages féminins dans la série « Thorgal »
Nicolas Lesire
GRIT (Département d'études romanes, Louvain-la-Neuve), collection Texte-image n° 2, série Phylactères n° 2, Louvain-la-Neuve, 2000

Une nomeclature minutieuse des femmes dans les aventures de Thorgal et des rapports difficiles que le fier Viking entretient avec le beau sexe.


TINTIN


Le Timbre voyage avec Tintin
Jean-Michel Coblence
Éditions Moulinsart, 2007

L'ouvrage propose les six timbres « les voyages de Tintin » émis par la Poste française au profit de la Croix rouge, accompagnés d'une belle iconographie et d'un commentaire extatique et niais.

Préface de Michel Serres.


2.4.6. Sciences sociales


2.4.6.1. Histoire


14-18 dans la bande dessinée : images de la Grande Guerre : images de la Grande Guerre de Forton à Tardi
Bruno Denéchère , Luc Révillon
Éditions Cheminements, collection La Bulle au Carré, 2008

Une courte monographie, très illustrée, sur la guerre de 14-18 dans la bande dessinée franco-belge. La part la plus importante du volume est consacrée à Jacques Tardi, les auteurs se contentant pour le reste de ce qui leur est tombé sous la main.


LA SECONDE GUERRE MONDIALE DANS LA BANDE DESSINÉE
Philippe Tomblaine
PLG, Collection Mémoire Vive, 2015

La seconde guerre mondiale dans les bandes dessinées, essentiellement américaines et européennes, la partie sur le manga étant strictement circonscrite car dépendante des traductions disponibles pour l’auteur. Dans un premier temps, Philippe Tomblaine retrace de façon chronologique, sur une petite centaine de pages, la vision du conflit par le médium bande dessinée depuis son origine. La partie européenne est bien documentée, mais s’égare parfois aux limites de son sujet (Astérix, qui est certes rempli d’allusions au second conflit mondial, fait ainsi l’objet d’un développement de cinq pages et demi). Pour la partie américaine, on regrettera quelques approximations et des rapprochements parfois incongrus. Plus gênant, dans ce qui s’apparente à une histoire culturelle du conflit mondial, l’auteur a le plus grand mal à dégager des idées forces. Ainsi, la mobilisation in toto des comic strips n’est pas examinée. Si l’auteur connaît bien les comics de guerre de Harvey Kurtzman, Two-Fisted Tales et Frontline Combat, il ne voit pas que le discours que tiennent ceux-ci sera reflété dans toute la littérature dessinée de guerre aux États-Unis. À cet égard, l’ouvrage aurait certainement gagné à être écrit du point de vue de l’histoire culturelle – et spécifiquement du point de vue de l'histoire de la bande dessinée –, sans se perdre dans des notations de type encyclopédiques sur l’histoire du conflit lui-même, qui n’apportent guère au propos.
Dans le reste de l’ouvrage, l’auteur aborde la BD de guerre contemporaine en entrelardant son discours de seize entrevues d’auteurs ayant travaillé sur la thématique, y compris ceux qui l’ont traitée par l’uchronie et le fantastique. De ce point de vue, l’ouvrage constitue un très utile tour d’horizon, qui permet de vérifier par exemple que la mémoire de la Shoah tend à prendre le pas sur la mémoire de la guerre tout court.
Relevons encore que les éruditions jumelles de passionnés d’histoire et de passionnés de bande dessinée, chez notre auteur comme chez les dessinateurs qu’il rencontre, produisent parfois des résultats aux antipodes de la vision documentariste dont ils se prévalent, les uns et les autres enfourchant volontiers leurs dadas.

Et il faut noter pour finir que l’absence dans l’ouvrage de tout point de vue critique se combine à une foi évolutionniste naïve, de sorte qu’il est posé comme une évidence que les productions modernes sont par définition plus sophistiquées que les bandes dessinées classiques.

2.4.6.4. Religion

BANDES DESSINÉES ET RELIGIONS : DES CASES ET DES DIEUX
Philippe Delisle (dir.)
Karthala, Collection Esprit BD, 2016

Ces actes de colloque constituent un ensemble d’excellente tenue. Contrairement à ce que sont souvent les colloques, dont les communications sont, par la force des choses, de bric et de broc, le lecteur aura ici, à la fin de sa lecture, un bon panorama du sujet.
La première moitié de l’ouvrage est consacrée à la bande dessinée franco-belge, qui a fait l’objet de maintes études de Philippe Delisle. Celui-ci nous donne ici une excellente étude sur la bonne mort dans la BD belge des années 1930 à 1950. À noter aussi un article d’Yves Krumenacker, bien informé et faisant preuve de discernement sur le plan esthétique, sur le protestantisme en bande dessinée.
Dans la deuxième partie, consacrée au reste du monde, signalons un article de Harry Morgan sur l’œuvre contestatrice de Justin Green, Binky Brown Meets the Holy Virgin Mary, qui, paradoxalement, apparaît, sur le plan iconique, en relation étroite avec les comics catholiques américains préconciliaires. Plus problématiques sont « Représenter l’islam et les musulmans en BD dans le monde arabe et en Turquie » de Philippe Bourmaud, et « la BD israélienne entre ethos nationaliste et aspirations universalistes » de Vincent Vilmain, qui ont aussi le désavantage de traiter d’objets dont l’existence est précaire.
Et on pousse jusqu’au bouddhisme (Julien Bouvard) et au kimbanguisme (Jean-Luc Vellut).

2.4.6.5. Sociologie


Littérature et bandes dessinées fantastiques sur le monde malais : les Indonésiens sont-ils des extraterrestres ?
Frédéric Durand
L'Harmattan, collection Recherches Asiatiques, 1996

L'auteur est géographe spécialiste du monde malais, et amateur de BD, de littérature de science-fiction et de littérature fantastique. Il arrive à concilier son métier et sa passion en consacrant un bref ouvrage à la vision du monde malais dans la littérature populaire fantastique. Sont examinés ainsi les végétaux bizarres, les hommes-singes, les utopies, le progrès technologique, les forces divines et enfin les extraterrestres situées par la littérature populaire dans le monde malais.

Le corpus est remarquablement complet tant pour le roman que pour la BD. Cependant, si l'auteur est un amateur éclairé (quoique nullement un érudit) en ce qui concerne la littérature écrite, il n'en va pas de même pour les littératures dessinées. M. Durand est capable de voir les influences de Terry et les pirates sur Johnny Hazard, mais ignore l'influence pourtant bien plus massive de Steve Canyon. De même, il découvre que les fascicules Elvifrance sont faits en Italie par une série d'indices et de déductions.

L'ouvrage souffre des défauts habituels des ouvrages d'universitaires. La rédaction est bâclée, même d'après les critères laxistes d'un ouvrage académique. Tout est répété trois fois. Le projet même est flottant. (L'auteur annonce deux fois, note 62 et note 68, qu'il ne parlera pas du Seigneur des airs de Moorcock, qui est périphérique à son sujet, après quoi il consacre un long développement à ce roman.)

D'un autre côté, l'ouvrage est intéressant par sa bizarrerie même. Par exemple, l'auteur cherche systématiquement des racines malaises dans les inventions verbales de ses auteurs et, emporté par son élan, il cherche si le nom du Gulliver de Swift n'aurait pas lui aussi une signification en malais.

On regrettera pour finir que M. Durand n'ait pas mis en rapport le corpus qu'il étudie avec l'ensemble de l'Asie mythique telle que l'ont fantasmée écrivains et dessinateurs. Peut-être aurait-il pu montrer ainsi que ce qu'il perçoit comme des bizarreries possède une cohérence du point de vue de l'imaginaire occidental.


La Bande dessinée à l'épreuve du réel
Pierre-Alban Delannoy (direction)
L'Harmattan, Les Cahiers du CIRCAV, N° 19, 2007

Articles universitaires sur les genres du réel, récemment investis par les littératures dessinées, l'autobiographie, le journal, le carnet de voyage, l'enquête documentaire, le reportage journalistique. Pierre Fresnault-Deruelle écrit sur La Guerre d'Alan, Jan Baetens sur Frédéric Boilet, Erwin Dejasse sur l'utilisation de la photo dans la bande dessinée, Jonathan Haudot sur Maus. Interview de Joe Sacco.


MYTHE ET SUPER-HÉROS
Alex Nikolavitch
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2011

Abstraction faite de l’introduction et du début du premier chapitre, consacrés au mythe, on trouvera dans cet ouvrage un plaisant panorama, fort documenté, des principaux super-héros, leur description comme une « mythologie moderne » faisant partie du reste de la littérature critique française depuis les années 1960. L’auteur nous montre sous la forme d’un puzzle l’évolution des Superman, Batman et consorts, en témoignant d’une compréhension fine des stratégies éditoriales de DC, de Marvel et de leurs concurrents.
Sur le plan esthétique, nous ne ferons reproche à l’auteur que d’une phrase, qui nous paraît inexcusable. Parlant des années 1960 et des comic books, l’auteur écrit que « en tant que forme d’art, la bande dessinée en est encore au mieux à l’époque dans une phase d’adolescence ».
Comme ouvrage d’introduction, comme ouvrage de critique, le tome de M. Nikolavitch n'en conserve pas moins toute sa valeur. Malheureusement, on ne peut pas dire la même chose sur le plan scientifique. Le sujet annoncé avec pompe au début de l’ouvrage, celui du mythe, référence à Dumézil à l’appui, n’est tout simplement pas traité. Pour commencer, l’auteur confond mythe et mythologie. Mais de surcroît, il est incapable de se tenir à ses propres définitions, et il qualifie les séries qu’il analyse de « mythiques » parce qu’elles ont des liens lâches avec un mythe connu, parce que leur structure même serait celle du mythe, parce qu’elles mettent en scène un univers complet et ordonné, parce qu’elles relèvent de la science-fiction (et la science est, comme chacun sait, un mythe moderne), parce que leurs personnages sont des « mythes littéraires » comme Faust et Madame Bovary, et pour maintes autres raisons encore (« mythique » est aussi, tout simplement, un qualificatif mélioratif dans le fandom, qui se situe approximativement entre « incontournable » et « culte »).
Dernière observation : le médium bande dessinée n’est jamais pris en compte. C’est d’autant plus regrettable que la propre collection dans laquelle paraît l’ouvrage de M. Nikolavitch abrite un volume de MM Morgan et Hirtz sur la structure mythique des univers dessinés de Jack Kirby, dont la méthode consiste précisément à partir des contraintes graphiques, narratives et éditoriales, pour arriver à la création du mythe. En le lisant, Alex Nikolavitch aurait découvert par exemple que le chaos, sur lequel il disserte à l'envi en n’en tirant rien et en ne concluant rien, relève dans le cas de Kirby d’une structure topologique tout à fait originale et s’intègre dans une cosmogonie particulière.


2.4.8. Transports et urbanisme


L'Histoire de l'aviation
Etienne Réunis
Versant Sud, 2006

Scrupuleuse histoire, bien illustrée, de l'aviation dans la BD, par un attaché au musée royal de l'armée, à Bruxelles, à laquelle on reprochera cependant de ne tenir compte ni du corpus des illustrés catholiques (qui adorent les histoires d'aviateurs parce qu'ils sont héroïques et qu'ils sont proches du ciel), ni des littératures dessinées non francophones.


Capitales européennes dans la bande dessinée franco-belge
Paul Herman
Glénat, 2007

Catalogue d'exposition à l'occasion du cinquantenaire des communautés européennes, texte en allemand, français et anglais, proposant un très bref historique des diverses capitales européennes (mais pas des capitales des institutions européennes ; manque donc Strasbourg), avec pour illustrer des cases de bandes dessinées médiocrement reproduites.


Le Garage de Franquin
Xavier Chimits, Pedro Inigo Yanez
Marsu Productions, 2008

Les voitures réelles et imaginaires dans l'œuvre de Franquin. Travail très complet, très sérieux et complètement inutile pour qui n'est pas passionné d'automobile.


2.4.9. Western


BD WESTERN HISTOIRE D'UN GENRE
Tangi Villerbu

Karthala Collection Esprit BD, 2015

Histoire du western dans la bande dessinée française et belge, dans une perspective plurimédiale, et dont l'auteur conclut essentiellement que, jusqu'aux années 1960, le western tient un discours « genré et familialiste », devient plus ambigu à partir de Bluberry, avant de tenir aujourd'hui des positions essentiellement floues. Imagine-t-on une histoire du western cinématographique qui conclurait que le western classique, celui de John Ford, qu'il est essentiellement « genré » et « familiariste » et qu'il a pour but d'« enseigner aux garçons qu'ils sont les garants de l'ordre des familles » ? Et dans la bande dessinée européenne, les western d'un Joseph Gillain, pour ne citer que lui, peuvent-ils s'accommoder d'une analyse aussi réductrice ?
On regrettera aussi une connaissance lacunaire du domaine, des erreurs factuelles et un dédain complet pour les questions de forme.

2.5. Études d'auteurs.

 

2.5.1. Auteurs divers


Outlaws, Rebels, Freethinkers & Pirates : Essays on Cartoons and Cartoonists
Bob Levin
Fantagraphics, 2005

Recueil d'articles et d'interviews précédemment parus dans le Comics Journal centrés sur des dessinateurs indépendants, tels que S. Clay Wilson, Chester Brown, Maxon Crumb, etc.


L’Amour de la bande dessinée (critiques)
Évariste Blanchet
Bananas, 2001

Recueil de chroniques publiées par l’auteur dans son propre organe (Critix), sur des auteurs comme Barbier, Bézian,Breccia, Cosey, Eisner, Goossens, Montellier, Neaud, Pratt, etc.


Florilège épistolaire : huit dessinateurs écrivent à Thierry Groensteen
Hors commerce, 2007

Publié par le célèbre théoricien de la bande dessinée à l'occasion de ses cinquante ans, huit lettres à lui adressés par Yves Chaland, Jacques Tardi, François Bourgeon, JC Menu, André Juillard, Alex Barbier, Aristophane et Gotlib, échelonnées de 1979 à 2005. C'est peut-être une phrase d'André Juillard qui résumera le mieux le propos général : « Merci pour ton article dont j'apprécie, comme souvent, la perspicacité tant dans les compliments que dans les réserves. »

 

2.5.2. Auteurs particuliers

 

ALEX BARBIER


Alex Barbier : Lettres au pair de F.
FRMK, 2006

Au format d'un petit album, entretiens d'Alex Barbier avec le journaliste Vincent Bernière. Mais Alex Barbier est, du point de vue journalistique, un « bon client » et l'intervieweur a à peine besoin de poser des questions pour obtenir ce qui s'assimile à une autobiographie parlée. « C'était un voyou, une petite gouape, il était mon maître, j'étais son esclave sexuel, j'aimais pas, j'aimais... Aujourd'hui, il fait semblant de ne pas me reconnaître dans la rue, à S. Ha, ha ! » Introduction avant-gardiste et interventionniste du Professeur A. du groupe Fremok.


ATTANASIO


Dino Attanasio : 60 ans de BD
Alain de Kuyssche, Denis Coulon
Éditions Miklo, 2006

200 pages sur le créateur de Spaghetti et Prosciutto.


AYERS


The Dick Ayers Story : An Illustrated Autobiography
Mecca 2005

La vie de Dick Ayers dessinée par lui-même, en trois volumes.


BAUDOIN


En chemin avec Baudoin
Thierry Groensteen
PLG, 2008

Dans une belle étude rédigée — le cas est rarissime — à la première personne, Thierry Groensteen interroge tour à tour la dimension autobiographique de l'œuvre de Baudoin et son rapport à la mémoire et à la problématique du narrateur, la relation de l'artiste à ses modèles féminins, la traduction graphique du mouvement et de la danse, les aspects plastiques du trait au pinceau, la tension entre la liberté du trait et la contrainte du cadre, la célébration du corps, de la ville et de la nature, la présence de la peur.

C'est dire que l'on aborde des problèmes relevant d'un côté de la narratologie — y compris celui, classique, du « narrateur irresponsable » (unreliable narrator) — et de l'autre de la plastique (par exemple la production du gris par la technique dite du « pinceau sec »), l'un et l'autre de ces aspects révélant précisément en quoi l'œuvre de Baudoin est atypique dans le paysage de la bande dessinée : elle est moderne, tout simplement. Cette mise en lumière est d'autant plus remarquable que l'auteur ne cache pas par ailleurs ce que l'œuvre peut avoir de consensuel (hédonisme, féminisme, attention aux personnages de marginaux).

Le livre présente, en sandwich, trente pages inédites tirées des carnets de Baudoin.


BOB DAN (ROBERT DANSLER)

ROBERT DANSLER DIT BOB DAN : L’ÂGE D’OR DES RÉCITS COMPLETS
Philippe Aurousseau
Éditions de l’Oncle Archibald, 2016

Biographie succincte mais informée de Bob Dan, accompagnée d’une bibliographie scrupuleuse qui nous présente l’un des plus prolifiques dessinateurs populaires français dont la carrière culmine dans les années 1950. L’iconographie mirobolante fait le prix de l’ouvrage. À signaler quelques documents propres à intéresser l’historien de la bande dessinée française, contrats d’édition et lettres d’éditeurs notamment.

BOTTARO


Bottaro le maestro
Évariste Blanchet, Pierre-Marie Jamet
Bananas, 2008

Joli catalogue d'une exposition consacrée à Luciano Bottaro au CNBDI en 2008. On y trouvera un parcours de l'œuvre bottaresque par Évariste Blanchet, un entretien avec Bottaro traduit de l'italien, une bibliographie française de Bottaro et — merveille — l'intégralité des couvertures de Pépito petit format.


BOURGEON

Bourgeon
Christian Lejalé
Imagine & Co, 2010

324 pages d'entretien dans un magnifique ouvrage illustré de nombreux inédits.

BUZZELLI


Les Révoltes ratées de Guido Buzzelli
Évariste Blanchet
Bananas, 2003

Accompagnant la réédition de L'Agnone de Buzzelli aux éditions PMJ,, brève étude de Guido Buzzelli, auteur de la Rivolta dei Racchi, centrée sur un corpus d’œuvres fantastiques parues en pré-originale en France dans la revue Charlie mensuel, et dont la ligne de force est que l'autoreprésentation ironique de Buzzelli (dans le cadre de fables fantastiques) au milieu des années 1970 préfigure la bande dessinée autobiographique des années 1990.


CABU


Cabu 68
Laurence Garcia
Actes Sud, 2008

Entretien avec Cabu évoquant les événements de mai 1968, et entretiens de Cabu avec des figures de l'époque, José Arthur, Alain Krivine, Daniel Cohn-Bendit, Benoîte Groult, Maxime Le Forestier etc.


CANIFF


Meanwhile... Milton Caniff A Biography
Robert C. Harvey
Fantagraphics, 2007

Biographie définitive, partiellement narratorisée, du grand maître américain, sur près de mille pages.


CRAENHALS


 Hommage à Craenhals
Jean-Pierre Verheylewegen
Chambre belge des experts en bande dessinée, 2004

Court entretien avec Craenhals, court article sur Chevalier Ardent et nombreux documents en noir et blanc.


CRUMB


The Life and Times of R. Crumb : Comment From Contemporaries
Monte Beauchamp
Kitchen Sink, 1998

Hommages à Crumb de gens connus (Terry Gilliam), mais aussi de témoins comme la première femme de Crumb, étonnament romantique. (« I loved him even more upon sight than I had moments earlier after looking at his work. I saw one of my unborn children staring at me through his eyes and thus our journey together began. »), d'anciens lecteurs devenus cartoonists à leur tour, pour qui un numéro de Zap apporté clandestinement par un camarade au lycée fut souvent une révélation, et naturellement des collègues et amis. (S.Clay Wilson se vante d'être celui qui persuada Crumb, un catholique inhibé, de faire des dessins cochons.) Chose remarquable, les hommages incluent des critiques (un peintre avoue qu'il n'arrive pas à lire les histoires jusqu'au bout), des accusations (Trina Robbins reproche violemment sa misogynie à Crumb) ou des commentaires acides (« I'm happy to say that R. Crumb has never influenced me in the slightest. » Ralph Steadman.)


DAVID B.


LECTURES DE DAVID B.
Jean-Marc Pontier
PLG, 2011

Belle étude thématique, par un spécialiste de Max Jacob et des relations entre les peintres et les écrivains. David. B., le plus littéraire de tous les auteurs issus de L'Association, ne pouvait qu'intéresser notre auteur, qui trace le périmètre des formes littéraires (l'autobiographie, le récit historique, le récit de rêve), repère des thématiques (la quête, la métamorphose), des motifs (l'ombre arrachée), des topoi (le jardin, le souterrain, la ville), des procédés rhétoriques (le coq-à-l'âne) et des références littéraires (Le Capitaine écarlate est une réécriture du Roi au masque d'or de Schwob).
Nous ne ferons qu'une restriction. S'il est question tout le temps de textes et de dessin, les questions de forme ne sont abordées que par exception (réflexion stripologique p. 129, réflexion sur l'esthétique du dessin de David B. p. 131).


DITKO


Strange and Stranger : the World of Steve Ditko
Blake Bell
Fantagraphics, 2008

Sous la forme d'un gros album très richement illustré, la vie et l'œuvre de Steve Ditko, que l'auteur décrit comme un artiste maudit, œuvrant dans une variété de fantasy sombre et lourdement allégorisée. La carrière de Ditko le mène des comics d'horreur de la Charlton (où des salaires misérables sont compensés par une liberté éditoriale à peu près complète) à la Marvel, qu'il quitte au moment où son personnage de Spider-Man est au sommet de sa renommée, parce qu'il est en conflit avec Stan Lee, pour dessiner, chez différents éditeurs et, parallèlement, dans le monde des fanzines et de l'auto-édition, des récits dans lesquelles son manichéisme, son rigorisme moral et son caractère chagrin transparaissent de façon de plus en plus insistante, Ditko étant, dès l'époque de Spider-Man, un partisan de l'Objectivisme d'Ayn Rand (« rationalisme, égoïsme, capitalisme »).


STEVE DITKO L'ARTISTE AUX MASQUES
Tristan Lapoussière
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2011

Tristan Lapoussière propose une vie et œuvre de Steve Ditko particulièrement bien documentée. Notre auteur a le mérite de ne pas se focaliser sur Spiderman et le Dr Strange, mais de parcourir toute l'œuvre de ce singulier dessinateur américain, en proposant une hiérarchie de ses travaux pour la période qui va du départ de Marvel en 1965 à aujourd'hui. Les influences de Ditko, Mort Meskin, Will Eisner, Jerry Robinson, sont bien montrées. La mystérieuse rupture avec Stan Lee, qui intrigue et interroge tant les fans, est à juste titre décrite comme logique et sans mystère. Le choix des illustrations est remarquable.
On regrettera une certaine tendance de l'auteur à céder à l'encyclopédisme au détriment de l'analyse. Manque aussi une synthèse des thèses de l'auteur qu'on sent constamment, mais qui restent sous-jacentes.


EISNER


Will Eisner : A Spirited Life
Bob Andelman
Dark Horse, 2005

Une courte biographie très illustrée de Will Eisner.


Eisner/Miller
Dark Horse, 2005

Longue conversation entre Will Eisner et Frank Miller, qui racontent leur vie, parlent de leurs petits camarades et livrent des éléments de leur théorie des comics.


FERRANDEZ

 

Ferrandez : une monographie
Serge Buch
Mosquito, 2005

Entretien bellement illustré. Bibliographie de Gilles Ratier.


 RENÉ FOLLET


René Follet un rêveur sédentaire
Jozef Peeters
Éditions l'Âge d'or, 2007

Biographie de René Follet, panorama exhaustif de l'œuvre, témoignages des amis, bibliographie minutieuse. Des illustrations jusqu'à plus soif, somptueusement reproduites.


FRANQUIN


L’ANTI-ATOME : FRANQUIN À L’ÉPREUVE DE LA VIE
Nicolas Tellop
PLG, Collection Mémoire Vive, 2017


Lecture poétique de l’œuvre de Franquin, à la lumière des philosophes Bachelard, Bergson, Deleuze et Leibniz. L’auteur part de cet objet incongru qu’est l’Atomium, ce cristal de fer agrandi 165 milliards de fois, qui constitue le pavillon belge de l’exposition universelle de Bruxelles de 1958, et qui donna – mais presque vingt ans plus tard – son nom au « style atome », ce néo-futurisme, ou néo-Art déco des Trente Glorieuses, ainsi baptisé par le dessinateur Joost Swarte.
À partir de là, notre essayiste examine dans l’œuvre de Franquin les deux thématiques que sont la poétique de l’échelle, qui est plutôt en l’occurrence celle de la perte de l’échelle (étude de l’agrandissement et du rapetissement des objets dans Spirou et Fantasio), et celle de la représentation du design typique des années 1950 (dans Modeste et Pompon). L’auteur finit par une analyse détaillée de Z comme Zorglub, en filant la thématique du renversement d’échelle et de la miniature, qui débouche sur celle du factice.
L’auteur conclut, comme il est de règle dans ce type d’ouvrages, sur la conformité des codes même de la bande dessinée avec les notions étudiées – la case de bande dessinée constituant elle-même une miniature, et étant inscrite dans l’ordre du factice. On peut regretter que l'investigation n’ait pas étendu le point de vue au-delà de l’école belge. Ce que l'auteur appelle par convention « style atome » est un phénomène mondial, et les mangas des années 1950 d’un Osamu Tezuka « riment » extraordinairement avec les bandes dessinées de la même époque d’un André Franquin. On aurait pu souhaiter également que, au-delà des considérations sur la case comme monade et comme microcosme, l’auteur relève la perte des échelles comme une constante structurelle des littératures dessinées, où taille, temporalité, mouvement, etc. sont par définition arbitraires (ou adimensionnels), et où il n’est jamais possible de déterminer a priori si ce qui nous est donné à lire constitue un événement considérable qui est embrassé en prenant du recul, ou s’il s’agit d’un événement infime mais examiné pour ainsi dire à la loupe, incertitude principielle qui n’aura pas échappée aux auteurs des « romans graphiques » aujourd’hui à la mode.


GOSCINNY

 

René Goscinny : la première vie d'un scénariste de génie
Aymar du Chatenet, Christian Marmonnier
La Martinière, 2005

Gros album consacré à la première carrière de René Goscinny, celle de dessinateur, nous menant du séjour américain à la world Press. Une véritable mine de dessins totalement inconnus et de documents rares.

 

Goscinny
Caroline Guillot, Olivier Andrieu,
Chêne, 2005

Enorme pavé très illustré de documents déjà vus mille fois, censé faire pendant au Uderzo, chez le même éditeur, et qui ne présente malheureusement pas plus d'intérêt que ce dernier ouvrage. On préférera de loin de le René Goscinny : la première vie d'un scénariste de génie d'Aymar du Chatenet et de Christian Marmonnier (voir plus haut).


Goscinny et moi : témoignages
José-Louis Bocquet
Flammarion, 2007

30 interviews de gens qui ont connu Goscinny classées par années de la vie du grand scénariste, travaux préparatoires de la biographie parue chez Actes Sud en 1997.


GOTLIB


Ma vie en vrac
Gotlib avec Gilles Verlant
Flammarion, 2006

250 pages en petit caractères d'interviews avec Gotlib, mais aussi avec un peu tout le monde, le tout muni d'un texte de liaison.


GUIBERT

 

Emannuel Guibert : Monographie prématurée
Éditions de l'An 2, collection Etoiles de l'image, 2006

Dans la collection ayant déjà accueilli des études sur De Crécy, Menu et Blanquet, belle monographie sur Emmanuel Guibert, qui s'interroge avec finesse sur son rapport au dessin.

Article de Christian Rosset sous la forme déceptive d'un journal intime.

Article de Gilles Ciment sur l'humour chez Guibert.

Étude d'Alexis Laballery sur Guibert comme rapporteur de souvenirs (La Guerre d'Alan, Le Photographe).

Trois récits complets et une riche iconographie permettent un regard panoptique sur le talent multiforme d'Emmanuel Guibert.

 

HERGÉ

 

Tintin et les animaux
Gérard Lippert
Moulinsart, 2005

Album sur les animaux qui figurent dans les aventures de Tintin. Le livre est muni d'un errata.

 

Dossier Tintin : L'Île noire : Les Tribulations d'une aventure
Etienne Pollet
Casterman, 2005

Edition diplomatique de L'Île noire, présentant en vis-à-vis la version noir et blanc, la première version couleur et la version couleur redessinée par Bob De Moor, suite aux plaintes de l'éditeur britannique Methuen qui trouvait le Royaume-Uni de Hergé bien peu britannique.

Las ! ces uniformes de bobbies anglais auxquels il ne manque pas un bouton, ces caravanes extraites de catalogues commerciaux et ces intérieurs de la gentry qui paraissent sortis des 39 Marches d'Alfred Hitchcock ne font qu'alourdir tout à fait inutilement une œuvre dont le charme repose essentiellement sur le côté primesautier et feuilletonesque.

 

L'Expédition Sanders-Hardmuth : précisions bio-bibliographiques
Jean-Bernard Pouy
ADK, 2005

« Première publication de la bio-bibliographie officielle des sept membres de la célèbre expédition Sanders-Hardmuth, partie au Pérou de 1946 à 1948 à la recherche du fameux trésor de Rascar Capac "Celui-qui-déclenche-le-feu-du-ciel".

Amusant travail d'érudition fantaisiste, par un auteur de polars, membre des « décraqués » sur France Culture.


Petite Bibliothèque du tintinophile averti
Paul Labesse
Bibliothèque de Nogent sur Marne, La culture à livre ouvert, 2005

Sympathique fascicule d'une trentaine de pages publié par la bibliothèque municipale de Nogent sur Marne. Paul Labesse propose un choix de 24 ouvrages sur et autour de Hergé, capturés dans la vaste jungle des études hergéennes, qui constitueront la fondation de la bibliothèque du tintinophile sérieux. Le choix est pertinent. S'il fallait absolument pinailler, il n'y a guère que deux ou trois ouvrages sur lesquels nous émettrions des réserves. Le commentaire est pertinent également. Peut-être l'auteur aurait-il pu signaler des élements tels que l'étrangeté de la langue utilisée par Van Opstal et son étonnante aptitude à se perdre dans sa propre érudition. Mais ce sont là des critiques de détail.


Bianca Castafiore la diva du vingtième siècle
Mireille Moons
Éditions Moulinsart, 2006

Par une journaliste belge, les aventures de la Castafiore à travers « le miroir de son époque ».

Bianca Castafiore, donc, confrontée à un demi-siècle d'opéra, de haute couture, de coiffure et de presse « people ». Développements scrupuleux sur les chaussures du « Rossignol milanais ». Le yacht de Rastapopoulos dans Coke en stock est identifié comme celui d'Onassis.

Pour finir, les influences de la vie affective de Hergé sur l'évolution de la diva.


La Castafiore
Albert Algoud
Chiflet et Cie, 2006

Biographie non autorisée de la célèbre cantatrice. « J'ai révélé que la diva (en fait un divo) fut contactée en 1941 par le réseau de renseignement militaire de la France libre pour devenir un agent de la Résistance. Ce qu'elle accepta avec enthousiasme. Réfugiée à Londres, révoltée par ce que les résistants belges lui apprennent, Bianca se fait parachuter en Belgique déguisée en prêtre... Sa mission : exfiltrer Hergé vers l'Angleterre. »


Hergé par Hergé
Moulinsart/Centre Georges Pompidou, 2006

Catalogue de l'exposition du « centenaire » à Beaubourg, de 1024 pages au format 15 X 15 cm, montrant beaucoup de documents peu originaux, dans une maquette qui doit beaucoup aux trouvailles graphiques d'un Chip Kidd.


Tintin : les secrets d'une Œuvre
Lire Hors Série n° 4, s. d.

Un hors série de 108 pages plutôt bien fait. Entretiens avec Philippe Goddin, Floc'h et Rivière, Tchang Yifée (fille de Tchang), Fanny Rodwell.

Article sur « le monde onirique de Tintin ». Itinéraire pour un tintinophile désirant faire un pèlerinage à Bruxelles. Les lectures de Hergé.

Reprise d'une substantielle interview de Hergé parue dans Lire en 1978, pour les 50 ans de Tintin.

Nombreux documents rares et bien reproduits.


Les Mystères du Lotus bleu
Pierre Fresnault-Deruelle
Moulinsart/Centre Georges Pompidou, 2006

Cahier de 32 pages pour accompagner l'exposition du « centenaire » à Beaubourg, où Pierre Fresnault, qu'on a connu mieux inspiré, tient des propos exaltés visant à démontrer que dans l'œuvre géniale, les cases du Lotus bleu sont encore plus géniales.


La Petite bibliothèque du tintinologue
Flammarion, collection Champs, 2006

Réédition jubilaire, sous coffret, de trois ouvrages du canon critique hergéen, celui d'Apostolidès, celui de Baetens et celui de Peeters. (Voir Le Petit Critique illustré, PLG, 2005, pour l'analyse de ces ouvrages.)


Le Rire de Tintin : Essai sur le comique hergéen
Thierry Groensteen
Éditions Moulinsart, 2006

Consciencieuse analyse des multiples ressorts de l'humour de Hergé, sujet paradoxalement peu traité jusqu'à présent, probablement parce que la consécration hergéenne imposait qu'on insistât sur la profondeur cachée de l'œuvre, et par conséquent sur son « sérieux ».

Thierry Groensteen propose à la fois une excellente synthèse, reprenant à bon escient les éléments déjà mis en lumière par ses prédécesseurs, et une approche originale, qui s'étaye à la fois sur l'histoire du médium, sur une théorie de l'humour et sur une théorie sous-jacente de la spécificité des univers dessinés.

L'historien relève que des trois grands thèmes de la bande dessinée du XIXe siècle, le Merveilleux, le Voyage, la Bêtise (associée graphiquement à la Caricature), Hergé reprend à son compte le second et le troisième. En ce qui concerne la bande dessinée du XXe siècle, Hergé est présenté comme l'auteur qui aura su faire la synthèse des deux courants principaux de cette littérature, encore bien repérables aujourd'hui, l'humour, le premier apparu, et l'aventure feuilletonesque, qui s'épanouit à partir des années 1930.

Le théoricien de l'humour passe en revue le burlesque, emprunté au cinéma et dont les agents sont naturellement les Dupondt, le principe de l'exploitation systématique des ressources comiques d'un objet ou d'un motif, et sa conséquence : le chaînage entre les albums, les ressources comiques du capitaine Haddock, le comique de physionomie, la situation paradoxale du personnage de Tintin, sérieux mais pas incapable d'ironie, les éléments de satire chez Hergé, notamment contre la presse, le comique de sentiment et le comique de langage.

Enfin, et c'est peut-être ici que l'ouvrage est le plus riche, le théoricien de la BD montre comment le comique hergéen répond à la logique d'un univers de papier, à travers des raccourcis parfois audacieux. (Citons cette explication de la gémellité des Dupondt : « Un Dupondt, en revanche, est sans ego ; il lui fallait donc un égal. »)

L'approche de Groensteen est chaleureuse mais heureusement exempte du ton de dévotion exaltée qu'on rencontre trop souvent dans les études hergéennes récentes, et l'auteur établit une hiérarchie entre les albums précédant l'arrivée du capitaine Haddock (qui « ne sont pas très drôles »), les deux albums de la fin (qui « témoignent d'une certaine déliquescence ») et les autres (« Restent une douzaine d'albums inoubliables »).

De même, bien qu'il relève quelques sources parfois inattendues (le sans-gêne de Séraphin Lampion évoque irrésistiblement le Clotaire de la pièce Jean de la Lune de Marcel Achard), Groensteen échappe à cette autre plaie de l'érudition hergéenne, consistant à vouloir trouver à toute force une source ou une généalogie à tout élément de l'univers de Hergé.


Hergé collectionneur d'art
Pierre Sterckx (Photos : André Soupart)
La Renaissance du livre, 2006

Petit album au format à l'italienne proposant une sorte de portrait de Hergé collectionneur, par le critique d'art et théoricien de la bande dessinée Pierre Sterckx, intéressant mais qui n'échappe pas à une certaine coquetterie. « [L'artiste conceptuel Jan Dibbets] nous mena devant un Saenredam, ce peintre hollandais du XVIIe siècle qui peignit des églises vides en pures perspectives. (Je conseillai par ailleurs à Hergé la lecture d'un très beau texte de Roland Barthes consacré à Saenredam). Et Dibbets d'exalter cette vision structurale, évoquant Don Judd et Sol Lewitt. » Pierre Sterckx commente aussi des photos de Hergé devant sa collection.


Génération Hergé
Olivier Delcroix
Éditions des équateurs 2006

Voyage sur les traces de Hergé, raconté par un monsieur qui adore marcher sur les traces des gens importants parce que cela lui donne une haute idée de sa petite personne. Rencontres avec Raymond Leblanc, Jacques Martin, Tchang, le propriétaire du château de Cheverny, modèle de celui de Moulinsart. Une anecdote est fort éclairante. Tout jeune homme, l'auteur, qui est avec son papa, voit un monsieur chinois assis dans un restaurant et devine qu'il s'agit de Tchang. Et M. Delcroix d'exprimer le regret de n'être pas allé, ce jour-là, importuner Tchang pendant qu'il dînait !


Tintin et le secret de la littérature
Tom McCarthy
Hachette littératures, 2006

Une lecture de Tintin à la lumière de S/Z de Roland Barthes, de William Shakespeare et des essais de Serge Tisseron, visant à poser les aventures du petit reporter comme une œuvre littéraire.

Le public cultivé anglais, peu habitué à ce que l'on prenne une bande dessinée au sérieux, a semble-t-il été très impressionné.

Cependant un lecteur plus habitué à l'exégèse hergéenne risque de trouver l'essai confus, et hasardeuses les hypothèses que pose l'auteur.

Tintin et le secret de la littérature vaut par sa naïveté, son exubérance et quelques remarques intéressantes.


Hergé la bibliothèque imaginaire
Bob Garcia
Mac Guffin éditions, 2007

Tout ce qu'a lu — ou aurait pu lire — Hergé, présenté à grand renfort d'iconographie, un peu sur le modèle de La Misteriosa fiamma della regina Loana, roman illustré d'Umberto Eco. Des scans à gros grain pris sur la Toile voisinent avec des affirmations et des interprétations totalement gratuites. L'absence d'une seule image de Hergé (ce qui y ressemble provient de parodies) ajoute à l'extrême bizarrerie de l'ensemble.


Hergé et le 7e art
Bob Garcia
Mac Guffin éditions, 2007

Suite de l'ouvrage précédent. Présentation similaire : une avalanche de documents, souvent mal scannés et repris vraisemblablement sur la Toile, aucun n'étant relatif à Hergé ou à Tintin. Le propos de l'auteur est à présent, dans un premier temps, de lister des films dont un élément se retrouverait dans les aventures de Tintin, dans un deuxième temps, des films qui reprendraient un élément des aventures de Tintin. On est donc toujours dans cette démarche monomaniaque de l'érudition populaire hergéenne : la recherche des sources.

Si l'auteur est parfois dans le vrai (les scénaristes de L'Homme de Rio n'ont jamais caché qu'ils voulaient faire une sorte d'hommage aux aventures de Tintin), il est plus souvent dans des spéculations incertaines, s'appuyant parfois sur la littérature secondaire (le bizarre mais fascinant Van Opstal). Mais le plus souvent M. Garcia n'est à proprement parler ni dans le vrai ni dans l'incertain ni même dans le faux, compte tenu de son absence totale de méthode. Il nous explique ainsi que Tintin en Amérique a quelque chose à voir avec Public Ennemy de William Wellman. Justification : il y a des gangsters dans les deux œuvres, le personnage joué par Cagney dans le film, Bobby Smiles dans l'album. Le fait qu'il n'y ait strictement rien de commun entre les deux personnages n'est tout simplement pas pris en compte. Quant à l'iconographie, elle est parfois aberrante. L'auteur a trouvé dans Van Opstal mention d'un épisode du serial muet The Exploits of Elaine (Les Mystères de New-York), épisode titré The Clutching Hand. Il reproduit donc une iconographie d'un serial titré The Clutching Hand, sans se rendre compte qu'il reproduit les affiches d'un serial parlant, sans rapport avec The Exploits of Elaine. Et ceci nous renseigne au passage sur un détail : l'auteur n'a pas forcément vu les films dont il nous parle avec tant d'aplomb. Son érudition est, à l'image de son iconographie, de seconde main.


Hergé par lui-même
Dominique Maricq
Librio, 2007

Pour célébrer le centième anniversaire de la naissance de Hergé, courte introduction à son univers sous la forme d'un tissu de citations du célèbre Bruxellois. Ces 61 pages illustrées en noir et blanc font un honnête portrait du père de Tintin.


Les Trois Secrets de la Licorne
Moulinsart/Casterman, 2007

La version en strips de La Licorne, avec en fausse page des gloses de Daniel Couvreur et Frédéric Soumois, sur les transformations opérées sur cette version pour donner la version canonique en album.


Tryphon Tournesol et Isidore Isou
Emmanuel Rabu
Seuil, collection Fiction & Cie, 2007

Tryphon Tournesol comme inventeur du lettrisme. Telle est la prémice de ce bref jeu d'esprit sans grande originalité ni grand talent d'écriture.

Pour que ce genre d'exercice soit drôle, il faut de la finesse, de l'esprit, il faut suggérer sans cesse, sans affirmer jamais. Et surtout, il faut apporter son érudition comme par contrebande et lâcher les noms et les faits littéraires comme s'ils vous échappaient. M. Rabu fait tout à l'inverse. Il procède par longues successions de phrases nominales, constituant autant de paragraphes, comme s'il nous donnait ses notes de cours (« Tournesol est un scientifique. » « L'avant-garde est une métaphore martiale. »), quand il ne livre pas tels quels des passages non rédigés ou à peine rédigés. De la sorte, il a l'air de nous faire la classe, en énumérant sur un ton péremptoire des éléments dont cependant il ne conclut jamais rien. Au passage, il ne manque pas de nous assommer de son érudition, en tâchant de caser le lettrisme et le situationnisme, plus une partie de l'art moderne depuis Cobra.

Quant aux aperçus pouvant relever de la stripologie, ils sont à la fois rares et confus. L'auteur résume ainsi L'Affaire Tournesol sur trente pages sous la forme d'une sorte de script de film (« La Citroën 15 noire s'éloigne du domicile d'Alfredo Topolino »), en ne tirant à peu près rien de l'exercice, sauf peut-être ceci : M. Rabu s'extasie (p. 73-74) sur le fait que Topolino, Haddock et Tintin « sont accoudés à une table » pendant leur entretien [p. 25 et 26 de l'album], et il précise : « Ils prennent appui sur un support "réel" : la table et la case se confondent littéralement ». Une note ajoute : « Le projet de couverture de L'Affaire Tournesol [avec « vraie » vitre brisée en relief] n'ayant pas été retenu, ce jeu avec le cadre de la représentation (cette coïncidence) est unique. »

Que dire ? Pour commencer, les trois personnages ne sont pas accoudés. Il sont attablés, ce qui n'est pas la même chose. Mais l'occurrence n'a rien d'unique, puisqu'on trouve des personnages assis, attablés (ou accoudés) ailleurs dans l'album. En second lieu, ce n'est que dans certaines des cases des pp. 25 et 26 que la table se confond effectivement avec le filet inférieur et donc avec le support (c'est-à-dire le dispositif vignettal). Mais même à ce titre, la scène n'est pas unique (Nestor marche sur le plancher de la case dès la première planche). Enfin, ce procédé n'a rien de spécifique à L'Affaire Tournesol, ni même à Hergé (il est canonique dans les littératures dessinées). Il est par conséquent tout à fait hasardeux d'y voir une volonté délibérée de confusion entre support et représentation.

Au total, l'ouvrage de M. Rabu n'apporte aucune réponse, même plaisante, sur les rapports entre Tournesol et Isou. Il ne propose aucune relecture, même excentrique, du corpus hergéen. Ce qu'on a entre les mains ressemble plutôt au pensum d'un auteur entiché de lettrisme et de situationnisme, plus que de Hergé.


Hergé lignes de vie
Philippe Goddin
Moulinsart, 2007

L'énorme biographie de Hergé par M. Goddin complète les cinq tomes de Hergé, chronologie d'une œuvre, du même auteur, et constitue l'aboutissement de sa recherche. On est donc devant une sorte de prodige d'érudition. Le fait qu'il ait passé sa vie dans les archives hergéenne explique un trait de l'auteur. Si M. Goddin rechigne à se servir de la littérature secondaire existante (elle est donnée à la fin de l'ouvrage, à contrecœur et parce qu'« il faut bien ») c'est du fait que, dans son esprit, il rectifie les erreurs que peut contenir cette littérature.

En ce qui concerne les données biographiques, le mérite de l'ouvrage de M. Goddin par rapport aux biographies existantes est que le personnage de Hergé apparaît plus cohérent, plus logique. Ce qu'on pourrait appeler la névrose catholique de Hergé est plus clairement dépeinte, la sortie de cette névrose aussi. (Sur ce point, Philippe Goddin est très proche de Benoît Peeters.)

Les relations entre la psychologie de l'auteur et l'œuvre sont établies clairement, sans que l'auteur ne tombe ni dans un déterminisme biographique à la Lanson, ni dans des spéculations psychanalysantes. Pour ne donner qu'un exemple, on comprend parfaitement qui sont les modèles non pas biographiques, mais psychiques, pour ainsi dire, de Milou (la jeune fille fréquentée en camarade par le jeune Hergé), des Dupondt (le père et l'oncle), de la Castafiore (la première Mme Hergé, réinterprétée comme un modèle de féminité impériale).

Cependant l'auteur a parfois tendance à forcer le trait. Ainsi, la description de la crise du couple Hergé est faite crise de larmes par crise de larmes. Ceci s'explique par le fait que le biographe à eu accès aux carnets de Germaine Kieckens, la première Mme Hergé. Mais, du coup, la relation de cette crise de couple donne une impression de drame épouvantable, qui est sans doute trompeuse.

De même, M. Goddin succombe à cette maladie bien connue de l'érudition, l'empathie du biographe, et — sur le même sujet — il trouve par exemple très choquante la lettre de bon sens qu'E. P. Jacobs adresse à son copain Hergé, lettre qui dit en substance : Couche si tu veux, mais ne l'avoue pas à ta femme.

Sur le plan de l'histoire événementielle, l'élément le plus polémique de l'existence de Hergé, la collaboration au Soir volé, élément qui est central dans la biographie de Pierre Assouline, devient chez M. Goddin un dégât collatéral du catholicisme de Hergé. En réalité, Hergé ne se pose pas la question de savoir si le fait de dessiner pour un quotidien sous contrôle allemand est problématique parce que, dans son milieu, personne ne se la pose.

Quant aux éventuels ennuis qui auraient été faits à Hergé à la Libération, M. Goddin en rabat encore par rapport aux biographes qui l'ont précédé, et il faut sans doute se faire à l'idée que le dossier « Hergé collaborateur » est vide.

L'ouvrage de M. Goddin fournit au passage quelques portraits acides, par exemple ceux des ecclésiastiques de la rue de Fleurus (Cœurs vaillants), qui sont des modèles de cagoterie hypocrite et chafouine et qui essaient — appelons les choses par leur nom — de voler Hergé, qui, dans la circonstance, se montre à la fois un artiste intègre et un excellent homme d'affaires, à une époque où les dessinateurs, face à ceux qui les publient, se comportent souvent comme des petits garçons.

Achevons sur quelques restrictions. On regrettera d'abord l'usage des comparaisons idiotes : l'auteur a la naïveté de penser que s'il compare Hergé à d'autres artiste ( p. 171, ses amours sont comparées à celles de Salvador Dali !), cela l'établit comme artiste.

On regrettera ensuite une certaine maladresse dans la relation avec l'histoire en général. Entrelarder la relation de la jeunesse du dessinateur avec des sortes d'instantanés sur la Grande Guerre fait partie des pires poncifs du genre de la biographie destinée au grand public.

Enfin, la fin de l'ouvrage verse dans l'hagiographie pure et simple, certifications et honneurs étant scrupuleusement énumérés et aucune visite mondaine ne nous étant épargnée.

Un mot encore sur la présentation matérielle de l'ouvrage. La maquette est hideuse, malcommode au possible, avec un texte trop grand des notes trop petites, des numéros de pages relégués dans la marge droite de la page de droite, des titres vissés au début des paragraphes. Le comble est la petite photographie de Hergé, au bas de chaque page, censée nous le « situer » sur le plan de l'âge. Notons que, en dépit des apparences, cette photo ne fonctionne pas comme un flip-book.


Les Guerres d'Hergé : essai de paranoïa-critique
Maxime Benoît-Jeannin
Aden Éditions, collection Grande bibliothèque d'Aden, 2007

Après un long développement sur la réception de son premier opus anti-Hergé, Le Mythe Hergé, l'auteur refait son premier livre en l'étoffant, puis, étant incapable — et pour cause — d'apporter aucun fait nouveau à la connaissance des lecteurs, il nous propose une pauvre analyse de l'œuvre hergéenne d'après-guerre, en la mettant en contexte. L'auteur estime ainsi, si nous avons bien compris, que Hergé, qui a le nazisme bien chevillé à l'âme, donne dans L'Affaire Tournesol, une description somme toute riante des pays du Pacte de Varsovie, parce que les régimes staliniens lui rappellent le régime hitlérien. M. Benoît-Jannin fait aussi de longs développements sur l'opuscule d'Émile Brami, Céline, Hergé et l'affaire Haddock (Écriture, 2004), pour dire essentiellement que Céline et Hergé ne peuvent être comparés, car Céline est un écrivain et la littérature un « art majeur », alors que la bande dessinée est, elle, un « art mineur ».


DANS LA PEAU DE TINTIN
Jean-Marie Apostolidès
Les Impressions nouvelles, collection Réflexions faites, 2010

En appliquant à l'œuvre de Hergé une grille de lecture essentiellement psychanalytique, Jean-Marie Apostolidès tente de donner un portrait cohérent d'un homme qui apparaît à première vue comme particulièrement insaisissable.
L'hypothèse de l'auteur, inspirée du Moi-peau de Didier Anzieu, est que Tintin est pour Georges Remi une seconde peau, une armure, qui lui permet de marcher dans le monde. Il en va de même pour le lecteur, qui est appelé à « habiter » Tintin afin de se sentir plus fort et de vaincre les peurs de son enfance. Mais « Hergé » devient lui-même une peau à habiter pour Georges Remi, et, pour finir, un Moi médiatique.
Jean-Marie Apostolidès met à jour deux fantasmes essentiels de Georges Remi : celui du « mythe des jumeaux » que, dans sa vie, il tenta de réaliser avec sa première femme (on sait qu'ils furent pour l'abbé Wallez Hergé et Hergée), et celui du « maître et de la petite fille ». Ceci amène l'auteur à donner une interprétation psychanalytique des personnages de Jo et Zette, les grands oubliés de l'exégèse hergéenne.
Jean-Marie Apostolidès met aussi à jour une opposition entre le propre et le sale, typique de la névrose obsessionnelle, et qui a évidemment à voir avec la ligne claire.
Certaines des hypothèses proposées peuvent sembler risquées. D'ailleurs l'auteur ne s'en cache pas et les présente lorsque c'est nécessaire comme des paris interprétatifs. Mais Jean-Marie Apostolidès fait aussi de nombreuses remarques frappées au coin du bon sens. Ce qu'il dit par exemple sur le rééquilibrage de la fiction après l'apparition de Haddock, et l'évolution de la personnalité de Tintin, et ses rapports avec l'androgynie ou avec la féminité, est d'une grande pertinence.
Dans la dernière partie de l'ouvrage, M. Apostolidès analyse la gestion des ayant droit, Fanny et Nick Rodwell, et la création du musée Hergé, en deux chapitres vivement polémiques que goûteront les méchants.


HERGÉ PORTRAIT INTIME DU PÈRE DE TINTIN
Benoît Mouchart, François Rivière
Robert Laffont, 2011

Nouvelle biographie d’Hergé, par deux auteurs qui ont décidé de faire plus court que leurs prédécesseurs, moins de 250 pages, ce qui nous donne une vie de Georges Remi dense et agréable à lire. Nos auteurs ont le mérite de se dégager autant qu’il est possible d’un jugement moral, souvent très présent chez les biographes. Hergé apparaît comme cohérent avec lui-même et avec son milieu social. Parmi les raisons de ses choix, discutables et discutés, le désir de revanche sociale est ici clairement mis en évidence.
Les auteurs ont voulu réestimer le rôle de la mère de Georges Remi, « femme fragile que la folie a fini par emporter ». Ils n’ont pas de mal à montrer que le motif de la folie est omniprésent dans l’œuvre d’Hergé. La petite-bourgeoise de cette époque croyant à l’hérédité de la folie, on imagine les angoisses d’Hergé pour lui-même. C’est probablement de cela que parle Hergé dans la lettre citée par Benoît Peeters dans sa biographie Hergé fils de Tintin, Flammarion 2002, p. 38, et non d’un supposé oncle pédophile, qui semble, lui, un peu trop conforme aux lubies de notre temps.
MM. Mouchart et Rivière, outre un point de vue sur l’homme, ont le mérite de porter un jugement clair sur l’œuvre, sachant dire ce qui leur semble digne d’admiration, et ne craignant pas d’écrire par exemple que Vol 714 pour Sydney et Tintin et les Picaros sont des albums ni faits ni à faire.
Ce livre, qui utilise les travaux biographiques qui l’ont précédé avec rigueur, marque probablement la fin d’un cycle. L’auteur qui voudra reprendre le flambeau de la biographie hergéenne devra soit proposer du neuf, et l’on se demande où il pourrait le trouver, soit proposer un changement de perspective radical.

LETTRE À HERGÉ
Jean-Marie Apostolidès,
Les Impressions Nouvelles, 2013

Jean-Marie Apostolidès ouvre son essai par une belle lettre à Hergé qui informe le père de Tintin sur la situation de ses œuvres aujourd’hui.
Puis, dans une première partie, l’auteur examine le Tintin-Lutin (1898) de Benjamin Rabier comme source de l’œuvre hergéenne et tente de montrer que Rabier fit en son temps un portrait de Tintin enfant, posant ainsi les fondations du monde du petit reporter belge.
Dans une deuxième partie, M. Apostolidès examine les deux générations des lecteurs de Tintin, celle des années 1930-1940 qui ont lu Tintin « dans son jus », comme un commentaire de l’actualité, puis la génération des baby-boomers, à qui Tintin a servi d’ouverture au monde.
Enfin, dans une troisième partie, l’auteur se penche sur les possibilités de continuation du mythe, via notamment le film de Spielberg qui pourrait générer un Tintin pour notre temps.
L’ouvrage, bien écrit, est riche et stimulant, même s’il est permis au lecteur de n’être, au fond, d’accord sur rien avec l’auteur. De fait, les remarques que fait Apostolidès sur les spécificités présumées de l’œuvre hergéenne pourraient être faites pour nombre de bandes dessinées du XXe siècle, y compris mineures : la famille remplacée par une fraternité (les Katzenjammer Kids, Bob et Bobette, le Superman dans sa version des années 1950-1960), l’attention portée au développement de la science et de la technologie (Dick Tracy, le Spirou de Franquin), le voyage autour du monde comme motif narratif (le Donald de Barks, Bibi Fricotin, Modesty Blaise, etc.). Ce qui fait l’œuvre hergéenne, c’est sa forme singulière, qui lui permet précisément de synthétiser tous les types de la fiction populaire.
On sera sceptique en outre sur la « perpétuation » du mythe à travers un piètre film qui, plutôt que « les idéaux de la gauche américaine », enfile surtout les poncifs bien-pensants propres aux super-productions actuelles.
On peut, en somme, préférer laisser Tintin à sa place, celle d’un classique du XXe siècle.

TINTIN, BIBLIOGRAPHIE D'UN MYTHE
Olivier Roche et Dominique Cerbelaud
Les Impressions nouvelles, 2014

Publier une bibliographie critique, quel que soit le sujet, peut être considéré comme un coup de folie de la part de n’importe quel éditeur, puisqu’on se place au troisième degré d’abstraction, celui de la littérature tertiaire, soit la littérature qui porte sur la littérature secondaire (qui porte elle-même sur le corpus). Qui va bien pouvoir lire cela, demandera-t-on.
Cependant le caractère exceptionnel de l’érudition hergéenne, au sein de la littérature bédéphilique, se décèle ici encore. Dans ce cas précis, une bibliographie critique se justifie en premier lieu parce que la littérature secondaire est proliférante, et en second lieu parce que la passion de l’érudit le conduira facilement à une méta-analyse de la littérature critique existante, donc à la littérature tertiaire — en attendant une littérature quaternaire dont la présente notule constitue déjà un échantillon, quoiqu’elle porte pour le moment sur un corpus réduit (Tintin, bibliographie d’un mythe plus un listing de littérature secondaire, mais non assorti de commentaires, publié naguère par les Amis de Hergé).
Il faut ajouter qu'une bibliographie critique est justifiée encore par les querelles incessantes tournant autour des droits de propriété de l’imagerie hergéenne, qui ont pour conséquence que la bibliographie hergéenne tend à être fantomatique, une partie des ouvrages se situant dans une zone grise entre littérature officielle et littérature clandestine. Nos bibliographes notent ainsi, le cas échéant, que tel ouvrage à été mis sous séquestre, saisi et pilonné, etc.
Tintin, bibliographie d’un mythe, bibliographie raisonnée et critique, recense la totalité de la littérature secondaire concernant Georges Remi dit Hergé, et sa création, Tintin. Le plan adopté par les auteurs est judicieux et donne une vue d’ensemble de la glose hergéenne, selon un distinction des sections par matière puis, à l’intérieur des sections, un ordonnancement chronologique, qui donne à chaque fois, en petit, un aperçu sur l’évolution du discours savant. On regrettera cependant l’absence des indispensables index (au moins celui des noms et celui des titres) dans l’ouvrage lui-même (il faut les consulter sur la Toile).
Le problème des limites entre corpus (les œuvres de Hergé) et littérature secondaire est posé, les auteurs recevant dans leur bibliographie les éditions commentées, mais aussi les éditions des œuvres complètes, assorties ou non d’un appareil critique, et les « éditions particulières » (grands formats, etc.). De même figurent les amplifications imaginaires (romans mettant en scène les personnages, monographies plaisantes sur la Castafiore ou l’expédition Sanders-Hardmuth).
Une autre limite qu’il fallait nécessairement tracer est celle qui sépare Hergé de la bande dessinée de son temps. L’ombre projetée par le personnage Hergé amène à ouvrir une section Amis et collaborateurs, les auteurs faisant preuve de discernement, et ne notulant que des ouvrages tels que les entretiens et biographies de Jacobs, ou encore l’ouvrage consacré à Jacques Van Melkebeke. De même une section est consacrée au journal Tintin.
L’ouvrage s’achève de façon intrigante sur une sélection des livres étrangers non traduits.
Tintin, bibliographie d’un mythe est exhaustif et fiable et constitue un outil irremplaçable. Les résumés des ouvrages sont exemplaires. Les pures entreprises commerciales (numéros spéciaux de la presse à grand tirage) sont décrites comme telles, et les quelques exceptions dûment signalées. Pour ce qui est de l’érudition pure, le lecteur devra tenir compte, chez nos auteurs, d’une bienveillance qui semble augmenter à proportion de la ferveur hergéenne qu’ils décèlent dans les ouvrages recensés.

HERGÉ LA PART DU LECTEUR
Jean-Marc Pontier
PLG, Collection Mémoire Vive, 2015

Jean-Marc Pontier s’interroge dans un essai stimulant et bien écrit sur ce qui « dans les aventures de Tintin peut justifier le rapport privilégié que Hergé a établi avec ses lecteurs ». Manifestant à la fois une grande érudition et une proximité qu’on pourrait qualifier d’affective avec l’œuvre, l’auteur n’en est pas moins capable de l’observer avec le recul qu’impose l’examen scientifique. Il propose notamment une analyse du « crabe aux pinces d’or » dans l’album éponyme, comme motif oxymorique et métonymique, qui nous semble plus satisfaisante que celles qui ont été proposées jusque là par les tintinophiles.
Comme dans nombre d’études hergéennes, nonobstant leurs mérites, notre auteur tient parfois pour des singularités remarquables des caractéristiques propres à toute œuvre émanant d’auteurs un tant soit peu talentueux. Cette tendance à autonomiser le grand dessinateur a le défaut fâcheux de désinsérer celui-ci de l’histoire de la bande dessinée, et des auteurs qui l’ont influencé. Le triomphe de Tintin à la fin de Tintin en Amérique est, comme l’écrit M. Pontier, repris dans Jo, Zette et Jocko, mais Hergé ne se cite pas lui-même, il cite deux fois Alain Saint-Ogan, planche finale de Zig et Puce à New York.
L’auteur a fait le choix intelligent d’un ouvrage bref et serré. Plus il avance dans son texte, plus l’auteur semble se laisser emporter par son sujet et découvrir de nouvelles pistes avec un enthousiasme communicatif.


HERRIMAN


KRAZY : GEORGE HERRIMAN : A LIFE IN BLACK AND WHITE
Michael Tisserrand

Harper Collins, 2018
Traduction française
KRAZY KAT : GEORGE HERRIMAN : UNE VIE EN NOIR ET BLANC
Les Rêveurs, 2018

Tentative de biographie de George Herriman, sous la forme d’un bottin de plus de 500 pages. La difficulté est que l’on dispose de peu de matériel biographique sur le grand cartoonist, ce qui conduit l’auteur, qui fait flèche de tout bois, à décrire les architectures des immeubles qui ont accueilli Herriman, ou à raconter par le menu les événements sportifs ou mondains qu’il a illustrés en tant que dessinateur de presse. Dans un tel contexte, la production graphique de George Herriman est exploitée d'une triple façon. Premièrement, les bandes dessinées de George Herriman sont décrites et racontées en détail, mais jamais reproduites in extenso, ce qui empêche le lecteur non spécialiste de juger de la part d'interprétation que contient la paraphrase de M. Tisserrand. En second lieu, les dessins privés faits par Herriman pour des amis, sa famille, etc., sont eux aussi décrits par le menu, quoique de façon laxiste, et sont utilisés comme une source archivistique pour documenter la vie du grand cartoonist, le résultat étant qu'une importance démesurée est accordée à des événements privés ou mondains, telle visite, telle sortie faite en commun, telles vacances prises à tel endroit. Troisièmement – et c'est là le plus problématique –, l'ouvrage est émaillé au fil des pages de cases de Krazy Kat qui sont dispensées, elles, de tout commentaire, mais qui sont censées faire écho au propos de M. Tisserrand. Le statut de ces citations de l'œuvre n'est donc jamais éclairci, mais on peut penser que, dans l'esprit de l'auteur, elles constituent une sorte de preuve par l'œuvre de la validité de ses assertions ou de ses hypothèses.
Ces utilisations originales de l’ekphrasis et de l'illustration sont mises au service d’une thèse particulièrement contestable qui est celle d’une origine afro-américaine de George Herriman, thèse qui est étayée sur de maigres données généalogiques et qui est ensuite reprise sous forme de variations à partir d’interprétations du matériau biographique et du matériau iconographique, consolidées par les citations de cases. Ainsi revisitée, la vie de Herriman devient celle d’un homme de couleur qui franchit la barrière raciale, en cachant soigneusement ses origines, sur le modèle du personne de Coleman Silk dans le roman de Philip Roth The Human Stain. Or tout indique que, en admettant que Herriman ait jamais été au courant de sa prétendue origine africaine, il ne s’en est en tout cas jamais soucié le moins du monde, au point que, dans son métier de dessinateur mais aussi dans ses activités sociales, il multiplie les caricatures mettant en scène des noirs, ou bien se met lui-même en scène en blackface, toutes choses qu’un afro-américain « passant » pour blanc aurait évidemment fui comme la peste.
Du coup, les démonstrations de Tisserrand apparaissent largement gratuites, pour ne pas dire tirées par les cheveux. Par exemple, le combat de boxe entre le champion noir Jack Johnson et le champion blanc Jim Jeffries, abondamment commenté sous forme graphique par un Herriman qui dessine pour la page sportive des quotidiens de Hearst, devient pour Tisserrand un retour du refoulé racial chez le dessinateur. Et lorsque naît Krazy Kat, sous le strip The Dingbat Family, le lancer de brique par la souris à destination du chat est décrit de façon absolument discrétionnaire comme reprenant le même motif du combat et évoquant par conséquent la même problématique raciale.
À la fin de l’ouvrage, la simple accumulation de faits biographiques qui sont entièrement étrangers à cette problématique confère à la thèse que l’auteur s’obstine à soutenir les allures d’une franche lubie. Ainsi, un malheureux jeu de mot sur l’orthographe du patronyme d’un personnage, Simeon ou Simian (simiesque), ne peut être pour Tisserrand qu’une nouvelle allusion à un « secret de famille », avec un fort relent d’humour « minstrel ».
L'ouvrage de Michael Tisserrand en dit sans doute beaucoup plus sur le climat intellectuel de la société américaine contemporaine, à l'ère de la politique identitaire (identity politics), que sur un grand cartoonist qui est aussi tout simplement l'un des grands auteurs nord-américains du XXe siècle. On préférera nettement l’ouvrage beaucoup plus modeste de Patrick MacDonnell, auteur du strip Mutts, modestement titré Krazy Kat, The Comic Art of George Herriman, Abrams, 1986, qui, lui, ne soutient aucune thèse, mais dit clairement et congrument ce qu’on sait de la carrière de Herriman, porte un jugement critique sur son œuvre, et contient l’iconographie que M. Tisserrand se contente de décrire à sa façon.


JACOBS

 [Voir aussi Blake et Mortimer, ci-dessus, à la Rubrique 2.5.2. Auteurs particuliers.]


Chez Edgar P. Jacobs : dans l'intimité du père de Blake et Mortimer
Philippe Bierme
En collaboration avec François-Xavier Nève
Éditions du CEFAL, 2004

Souvenirs sur Jacobs et de nombreux documents rares et excentriques.


La Damnation d'Edgar P. Jacobs
Benoît Mouchart, François Rivière
Points Seuil, collection Essais, 2006

Nouvelle édition refondue d'une excellente biographie du maître belge, originellement parue en 2003. (Voir Le Petit Critique 2e édition, p. 133.)

 

E. P. Jacobs : témoignages inédits
Viviane Quittelier
Mosquito, 2009

Mémoires de la petite-fille (en fait la fille du beau-fils) d'Edgar Pierre Jacobs.


JIJÉ


JIJÉ L'AUTRE PÈRE DE LA BD FRANCO-BELGE
Philippe Delisle et Benoît Glaude
PLG, Collection Mémoire vive, 2019

Panorama de l’œuvre de Joseph Gillain marqué par une grande rigueur d’analyse et une austérité assumée, et qui fait le choix de mettre en avant la partie la moins connue de l’œuvre. L’ouvrage parvient à conjoindre de façon harmonieuse une approche contextuelle, centrée sur le facteur religieux, et qui inscrit l’œuvre dans l’histoire de la presse et de l’édition belges, et une approche formelle, qui se place du point de vue de la production, et qui examine en particulier les modalités de l'adaptation littéraire et de la collaboration avec un scénariste.
L’ouvrage justifie son titre en montrant l’influence discrète mais décisive de Jijé sur la bande dessinée de son temps et de son espace culturel. Quant au motif fondamental qui traverse l’œuvre, c’est celui de la fraternité, et les auteurs montrent comment il est traduit au fur et à mesure par le dessinateur, en fonction du contexte idéologique, depuis une bande dessinée imprégnée de valeurs chrétiennes, jusqu’à un message antiraciste explicite.
On pourrait argumenter que, dans l'étude de Valhardi, la fin des années 1950 eût mérité un plus abondant développement. L’influence sur Jijé de Milton Caniff (qui est signalée par les auteurs) y est à son acmé, et l’étude formelle de cette période aurait permis de ré-interroger la catégorie même de la bande dessinée franco-belge.


JACK KIRBY


Kirby King of Comics
Mark Evanier
Abrams, 2008

Superbe ouvrage, magnifiquement illustré en couleur, écrit par un collaborateur de la fin de la carrière de Kirby, et donnant sur la vie et sur l'œuvre le point de vue du disciple.


Les Apocalypses de Jack Kirby
Harry Morgan et Manuel Hirtz
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2009

Basé sur deux hypothèses fortes (1. Jack Kirby est le véritable auteur des comics qu'il dessine, et 2. l'intérêt de Kirby en tant qu'auteur est qu'il est un créateur de mythes), l'ouvrage de MM. Morgan et Hirtz propose une étude théorique (entreprise qui reste sans équivalent à ce jour) du créateur des Fantastic Four. Les auteurs font le choix, a priori raisonnable, de se concentrer sur les comic books publiés de Jack Kirby (et non sur les à-côtés de l'œuvre, newspaper strips, dessins pour des fabricants de jouets ou de dessins animés — ni sur les comic books projetés mais jamais réalisés —, toutes choses qui obsèdent les fanzineux mais dont l'intérêt est secondaire). L'ouvrage comporte successivement un examen critique de l'œuvre (dont le fandom, coincé entre hagiographie et pinaillage, est totalement incapable), une analyse du fonctionnement du récit dessiné chez Kirby (certainement la partie la plus convaincante de l'ouvrage), et enfin des ratiocinations sur les relations de Kirby avec le mythe (les fameuses apocalypses) qui ont le mérite de l'originalité, mais que le lecteur moyen peinera parfois à suivre et que le lecteur savant risque de rejeter comme spéculations invérifiables.

On peut regretter que l'ouvrage ne comporte pas d'étude plastique (Jack Kirby étant l'un des auteurs les plus intéressants de l'histoire des comics du simple point de vue graphique). Mais la méthode des auteurs repose sur ce qu'ils appellent l'interaction entre les codes graphiques et la fiction, de sorte que les éléments iconiques ne sont relevés que comme éléments structurants de l'univers du récit, le monde fictionnel de Kirby étant entièrement régi selon nos exégètes par une « logique graphique ».

Du bon côté, on peut noter que les deux auteurs, Manuel Hirtz, l'érudit pinailleur, et Harry Morgan, le théoricien péremptoire, s'enrichissent mutuellement (ou corrigent mutuellement leurs défauts) et que le tout est supérieur à la somme des parties. L'ouvrage donne à tout le moins un éclairage nouveau sur l'œuvre de Kirby.

La partie sur Kirby en France, quoique riche d'informations, est plus convenue, et ressemble davantage à un bon article de Scarce. On peut regretter qu'elle ne soit pas mieux illustrée, et qu'on ne nous montre pas, par exemple, les images du Superman de Kurt Schaffenberger affublé de petits réacteurs, du fait de l'autocensure des éditions Artima (en effet, un personnage ne devait pas voler « tout seul »).


JOE KUBERT


Man of Rock : A Biography of Joe Kubert
Bill Schelly
Fantagraphics, 2008

Biographie de l'auteur du comic book Sgt. Rock et du comic strip Tales of the Green Berets, mais aussi du graphic novel Fax from Sarajevo. On notera que Kubert, dessinateur mainstream et fondateur d'une modeste (quoique fort renommée) école de dessin, se montre, au moment de l'affaire dite des « caricatures de Mahomet » (février 2006), bien plus courageux et lucide que certaines figures du monde du dessin (on pense à la géniale initiative du dessinateur Plantu et à sa « trêve des caricatures »), puisque Kubert prend une position très ferme contre les régimes islamiques, en reprochant de surcroît aux gouvernements occidentaux la tiédeur de leurs réactions face aux saccages et aux violences organisées par ces mêmes régimes.


LAX


Lax une monographie
Serge Buch, Jean-Michel Vernet
Mosquito 2010

Entretien bellement illustré. Bibliographie de Gilles Ratier.


JIM LEE


Jim Lee Millenium [sic] édition
Delcourt, 2007

Recueil d'images avec des articles sur le maître repris de la revue Wizard.


STAN LEE


STAN LEE HOMÈRE DU XXe SIÈCLE
Jean-Marc Lainé
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2013

Ouvrage consacré au père de la « maison aux idées ».
La première partie de l’ouvrage est un historique nourri à toutes les sources possibles de la carrière du « mage de l’ère Marvel ». Le lecteur attentif et lucide en conclura que Stan Lee fut dans les années 1940 et 1950 un des nombreux soutiers du comic book qui, sous la férule de Martin Goodman, réalisa moult comics books à l’imitation des succès du temps, love comics, funny animal, récits d’horreur dans la veine des EC Comics, etc. Puis Stan Lee fut, grâce à Jack Kirby et Steve Ditko, dans les années 1960, un très grand editor, sous l’égide duquel naquirent les Fantastic Four, Spider-Man, les X-Men, et nombre de personnages aujourd’hui connus de tous. Dans les années 1970, il géra le fonds Marvel bon an mal an. Puis, à partir des années 1980, Lee a produit à la paresseuse des comics, des romans et des produits télévisuels tous plus calamiteux les uns que les autres.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur revient sur ses pas et reprend les éléments qu’il a jugés périphériques, par exemple Millie the Model, ou The Cat, avant de détailler le travail d’editor et de décortiquer la fameuse méthode de production Marvel.
M. Lainé poursuit son étude de Stan Lee comme editor dans la troisième partie où in fine il analyse le Surfer d’argent, en qui il voit une préfiguration du comic book moderne à visée philosophique. L’auteur accorde une très grande importance au fait que les aventures du héraut cosmique sont faiblement liées à la continuité et de la chronologie de l’univers Marvel, sans que l’on comprenne très bien l’enjeu de la chose, sauf à titre de sujet de conversation de fans.
Dans la quatrième partie, M. Lainé étudie les apparitions de Stan Lee à l’intérieur des bandes dessinées.
Enfin, dans la cinquième et dernière partie,  « thèmes et discours », l’auteur cherche le propos général des séries de Stan Lee, mais ne trouve rien de saillant. Éloge de l’individualité et de la responsabilité (« de grands pouvoirs donnent de grandes responsabilités »), méfiance envers le communautarisme, attitude ambivalente vis-à-vis de la science, force est de conclure que les points de vue de Stan Lee sont ceux des Américains de sa génération.
La difficulté principale de l’auteur semble avoir été d’unifier le point de vue du jeune fan qu’il a été, pour qui Stan Lee est un démiurge, créateur d’univers (l’Homère du XXe siècle annoncé dans le sous-titre), et le point de vue de l’historien rassis qu’il est devenu, qui porte un regard plus lucide sur son objet d’étude. M. Lainé signale ainsi comme en passant que « le travail de Stan Lee sur les premiers numéros des Fantastic Four est peut-être plus éditorial que littéraire », mais il n’arrive jamais à conclure clairement sur la position autoriale de Jack Kirby. C’est d’autant plus regrettable que l’importance du travail de l’editor est, elle, bien cernée.
On regrettera la tendance de Jean-Marc Lainé à l’énumération et à la digression.


LEPAGE


Lepage une monographie
Serge Buch, Pierre Yves Lador
Mosquito, 2008

Entretien bellement illustré. Bibliographie de Gilles Ratier.


LORTAC


Lortac
Jean-Paul Tibéri
Regards, 2008

Dans un bel album à dos toilé, tout ce qu'on sait sur Robert Alphonse Collard, dit Lortac (1884-1973), écrivain et dessinateur, qui fut un pionnier du cinéma d'animation (il adapta Monsieur Vieuxbois de Töpffer) et qui finit scénariste de Météor et de Bibi Fricotin (Lortac est l'inventeur des personnages du Pr Radar et de Razibus Zouzou). Au fait, tout ce qu'on sait sur Lortac, cela tient en une (grande) page de données biographiques, une minutieuse bibliographie et une scrupuleuse filmographie. Le reste du volume est consacré à une masse de documents, dont le plat de résistance est À la découverte de Ker-Is (1942, dans le bretonnant Ololé), une bande dessinée à texte sous l'image, texte et dessins de Lortac, qui est un strict équivalent d'un roman populaire de la collection « Tallandier bleu » de l'entre-deux-guerres, fantastique, donc, mais pas trop. À signaler aussi une nouvelle de science-fiction égrillarde (sur le thème du rayon qui excite les femmes) dans V Magazine de 1949, signée du vrai nom de l'auteur. Étonnant Lortac, dont la carrière couvrit trois quarts de siècle, et le mena de l'Illustré National (en 1900) à la revue qui vit naître la Barbarella de Jean-Claude Forest, et des films publicitaires pour la Seita ou Citroen (dans les années 1920) aux scénarios pour les Beaux Albums de la Jeunesse Joyeuse.


MATTT KONTURE

 

Mattt Konture : essai
Pacôme Thiellement
L'Association, collection Éprouvette, 2006

Un agréable essai, résolument littéraire, ce qui est relativement rare dans la littérature secondaire sur la bande dessinée, sur Mattt Konture, auteur entre autres de Auto-Psy d'un mort-vivant (5 volumes à l'Association, 1999-2001) et de Galopu sauve la terre (L'Association, 2005).

Le point de départ de l'auteur est la nature irréductible de l'œuvre (« toute œuvre d'art reste muette sur ses fins ultimes... »), l'œuvre conservant éternellement le mystère de la façon dont elle est ficelée, ce que Thiellement appelle sa torsion. (Les premiers personnages de Konture sont les tordus, inspirés par les handicapés profonds que soigne son père.) De là, Thiellement arrive à la notion d'œuvre en train de se faire, en lutte avec elle-même, puis à l'émergence du personnage konturien (le bonzomme), qu'il considère comme le produit d'une sorte de crucifixion athée. Notre essayiste examine le topos du souterrain, avant de passer à une typologie des personnages de Konture, qui représentent chacun une position existentielle différente.

Pacôme Thiellement a la tête allemande. Le parcours artistique de Mattt Konture est décrit comme un cheminement, souvent souterrain, qui le ferait passer de la conscience malheureuse de Hegel à la réconciliation avec le monde via Nietzsche. (Konture aurait trouvé spontanément un équivalent de l'apologue du chameau, du lion et de l'enfant au début du Zarathoustra.) Mais au fond, peu importent les références exactes sur lesquelles s'appuie notre essayiste. Après tout, le second Faust de Goethe aurait aussi bien fait l'affaire.

Il est dommage que Thiellement, qui note avec soulagement que son dessinateur a définitivement renoncé à tout ce qui peut rappeler les formes d'humour commerciales, avec gag et chute, ne fasse pas la recension de ce qui, dans la mythopoeia de Konture, ressortit au noyau dur des littératures dessinées. Certes, deux emprunts à ce noyau dur traversent l'essai : la construction du récit autour du personnage, qui à lui seul est le principe d'organisation du monde dans lequel il vit, et le principe de transformation. Mais l'essai aurait gagné à un examen systématique de ces éléments immanents à la forme bande dessinée.

On regrettera pour finir que le dessin de Konture soit peu pris en compte, passé le propos initial sur la torsion, et si l'on excepte quelques réflexions sur la hachure dans le second chapitre. (Pacôme Thiellement considère à juste titre que l'œuvre de Mattt Konture se situe dans la continuation de l'underground américain, ce qui impose la référence à Crumb.)


MACHEROT

 

Le Chant du pirate : à propos de Raymond Macherot
Éditions À Propos, collection À Propos n° 16, 2005

Interview par Stéphane Caluwaerts et Philippe Wurm et une foule de rééditions d'histoires complètes, malheureusement en noir et blanc.

 

FRANK MILLER


FRANK MILLER : URBAINE TRAGÉDIE
Jean-Marc Lainé
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2011

Jean-Marc Lainé propose tour à tour un historique scrupuleux des travaux de Frank Miller, une introduction au « Millerverse », un catalogue descriptif des sujets fétiches du dessinateur, le roman noir, le Japon, le catholicisme, les médias, etc. Ajouter un consistant chapitre sur Miller et la politique, où l’auteur du Dark Knight est décrit comme un individualiste de droite. Jean-Marc Lainé achève sur les rapports de Miller avec le cinéma.
On regrettera que notre auteur ne dégage pas plus nettement ses conclusions. Si nous lisons bien, à partir de Sin City, le dessinateur n’a plus fait que décliner son œuvre précédente. Ceci aurait gagné à être dit clairement.
On eût également apprécié que l’auteur fît jouer entre elles certaines de ses analyses. Il nous dit fort justement que Miller est un disciple de Steve Ditko. Il constate d’autre part que le protagoniste de Sin City est graphiquement apparenté aux personnages de Jack Kirby. Mais dès lors, cette dichotomie-même n’est-elle pas à l’origine de la tension dramatique de Sin City ? M. Lainé se garde bien de conclure.


MOEBIUS

MOEBIUS OU LES ERRANCES DU TRAIT
Daniel Pizzoli

PLG, 2013

PLG nous propose deux livres pour le prix d’un. Sur une centaine de pages, une analyse du dessin de Moebius par Daniel Pizzoli, claire et pédagogique, qui privilégie l’étude du tracé, mais examine aussi la question des sources et celle de la composition.
Sur plus de 50 pages en petits caractères, une impressionnante bibliographie de Moebius par Patrick Bouster, où ne manque ni une illustration dans la grande presse ni une sérigraphie, ni même un badge ou une médaille.

ALAN MOORE

L'Hypothèse du lézard
Alan Moore
Les Moutons électriques, 2005

Traduction de la nouvelle d'Alan Moore The Hypothetical Lizard, suivie d'études sur le grand scénariste. Belle présentation, érudite et exhaustive, de la vie et de l'œuvre de Moore par J.P. Jennequin et François Peneaud, une étude guère palpitante sur From Hell, centrée sur la définition du réel et le féminisme, par le même François Peneaud. Un bon article sur Supreme, bien situé dans l'ensemble de l'œuvre, par Pascal Blatter. Le gros point noir du volume est un interminable papier de Raphaël Colson, où la bêtise le dispute à la pédanterie et à l'ineptie. Des interviews de Moore et de Stephen R. Bissette complètent l'ensemble. On regrettera l'absence de la moindre restriction sur l'œuvre d'Alan Moore.


Les Travaux extraordinaires d'Alan Moore
George Khouri
TwoMorrows, 2008

Entretien avec Alan Moore et de nombreux inédits.


Alan Moore : Comics As Performance, Fiction as Scalpel
Annalisa Di Liddo
University Press of Mississippi, 2009

Cet ouvrage, provenu d'une thèse de doctorat soutenue en Italie, étudie l'œuvre d'Alan Moore sous l'angle du code, de la vision du thatchérisme et de l'impérialisme britannique et enfin du statut de la pornographie dans un récit dessiné.


ALAN MOORE : TISSER L'INVISIBLE
Sous la direction de Julien Bétan
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2010

En intégrant dans un volume de la Bibliothèque des miroirs des textes qui étaient déjà parus dans Alan Moore : l'hypothèse du lézard (Les Moutons électriques, 2005), Julien Bétan donne forme et cohérence à un ensemble qui apparaissait quelque peu disparate dans son édition originale, dont la pièce de résistance était une novella d'Alan Moore. L'étude bio-bibliographique a été complétée. On a repris les deux interviews avec Alan Moore et l'interview avec Eddie Campbell. Le témoignage de Steve Bissette permet de rappeler cette vérité que les dessinateurs d'Alan Moore ne sont pas de simples exécutants, mais ont ajouté leurs idées à l'œuvre commune.
Mais l'intérêt du volume tient dans les études, toutes originales, à l'exception de l'article de Pascal Blatter sur Supreme, déjà présent dans Alan Moore : l'hypothèse du lézard. On retiendra une étude américaine sur l'apocalypse comme utopie urbanistique dans Promethea, ainsi que de bonnes analyses de la politique chez Alan Moore, de l'érotisme dans Lost Girls, et une étude de MM. Morgan et Hirtz, vos serviteurs, sur l'évanesence du réel et l'incarnation du fantasme dans From Hell et La League des Gentlemen extaordinaires. À signaler encore un bon digest de l'ouvrage de Moore sur l'art du scénario.


ALAN MOORE UNE BIOGRAPHIE ILLUSTRÉE
Gary Spencer Millidge
Huginn & Muninn/Dargaud, 2011

Traduction de Alan Moore Storyteller. Sur plus de 300 pages au format album, la vie et l'œuvre d'Alan Moore, dans l'ordre chronologique, avec une foule de documents rares et intriguants, tous dûment commentés. Toutes les bandes dessinées, de Maxwell the Magic Cat à Promethea, mais aussi les textes de fiction, les activités de l'homme de spectacle et du mage élisabéthain, et encore les inachevés, et Alan Moore poète, les articles, les préfaces, les notes de lecture pour le Fortean Times. Pas d'analyse au demeurant (mais le lecteur n'en cherche probablement pas, hypnotisé qu'il est par ce qu'on lui montre). En prime, une chronologie dépliante et un CD. Préface de Michael Moorcock.


GRANT MORRISON


GRANT MORRISON (R)ÉVOLUTIONS
Yann Graf
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2011

Monographie sur un scénariste britannique vedette, pilier de la collection Vertigo, qui appliqua dans un second temps ses idées iconoclastes aux comics mainstream, redéfinissant par exemple la Justice League of America, les X-Men et Superman. M. Graf présente sur 150 pages un scrupuleux historique de l'œuvre de l'inventif Écossais, où ne manquent ni un back-up, ni un synopsis refusé, ni même une idée lancée en l'air. Afin d'éviter que le lecteur ne se perde, les travaux importants bénéficient d'un encadré.
Dans un second temps, l'auteur présente sur 50 pages une analyse formelle, claire et intelligente. L'amateur regrettera cependant que M. Graf n'interroge pas les prétentions parfois exorbitantes de son auteur, le caractère iconoclaste d'une idée ne la rendant pas nécessairement géniale et notre scénariste n'étant parfois pas loin du détournement de mythe.


PAAPE


Eddy Paape : la passion de la page d'après
Alain de Kuyssche
Le Lombard, 2008

Bel album de 150 pages somptueusement illustré, retraçant la carrière d'Eddy Paape. L'apprentissage de la peinture, le dessin animé chez Nagant, la rencontre avec Jjjé et la reprise de Valhardi, La World Press, Marc Dacier, Luc Orient, la dernière carrière de professeur.


PELLOS


Pellos : l'œuvre
Jean-Paul Tibéri
Éditions regards, 2003

Essai bibiographique de 52 pages illustrées par le bibliographe coutumier du Maître.


POIRIER

Gorgonzola n° 19, octobre 2013, Dossier Poirier

Dans la revue de bandes dessinées dirigée par Maël Rannou, dossier consacré au dessinateur Poirier (auteur d’Horace cheval de l’Ouest et de Supermatou dans le Pif Gadget des années 1970), mort en 1980, à 38 ans. L’étude formelle par Maël Rannou, la chronologie de l’œuvre par Dominik Vallet, l’entretien très intéressant avec l’assistant et ami du dessinateur, Christian Flamand (qui révèle les dessinateurs de cette époque à la fois comme des esthètes qui ont peint en noir les murs du salon, et comme des traîne-patins), ainsi que les hommages graphiques des dessinateurs jeunes et vieux montrent pourquoi le dessinateur est resté dans les mémoires d’une génération : son art se caractérise par un curieux mélange d’humour très enfantin, connotant une sorte d’« innocence » foncière, et de formalisme : personnages réduits à leur fonction narrative, réitération des séquences, jeux sur les poncifs des différents genres (western, super-héros), dénudation des codes de la bande dessinée.

PRATT

 

Entretiens avec Hugo Pratt
Claude Moliterni
Horay, 2005

S'appelle à l'intérieur de l'ouvrage : « Hugo Pratt : autres souvenirs ». Entretiens avec Moliterni, repris du volume Seghers, Le Club des stars, 1987.

 

Corto Maltese et ses crimes : quelques réflexions sur un pirate qui se disait « gentilhomme de fortune »
Grégoire S. Prat
Horay, 2005

Tentative de règlement de compte avec un personnage de BD, par un auteur qu'on devine fasciné par les pirates, par Corto Maltese et par Hugo Pratt, mais dont la fantasmatique nous reste impénétrable.

 

Avec Hugo
Silvina Pratt, José-Louis Boquet
Flammarion, collection Pop Culture, 2005

Mémoires de la fille de Hugo Pratt.


Hugo Pratt la traversée du labyrinthe : biographie illustrée
Jean-Claude Guilbert
Presses de la Renaissance, 2006

« Mélange de bribes de vie, d'aventures vraiment vécues et d'autres vécues tout aussi intensément mais dans un monde irréel, La traversée du labyrinthe renouvelle le genre biographique pour entrer de plain-pied dans l'évocation littéraire. Car le talent d'écrivain de Jean-Claude Guilbert est un élément essentiel de cet exercice d'admiration. » (4e de couverture.)

Un lecteur moins convaincu du talent d'écrivain de Jean-Claude Guilbert aura plutôt l'impression de trouver de vieilles photos de famille, des souvenirs de ballades avec Pratt et, comme cela ne suffit pas à remplir un livre, une analyse de l'œuvre très tributaire du canon de littérature secondaire (merci Dominique Petitfaux !) et des propos confus sur des admirations littéraires, Kipling, Rider Haggard, Edgar Wallace.


RAYMOND

Alex Raymond His Life and Art
Tom Roberts
Adventure House, 2008

Chez un éditeur spécialisé dans le pulp magazine, bel album à l'italienne contenant une foule de documents inédits et une biographie scrupuleuse de l'un des auteurs les plus influents sur le médium, dont il fixa trois fois le canon, faisant école à chaque fois, bien au-delà des frontières américaines, avec le strip Secret Agent X-9, la planche dominicale Flash Gordon et le strip Rip Kirby.


SERA


Sera en d'autres territoires
Eric Joly, Dominique Poncet
PLG, 2006

Entretien avec Sera, qui a un peu le genre « moi, monsieur, je sais tout faire », témoignages de ses amis et de ses éditeurs, bibliographie, illustrations et documents.

Six pages sur la BD cambodgienne.

Le tout est publié à l'occasion de l'exposition de l'espace d'art contemporain à Paris en février-mars 2006.


SFAR


ENTRETIENS AVEC JOANN SFAR
Thierry Groensteen
Les impressions nouvelles, 2013

Luxueusement imprimé en couleur et muni d'une iconographie surabondante, ce livre d'entretiens propose une exploration méthodique de la personnalité et de la méthode du terrible graphomane qu'est l'auteur du Chat du rabbin. Si le plaisir du dessin est toujours au centre du propos, l'hyperactivité de l'auteur est aussi expliquée par des raisons biographiques (la mort de la mère). Sfar émerge finalement comme un personnage complexe. Favori des médias, passant de la bande dessinée au cinéma ou au roman avec la bénédiction de tous (alors qu'un auteur est normalement sévèrement tancé quand il sort de la case qui lui est assignée), Sfar est aussi en coquetterie avec le système médiatique qui l'adule et avec les bien-pensants qui constituent son lectorat (il est anticlérical, pense que l'activisme antiraciste de la LICRA est contre-productif, est sans aucune illusion sur l'islam, regrette avec un célèbre philosophe aujourd'hui défunt que « les journalistes aient pris le pouvoir »).


STERANKO

Jim Steranko : tout n'est qu'illusion
Guillaume Laborie
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2009

Scrupuleux travail d'érudition, par un spécialiste des comics, pilier de la revue Scarce. Allant au bout de son projet, Guillaume Laborie choisit d'étudier un dessinateur certes pittoresque (il exerça la profession d'escapologist dans la tradition de Houdini, fut historien des comics, inventa une forme bizarre de visual novel), mais en réalité complètement anecdotique si on le considère du point de vue de l'histoire des comics et de l'illustration populaire.

Guillaume Laborie poursuit donc Steranko comic book après comic book, portfolio de luxe après portfolio de luxe et trading card après trading card, le résultat involontaire mais inévitable étant que le dessinateur apparaît comme une complète nullité. Guillaume Laborie reconnaît finalement que « la grande œuvre définitive de l'artiste n'existe pas (encore). » Comme le dessinateur est aujourd'hui septuagénaire, on peut gager qu'elle n'existera jamais.


TIBET


Qui fait peur à maman ?
Tibet
L'Esprit des péninsules, 2007

Souvenirs d'enfance et d'adolescence de Tibet, enfant de Marseille projeté dans le Bruxelles de l'occupation.

Préface de Salvatore Adamo.


OSAMU TEZUKA


Osamu Tezuka : dissection d'un mythe : articles, chroniques, entretiens et mangas
Éditions H, 2009

250 pages sur le père d'Astroboy. Biographie du maître par Hervé Brient, les deux versions de La Nouvelle Île au trésor par Jean-Paul Jennequin, la narration visuelle chez Tezuka par Xavier Hébert, les reprises et continuations des séries depuis 1999, par Élodie Lepelletier.

Sébastien Kimbergt trouve dans le destin du personnage d'Ayako une métaphore de la carrière de Tezuka lui-même. On objectera à notre auteur que si « l'hypothèse est séduisante », il n'y a rien dans l'œuvre elle-même qui permette de l'étayer peu ou prou, et qu'elle est par conséquent tout simplement dépourvue d'intérêt.

Les éditions françaises de Tezuka par Anne Demars, 17 séries de Tezuka brièvement chroniquées, interview des éditeurs français de Tezuka, courts articles sur l'érotisme chez Tezuka, deux histoires courtes, bien choisies.


MA VIE MANGA
Osamu Tezuka
Kana, 2011

Traduction de Boku no manga jinsei, transcription de conférences faites par Tezuka dans les années 1986-1988. Le père d'Astro le petit robot raconte son enfance et sa jeunesse, parle de l'élan vital et du bonheur d'exister (Tezuka est un enfant de la guerre), de la signification de son œuvre (le respect de tout ce qui vit, le danger de la technique), du dessin animé, de l'éducation des enfants.
Témoignages de l'ami d'enfance, de la sœur, de l'homme d'affaires qui aida Tezuka après la faillite de Mushi Productions. « J'ai racheté la totalité des droits d'exploitation des œuvres alors existantes de Tezuka. Et dix ans plus tard, je lui ai tout rendu. »
Tezuka nous donne bien sûr le point de vue d'un homme de lettres, antidote au discours des politiques, mais aussi des médias, qui « nous illusionne plus que la fiction, car il se fait passer pour la réalité, alors que la fiction ne se cache pas d'être une illusion. »


JEAN TRUBERT


Jean Trubert et ses amis
Chantal Trubert
Éditions l'Âge d'or, 2005

Album joliment illustré sur le grand dessinateur pour la jeunesse, écrit par sa fille. La carrière de Jean Trubert est retracée par le menu. Pittoresques anecdotes sur l'artiste, le père, le syndicaliste. Scrupuleuse bibliographie.


MICHAEL TURNER


Michael Turner : Millenium [sic] Edition
Delcourt, 2006

Un livre de 150 pages particulièrement denses avec articles de fond, interview de l'auteur, témoignage de ses proches et de ses collaborateurs, et foule d'illustrations, tout cela sur un pauvre petit dessinateur de séries à la mode (Witchblade, Fathom, Soulfire).


NAOKI URASAWA


NAOKI URASAWA : L'AIR DU TEMPS
Alexis Orsini
Les Moutons électriques, Bibliothèque des miroirs, 2012

Monographie sur l’auteur de Pineapple Army, de Monster, de 20th Century Boys, de Pluto et de Billy Bat, l’un des dessinateurs japonais les plus populaires aujourd’hui. L’ouvrage démarre par une vie et œuvre d’Urasawa, où l’on examine par le menu tout ce qui est sorti de la plume du maître. Cette partie de l’ouvrage est agrémentée de nombreux extraits d’interviews. Puis Alexis Orsini examine les « figures » de l’œuvre et propose une typologie des personnages que l’auteur trouve souvent originaux alors qu’à un lecteur plus soupçonneux ils apparaîtront comme des poncifs de la bande dessinée japonaise. Suivent les « motifs », le sexe, la musique, la culture otaku, etc., tels qu’ils sont vus et perçus par Urasawa. « Le monde vu par Urasawa » se penche sur la représentation de l’Amérique, de l’Europe et du Japon chez le prolifique mangaka. Orsini la trouve très documentée. Pour l’Allemagne par exemple, « Urasawa a su rendre au mieux l’atmosphère du pays ».
Notre auteur achève son ouvrage sur l’influence du cinéma, essentiellement Hitchcock et Kurosawa, ainsi que la forte influence de Tezuka.
On regrette l’absence d’une véritable étude de la forme. Cette lacune est d’autant plus gênante que le contenu, à quoi se borne notre auteur, ne se distingue pas forcément par son originalité. De ce fait, l’ouvrage, au demeurant scrupuleusement documenté, convaincra surtout les fans d’Urasawa.

VARENNE


Varenne itinéraire d'un libertin
Luc Duthil
PLG, 2007

Entretien au long cours avec Alex Varenne. « Je crois qu'il faudrait revenir à une certaine pudeur si l'on veut retrouver un érotisme plus subtil. Il n'y a pas d'érotisme sans pudeur. Et l'on n'est pas dans une époque subtile. »

Des réflexions de Luc Duthil sur l'œuvre de Varenne et sur l'érotisme dans la BD, une bibliographie et bien sûr de nombreuses illustrations, dont, si nos yeux ne nous trompent pas, Greta Garbo s'apprêtant à procéder à une fellatio (p. 113).


BILL WARD


The Wonderful World of Bill Ward King of the Glamour Girls, Taschen, 2006

Enorme album, genre boîte à gâteaux sur l'auteur de Torchy, dont la vie est racontée en anglais, allemand et français par Eric Kroll.


CHRIS WARE


Chris Ware
Daniel Raeburn
Yale University Press, 2004

Monographie sur Chris Ware, comportant une étude d'une trentaine de pages, fort documentée, encore que l'histoire de la bande dessinée est remplacée par un instantané (de Töpffer à Chris Ware). L'essentiel de l'ouvrage est consacré à des commentaires de planches, de couvertures ou d'artefacts (sculptures, mécaniques, montages), ce qui est en l'occurrence une bonne idée.


Chris Ware : la bande dessinée réinventée
Jacques Samson, Benoît Peeters
Les Impressions nouvelles, collection Réflexions faites, 2010

Cette première monographie en français sur Chris Ware comprend une chronologie, une présentation des œuvres, des textes de Chris Ware non traduits en français, tels que des préface, un entretien mené en 2003 par Benoît Peeters, et une riche étude théorique sortie de la plume de Jacques Samson.


WALTHÉRY


Sur les hauteurs du hasard
Pascal Roman
Éditions Horizon BD, 2002

Entretien avec Walthéry et dessins inédits sur papa de Natacha.


YANN ET CONRAD

Yann et Conrad une monographie
Vivian Lecuivre, Serge Buch
Mosquito, 2007

Entretien avec Yann et Conrad, bellement illustré. Bibliographie de Gilles Ratier.


3. Théorie


La Bande dessinée
Virginie François
Éditions Scala, collection Tableaux Choisis, 2005

La BD à travers les auteurs considérés comme marquants. Si l'entreprise est honorablement menée, elle est peut-être plus intéressante comme témoignage de ce qui est valorisé dans la BD par le grand public cultivé au début du XXIe siècle que pour la pertinence de ses analyses.


Bulles en noir, la ville dans la BD polar
Musée Gadagne, 2005

Actes des Rencontres de Gadagne, dans le cadre du festival Quais du polar de Lyon. Harry Morgan confronte le cartoonist Harold Gray à Charles Dickens et à D. W. Griffith. JP Mercier fait une excellente analyse de la ville chez Tardi. Dominique Hérody parle de l'œuvre de Munoz et Sampayo avant et après leur voyage à New-York. Isabelle Papieau cartographie intelligemment le faubourg et la banlieue de Paris dans la BD, nonobstant ce tic de sociologue consistant à poser qu'un non-sociologue ne peut par définition parler des choses elles-mêmes, mais seulement de leurs « représentations ».

Les praticiens invités parlent de leur pratique.


Coïncidences
On a marché sur la bulle éditions, 2005

Un même script est fourni à quinze dessinateurs, qui en font quinze planches très différentes, exercice qui avait déjà été proposé par Thierry Groensteen dans la revue 9e Art n° 1 (avec pour point de départ une page de Franz Kafka). Le travail est illustré, du brouillon à la version définitive. Un questionnaire est adressé à chaque auteur. Chaque auteur a également droit à une notice.


Comix Club
N° 1, janv. 2004
N° 2, oct. 2004
N° 3, janv. 2006
Éditions Groinge

Cette revue dirigée par Big Ben, et dont le philosophe en résidence semble être Jean-Paul Jennequin, pratique essentiellement trois exercices.

Premièrement, l'état des lieux critique de la bande dessinée d'auteurs, avec une prédominance de l'actualité, mais aussi des culture quickies historiques, tels l'Histoire de la small press, par JP Jennequin, dans le numéro deux. L'ensemble a le mérite de rendre compte des différentes positions à l'intérieur du champ (les éditeurs, les libraires, les courageux auteurs...).

Deuxièmement, une critique en bande dessinée, entendue comme le rapport à la bande dessinée d'un jeune dessinateur, qui se situe dès lors dans une triple perspective, mémorielle (« les bandes que j'ai lues étant petit »), didactique (« les bandes qui m'ont formé ») et théorique (« ma vision de la BD »).

Troisièmement, une critique « normale » des parutions, sous forme de notules ou d'articles de recension, mais qui se caractérise elle aussi par l'importance donnée à la personne du critique et au contexte de la découverte de l'album.

Si on note de ci de là des naïvetés, l'ensemble est étonnamment frais, et rend accablant par contraste le discours habituel sur la BD, consensualiste et commercialiste.


Alternative Comics: An Emerging Literature
Charles Hatfield
University Press of Mississippi, 2005

Étude sur l'émergence des comics alternatifs dont les ancêtres vont, selon l'auteur, des « comix » underground jusqu'au Raw de Spiegelman et Mouly. Par contre, M. Hatfield minimise l'invention du circuit de distribution court, en librairies spécialisées (direct sales), comme facteur explicatif de l'apparition d'une nouvelle forme de littérature dessinée.

L'approche est de type « poiétique », l'auteur s'efforçant de montrer comment les différents codes des comics se combinent pour produire le sens. Si l'auteur est généralement bon lecteur, on regrettera qu'il ne se réfère pas à une théorie cohérente, se contentant en réalité d'une liste de questions.

Le Heartbreak Soup de Gilbert Hernandez est étudié en détail, sous l'angle de l'alternance temporelle et du point de vue.

La problématique de l'authenticité dans l'autobiographie, ainsi que celle de l'ironie et de l'auto-réflexivité, sont longuement développées à propos du Maus de Spiegelman et du comic book American Splendor de Harvey Pekar.

En bon universitaire, l'auteur maîtrise la littérature secondaire de langue anglaise (et, dans une moindre mesure, de langue française). Par contre ses références à l'ensemble de la culture savante frisent parfois le pédantisme.


Comics as Philosophy
Jeff McLaughlin (éd.)
University Press of Mississippi, 2005

Essais de nature philosophique sur les comics (toutes aires culturelles confondues), approche qui demeure rarissime dans la littérature secondaire. Au sommaire, la théorie des mondes possibles (inspirée de la Théodicée de Leibniz) dans la série Crisis on Infinite Earths de l'éditeur DC, la censure des comic books et l'éthique de la protection juvénile (par Amy Kiste Nyberg), Spider-Man à la lumière de la philosophie de Platon, l'existentialisme de Jean-Paul Sartre dans le Ghost World de Daniel Clowes, la philosophie de l'environnement dans le Concrete de Paul Chadwick (Concrete devient un éco-terroriste dans Think Like a Mountain, Dark Horse, 1997), la philosophie politique chez Hergé (par Pierre Skilling), la réaction des superhéros au 11 septembre, etc.

Stanford W. Carpenter, qui écrit sur les implications philosophiques d'un Captain America noir (dans la mini-série Truth, de la Marvel), fait la dure expérience du monde-réel-dans-lequel-vivent-les-gens-qui-ne-sont-pas-philosophes lorsque le scénariste de la série lui explique qu'il œuvre dans une littérature de genre, et que les références politiques et les références aux relations inter-raciales font partie du plan marketing des comic books, au titre de « high concept story elements », cet explosif cocktail de politique et de tensions raciales ayant pour fonction de faire vendre les comics.


Graphic Novels : Stories to Change Your Life
Paul Gravett
Collins Design, 2005

Dans le même format que l'excellent ouvrage du même auteur sur le manga, un guide des cent meilleurs graphic novels, assorti de commentaires pertinents et intelligemment illustré. On regrettera que l'ouvrage ne soit pas traduisible pour un public francophone, la notion de graphic novel n'ayant pas grand sens sous nos climats. (Le graphic novel ne recouvre pas la notion française de « bande dessinée d'auteur ».)


Bananas : revue critique de bandes dessinées
N° 1, printemps 2006

Entretiens avec Xavier Mussat, José-Louis Bocquet et Tébo.

Nombreuses fiches de lecture généralement signées Evariste Blanchet.

La revue présente la particularité de contenir en sandwich une deuxième revue, sur papier glacé et imprimée en quadri, dirigée par Pierre-Marie Jamet. La cohérence du projet en est quelque peu contrariée, d'autant que la revue principale publie elle aussi des BD.

Une autre difficulté provient de la volonté des éditeurs de couvrir tout le champ de la BD, de sorte que des auteurs de BD autobiographique et de confession voisinent avec un disciple de Zep.


L'Éprouvette n° 1
L'Association, janvier 2006

Pour faire suite à Plates-bandes, pamphlet de JC Menu, premier numéro d'une revue théorique de 300 pages mélangeant contributions écrites et desssinées. Particulièrement réussie et drôle, la section sur le rite festivalier de la dédicace. Moins convaincante est la section Avant-garde où, pour des raisons obscures, les auteurs tiennent à revendiquer une notion que tous les arts ont abandonnée depuis plusieurs décennies. Cela les amène, à force d'acrobaties, à démontrer que JC Forest constitue une avant-garde à lui tout seul. Particulièrement éclairant, le journal littéraire de David Vandermeulen, décrivant ses conventions et ses festivals. L'historien fera son miel de l'entretien avec François Caradec. Le méchant homme se délectera du courrier et des polémiques diverses.

Venant après un excellent numéro spécial d'ArtPress dirigé par Bernard Joubert, et concomitant avec une nouvelle formule de 9e art, ainsi que la résurrection de la revue Bananas, cette Éprouvette témoigne du fait que le discours savant sur les littératures dessinées émane aujourd'hui d'acteurs du domaine, éditeurs, auteurs, théoriciens, renvoyant les discours généralistes sur la BD (ceux des grands médias, des revues sur la BD destinées au grand public, des milieux enseignants, etc.) à leur médiocrité et à leur amateurisme.


Neuvième Art n° 12
Éditions de l'an 2, Janv. 2006

Nouvelle incarnation de la revue annuelle du CNBDI et des éditions de l'an 2, désormais au format d'une revue de bibliothèque, forte de 266 pages.

Dossier Wolinski, président du festival d'Angoulême 2006, qui, dans un substantiel entretien, se révèle comme ce qu'il est au fond, et qui fait son charme, un monsieur Fenouillard de gauche. (« Moi, j'y croyais dur comme fer [à mai 68]. Je disais les bêtises de l'époque, qui étaient justes au fond. J'étais contre la société de consommation, je me considérais comme révolutionnaire, tout, quoi ! tout bien... (rires). »

Dossier sur la bande dessinée animalière. Dossier sur les 30 ans de Métal Hurlant, intéressant, mais qui peine à dire la vérité : quoique historiquement importante, la revue, passés les quatre premiers numéros, ne fut guère passionnante. Dossier littérature et bande dessinée. Dossier Peur du noir, où l'on passe du projet de dessin animé qui porte ce titre à des commentaires de planches originales faisant partie des collections du musée, genre initié par la revue, et qui s'avère extrêmement fructueux, à la fois comme intervention théorique et comme exercice littéraire.

Enfin, une foule d'hommages, de comptes rendus et de critiques, certaines sévères (synthèse de Harry Morgan sur les dictionnaires de la bande dessinée). Et un choix d'histoires courtes allant du classique T. S. Sullivant au moderne Richard McGuire, qui est interviewé et dont est reproduit le classique récit « Here ».


Un objet culturel non identifié
Thierry Groensteen
Éditions de l'An 2, collection Essais, 2006

« Selon moi, la bande dessinée est perçue comme ontologiquement dévaluée parce qu'elle pâtit d'un quintuple handicap symbolique. 1° Elle serait un genre bâtard, le résultat d’un métissage scandaleux entre le texte et l’image. 2° Elle peut bien feindre désormais de s’adresser aux adultes, elle ne leur proposerait en vérité rien d’autre que de prolonger leur enfance, ou d’y retomber, son « message » étant intrinsèquement infantile. 3° Elle aurait partie liée avec une branche vile et dégradée des arts visuels : la caricature. 4° Elle n’aurait pas su ou voulu épouser le mouvement de l’histoire des autres arts au cours du XXe siècle. 5° Elle serait dans l’incapacité de produire des images dignes de respect et d’attention du fait de leur multiplicité et de leur petit format. »

Dans un essai incisif, Thierry Groensteen se penche sur le statut culturel de la bande dessinée, en n'épargnant personne, ni lecteurs, ni auteurs, ni éditeurs, ni critiques, ni institutions. Thierry Groensteen, qui est sans contestation possible le plus important théoricien d'expression française du médium bande dessinée, tire aussi les leçons de ses expériences de directeur de revue théorique, de chroniqueur dans un grand quotidien du soir, de directeur du musée de la bande dessinée et d'éditeur.

L'ouvrage est remarquablement écrit et scrupuleusement documenté. Il témoigne d'un sens exceptionnel de la synthèse, l'auteur brassant une masse d'informations considérable et l'ordonnant harmonieusement dans un essai de moins de 200 pages.

L'auteur se place du point de vue d'un univers culturel en quelque sorte idéal et le confronte à une réalité qui se révèle particulièrement décevante. Victime d'abord des handicaps symboliques cités plus haut, la bande dessinée est victime ensuite des attitudes des différents acteurs du secteur. Commercialisme, absence d'histoire, anti-intellectualisme, ce qu'il faut bien appeler une faillite de la critique, des choix institutionnels catastrophiques et enfin le déficit de médiatisation, tels sont les obstacles auxquels est confrontée la bande dessinée, la conséquence étant qu'elle est définitivement rangée dans la culture du divertissement.

Chez les éditeurs, le consensus se fait pour promouvoir des plans économiques infaillibles (principe de la série), tout en tenant un discours triomphaliste sur un genre qui aurait désormais ses lettres de noblesse, qui serait passé à l'âge adulte, etc., ce qui revient à renvoyer toute l'histoire du médium à des balbutiements puérils. Une conséquence est l'absence des classiques (non réédités), et l'absence des auteurs (le lecteur s'en convaincra aisément en vérifiant que, dans les librairies, les albums sont classés... par noms de séries). Cette incapacité à traiter la bande dessinée comme une littérature donne naissance selon Groensteen à la « fan-attitude » et à un commercialisme cynique (les produits dérivés).

Si, dans l'analyse qu'il fait des stratégies commerciales, Thierry Groensteen prête éventuellement le flanc à la critique, c'est dans sa dénonciation de la prédominance de la fantasy et du manga.

Pour ce qui est de la fantasy (réduite en l'occurrence au sword and sorcery), Groensteen cite les publication Soleil et la revue publicitaire de la maison à l'appui d'une thèse qui est la stéréotypie du genre. C'est confondre un genre et l'utilisation médiocre qui en est faite par un éditeur qui, soit dit à sa décharge, n'a jamais dissimulé ses ambitions commerciales ni son choix délibéré du plus petit dénominateur culturel commun. Il se trouve (et T. Groensteen le rappelle à bon escient) que la source de la fantasy contemporaine — les romans de J. R. R. Tolkien — relève d'une littérature savante, qui réactualise un courant allégorique ayant traversé la littérature occidentale. Que cette forme savante soit devenue, sous les plumes et les pinceaux de tâcherons, une collection de poncifs, c'est l'une de ces ironies dont l'histoire de la littérature n'est pas avare.

Quant à la « déferlante manga », qui risque selon Groensteen d'étouffer la production locale, il n'est pas sûr qu'elle représente une menace. Il reste à démontrer que le manga ait pris un seul lecteur à la bande dessinée franco-belge. (On peut penser que les publics qui consomment du manga ne liraient pas de bande dessinée du tout si le manga n'existait pas.) Par contre, le manga permettra peut-être de remettre en branle une bande dessinée francophone « commerciale » dont on est bien forcé de convenir que les modalités et l'inspiration n'ont pas évolué depuis une quarantaine d'années. Autrement dit, le « péril manga » cache peut-être une de ces révolutions des formes, comme la bande dessinée en a connu régulièrement, les formes autochtones devenant désuètes, du fait d'un infini ressassement, et une forme nouvelle s'imposant et venant féconder, par contrecoup, la production locale.

On peut ajouter que le manga a réconcilié le lectorat féminin avec la bande dessinée, ce qui n'est pas à négliger dans un univers dont l'une des caractéristiques est son ancrage sur ce que Groensteen appelle « l'imaginaire étriqué de l'individu mâle en pleine crise d'adolescence ».

Outre les problèmes économiques qui lui sont propres, la BD souffre aussi de son absence de statut dans le monde de la culture. Dans la culture savante, la bande dessinée est considérée comme relevant d'une branche de la sociologie, département de la culture de masse. Les souvenirs que donne Groensteen de son directorat de musée sont fort éclairants à cet égard, l'existence d'un Centre national de la bande dessinée et de l'image, qui abrite un musée de la bande dessinée, ne garantissant nullement, aussi bizarre que cela puisse paraître, que la bande dessinée soit considérée par les autorités de tutelle comme une littérature et comme un art.

Dans un tel contexte, Groensteen n'hésite pas à parler d'un échec des fameux « exégètes » de la BD qui, rappelons-le, s'étaient donné pour tâche initialement une « défense et illustration » de la bande dessinée :

« On peut en outre adresser au CELEG, et plus généralement aux bédéphiles de la première heure, plusieurs reproches : collusion avec le collectionnisme, fixation sur une certaine bande dessinée américaine (épique et fantastique) et errements théoriques divers, dont les formes les plus notables auront été un positionnement confus par rapport à la littérature et – ce dernier point étant plutôt le fait de la SOCERLID – la recherche à tout prix de cautions culturelles historiques hors de propos. (De Lascaux à Bayeux en passant par les fresques égyptiennes – lesquelles ne relèvent pourtant pas de la narration séquentielle –, toutes sortes de jalons pris dans l’histoire de la représentation ont été réquisitionnés pour trouver à la bande dessinée des antécédents « nobles » dont elle n'avait que faire.) »

On peut se demander cependant si Groensteen ne se montre pas, ici encore, par trop pessimiste. Après tout, il est lui-même, par ses propres travaux et par la constitution d'une équipe autour des Cahiers de la bande dessinée, puis, dix ans plus tard, de 9e art, à l'origine d'une pensée savante qui a aujourd'hui largement percolé dans les institutions culturelles, l'université elle-même commençant à rattraper son retard.

En somme, si l'on fait la part des handicaps symboliques dont souffre la bande dessinée, du cynisme des éditeurs, de la frilosité des institutions, d'un discours médiatique manipulateur, d'un paysage intellectuel particulièrement désolant où l'« économique » est censé tenir lieu de tout le reste et où l'art et la culture sont remplacés par le « loisir » et le « divertissement », il reste cette évidence que les œuvres difficiles auront toujours un public restreint, que les œuvres du canon sont appréciées par les cognoscenti pour des raisons qui échappent par définition au commun des mortels, et que le statut des littératures dessinées n'est pas si différent, toutes choses égales, de celui des littératures écrites.


L'Éprouvette n° 2
L'Association, juin 2006

Dans le deuxième tome du spin-off de Plate-Bandes de JC Menu, ce sont plus de 400 pages de théorie et de contributions dessinées qui se disputent l'attention du lecteur submergé.

Roboratif article de JC Menu, « que faire d'Angoulême ? »

Texte d'Edmond Baudoin, extrêmement intéressant, sur ses rapports avec le monde de la BD. « Je n'ai jamais décidé d'être un auteur d'avant-garde, jamais décidé de faire des choses difficiles... » « ... Ses arguments me rappelaient ceux, entendus lors d'un autre festival, où Jean-Paul Mougin (encore lui), accoudé au comptoir du bar d'un hôtel, avait bafouillé, oubliant ma présence : "Baudoin, c'est un fossoyeur de la BD." »

Dossier bande dessinée et arts plastiques, article de JC Menu sur Charlotte Salomon, article de Christian Rosset sur Yves Deloule. Suite du feuilleton du même, « Avis d'orage en fin de journée ». Entretiens avec Benoît Jacques et Julie Doucet, le tout richement illustré.

Entretiens avec Luz et Lefred-Thouron sur les rapports entre dessin de presse et BD.

Dossier plagiat et contrefaçon où Bernard Joubert présente l'incroyable Souvenir d'Avenir de Jésus Cela, album qui a été intégralement décalqué.

Suite de l'histoire de la critique avec un entretien avec Yves Di Manno, et la reprise de textes de la revue Dorénavant, qui ont conservé leur fraîcheur et leur naïveté. Dialogue entre JC Menu et Barthélemy Schwartz.

47 pages en couleur sur la disparition de la remarquable revue pour enfants Capsule Cosmique. (Les auteurs ne sont pas contents.)

Instructive publication, par une taupe, d'une série d'e-mails collectifs échangés au sein de l'ACBD, association des critiques de bande dessinée, regroupant des fanzineux, des besogneux courant après les piges, mais aussi des journalistes détenteurs de la carte de presse et écrivant pour de grands médias.


Bananas, Revue critique de bandes dessinées
N° 2, automne-hiver 2006-2007

Ce numéro vaut surtout par un long entretien de Christian Marmonnier avec JC Forest enregistré en 1996 pour Radio Libertaire, entretien précieux car les interviews de Forest sont relativement rares.

Autres entretiens, avec Frédéric Poincelet, avec Louis Joos, nombreuses notices sur des albums et sur des ouvrages théoriques, près de cent pages de BD dans le Bananas Comix sur papier glacé qui figure à la place du jambon dans la revue dont le Bananas critique et théorique est le pain.

Dans un long article titré « L'Invention de la beauté », Evariste Blanchet ramène, à propos d'une lithographie d'André Juillard représentant une jeune femme dans un café, la vieille question du beau dans l'art. Ce papier pose au moins quatre problèmes.

1. La notion de beauté est appréhendée dans un cadre historique qui est celui du classicisme, dont Juillard serait l'héritier (néo-classique, par conséquent). Mais on se demande comment cette esthétique classique est applicable aux littératures dessinées — même une fois qu'on a rayé d'un trait de plume, comme le fait sans hésiter M. Blanchet, toute la bande dessinée humoristique !

2. Traiter d'esthétique, c'est-à-dire déterminer les caractères du beau dans les productions de l'art, suppose une formation du goût et, en particulier, une aptitude à juger d'un dessin. Or, soit dit sans aucune intention polémique, le dessin de Juillard qui motive l'enthousiasme de M. Blanchet est absolument inférieur, voire fautif (le bras gauche de la figure est manifestement mal placé, de sorte que la manche flotte en apesanteur). Inversement, M. Blanchet tient des propos proprement ahurissants sur Alex Raymond. « Son sens de la composition [dans Flash Gordon] est inférieur et ses maladresses nombreuses. D'où (écrit M. Blanchet) une tentation constante de masquer ses manques par quelques artifices. »

3. On ne peut traiter de l'esthétique des littératures dessinées in abstracto en convoquant de façon discrétionnaire, à fin de comparaison, la peinture classique. Il faut nécessairement situer les littératures dessinées dans des contraintes sémiotiques et techniques, et dans un projet éditorial (au centre duquel figure un récit !). Ainsi le reproche de surcharge adressé à Harold Foster (qui, selon M. Blanchet, serait « assez proche de Raymond, la maladresse en moins » !) n'a rigoureusement aucun sens si on considère la tradition imagière d'où est issu Foster, celle de l'illustration à la plume et à l'encre, et si on tient compte de son projet narratif, qui consiste à recycler la littérature chevaleresque dans sa version du XIXe siècle sous forme de planches de grandes images légendées et dialoguées.

4. L'appréhension esthétique d'une image de BD isolée (ou d'une planche considérée sous le seul rapport esthétique) ne peut se ramener à une tentative de voir l'image pour elle-même, abstraction faite du contexte narratif. L'image de BD possède des traits sémiotiques qui lui sont propres. Elle réfère à une forme BD (avec ses associations éventuelles, littérature de masse, littérature industrielle, etc.) Elle refère au récit dessiné d'où elle est extraite, selon un principe synecdochique (pars pro toto). En choisissant comme base de ses réflexions une lithographie (et non une case de BD !), M. Blanchet occulte totalement ces fonctions référentielles de l'image de BD. En outre, ce choix paradoxal aurait dû guider la réflexion vers un autre objet sémiotique, qui est l'imagerie, sur lequel M. Blanchet reste inexplicablement muet.


Neuvième Art n° 13
Éditions de l'an 2, Janvier 2007

Dossier Trondheim (sans interview) et dossier Pétillon, fort riches l'un et l'autre.

Dossier BD et philosophie où les intervenants se montrent parfois un tantinet naïfs face à l'objet BD, mais font preuve de goût.

Petit dossier bande dessinée chinoise avec un récit complet de Yan Kai (de navrants combats de sabre édulcorés à la sucrette).

Entretien avec Philippe Druillet sur Délirius.

Thierry Smolderen montre comment différentes formes de mise en page (celles de la ballade illustrée, celle de l'enluminure romantique, etc.) ont fécondé les littératures dessinées. Thierry Groensteen scrute avec beaucoup de pénétration les tendances contemporaines de la mise en page, ce qui lui permet au passage une critique intelligente de certains productions populaires.

Article commémoratif de Harry Morgan sur l'affaire dite des « caricatures de Mahomet », où l'auteur écrit notamment :

« L’affaire des caricatures révéla dans les opinions publiques occidentales la prédominance d’une conception colorée par le relativisme et l’idéologie victimaire, dans laquelle les personnes se déclarant offensées par une caricature définissent de façon discrétionnaire la nature de leur préjudice et la sanction qu’elles estiment appropriée, et dans laquelle la notion de liberté de la presse est systématiquement présentée comme un principe subsidiaire. »

Article de fond du même sur l'école du New Yorker, avec une annexe sur Ralph Barton, par Dominique Hérody.

Très bon article d'Erwin Dejasse et F. Paques sur les blogs en BD dont on retiendra le passage suivant :

« La publication en ligne... pourrait apparaître comme un gage de liberté... or la blogosphère BD est le lieu par excellence du ressassement des poncifs, un révélateur des esthétiques les plus en vogue. On n'y compte plus aujourd'hui les suiveurs plus ou moins inspirés de Trondheim, Sfar, Blutch, Blain ou Dupuy et Berbérian et on y cherche en vain les émules de Killofer, Fabio, Vanoli, Boilet, Neaud ou Aristophane. »

L'affaire Dupuis vue de Belgique est congrûment résumée par Thierry Bellefroid.

Les cahiers BD présentent de l'excellent matériel de Trondheim et Pétillon. Les commentaires de planches sont de bons spécimens d'une sémiologie des littératures dessinées arrivée à maturité. Les notes de lecture sont pertinentes et mesurées.


L'Éprouvette n° 3
L'Association, janvier 2007

Sur plus de 550 pages, dernier numéro de la revue théorique qui constitue l'ultime extension de Plates-bandes de JC Menu.

Dans l'abondant contenu, mérite une distinction particulière une histoire des rapports entre l'Internationale situationiste et la BD par Antoine Sausverd, complète, claire et remarquablement documentée.

Dans son feuilleton, « Avis d'orage en fin de journée », Christian Rosset tente de situer le processus cognitif de la lecture de la BD entre gommage et ressouvenir.

Entretiens avec Jacques Roubaud, Stéphane Blanquet, Jan Voss, Jacques Carelman, Mokeit.

Articles sur Mark Beyer, Milo Dolashka, Luzzati.

Reprise intégrale du numéro un de Controverse et entretien avec Bruno Lecigne qui parle du passé avec détachement. JC Menu achève ici une histoire des courants souterrains de la critique BD.

Article de Boris Eizykman sur Verbeck, Arcimboldo et Cézanne. On constate avec amusement que l'auteur est toujours disciple de JF Lyotard et a conservé ses lubies des années 1970. Il a entre-temps appris, en bon universitaire, à nous envoyer des bibliothèques entières à la figure au moindre prétexte.

Dialogue de JC Menu avec Enrique et Mr Potiron du label "les potagers nature". Signalons au lecteur pressé que JC Menu y donne le fond de sa pensée en trois pages.

Conversation entre Menu et et Fabrice Neaud sur l'autobiographie en bande dessinée.

Texte de Lucas Méthé « Noyer la "BD indé molle" qui est en soi », intéressant car à contre-courant de l'esprit du temps, s'en prenant au « fantasme de la reconnaissance », à la nécessité de publier pour occuper le terrain, etc.

Suite à leur lecture d'Un objet culturel non identifié de Thierry Groensteen, JC Menu et Christian Rosset pinaillent et extrapolent à l'envi.

Bernard Joubert nous présente les bandes dessinées de son papa, privé à l'âge de dix ans des illustrés dits de « l'âge d'or » et qui se mit à en produire des contrefaçons pour son propre compte, avec l'aide de la petite voisine.

Erwin Dejasse livre des propos lucides sur la critique BD.

Et on pourrait citer encore moultes contributions à ce gros numéro, qui frôlent parfois la répétition et le bavardage mais qui confirment la volonté de JC Menu d'aller « autre part », que cet autre part existe ou non.


Comix Club
N° 4, janv. 2006
N° 5, mai 2007
N° 6, oct. 2007

Dans le n° 4, dossier James Kochalka et dossier Nylso. Discussion par mail entre JP Jennequin et Bernard Joubert sur la notion de bande dessinée d'auteur, après la publication par B. Joubert d'un hors-série d'ArtPress intitulé précisément Bandes d'auteurs. Un reportage sur la convention allemande d'Erlangen. Vingt-cinq pages sur les fanzines.

Du côté négatif, on regrettera un certain conformisme de la pensée. A propos de la divulgation, par une taupe, dans l'Éprouvette n° 2, d'une correspondance circulaire des membres de l'ACBD, association des critiques de bande dessinée [voir plus haut la notice sur l'Éprouvette n° 2], Benoît Preteseille écrit, sans ironie apparemment : « Que dirait Menu si on faisait pareil à son propos ? » C'est oublier que la publication de cette correspondance (qui, encore une fois, n'avait rien de privé, il s'agit bien de lettres circulaires), est tout à fait en phase avec la démarche avant-gardiste de Menu, inspirée en particulier par le surréalisme (la publication des buvards du conseil des ministres dans La Révolution surréaliste n° 6, 1er mars 1926). En outre, elle constitue, comme le note Menu lui-même, « un document anthropologique de tout premier ordre sur le micocosme critique ».

Dans le n° 5, dossier John Porcellino, hommage en bande dessinée à Aristophane par Gotpower, étude sur les Moumines de Tove Jansson par A.-F. Ruaud, jeu oulipien par Big Ben, convoquant le Système de la bande dessinée de Thierry Groensteen et l'appliquant à du Blake et Mortimer dessiné par André Juillard, exercice déjà pratiqué par François Ayroles dans l'Oupus 2 de l'Oubapo, mais sur du Graton, ce qui est encore plus drôle, et par le même Ayroles, sur du Jacobs cette fois, dans un numéro de Bang. Les critiques en BD de BSK sont particulièrement drôles, les propos sur les fanzines de JP Jennequin (qui devient à partir de ce numéro rédacteur en chef de Comix Club) et de Philippe Marcel sont pertinents et scrupuleusement documentés.

Signalons l'apparition d'un blog à l'adresse

www.comixpouf.blogspot.com

Dans le numéro 6, rencontre avec le dessinateur suédois Gunnar Lundkvist, auteur peu traduit en français.

Excellent article de Jean-Paul Jennequin sur Le Blog de Frantico, axé sur la problématique de la véracité dans la bande dessinée confessionnelle : Le blog de Frantico, qui a été reçu comme le vrai blog en bande dessinée d'un vrai jeune auteur, co nserve-t-il son intérêt si Frantico n'existe pas, et si son blog et lui-même sont une invention de Lewis Trondheim ? Il semblerait que nombre d'amateurs soient tentés de répondre par la négative. A cet égard, il est amusant de constater qu'un effet tardif et paradoxal de la disqualification du projet littéraire par le sémio-structuralisme est une sorte de table rase et que le lecteur pluridiplômé, trentenaire, urbain, familier des nouvelles technologies, qui fait le succès de la bande dessinée dite d'auteur, se montre apparemment aussi naïf que les plus naïves des serveuses de restaurant lectrices de love comics dans les années 1950, qui pensaient qu'il s'agissait de véridiques confessions de femmes bien réelles, qui se tenaient probablement derrière la chaise du dessinateur pendant qu'il dessinait pour vérifier qu'il ne modifiait rien.

Un dossier Zombie qui semble à première vue déplacé dans Comix Club, mais qui ne l'est pas.

Actualité de la bande dessinée indépendante, commentaires en bande dessinée et un article de Guillaume Laborie, « Pourquoi la bande dessinée indépendante a un avenir », proposant un « label bio » pour les petits éditeurs.


Reading Bande Dessinée : Critical approaches to French-Language Comic Strip
Ann Miller
Intellect, 2007*

* www.intellectbooks.com

Il faut saluer l'exceptionnel travail de synthèse d'Ann Miller, qui parvient à dresser un panorama complet et détaillé du phénomène culturel « bande dessinée », ce qui est d'autant plus remarquable, que l'auteur utilise successivement toutes les approches savantes, passant de l'histoire culturelle de la bande dessinée et de sa réception à la réflexion théorique sur le médium, puis à l'analyse sociologique et enfin aux problématiques du moi dans les littératures dessinées.

L'auteur officie au Royaume-Uni dans le cadre des French Studies, ce qui explique qu'elle fasse des emprunts massifs à la French Theory, Bourdieu, Lacan, Derrida, etc. Mais à côté de cette érudition générale, l'auteur est au fait de la recherche contemporaine sur la bande dessinée, qu'elle utilise de façon pertinente. Sa maîtrise du corpus de littérature secondaire est impeccable.

Ajoutons que la qualité d'étrangère de Mme Miller est un véritable atout, car elle échappe aux idées toutes faites auxquelles un auteur francophone, même bon connaisseur du médium, est exposé. Ainsi, dans sa première partie, historique, l'auteur ne se contente pas de parler du « passage de la bande dessinée à l'âge adulte », alors même qu'elle concentre l'essentiel de ses analyses sur la bande dessinée contemporaine. Elle commence par expliquer que les littératures dessinées ont été annexées aux littératures enfantines, à la toute fin du XIXe siècle, et elle examine la progressive émancipation du médium dans un cadre qui est celui du régime de censure imposé par la loi de 1949. Rares sont les ouvrages francophones qui abordent aussi frontalement cette question essentielle.

De même, Mme Miller, qui n'a pas de thèse à défendre, analyse l'attitude dominante des professionnels de la bande dessinée comme le conservatisme (p. 34), et le gros de la production comme dénué d'intérêt (p. 45), positions qui, lorsqu'elles sont exprimées en France par un Thierry Groensteen (voir plus haut Un objet culturel non identifié) lui valent des bordées d'injures.

Dans son panorama historique, Ann Miller associe harmonieusement diverses approches, et donne à la fois une histoire économique du secteur de la bande dessinée depuis les années 1970, une petite sociologie du milieu, inspirée des schémas de Bourdieu et de Boltanski, une histoire des courants et des tendances de la bande dessinée contemporaine, et une histoire de l'élaboration théorique autour de la bande dessinée.

Dans les approches théoriques, l'auteur se place successivement d'un point de vue sémiotique puis d'un point de vue narratologique. Elle applique les notions généralement admises par la recherche contemporaine à L'Autoroute du soleil de Baru et au Cahier bleu de Juillard. La partie sémiologique de l'ouvrage constitue à cet égard une application systématique des cadres théoriques de Groensteen, mais aussi de Peeters et de Baetens et Lefèvre.

Lorsque la théorie existante est problématique, l'auteur la corrige intelligemment. C'est le cas pour la narratologie du médium. La notion de mode au sens de Genette (focalisation interne, externe et zéro) étant manifestement inadaptée, l'auteur la complète par un emprunt aux théoricien du cinéma François Jost et André Gaudreault, et distingue dès lors focalisation interne (on en sait autant que le personnage) et ocularisation (on voit ce que voit le personnage).

Cette partie théorique conclut sur un chapitre plus spéculatif, consacré à la bande dessinée comme forme post-moderne, centrée sur la perte du référent et la déconstruction au sens de Derrida.

Les études de contenu de la troisième partie sont plus conventionnelles. L'auteur examine successivement les questions de l'identité nationale, du post-colonialisme, des classes sociales et de la masculinité, dans une série d'albums, en s'appuyant massivement, ici encore, sur Bourdieu.

Enfin, dans la quatrième partie, consacrée aux problématiques du moi, l'auteur étudie les approches psychanalytiques de Tintin, à partir de Lacan, l'autobiographie en bande dessinée, les problématiques des Gender Studies dans la bande dessinée autobiographique.

Ici, on peut éprouver que Mme Miller cède parfois à son penchant pour la French Theory. (Mais il s'agit évidemment dans son cas d'une déformation professionnelle.) Ainsi, l'ouvrage de Michel David, Une psychanalyse amusante : Tintin à la lumière de Lacan, La Méridienne/Desclée de Brouwer, 1994, fort honnête analyse, quoique pédante, ne méritait peut-être pas les développements que l'auteur lui consacre.

Notons que l'ouvrage est écrit dans une langue très simple, sans aucun jargon et que sa nature d'ouvrage universitaire destiné aux étudiants fait qu'il est « auto-contenu », l'auteur résumant systématiquement la théorie qu'elle invoque. A ces deux titres, l'ouvrage est parfaitement accessible au public cultivé francophone et au premier chef aux étudiants travaillant sur la bande dessinée.


Avis d'orage en fin de journée : hantologie
Christian Rosset
L'Association, collection éprouvette, 2007

L'ouvrage de Christian Rosset relève du genre, très minoritaire dans la littérature secondaire, de l'essai d'homme de lettres.

Avis d'orage présente la particularité de reprendre de façon quasi-exhaustive les études de l'auteur sur les littératures dessinées, complétées par des inédits. Le corpus s'étend donc sur vingt ans, depuis des articles pour Les Cahiers de la bande dessinée de Thierry Groensteen, jusqu'à des publications récentes pour L'Éprouvette, avec entre les deux une période de latence.

Il est curieux de constater que l'ensemble procure une impression de cohérence, à laquelle la partie inédite contribue fortement. Les quelques articles plus spécifiquement historiques sont recontextualisés, et donnés comme spécimens d'un certain discours critique.

On notera par ailleurs que l'auteur est d'autant plus intéressant qu'il nous parle de son rapport personnel avec la bande dessinée. A cet égard, l'approche de l'homme de lettres fait système avec l'approche des dessinateurs de la revue Comix Club, livrant quant à eux, sous forme de bandes dessinées, les liens qui les attachent à ces littératures.

Le caractère extrêmement singulier de la pensée sert aussi l'auteur dans la perspective qui est la sienne, celle de la réception, l'affirmation de C. Rosset que le lecteur collabore à l'œuvre dessinée paraissant naturellement d'autant plus pertinente qu'il propose une lecture de type littéraire.

Un autre intérêt de l'ouvage est la mise en relation systématique des littératures dessinées avec le reste des productions culturelles du temps, et notamment avec la musique, qui est le premier métier de notre auteur. (« Les livres sont des partitions de silence », écrit M. Rosset, p. 234.)

Nous ignorons si M. Rosset connaît les productions de Carl August Reinhardt dans l'aire allemande du XIXe siècle, mais ses observations sur la musique (à la fois lue, sous forme de partition, et entendue) dans ses rapports avec la bande dessinée s'appliquent parfaitement à cet auteur, et le rapprochement que nous faisons ici avec une production « ballado-iconique » met à jour une généalogie du dispositif qui a été bien mise en lumière par Thierry Smolderen dans Neuvième Art n° 13, et qui est la tradition illustrative néo-gothique, caractérisée par l'image périphérique, de petit format, entourée d'une décoration végétale, à laquelle il faudrait réserver le terme romantique de vignette (vignette signifie petite vigne).

Comme on le voit, le livre de Christian Rosset ouvre sur une esthétique générale, et il permet de situer de façon originale la bande dessinée dans le paysage littéraire et artistique. L'auteur se montre du reste plutôt sévère avec la culture de masse — et plus sévère encore avec une certaine « critique BD » de type journalistique  —, et une conclusion implicite de son ouvrage est que les bons auteurs de bande dessinée (et, on peut l'espérer, les gens qui écrivent sur eux) échapperaient plus facilement que certains de leurs petits camarades à la cuisterie ambiante.

Reste que l'ouvrage de M. Rosset présente un aspect intimidant pour un public de culture et d'intelligence moyennes. Curieusement, ce sont peut-être les tentatives didactiques de Christian Rosset qui « passent » le moins bien. Lorsque sa pensée procède par éclairs ou par intuitions, l'auteur tombe sur des idées justes. Ainsi les propos sur la mélancolie, sujet qui est lié au reste du travail, notamment radiophonique, de l'auteur, touchent une question fondamentale et rarement abordée dans l'étude des littératures dessinées, qui est celle du genre élégiaque.


La bande dessinée, bien ou mal culturel ?
Centre national de la bande dessinée et de l'image, juillet 2007
(hors-série de la revue Neuvième Art)

Actes de la première université d'été du CNBDI, qui s'est tenue du 10 au 13 juillet 2006. Communication de Harry Morgan, sur les discours tenus sur la bande dessinée depuis Töpffer jusqu'aux années 1970. Réflexions d'ordre sociologique sur la bande dessinée dans les pratiques culturelles par Gilles Ciment, ainsi que par le sociologue Jean-François Hersent, qui regrette le déficit d'études quantitatives. La situation de l'édition par Jean-Pierre Mercier, avec une table ronde d'éditeurs, qui s'échauffe nettement quand l'ersatz de Lucky Luke actuellement confectionné par Gerra et Achdé tombe dans la conversation. Relevons encore les réflexions de l'Espagnol Antonio Altarriba et du britannique Paul Gravett sur le statut culturel de la bande dessinée dans leur pays.


SIGNS, Studies in Graphic Narratives
International Journal for the History of Comics and Early Sequential Art
Felici Editore, s. d. [2007]

Cette revue savante réunit la fine fleur des spécialistes internationaux de la bande dessinée entre 1830 et 1930, qui sont liés au groupe de discussion sur la Toile consacré au « Platinum Age of comics ».

Ce premier numéro propose une étude de Roger Sabin sur le personnage victorien Aly Sloper, une étude d'Antoine Sausverd sur l'imagerie Quantin (une nomenclature scrupuleuse du corpus, de la main d'Antoine Sausverd et de Michel Kempeneers, est donnée dans un supplément à la revue). On trouvera encore une étude de Jaqueline Berndt faisant le lien entre le manga et l'imagerie japonaise ancienne, et une étude d'Alberto Milano, sur une série d'estampes italiennes de 1796, « Lo sposalizio di Marfisa ».


Poétiques de la bande dessinée
MEI ? n° 26
L'Harmattan, nov. 2007

Dirigée par Pierre Fresnault-Deruelle et Jacques Samson, cette livraison présente des articles d'intérêt divers (c'est la règle du jeu), signés Benoît Peeters (entretien avec Taniguchi), Christophe Génin (sur McCay), Pierre Fresnault-Deruelle (sur Hergé), Yves Lacroix, Viviane Alary (sur Tardi), Philippe Marion (sur Moebius), Erwin Dejasse, Vincent Baudoux, Bernard Darasse, Boris Eizykman, Philippe Marcelé, Jan Baetens et Hilde Van Gelder (sur David B.), Sylvain Lemay (sur Marc-Antoine Mathieu), Pierre Alban Delannoy (sur Art Spiegelman), Jacques Samson (sur le Jimmy Corrigan de Chris Ware).

L'introduction par Pierre Fresnault-Deruelle et Jacques Samson peut servir de boussole pour l'état contemporain de la rercherche académique.

Même si les auteurs déplorent que les secteurs les plus conservateurs de l'Université restent méprisants vis-à-vis des littératures dessinées, qui ne sont étudiées, le cas échéant, que sous l'angle de la réception, dans le cadre des Cultural Studies, MM. Fresnault et Samson notent que le temps n'est plus où les littératures dessinées pouvaient être un simple prétexte à déployer les outils conceptuels et méthodologiques de disciplines existantes, sociologie, histoire, etc. Le moment est donc venu d'étudier les grandes œuvres dessinées pour elles-mêmes.

Cependant personne ne croit plus à la spécificité du langage de la bande dessinée (et nos sémiologues font sur ce point amende honorable). En conséquence, nos auteurs plaident pour une poétique des littératures dessinées, qui se donne pour tâche de chercher comment l'esthétique propre d'un auteur aboutit à une vision du monde. MM. Fresnault et Samson écrivent :

« Puissent les textes qu'on veut présenter célébrer convenablement, mais sans arrogance, l'inestimable vision du monde que nous offrent les fils de Töpffer et de McCay. (...) On l'a compris, l'approche privilégiée dans ce numéro de MEI ? est d'ordre esthétique ou, si l'on préfère, poétique au sens où la poétique est, à nos yeux, la mise au jour des liens qui vont de la vision d'un monde donné à la nécessité d'une esthétique. »

On rejoint donc ici un courant que Fresnault lui-même avait baptisé de néo-sémiotique poïétique, identifiable depuis le milieu des années 1980, à travers des revues comme Les Cahiers de la bande dessinée de Thierry Groensteen, et la revue du musée de la bande dessinée, 9e Art, dirigée par le même Thierry Groensteen, voire à travers l'approche hétérodoxe d'un Harry Morgan (Principes des littératures dessinées, 2003), fondée sur le génie du médium (c'est-à-dire son aptitude à exprimer ce que les autres médias expriment moins heureusement), et virulemment critique vis-à-vis de la sémiologie d'inspiration saussurienne.

De même, la présence au sommaire de Sempé témoigne d'une volonté d'élargir le champ de l'investigation. Nos auteurs précisent que les rapports de Sempé avec la bande dessinée sont des liens de cousinage, mais ils reconnaissent aussi sa qualité de cartoonist, laissant donc ouverte la possibilité d'une définition plus compréhensive des littératures dessinées, qui paraît aujourd'hui s'imposer à la recherche savante.


Inside the World of Comic Book
Jeffery Klaehn (éd.)
Black Rose Books, 2007

Recueil d'essais et d'interviews sur le secteur économique des comics. Trois parties : le secteur économique, les personnages, les fans. Parlent des gens de Marvel et DC, mais aussi de Dark Horse et de Viz Comics (les gens qui ont introduit le manga aux États-Unis). Les essais portent sur des sujets comme les relations entre les comics et la culture populaire, comics et éducation, le lectorat féminin et l'image des femmes dans les comics.


Reading Comics: How Graphic Novels Work and What They Mean
Douglas Wolk
Da Capo Press, 2007

Une étude sur des graphic novels, qui fait la part belle à ce qu'on appellerait en France la « BD d'auteurs », sans délaisser totalement les auteurs de comic books. Sont étudiés ainsi David B., Chester Brown, Steve Ditko, Will Eisner, Frank Miller, Gilbert et Jaime Hernandez, Alan Moore, Grant Morrison, Dave Sim, Chris Ware, Alison Bechdel, etc.

On appréciera l'enthousiasme de l'auteur, mais on regrettera une certainedésinvolture dans sa façon d'aborder son sujet ainsi que son irrépressible tendance à enfoncer des portes ouvertes.


Comic Art Annual, n° 9
Buenaventura Press
Automne 2007

Décrivons à titre d'exemple un numéro de cette excellente revue d'études, plus particulièrement destinée au collectionneur et à l'esthète, et somptueusement illustrée en couleur.

La revue se présente comme un comic book animalier de l'éditeur populaire Dell, y compris le gag en une planche sur le dernier plat de couverture. On y étudie le peintre Jerry Moriarty, sorte d'Edward Hopper séquentiel, Dick Tracy, les comics américains et les dessins humoristiques et récits en bandes allemands de Lyonel Feininger (article de Thierry Smolderen), la revue allemande Simplicissimus (article par le même Smolderen), les dessinateurs humoristiques Abner Dean et Gluyas Williams, du New Yorker, le dessinateur Kaz (publié dans Raw), George Clarck, l'auteur du daily panel The Neighbors, pour le Daily News de New York, Jesse Marsh, dessinateur de Tarzan pour les Dell Comics, dessinateur de la lignée d'Alex Toth, très apprécié de certains amateurs, les strips de jeunesse de Richard Taylor, qui deviendra célèbre pour ses contributions au New Yorker.


Comix Club
N° 7, janvier 2008
Éditions Groinge

Cette excellente revue ne présente aucun signe d'essouflement.

BSK peste en dessin contre des éditions saccagées de Corto Maltese, ou ironise, toujours en dessin, sur des bandes dessinées navrantes sur le SIDA ou sur l'asthme, confirmant que les meilleurs critiques émanent d'auteurs qui savent comment fonctionne une bande dessinée.

Jean-Paul Jennequin proteste contre le fait que les bourses du Centre National du Livre ne soient pas attribuables à des œuvres auto-éditées, étant en réalité des aides à la « filière du livre ».

On reçoit Tom Hart, l'auteur des aventures de Hutch Owen, qui explique que le fait d'enseigner la bande dessinée l'a obligé à faire des progrès dans ses propres bandes, en employant des codes plus variés.

Andy Bleck, dit Andy Konky Kru, rend compte de la foire du livre de Francfort en 2007, en textes et en images, et, comme il comprend fort bien, lui aussi, comment fonctionne la bande dessinée, il exprime en termes courtois son scepticisme sur des expositions visant à démontrer que « les BD de superhéros ont été établies par des artistes juifs (Siegel et Shuster, Bob Kane, Simon et Kirby, etc.) et font par conséquent partie d'une tradition de BD juive. » (On a vu une telle expo à Berlin en 2005 et une autre en 2007 à Paris.) M. Konky Kru note à ce sujet :

« L'obsession pour les superhéros n'est pas limitée à une religion particulière. Je pense que qualifier cela de juif est à peu près aussi raisonnable que d'organiser une exposition sur tous les dessinateurs allemands qui se trouvent être protestants. Plaquer Superman et compagnie sur une affiche pour l'art de la BD juive ressemble à une arnaque populiste. »

Et notre spécialiste ajoute : « Il existe bel et bien une tradition de BD très intéressantes à thèmes juifs. Retrouver toutes ces bandes serait bien plus difficile et moins provocateur d'étonnement facile que ce prétexte grand public. Et plus enthousiasmant pour ceux qui prennent la BD au sérieux en tant qu'art. »

Le même Andy Konky Kru note qu'il n'y a aucune raison de considérer que le dessin de la bande dessinée devrait être par essence un dessin simplifié, et il fait l'observation que des styles graphiques d'un réalisme « photographique » ne sont pas moins variés que des dessins stylisés. Ainsi, en peinture, il y a autant de différence entre Vermeer et Chardin qu'entre Seurat et Cézanne. (Cette position ressemble furieusement à celle que nous exprimions nous-même dans notre Journal intime en 2002.)


Comix Club
N° 8, juin 2008
Comix Club
N° 9, octobre 2008

Dans le numéro 8, substantiel dossier « comment dessinez-vous ? » où treize auteurs de bandes dessinées de la mouvance indépendante parlent de leurs méthodes de travail, en réponse à un questionnaire de Fafé. Ce qui domine chez les jeunes dessinateurs est une pensée réflexive sur leur travail et une conscience claire de leurs choix, ce qui n'empêche pas modestie et humour. Souvent, ils rejoignent leurs aînés, considérant l'encrage comme un deuil du crayonné. Plusieurs recourent à un dessin à l'encre directe ou presque directe.

Réflexion sur les Sièges de Nylso par Big Ben.

Angoulême 2008 est étudié du côté de la bande dessinée alternative.

Dans le numéro 9, dossier Olivier Josso, avec un long entretien et des hommages dessinés de ses pairs.

Interview de Gabrielle Bell, auteur de Quand je serai vieille (éditions de l'an 2).

Article théorique de David Turgeon, « Faire-part pour la naissance d'une nouvelle critique », qui appelle de ses vœux une nouvelle critique, qui s'appuierait sur les avancées théoriques récentes, notamment celles de Thierry Groensteen et de Harry Morgan.

Andy Bleck rend compte du festival d'Erlangen.

Amusante critique en action de la mythopoétique des bandes dessinées de Jack kirby, par Jérôme et Emmanuel Le Glatin, sous la forme d'une fausse histoire de six planches, entièrement constituée de vraies cases de Jack Kirby, auxquelles on n'a pas changé un trait ni une virgule, mais toutes choisies pour ne contenir aucune présence humaine. Non seulement l'ensemble fait parfaitement sens, mais la cosmonomie (les lois régissant le monde) de Kirby est révélée.


Neuvième Art n° 14
Cité internationale de la bande dessinée et de l'image
Janvier 2008

Cette nouvelle mouture de la célèbre revue d'études, désormais dirigée par Jean-Pierre Mercier, voit sa pagination légèrement réduite par rapport à la version de Thierry Groensteen, et l'accent est moins mis sur l'aspect patrimonial et l'aspect théorique. Pour le reste, la revue est inchangée. Elle parvient à intégrer quatre dossiers tous fort complets et remarquablement écrits. Au sommaire de ce numéro, Blutch, Muñoz (lauréat 2007 du Grand Prix de la ville d'Angoulême), Masse et un dossier Futuropolis. A noter que l'interview de Muñoz est largement consacrée à la bande dessinée argentine, et que le dossier Futoropolis comporte une interview de Florence Cestac et une foule de témoignages. La rubrique de la revue consacrée à l'analyse de planches originale complète les quatre dossiers.

Autre nouveauté : le numéro s'ouvre sur des éphémérides, brossant un panorama de l'année écoulée, qui s'avère fort utile pour le lecteur curieux du domaine, et qui sera précieuse un jour pour l'historien.

Signalons enfin l'abondance de notices et comptes rendus d'ouvrages qui témoignent d'un véritable discernement dans le choix des œuvres retenues et qui permettent souvent de faire un bref état des lieux sur un sujet quelconque (la censure, le strip américain, etc.)


Images à mi-mots
Pierre Fresnault-Deruelle
Les impressions nouvelles, 2008

Le projet de Pierre Fresnault dans ce nouveau recueil d'articles consacrés à des bandes dessinées, mais aussi à des dessins d'humour (que l'auteur appelle curieusement des panels), est bien résumé p. 187 : « Le plaisir de l'analyse, ici revendiqué, est un "moteur de recherche". Les dessins, lorsqu'ils ne sont pas oiseux, (il y en a beaucoup) possèdent une vertu qu'il est délectable de s'approprier intellectuellement. Extraire les images du continuum (réel ou supposé) dont elles sont partie prenante, en dire l'intelligence, puis les remettre à leur place, mène l'amateur à une lecture active. Il s'est donc agi de saluer la capacité qu'ont certains cartoonists de tirer profit de leur économie graphique. »

Une telle approche esthétique, qui relève, quoique l'auteur s'en défendrait probablement, du genre classique de l'ekphrasis, ou description des œuvres d'art (il s'agit, explique l'auteur p. 6, d'« "écrire" le plus possible nos images »), amène Pierre Fresnault à mettre en lumière, à travers des analyses d'EP Jacobs, de Guibert, de Spiegelman, mais aussi de Piem, de Willem ou de Plantu, ce que le récit imagier possède en propre. L'auteur pose du reste en introduction les concepts de scénariographie, correspondant à la confection d'une situation que le médium du récit dessiné est seul à pouvoir produire, et de récitation, autrement dit de mise en récit, qui n'est qu'un aspect de la scénariographie, et qui correspond à ce qu'un linguiste appellerait l'énonciation (par opposition à la fable, au contenu narratif).


Wordless Books : The Original Graphic Novels
David A. Beronä
Abrams, 2008

L'engouement dans le monde anglo-saxon pour les graphic novels (c'est-à-dire pour la bande dessinée publiée en volumes et vendue dans les libraries) nous vaut cette savante étude des romans en gravures (c'est-à-dire des ouvrages consistant en gravures muettes, sur bois, sur plomb, etc., reproduites à raison d'une image par page) des Frans Masereel, Otto Nückel, Lynd Ward, etc. Mais pourquoi l'auteur se croit-il obligé d'y adjoindre des bandes dessinées muettes (le strip Vater und Sohn de e. o. plauen, le long récit dessiné muet de Milt Gross He Done Her Wrong) brouillant irrémédiablement la notion de graphic novel préalablement définie et introduisant un énorme « hors sujet » et une énorme « impasse », puisque l'histoire de cette bande dessinée muette pourrait occuper plusieurs volumes ?


Neuvième Art n° 15
Cité internationale de la bande dessinée et de l'image
Janvier 2009

Au sommaire un fort dossier Dupuy et Berberian (Lauréats de la ville d'Angoulême), un dossier Fred, un excellent dossier sur les formes contemporaines de la bande dessinée populaire, qui parvient à faire une synthèse sur la situation actuelle du manga au Japon, du comic book, des fumetti de l'« école Bonelli », et de la bande dessinée franco-belge de type feuilletonesque. A l'autre pôle du champ des littératures dessinées, intéressant dossier sur la bande dessinée dans ses relations avec les arts plastiques, les musées, et le spectacle vivant.

Notons qu'à partir de janvier 2010, Neuvième Art 2.0 devient une revue sur la Toile, à l'adresse

http://neuviemeart.citebd.org/


Écrire l'image
Benoit Peeters
Les impressions nouvelles, 2009

Il s'agit d'une version librairie du mémoire d'habilitation à diriger des recherches du grand théoricien. Benoit Peeters revient sur ses pratiques artistiques, le scénario des Cités obscures, sur dessin de François Schuiten, la collaboration avec le mangaka français Frédéric Boilet, mais aussi le travail sur le récit photographique avec Marie-Françoise Plissart. L'auteur interroge sa pratique de théoricien des littératures dessinées, axée sur les études hergéennes (Peeters est l'auteur de trois ouvrages — pas moins — sur le père de Tintin, qui sont tous des classiques), sur une sémiotique du récit dessiné informée par le sémio-structuralisme dans lequel l'auteur a baigné pendant ses années d'apprentissage, et enfin sur la centralité de Töpffer considéré comme l'inventeur de la bande dessinée. Finalement, Benoit Peeters esquisse une réflexion générale sur l'image narrative.


L'État de la bande dessinée
Les Impressions Nouvelles/CIBDI, collection Réflexions faites, 2009

Actes de la troisième université d'été de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image, qui s'est tenue du 30 juin au 4 juillet 2008. Il s'agit pour l'essentiel d'une gigantesque étude de marché de 222 pages. On retiendra en particulier la contribution de Jean-Louis Gauthey, des éditions Cornélius, qui, dans le dessein de clarifier le débat, distingue éditeurs (qui vendent du papier) et editors (qui accompagnent des auteurs et publient des œuvres). Xavier Guibert, pour sa part, rappelle que la bande dessinée n'est pas une littérature « populaire » au sens sociologique du terme (elle ne touche qu'un Français sur quatre, plutôt de classe aisée et éduquée, et plutôt jeune).

Illustrations de Mathieu Sapin.


Naissances de la bande dessinée : de William Hogarth à Winsor McCay
Thierry Smolderen
Les Impressions nouvelles, 2009

On ne saurait trop louanger l'exceptionnel travail de Thierry Smolderen, fruit de décennies de recherches sur la bande dessinée ancienne. Thierry Smolderen a fait le choix d'un compromis entre l'énorme monument scientifique qu'il porte en lui (un titre comme « Le roman en estampes après Töpffer » évoque immédiatement un ouvrage savant en plusieurs volumes, lesté de notes en fin de chapitres aussi longues que les chapitres eux-mêmes) et un simple ouvrage documentaire, présentant une iconographie assortie de commentaires. Ce compromis produit un ouvrage à la fois érudit et clair, extrêmement bien illustré, et dont la thèse se dégage pour ainsi dire naturellement des pièces qui sont produites.

Thierry Smolderen se situe dans la lignée d'un David Kunzle dont les ouvrages sur la bande dessinée européenne depuis la Renaissance et sur la bande dessinée européenne du XIXe siècle ont révolutionné notre vision du médium. M. Smolderen commence par les romans en estampes de William Hogarth, qui ont fécondé tout le dessin (pas seulement la bande dessinée) du XIXe siècle. Ceci déplaira naturellement aux théoriciens qui considèrent la séquentialité ou, pour mieux dire, la séquence microévénementielle, comme constitutive du médium. Mais du point de vue historique comme du point de vue esthétique, un tel point de départ permet de décrire des généalogies claires et, surtout, il amène à situer Töpffer dans son extraction, puisque le Genevois lui-même se réclamait de Hogarth.

Thierry Smolderen apporte de plus un élément décisif aux études töpfferiennes, en montrant que les traités de rhétorique gestuelle (enseignant le mélodrame) ont une importance non moindre dans la pratique du Genevois que la physiognomonie, dont les rapports avec la caricature sont aujourd'hui bien cernés.

Enfin M. Smolderen propose une vision tout simplement révolutionnaire du code töpfferien lui-même, en montrant que le code de l'action progressive chez Töpffer, dont les historiens ont tant loué la modernité, possède une portée satirique, et vise à moquer le progrès dans sa dimension mécaniste. Même si l'on pourra débattre sur la portée qu'il convient de donner à cette intention ironique chez l'auteur de M. Jabot, ceci rend beaucoup plus claire l'histoire des littératures dessinées après Töpffer, où l'on constate tour à tour des avancées et des mouvements de recul par rapport au code töpfferien.

La deuxième ligne de force de l'ouvrage de M. Smolderen est le lien des littératures dessinées avec le progrès technique, ce qui amène l'auteur à reprendre sur nouveaux frais les rapports des littératures dessinées avec l'histoire du cinéma, et en particulier avec la chronophotographie mareysienne (ou muybridgienne) à travers l'exemple d'A. B. Frost.

Simultanément, M. Smolderen aborde la question de l'esthétique, à partir du point de départ hogarthien qu'est la ligne sinueuse (qu'on retrouve dans le Tristram Shandy de Sterne), le concept clé étant ici celui d'hybridation classique, ce qui amène notamment l'auteur à caractériser un style « gothique », dominant au milieu du XIXe siècle (des exemples sont Cruikshank et l'école des Fliegende Blätter).

C'est dire que Thierry Smolderen renonce définitivement à l'idée de spécificité des littératures dessinées, les auteurs victoriens qu'il étudie ayant naturellement œuvré dans la caricature et l'illustration romanesque. De fait, même la notion de continuité narrative à l'intérieur des œuvres dessinées est battue en brèche, les dessinateurs du XIXe siècle ne faisant pas la différence entre la séquence narrative et la miscellanée, c'est-à-dire la page comprenant plusieurs illustrations.

Le bref chapitre sur les dispositifs textuels à l'intérieur de l'image (étiquettes, bulles) ruine les tentatives d'historiens maladroits de trouver une origine de la bulle dans les phylactères médiévaux ou ceux des caricatures du XVIIIe siècle. Ici encore, la bulle moderne naît de considérations techniques (l'invention du phonographe et la nécessaire synchronisation de la parole et de l'action dans le slapstick dessiné).

Enfin, le chapitre sur Winsor McCay, en insistant sur la relation entre les mouvements des manèges et des bandes comme Little Nemo, renvoie directement aux considérations finales de David Kunzle dans son ouvrage sur la bande dessinée du XIXe siècle.


PARODIES : LA BANDE DESSINÉE AU SECOND DEGRÉ
Thierry Groensteen
Le Musée de la bande dessinée/Skira Flammarion, 2010

J'avoue que je suis un peu embarrassé pour rendre compte du dernier ouvrage historique et théorique de Thierry Groensteen (qui accompagne une exposition sur la parodie au musée de la bande dessinée d'Angoulême, en 2011), car l'éminent auteur a tenu à me remercier au verso du faux-titre en tant qu'érudit sagace (alors que je me souviens d'avoir, tout au plus, servi de caisse de résonance à mon camarade, au stade du manuscrit) — à quoi j'ajoute que mes idées sur la mythopeia des littératures dessinées sont évoquées plus d'une fois.
Les deux qualités éminentes de notre auteur sont un encyclopédisme sans faille et une considérable faculté de synthèse et d'abstraction. L'une et l'autre de ces qualités sont rares, mais, de surcroît, elles semblent mutuellement exclusives l'une de l'autre ; les concilier comme le fait Thierry Groensteen est sans antécédent. Le tour de force de Parodies est que, sur un sujet dont il nous est dit qu'il est structurellement lié à la forme bande dessinée (parce que toute adaptation en bande dessinée tend vers la parodie), l'auteur arrive à brosser un tableau complet, sans jamais tomber dans l'énumération. C'est le mot de cartographie qui convient ici, et c'est celui qu'emploie notre auteur. Cette cartographie ne s'arrête pas aux frontières de ce que le fandom définit comme bande dessinée ; Thierry Groensteen remonte aux origines, en prenant naturellement comme point de départ Töpffer. Quant à l'analyse théorique, elle s'attache aux procédés réflexifs et propose des nomenclatures, l'auteur concluant que les frontières entre parodie et intertextualité sont parfois floues, mais aussi, curieusement, que la parodie repose sur des marqueurs de parodie, car dans ce mauvais genre qu'est la bande dessinée, le caractère grotesque n'est pas en lui-même un indice de l'intention parodique.


LA BANDE DESSINÉE ET SON DOUBLE
Jean-Christophe Menu
L'Association 2010

Version librairie de la thèse en Sorbonne soutenue par Jean-Christophe Menu en janvier 2011. Il s’agit d’un essai fourni et assez fin, marqué par une démarche réflexive de type égo-archéologique, dans laquelle l’auteur examine la place que tient la bande dessinée dans son enfance, et son rapport au médium comme auteur et comme éditeur. La finalité de cette double activité est la recherche de nouveaux territoires à explorer, représentant précisément le « double » évoqué dans le titre, qui est naturellement un emprunt au Théâtre et son double d’Antonin Artaud.
Deux de ces au-delà de la bande dessinée, dans lesquels M. Menu s’est engagé comme auteur et comme éditeur, sont l’autobiographie et la contrainte oulipienne. L’auteur considère d’autres ouvertures possibles, en particulier par l’investissement d’autres supports que le papier, et par le prolongement vers une sérialité infranarrative (l’auteur adopte en effet une conception ultra-extensive du médium et des variations sérielles relèvent toujours pour lui de la bande dessinée).
La thèse de Jean-Christophe Menu relevant de l’histoire de l’art, l’auteur se positionne par rapport aux écoles et aux courants. A cet égard, il faut, pour comprendre la pensée de M. Menu, garder à l’esprit que son point de départ est essentiellement polémique. L’auteur prend comme repoussoir la mauvaise bande dessinée commerciale, et le microcosme bédéphile, ce qui l’amène à privilégier un avant-gardisme généralisé, qui pousse des racines dans le naturalisme, le symbolisme, le surréalisme et le situationnisme, mais aussi, en une apparente contradiction, à vanter un classicisme, qui regroupe selon lui les grands auteurs du passé.
On regrettera un certain flou dans l’appareil théorique et conceptuel, y compris celui de la stripologie, l’auteur ayant tendance à faire feu de tout bois à l’appui de sa thèse. Il est vrai que Jean-Christophe Menu n’est jamais plus intéressant que quand il parle de son propre travail.


COMPOSITIONS DE LA BANDE DESSINÉE
Renaud Chavanne
PLG, collection Mémoire vive, 2011

Patiente étude de 300 pages format 24 X 31, sur l’organisation des cases dans l’espace de la planche. Le point de départ théorique de Renaud Chavanne, déjà exposé dans son ouvrage Edgar P. Jacobs et le secret de l'explosion (PLG, 2005), est la centralité du strip dans la dispositif de la bande dessinée, la planche étant postulée comme une démultiplication du strip. Dans ce nouvel ouvrage, où l'ensemble du champ de la bande dessinée est mis à contribution, l’auteur, très pédagogue, part de la « composition régulière », ce que Franquin appelait le gaufrier, passe à la « composition semi régulière », où le dessinateur conserve la composition en strips de hauteur égale, mais varie le nombre de cases à l’intérieur du strip, puis il théorise la « composition rhétorique », notion inspirée de Benoît Peeters, et arrive enfin à la « composition fragmentée », qu’il subdivise à l’envi.
Dans le chapitre « Compositions à l’œuvre » Renaud Chavanne examine ce que donne le mélange de tout cela. Dans la dernière partie de l’ouvrage, « Au-delà de la bande », il identifie des planches qui s’affranchissent de la prégnance du strip, tirées des œuvres de Michel Crespin, Chris Ware, Gianni De Luca et Alex Baladi.
L’auteur se montre clair et raisonnable dans son propos, et adopte une démarche résolument empirique, chaque stratégie compositionnelle étant illustrée par de nombreux exemples, reproduits et dûment commentés. Renaud Chavanne fait des remarques intéressantes sur l’usage de la gouttière et a le bon goût dans sa conclusion de dresser la liste de « ce qu’il n’a pas fait dans son ouvrage », pour éviter à son lecteur de possibles contresens.
Dans ses commentaires de planches, il arrive à Renaud Chavanne de quitter son sujet stricto sensu pour faire une analyse du contenu des cases, dans leur rapport dialectique avec la composition de la planche, donnant une tension bien venue à un ouvrage qui sinon pourrait devenir par trop aride.

BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
n° 3, janvier 2011
Rédaction Évariste Blanchet
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Quand parut Bananas n° 2, dans l'hiver 2006-2007, il existait, en fait de revues d'études, Neuvième Art, publié par la Cité de la bande dessinée d'Angoulême, L'Éprouvette de Jean-Christophe Menu, qui connut trois numéros, fort épais, et Comix Club, que les éditions Groinge nous donnaient avec une régularité métronomique. Aujourd'hui, il n'y a plus que Bananas, et son existence même prend donc valeur de manifeste.
Ce numéro s'ouvre sur une étude de Dominique Petitfaux qui rend compte des recherches de son cercle d'érudits, et des siennes propres, sur la période anglaise de Hugo Pratt. David Turgeon procède à une intelligente réhabilitation de la part maudite de l'œuvre de Raymond Macherot, les aventures de Sibylline, et explique de quelle façon il conviendrait de rééditer ce corpus (rappelons qu'il en existe 250 pages, non reprises en album, parues dans l'hebdomadaire Spirou).
Evariste Blanchet se penche sur les débuts dans Spirou d'Archie Cash, qu'il propose comme une petite rupture dans l'histoire de la bande dessinée belge. Renaud Chavanne donne une conférence sur la composition de la planche, prononcée naguère à la Conciergerie, et qui fait le pont entre ses deux ouvrages, Edgar P. Jacobs et le secret de l'explosion (PLG, 2005) et Compositions de la bande dessinée (PLG, 2011).
Un long entretien avec Georges Pichard, partiellement paru dans Bédé X, nous fait découvrir un homme charmant, extrêmement cultivé, sans aucune illusion sur la nature humaine, qui tient à s'éloigner autant qu'il est possible de la bande dessinée érotique bas de gamme qu'il appelle « des petites éditions bon marché pour obsédés », qui renvoie dos à dos le puritanisme religieux et l'hédonisme, et qui note à très juste titre que, pour ce qui est de la censure, ce sont les socialistes qui se sont montrés les plus ardents. Et comme, après tout cela, Christian Marmonnier demande à Pichard s'il se considère comme subversif dans ses bandes dessinées, l'auteur répond poliment : « Je suis comme tout le monde : j'ai horreur qu'on vienne s'occuper de mes affaires, m'empêcher de penser et de m'exprimer. » Ceci pourrait être une paraphrase de ce qu'écrit Julien Green dans son Journal, à propos de la politique (4 avril 1932) : « Je hais la politique. Elle est cause que ce que j'aime est en danger, elle menace la liberté individuelle, elle menace le bonheur, elle me dérange dans mon travail. »


COMIC : INTERMEDIALITÄT UND LEGITIMITÄT EINES POPKULTURELLEN MEDIUMS
Thomas Becker (HG.)
Ch. A. Bachmann Verlag, 2011
Cet ouvrage, destiné au grand public cultivé, constitue les actes d’un colloque tenu à la Freie Universität de Berlin en novembre 2009. Le volume donne une bonne idée de la recherche savante sur les littératures dessinées en langue allemande. Les fils conducteurs de la recherche sont l’intermédialité (les comics étant une forme d’art universellement définie comme hybride) et la question de la légitimité d’une forme littéraire considérée comme relevant de la culture populaire.
Ces deux questions de la légitimité et de l’intermédialité donnent lieu à l’émergence de deux problématiques, la première de nature sociologique, la seconde de nature esthétique.
Sur un plan sociologique, les contributeurs à ce volume s’accordent en général à reconnaître que la bande dessinée ne se situe ni tout à fait dans la culture de masse ni tout à fait dans la culture savante. (C’est peut-être cette indétermination qui conduit Dietrich Grünewald (« Die Welle ») à proposer comme outil pédagogique le graphic novel allemand, par Stefani Kampmann, tiré du célèbre roman La Vague de Tod Strasser (Morton Rhue) : pour le contenu, c'est une bande dessinée ; pour la forme, c'est un « vrai » livre, paru chez Ravensburger.) Dans l’ensemble, nos auteurs font preuve d’un optimisme prudent pour ce qui concerne la possibilité du développement d’une bande dessinée d'auteur, dans une perspective le plus souvent évolutionniste. Bernd Dolle-Weinkauf (« Vom Autoren-Comic zum Comic-Roman ») identifie ainsi les sources du graphic novel dans la bande dessinée française d’auteur des années 1960. Stephan Ditschke (« Die Stunde der Annerkennung des Comics ») étudie les références aux graphic novels dans cette institution germanique qu'est le « feuilleton », autrement dit la chronique littéraire, très sensible à l'air du temps, des grands journaux d'outre-Rhin.
S'il est une référence sociologique qui domine la pensée de nos auteurs, c'est celle à Pierre Bourdieu. Thomas Becker, organisateur du colloque et editor de ces actes, est un enragé bourdieusien, et c’est en termes d’accumulation du capital culturel qu’il analyse la légitimation des comics (« Comiclibido der Nouvelle Vague un die Folgen »). Chemin faisant, notre auteur trace un parallèle entre Moebius et Jean-Luc Godard, dans une esthétique de l’exagération. Jaqueline Berndt, dans une présentation de l’International Manga Museum de Kyoto (« Manga museal, oder : Wer legitimiert wen ? »), dépayse la problématique de la légitimité en montrant l’ambiguïté de la notion même de musée des mangas, l’institution en question fonctionnant somme toute sur le modèle ludique d’une gigantesque bibliothèque.
En ce qui concerne l’esthétique, c’est à la fois la dimension universelle de la bande dessinée et les problèmes de l’hybridation qui sont soulevés. Friedrich Weltzien (« Hybrider Legitimationsdruck ») reprend cette dernière question à son origine, dans sa communication sur la bâtardisation du texte et de l’image chez Töpffer, et il refait un constat déjà fait en France par un Thierry Groensteen : l’hybridation des formes est à l’origjne du déficit de légitimité des comics.
Cette problématique de l’hybridation conduit Jörn Ahrens (« Übersetzungsprobleme ») à comparer Sin City en bande dessinée et au cinéma. Jakob F. Dittmar (« Grenzüberschreitung ») étudie quant à lui le dessin technique (par exemple les notices de montage d'une armoire Ikea en images muettes) et le pop-up book comme formes limitrophes de la bande dessinée. Sebastian Gießmann (« Im Theater der Operationen ») examine le motif du tourbillon comme forme diagrammatique tendant à s’échapper du dispositif, chez Marc-Antoine Mathieu.
Harry Morgan (« Gibt es eine Ästhetik des Comics ? ») se demande s’il existe une esthétique propre aux comics et tend à répondre par la négative, tout en identifiant des constantes commandées par les contraintes graphiques et narratives de ces littératures (simplification du trait, caractère signifiant du tracé de contour). L’auteur oppose la « belle ligne », d’un tracé ferme, à une ligne informe et incomplète, qui est plutôt l’apanage du dessin d’humour, mais qui passe dans la bande dessinée à la fin du XXe siècle.
Il faut noter encore que ces deux problématiques, de la légitimité et de l’esthétique, se rejoignent sans cesse. Eva Kristin Stein, dans son étude sur le vertige (« Schwindel, eine illegitime Erfahrung für Superhelden »), pose en principe que les comics sont des dérivés du cinéma (ce qui choquerait beaucoup de stripologues français) qui ont fini par développer leurs propres solutions, en particulier dans les problèmes de focalisation et de point de vue subjectif.
L’ensemble des communications est d’un sérieux tout germanique et les auteurs multiplient à l’envi les références savantes, ce que leurs confrères de l'aire francophone n’osent plus faire (et qu’ils ont peut-être moins besoin de faire, parce que la stripologie française s’est largement constituée comme science autonome). Sont convoqués ainsi par nos auteurs, non seulement le canon de la sémiologie (Peirce), de la théorie littéraire (Bakhtine) ou de la narratologie (Monika Fludernik), sans compter l'indispensable Bourdieu, mais aussi la philosophie dans son intégralité (d'Aristote à Heidegger et à Deleuze). Paradoxalement, nos auteurs se montrent à la fois d’une extrême prudence dans leur approche des problèmes soulevés et d’une singulière audace dans certaines conclusions tirées. Ceci n’est pas sans lien avec la littérature secondaire convoquée. Si les corpus de littérature secondaire germanophone, et dans une moindre mesure anglophone, sont connus et dûment cités, les auteurs ignorent dans leur ensemble la littérature secondaire francophone, sans doute à cause de la barrière de la langue. Ceci les amène à problématiser des question qui, pour un stripologue français, seraient considérées comme résolues depuis longtemps.
Notons pour finir que la question de la légitimation des littératures dessinées, et les questions subséquentes de leur originalité et de leur intérêt sur le plan esthétique, se posent de façon très abrupte dans l’aire culturelle germanique, qui a très longtemps fait une distinction nette entre littérature noble et littérature populaire (Trivialliteratur).


BANDE DESSINÉE ET NARRATION
Système de la bande dessinée 2,
Thierry Groensteen
PUF collection Formes sémiotiques, 2011

Le deuxième volume de Système de la bande dessinée, paru douze ans après le premier (Système de la bande dessinée, PUF, collection Formes sémiotiques, 1999), en constitue d’une certaine façon une mise à jour, et le livre peut fonctionner à la façon du « patch » d’un logiciel informatique, l’auteur nous informant de tels progrès théoriques qu’il a accomplis sur les problématiques de la solidarité iconique, de la séquentialité, de la mise en page, etc.

Mais c’est essentiellement sous l’angle de la narratologie, annoncé dans le titre même de l’ouvrage (Bande dessinée et narration), que l’auteur considère son sujet, ce qui peut surprendre, car les thématiques abordées débordent largement cette approche narratologique, soit que Thierry Groensteen interroge les limites du médium bande dessinée — d’où des étude sur la bande dessinée abstraite, la bande dessinée sur support numérique, la bande dessinée et l’art contemporain —, soit qu’il propose des analyses qui relèvent plus largement de la poétique.
Relève ainsi de la poétique l’introduction par Groensteen, dans un passage d’esprit très barthésien, de la notion d’advenu, concurrente de celle de signifié d’une image (en gros, il y a advenu quand une case nous dit : voilà la chose qui est arrivée ensuite ; mais il y a dans les bandes dessinées des signifiés plus complexes, qui ne relèvent pas de l’advenu).
Relève également de la poétique l’introduction de la notion de multicouche, à côté du multicadre, permettant notamment de rendre compte de la rhétorique des émotions dans le manga, ou bien l’investigation sur la représentation de la subjectivité et du monde intérieur, ou encore la réflexion sur le rythme (au sens d’une scansion, d’une métrique) dans la bande dessinée.
Le fil conducteur de cette poétique groensteenienne est le passage d’une bande dessinée traditionnelle, dont le sens s’épuise dans les rapports de causalité et de consécution des vignettes successives, à une bande dessinée moderne (ou plus exactement post-moderne), où les rapports entre les vignettes ne relèvent plus d’inférences logiques de type temporel et causal, mais d’une discursivité savante, demandant une participation du lecteur, et qui superpose des ontologies multiples, le réel se mêlant au souvenir, au rêve, au fantasme, aux affects, etc. (Un exemple parfait de cette bande dessinée post-moderne est le Jimmy Corrigan de Chris Ware.)

D’un autre côté, c’est bien la problématique de la narration qui occupe la position centrale de l’ouvrage (pp. 85-132). Thierry Groensteen se montre ici partisan d’une via media, renvoyant dos à dos (p. 88) les théoriciens qui postulent qu’il y a toujours un narrateur dans tout récit (les partisans du « tout narrateur ») et ceux qui pensent que les récits dessinés se « racontent tout seuls », et qui ne font place au narrateur que lorsque celui-ci intervient spécifiquement ou laisse des traces incontestables (nous-même faisons partie de cette dernière école, en bon disciple de Franz Karl Stanzel). Groensteen se place sur un plan strictement pragmatique et cherche quelles sont les instances de narration minimales qui sont nécessaires pour « raconter » une bande dessinée. Inspiré par la théorie du cinéma, et spécifiquement par celle d’André Gaudreault [Du Littéraire au filmique, Méridiens Klincksieck, 1988], notre auteur réduit cependant considérablement les catégories par rapport à celles que Gaudreault postulait pour le cinéma, puisque Groensteen fait place à un narrateur fondamental, un monstrateur (chargé des images) et un récitant (chargé des récitatifs). Gaudreault, quant à lui, avait recours à tout un zoo de narrateurs, tous plus spécialisés les uns que les autres, monstrateur profilmique (mise en scène), monstrateur filmographique (mise en cadre), réunis tous deux par un méga-monstrateur filmique (mise sur film), qui voisinait avec un narrateur filmographique (mise en chaîne), et les deux étant coiffé finalement par un grand imagier (ou méga-narrateur filmique, chargé de la mise en film) [Du littéraire au filmique, op. cit., p. 113.]
Thierry Groensteen prend soin d’expliquer (p. 87) que son narrateur fondamental, son monstrateur et son récitant ne sont pas des sortes de fantômes, hantant l’atelier du dessinateur, mais qu’ils correspondent à des opération narratives identifiables et séparables. C’est ce qui fait l’intérêt de son modèle, puisqu’il montre, en convoquant à l’appui une connaissance encyclopédique de la bande dessinée, de quoi sont capables, pour ainsi dire, ces différentes instances, d’où de beaux développement sur le narrateur actorialisé, la modalisation, la polygraphie.
D’un autre côté, Groensteen semble faire un pas en arrière par rapport à Système de la bande dessinée 1, puisqu’il repère le responsable des textes et le responsable des dessins, revenant de facto à une conception de la bande dessinée comme alliance (et collaboration) de l’un et de l’autre. Quant aux opérations fondamentales (non triviales) mises en lumière dans Système 1 — découpage, mise en page, tressage —, elles sont mises au compte du narrateur fondamental, dont monstrateur et récitant sont les myrmidons zélés.
Plus délicate est la mise en compatibilité de la narratologie groensteenienne avec les propositions théoriques de Système 1 inspirées de Gilles Deleuze (Système 1, p. 125 ssq). Si Groensteen disait de l’image qu’elle était un énonçable (et aussi un descriptible et un interprétable) c’était précisément pour lui refuser, à la suite de Deleuze, la qualité d’énoncé (« Ce n’est pas une énonciation, ce ne sont pas des énoncés », écrivait Deleuze dans L’Image-Temps, Minuit, 1985, p. 44). Pas de place apparemment, dans cette optique, pour la narration (la narration est une énonciation ! Le récit est un énoncé !). Notre théoricien se tire d’embûche, si nous suivons bien sa pensée, en distinguant le plan de la production et celui de la réception. La transformation d’un énonçable en énoncé, c’est le travail du lecteur (p. 36, p. 40, passim). Mais quant à la production, Groensteen affirme dans Bande dessinée et narration que les images de bande dessinée sont le produit d'une narration et pose explicitement que « le montré est un dit » (p. 89). En effet, son point de départ est que celui qui ouvre une bande dessinée le fait pour « s’exposer à un récit »  (p. 88). Et puisque récit il y a, Groensteen cherche les instances productrices de ce récit (ou les opérations fondamentales qui y président, puisque, encore une fois, l’auteur ne postule pas des fantoches chargés respectivement de dessiner, de réciter et d’articuler). Reste qu’on peut se demander pourquoi l’auteur ne continue pas sur sa lancée, en posant d’emblée que, en l’absence d’énonciation et d’énoncé, il n’y a pas d’énonciateur, et que le récit de bande dessinée se raconte « tout seul ».

Allons plus loin. Il n’est pas assuré qu’on puisse échapper à la querelle qui sépare les narratologues. Groensteen, tout partisan qu’il soit de la via media et du pragmatisme, amène des problématiques qui sont bien celles des narratologues adeptes du « tout narrateur », telle que la question de l’unreliable narrator (il donne, p. 100 sqq, des exemples de narrateur déceptif dans le dessin, autrement dit d’unreliable monstrator). Il est évident que si l’on pense que le récit se raconte « tout seul », cette question de la déceptivité ne se pose pas. On nous dira que cela revient à traduire comme relevant d’une « événementialité » ambiguë ce que Groensteen met au compte d’un narrateur non fiable, mais la querelle n’est pas uniquement de terminologie ou de modèle. Groensteen explique (p. 100-101) à propos d’un récitant qui, devant la succession des événements, se demande ce qui se passe (dans L’Ombre du Z de Franquin), qu’il est déjà unreliable (Groensteen écrit « trompeur »), puisque, en tant que voix autoriale, ce récitant sait pertinemment ce qui se passe (pour raconter l’histoire, il faut bien qu’il la connaisse). Nous avions, quant à nous, dans notre thèse (Formes et mythopoeia dans les littératures dessinées, 2008), introduit la notion de bonimenteur à propos d’un tel récitant (nous pensions aux textes emphatiques de Stan Lee au sommet des cases de Jack Kirby). Le bonimenteur peut parfaitement découvrir l’histoire en même temps que nous. Bref, il n’est aucunement besoin de postuler, dans les récitatifs, une voix autoriale, et il devient inutile dès lors de chercher de la déceptivité quand le récitant se place en situation d’information incomplète.
Mais c’est naturellement à propos de la représentation de la subjectivité que le parti que prend, tout en s’en défendant, Groensteen pour le « tout narrateur » se décèle le plus, parce qu’il est amené à postuler à chaque fois l’intervention d’un narrateur qui nous donne accès à ladite intériorité (alors qu’on pourrait poser que cette intériorité nous est accessible de façon immédiate). Ainsi, à propos du narrateur actorialisé (c’est-à-dire présent dans son histoire), notre théoricien, étudiant (p. 141) une séquence muette du tome 3 du Journal de Fabrice Neaud, pose que le « Fabrice » qui est dessiné continue à être le narrateur actorialisé, même s’il a renoncé à être le récitant. De fait, nous sommes dans le fantasme amoureux de « Fabrice » qui rêve bientôt, dans sa douce euphorie, d’un café « fin de siècle », de champs de blé, etc. Mais n’est-il pas dans ce cas plus simple de dire qu’on est en « focalisation interne », exactement comme dans les romans de Virginia Woolf, en faisant l’économie d’un « Fabrice » narrateur, nonobstant le fait qu’il soit un personnage muet), que Groensteen ne retrouve que par un faisceau de présomption ? (« Fabrice », même muet, continue à être le narrateur parce que l’œuvre s’appelle Journal, parce que dans le reste du tome, Fabrice est le récitant, et parce que nous n’avons accès à l’intériorité que de Fabrice.)
Mêmes les bulles de pensée des personnages (si pratiques comme on sait pour les auteurs, puisque le héros communique au lecteur ce qu’il a vu et ce qu’il a l’intention de faire) sont mises par Groensteen (p. 134) au compte d’un narrateur qui se positionne explicitement comme omniscient et se montre capable par conséquent de pénétrer l’esprit de ses personnages (c’est la définition de la focalisation zéro de Gérard Genette). Mais les bulles de pensée en elles-mêmes ne permettent nullement de conclure à un narrateur omniscient. Un récit réflectorisé, c’est-à-dire perçu en entier « à travers » un personnage, qui est donc l’exact contraire d’un récit « narratorisé », et dont l’exemple canonique, depuis Percy Lubbock, est Les Ambassadeurs de James, est précisément basé sur le fait qu’on partage les pensées du personnage. (Il est entendu au demeurant que le personnage du réflecteur peut changer à tout moment dans un récit.)
Bref, il nous semble que l'auteur n'est pas tout à fait clair dans sa définition du narrateur. Il nous présente pragmatiquement un narrateur chargé de la production du récit (par exemple, son narrateur fondamental est chargé des opérations de mise en page, de découpage et de tressage ; il confie au monstrateur le soin de représenter les agissements des personnages). Mais d'un autre côté, la question que pose Groensteen est bien celle que pose la narratologie depuis Genette : « Qui parle ? » Et dans cette conception, c'est bel et bien la thèse du « tout narrateur » que défend Groensteen.

Finalement, la catégorisation introduite par Groensteen, qui est censée rendre compte de façon économique de l’ensemble des problèmes narratologiques dans la bande dessinée, n’atteint que partiellement son but. Contentons-nous ici d’un exemple. À propos d’un graphic novel de Mazzucchelli, Asterios Polyp, où tous les personnages sont dessinés dans un style différent, qui reflète leur intériorité, comme dans le célèbre dessin The Party, de Saul Steinberg, le théoricien parle (p. 144) d’un régime « d’objectivation subjectivée » ajoutant : « Nous voyons les personnages de l’extérieur, mais à la façon dont eux-mêmes perçoivent le monde et s’y projettent ». « D’une façon générale, poursuit Groensteen, la question de l’expression du monde intérieur d’un personnage ne peut être étudiée qu’à l’intérieur d’une théorie narratologique de la bande dessinée. » Et l’auteur ajoute que « la façon dont un auteur s’y prend pour donner accès à la subjectivité de ses personnages ne peut être décrite sans une identification précise des interventions respectives du récitant et du monstrateur, et de leurs modalités croisées. »
Mais suffit-il d’affirmer qu’une même instance (ici, le monstrateur) assure simultanément (Groensteen parle d’une « fusion » et d’une « synthèse ») la présentation objective d’une situation (« nous voyons les personnages de l’extérieur... »), et la représentation subjective des personnages (« ... mais à la façon dont eux-mêmes perçoivent le monde et s’y projettent ») ? Cela ne nous dit pas comment le monstrateur s’y prend pour opérer cette quadrature du cercle. Il faudrait distinguer ce qui permet, dans le dessin, l’un et l’autre procédé. Et dès lors, ce n’est plus de synthèse qu’il est question, mais de deux modalités distinctes, qui restent à définir.
On peut rendre compte complètement et élégamment de ce qui se passe dans un dessin comme The Party de Saul Steinberg ou dans une grande case d’Asterios Polyp de Mazzucchelli, en distinguant deux notions empruntées à Franz Karl Stanzel (mais dont la combinaison dans les littératures dessinées est spécifique), la perspective et le mode. La perspective, notion à la fois visuelle et cognitive, peut être extérieure ou intérieure. Nous avons déjà fait allusion plus haut au mode. On est en mode narrateur quand l’action est racontée par un tiers, dont l’intermédiation est détectable, en mode réflecteur quand tout est vu subjectivement à travers le personnage. Je puis raconter ainsi : « Au moment où Billy Bunter se glissait hors du dortoir des quatrièmes, une voix sévère l’arrêta sur place. — Encore en retard, Bunter,  tonna Mr Quelch. » Je suis en mode narrateur. Mais je puis aussi raconter ainsi : « — Encore en retard, Bunter ! Billy Bunter se figea sur place au seuil du dortoir des quatrièmes. Le terrible Mr Quelch, jailli de nulle part, se tenait à deux mètres devant lui. » Je suis alors en mode réflecteur. Tout est vu « à travers » Billy Bunter.
Dans l’exemple que cite Groensteen la perspective est extérieure, mais le récit graphique est (multi)réflectorisé. C’est précisément ce qui permet la présentation objective de la scène mais la représentation subjective des personnages.
Comme on le voit, il n’est nul besoin de mettre le narrateur à toutes les sauces pour décrire ce qui se passe dans les récits dessinés. Et dès lors que c’est l’intériorité des personnages qui prédomine, que la prémisse du récit est la primauté de la conscience plutôt que l’existence d’un monde réel, il y a un gain technique à disjoindre les notions de perspective et d’instance de médiatisation, ce qui empêche de conserver la figure unique d’un narrateur, fût-il imagier.


LA BANDE DESSINÉE : UNE MÉDIACULTURE
Sous la direction d’Éric Maigret et Matteo Stefanelli
Armand Colin/Ina édition, février 2012

Un recueil d’articles riche et stimulant. En voici le menu.
Introduction par Éric Maigret, sociologue.
Matteo Stefanelli livre une synthèse du discours sur la bande dessinée des origines aux années 2000 où les adversaires américains des comics, Wertham et Legman, sont décrits comme « ayant des faiblesses théoriques et méthodologiques » et où Bande dessinée et culture d’Evelyne Sullerot est curieusement qualifié de pamphlet. L’auteur tente ensuite une cartographie des recherches sur la bande dessinée, axée essentiellement sur les auteurs universitaires qu’en bon camarade il semble tous trouver pleins de promesses.
Éric Maigret réexamine les analyse sur la légitimation de la bande dessinée de Boltanski et de Groensteen. L’auteur postule que nous serions dans un régime culturel post-légitime, et il fait l’hypothèse que la bande dessinée serait le colonisé de la culture, dans une époque qui — c’est le paradoxe — est post-coloniale. Il file alors cette métaphore des post-colonial studies, avant de conclure dans une envolée socialisante et lyrique. On comprend dès lors pourquoi il s’en prend avec virulence à la sémiologie de la bande dessinée, considérée comme « essentialisante » et par conséquent, dans un référentiel multiculturaliste, comme désespérante.
Thierry Smolderen explicite la méthodologie empirique qui a abouti à son remarque Naissances de la bande dessinée et revient sur l’ambiguïté du cas Töpffer.
Xavier Guilbert fait le point sur le marché de la bande dessinée en France, au Japon et aux États-Unis dans un texte clair et mesuré.
Gilles Ciment fait un tableau sans fard de la bande dessinée comme pratique culturelle aujourd’hui.
Olivier Vanhée fait un bon article sociologique sur la réception du manga en France, enquête à l’appui.
Philippe Marion tente une définition de la poétique en bande dessinée avant de revenir à la problématique de la graphiation à propos du Photographe de Guibert et de Tintin au cinéma, version Spielberg.
Jan Baetens propose un très bon article sur les graphic novels.
Matteo Stefanelli se propose finalement de reposer les rapports entre cinéma et bande dessinée. Il admet que d’un point de vue théorique c’est sans espoir puis part dans des réflexions qui mériteraient d’être développées.
Ian Gordon fait le point sur les adaptations de bandes dessinées au cinéma.
Conclusion de Matteo Stefanelli où l’auteur fait feu de tout bois en proposant des pistes de recherches et des hypothèses, parfois extrêmement intéressantes, parfois très aventurées.


ENTRE LA PLÈBE ET L'ÉLITE
Jean-Noël Lafargue
Les Ateliers Perrousseaux, 2012

L’auteur nous propose, en ouverture d'un ouvrage qu’il qualifie lui-même de « modeste », une histoire de la bande dessinée mondiale en cinquante pages, ce qui est bien sûr un exercice impossible. Notre homme a le mérite pour la bande dessinée du platinum age de prendre en compte les travaux récents des meilleurs chercheurs. Pour le XXe siècle, il place le newspaper strip américain au centre de son analyse, sans véritablement le justifier, mais on peut supposer que c'est parce que, stylistiquement et thématiquement, le newspaper strip a fécondé la bande dessinée européenne.
On peut regretter quelques noms écorchés (Frank Belley au lieu de Bellew, Paul Winckler au lieu de Winkler) et quelques inexactitudes (Lee Falk ne dessine pas The Phantom, il en est le scénariste, Andy Capp est un strip anglais et non américain). Plus gênante est l’ignorance des domaines connexes. Hetzel (et non Hertzel) n’a jamais publié Paul d’Ivoi, qui paraît dans Le Journal des voyages et, en cartonnages, chez Boivin. Buck Rogers n’est pas un feuilleton du pulp de science-fiction Amazing Stories, mais consiste en tout et pour tout en deux longues nouvelles, parues à sept mois d'intervalle. Écrire que le Futuropolis de Pellos est « inspiré de Wells » est un truisme (toute la science-fiction du temps découlant en quelque sorte par définition de Wells), mais fait l’impasse sur l’intérêt du récit qui est précisément de faire la synthèse de tout le roman populaire d’anticipation de l'aire francophone.
En deuxième partie, M. Lafargue donne une histoire du rejet de la bande dessinée, courte, bien informée et qui ne cède jamais aux euphémismes.
En troisième partie, on trouve une histoire du processus de légitimation de la bande dessinée, bien documentée, même si l’auteur prend parfois au pied de la lettre certaines assertions auto-louangeuses des exégètes du domaine (Claude Moliterni n’a jamais fait l’école des Chartes).
En « bonus », Jean-Noël Lafargue propose une petite ballade dans les films et les romans qui mettent en scène des auteurs de bandes dessinées, puis il met en parallèle la bande dessinée avec d’autres domaines culturels, le théâtre et la danse, la littérature populaire, la littérature pour enfants, la presse grivoise, etc. Il n’a pas de mal à montrer que la bande dessinée a beaucoup reçu et beaucoup donné.


BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 4, février 2012
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Retour de Bananas, la revue d'Evariste Blanchet, toujours variée et intéressante. Ce numéro propose un entretien avec Jimmy Beaulieu et huit pages inédites du même, un petit dossier sur Pratt et les Italiens en Argentine avec une interview de Sergio Tarquinio, une lecture du Pinocchio de Winschlus, un entretien inédit avec Raymond Reding, réalisé en 1972, qui, avec le temps, a pris valeur de document sociologique (les dessinateurs ont désormais le droit de dessiner des filles avec des poitrines dans le bel hebdomadaire Tintin), une intelligente analyse des Anges de l'enfer, série qui paraissait dans le petit format Kiwi à la fin des années 1960, et pour finir le numéro une brève histoire de la littérature savante sur les littératures dessinées, par Harry Morgan.


BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 5, février 2013
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Hommage à Florenzo Ivaldi, mécène de Hugo Pratt et éditeur de la revue Sgt. Kirk.
Évariste Blanchet profite de l'intégrale Jerry Spring en noir et blanc que nous proposent les éditions Dupuis pour pprocéder à une spectrographie de la série de Jijé. S'ensuit une analyse riche en remarques pertinentes.
Un substantiel entretien avec Jean Graton réalisé en 1972 par Bruno et Béatrice Duval constitue avec un recul de 40 ans, comme déjà l'entretien avec Reding dans le numéro précédent de Bananas, un précieux document historique.
Manuel Hirtz se penche sur Mousse et Boule du délicieux Jean Trubert.
Interview de Serge De Beketch sur René Goscinny, tiré des tiroirs de José-Louis Bocquet.
Lecture par Renaud Chavanne de La Bande dessinée une médiaculture de Matteo Stefanelli et Éric Maigret.
Renaud Chavanne encore propose un supplément à son ouvrage Composition de la bande dessinée, où il comment eune planche de Buscema et une planche de Crepax, qui constituent deux « compositions à rebours ».


BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 6, février 2014
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Encore un numéro de Bananas plein comme un œuf. Entretiens avec le jeune dessinateur belge Jean Bourguignon et le défunt dessinateur espagnol Victor De La Fuente.
Article de Manuel Hirtz sur la bande dessinée pour filles de Pellos Durga Rani Reine des jungles.
Copieux et stimulant article d’Evariste Blanchet, « Que restera-t-il de nos amours ? », qui réfléchit sur la bande dessinée et sa postérité.
Article de Loïc Riva sur Top Ten d’Alan Moore, agrémenté d’une analyse de planche à la manière de Renaud Chavanne, article que complète un entretien avec les dessinateurs de ladite série, Gene Ha et Zander Cannon.
Comptes rendus des ouvrages Pif l’histoire complète, de Richard Medioni, et d'Assemblée générale extraordinaire, qui permet à Evariste Blanchet d'apporter quelques lumières sur l'assemble générale qui mit un terme à la crise qui éclata au sein de l'Association en 2011.

THE FRENCH COMICS THEORY READER
Ann Miller & Bart Beaty (eds)
Leuven University Press, 2014

Une fois accepté le parti pris adopté par les metteurs en œuvre de The French Comic Theory Reader, à savoir que les écrits francophones sur la bande dessinée appartiennent à un corpus de « French theory », cet ouvrage présente une utile anthologie ou, pour mieux dire, une chrestomathie (dans sa forme anglaise du reader) de textes français, conduisant le lecteur des textes fondateurs des années 1960 jusqu'aux évolutions récentes de la stripologie. L’ouvrage constitue une excellente introduction, en anglais, à la littérature secondaire francophone, pour l’étudiant ès comics studies, ou œuvrant dans les domaines connexes (popular culture studies, media studies, etc.), ou tout simplement pour l’étudiant en culture et civilisation françaises.
L'ouvrage tient compte d'une caractéristique essentielle de la stripologie francophone : le fait qu’elle n’est pas cantonnée au monde académique, de sorte qu'elle évoque fortement l'activité scientifique au XVIIIe et au XIXe siècles, les chercheurs fonctionnant en réseau, avec comme point d’ancrage des revues (Giff Wiff pour la paélostripologie, Les Cahiers de la bande dessinée période Groensteen pour la mésostripologie) et des colloques (le colloque de Cerisy organisé par le même Groensteen en 1987). De là un côté souvent pittoresque du contenu, certains auteurs adoptant des points de vue tout à fait idosyncratiques (Menu), voire radicaux (Schwartz), dans la lignée des pionniers du domaine, à commencer par Francis Lacassin, qui défendait la centralité de la bande dessinée... dans le cadre d’une culture alternative.
Ce qui caractérise la French Theory, si on la compare dans une perspective historique à la littérature secondaire anglophone, est la moindre importance de la lecture sociologique (et, partant, la moindre importance de l'outil qu'est l'étude de contenu), au profit d’analyses esthétiques, sémiologiques ou critiques. (Le sociologue du recueil est Luc Boltanski, qui applique intelligemment à la bande dessinée la théorie du champ bourdieusien, mais qui, par ailleurs, ne travaille pas sur la bande dessinée.)

Inversement, la consultation de ce reader permet de relativiser l'influence sur la littérature secondaire du sémio-structuralisme, triomphant dans la pensée française au cours des années 1960 et 1970, influence qui a été très exagérée dans le monde même de la bande dessinée, pour de très mauvaises raisons (il s'agissait essentiellement de mener une polémique anti-intellectuelle). Si les théoriciens partagent un principe, c'est celui du « close reading », dans une perspective essentiellement empirique. L'évolution théorique d'un Pierre Fresnault-Deruelle est à cet égard exemplaire.
C’est par conséquent la forme de l’essai qui caractérise les études francophones et qui produit certainement les résultats les plus convaincants, ce qui justifie pleinement la publication d’un reader, même si par ailleurs on peut regretter par exemple qu’un Thierry Smolderen n’ait pas donné l’immense ouvrage historique sur la bande dessinée victorienne qu’il porte en lui.
Le choix des textes par Ann Miller et Bart Beaty est pertinent. Notre seule objection porte sur le texte de Francis Lacassin. On a pris dans Pour un neuvième art, la bande dessinée, la définition de la bande dessinée pour la Grande Encyclopédie alphabétique Larousse. Mais compte tenu précisément des contraintes encyclopédiques, ce texte reflète mal la pensée de l’auteur. Il eût fallu prendre dans le même volume « Une thématique où rien n’est vrai, tout est permis », extrait des Lettres françaises.

BANANAS , REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 7, février 2015
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Dossier sur Jean Giraud dans les années 1990 avec une interview inédite du maître réalisée par Christian Marmonier en 1995, et deux articles d'Évariste Blanchet sur La Folle du Sacré-Cœur et L’Homme du Ciguri.
Le compte rendu du livre de Jean-Yves Mollier, La Mise au pas des écrivains, permet à Évariste Blanchet de se pencher sur le cas de l’abbé Bethléem, grand pourfendeur d’illustrés. M. Blanchet a la bonne idée de nous proposer trois articles tirés de Roman-Revues/La Revue des lectures, ce qui permet au lecteur de juger sur pièce le point de vue de la réaction cléricale sur les illustrés.
Publié en 1912, un article sur L’Épatant, signé H. David, émane manifestement d’un homme cultivé et qui ne s’effraie pas facilement. Déplorant vulgarité et sensationnalisme dans la revue des Offenstadt, H. David finit par regretter que la revue ne tente jamais de s’élever « au-dessus des bas instincts et des destructions banales pour (...) ennoblir un peu l’esprit et le cœur ». Et d’encourager pères et mères catholiques à surveiller les lectures de leurs enfants. En somme H. David exprime exactement le point de vue qu’exprimera en 1987 un Alain Fourment (Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants, éditions Eole).
L’article suivant, sur Hurrah, Jumbo et Le Journal de Mickey, paru en 1937, est nettement moins bien écrit et moins inspiré. À Hurrah, il est reproché essentiellement son américanisme et subsidiairement sa « puérilité », mais on conclut qu’il « n’est point répréhensible d’un point de vue moral ». Jumbo est « puéril » et peu français, mais n’est in fine « point répréhensible d’un point de vue moral ». Jumbo est également accusé d’être ce que les professionnels de l’enfance appelleront après-guerre « une revue déréalisante ». Les critiques les plus dures sont réservées au Journal de Mickey qui, outre son américanisme débridé, est identifié comme publié, mais en sous-main, par les éditions Hachette, ce qui est du reste la stricte vérité. Cependant ce qui choque le plus La Revue des lectures, c’est la rubrique « Petite correspondance », qui permet à des garçons et des filles de 14 à 18 ans de correspondre à l’insu de leurs parents.
En somme, tout ceci apparaît comme assez bête et, en ce qui concerne Le Journal de Mickey, malveillant, mais on est très en dessous, pour l’hystérie dénonciatrice, de ce que publiait, un an plus tôt, un Georges Sadoul (Ce que lisent vos enfants, Bureau d’édition 1936), ou des écrits des censeurs de la Commission de surveillance dans les années 1950 et 1960.
On finit sur un article de 1936 examinant Cadet-Revue d’Alain Saint-Ogan, publication qui est jugée excellente, et qui serait même recommandable s’il ne lui manquait « le sens chrétien ».
Ce numéro de Bananas se poursuit par un article au long cours d’Évariste Blanchet sur Tanguy et Laverdure de Jijé qui fait regretter qu’on ait si peu d’études bien informées sur des œuvres qui ne sont pas de premier plan. Suit une étude de Harry Morgan sur le héros comme être de papier, qui examine de façon savante, mais sans jargon théorique inutile, les lois présidant aux univers dessinés (principe d’anthropomorphisation universelle, principe de métamorphose, etc.).
Bananas s’achève sur des critiques de livres, dont un examen sans concession de The Visual Language of Comics de Neil Cohn, de la main de Renaud Chavanne.

AUTOBIO-GRAPHISMES : BANDE DESSINÉE ET REPRÉSENTATION DE SOI
Viviane Alary, Danielle Corrado, Benoît Mitaine (dir.)
Georg éditeur, L’Équinoxe Collection de sciences humaines, 2015

« Plus que de proposer une frise chronologique de l’autobiographie dessinée, ou de retracer l’histoire d’un genre au sein d’un médium, cet ouvrage dresse au gré de ses quinze chapitres une sorte de cartographie des diverses pratiques autobiographiques en œuvre, qu’il s’agisse de l’écriture de soi, du témoignage, de la BD-reportage, de l’autofiction ou du rapport à la littérature ou à l’histoire. »
L'ouvrage s'ouvre sur des réflexions sur le genre autobiographique dans la continuité du père fondateur de la théorie de l’autobiographie, Philippe Lejeune. Sse détache de ce premier ensemble l’article de Thierry Groensteen « Problèmes de l’autoreprésentation ».

On passe à diverses études monographiques dont on retiendra notamment les aperçus de Harry Morgan sur le dessinateur underground Rory Hayes, créateur d’un étonnant univers ou des ours en peluche se débattent dans l’univers des comics d’horreur, ceux de Pierre Fresnault sur le Persépolis de Marjane Satrapi et ceux de Jacques Samson sur Aller-Retour de Frédéric Bézian.

UN ART EN EXPANSION : DIX CHEFS-D’ŒUVRE DE LA BANDE DESSINÉE MODERNE
Thierry Groensteen

Les Impressions Nouvelles, 2015

Dix œuvre parues au cours du dernier demi-siècle, sélectionnées par le grand historien et théoricien du médium, font l’objet de dix essais relevant du « close reading », et témoignent de l’évolution d’un médium devenu conscient de lui-même et qui renouvelle sa forme en permanence.
Paradoxalement l’outil sémiologique mis au point par l’auteur lui-même est peu convoqué, ce qui est peut-être un avantage ici, car l’essai tel qu’il est rédigé peut parfaitement être lu par un lecteur non spécialiste, mais curieux d’esprit et amateur de Lettres.
L’érudit discutera naturellement le choix des œuvres retenues, non tant sur le critère de leur valeur intrinsèque que sur celui de leur importance au regard de l’évolution du médium, à commencer par le terminus a quo, Une Ballade de la mer salée de Hugo Pratt, qui, posé par notre auteur comme œuvre inaugurale, révèle paradoxalement à l’analyse détaillée ses failles. Quant au septième jalon de ce parcours, l’excellent album Là où vont nos pères de Shaun Tan, il nous semble quasiment un « hors-sujet » tant l’ouvrage se situe clairement du côté de l’illustration. Il est vrai que l’une des évolutions signalées par Thierry Groensteen est l’ouverture des littératures dessinées sur l’intericonicité (équivalent graphique de l’intertextualité), ce qui fait inévitablemnt peser sur le médium le risque de l’éclatement.

L’INDUSTRIE DE LA DÉDICACE
Jean-Luc Coudray
PLG, 2015

Cette brève polémique contre l’industrie de la dédicace vaut par le fait qu’elle est écrite par un scénariste de bandes dessinées, et par la justesse descriptive, aboutissant à une sociologie du petit milieu festivalier, axée sur les notions de monstre, de cirque, d’authenticité, de bénévolat, etc. On pourra cependant noter qu’une approche historique, que l’auteur écarte ici, donnerait aux phénomènes observés des causes plus concrètes : dédicace comme pratique bourgeoise qui se démocratise au cours du XXe siècle, reprise de la pratique au mitan du XXe siècle à destination d’un public enfantin, etc.
L’auteur achève sur d’utiles propositions concrètes pour réformer l’industrie de la dédicace et plus généralement cette institution culturelle qu’est le festival de bandes dessinées.

BANANAS , REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 8, février 2016
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Comme à l’ordinaire, un contenu des plus variés pour cette « revue critique de bande dessinée 100 % catholique zombie ». Entretien avec Cabu pour Radio Libertaire, recueilli en 1998 par Christian Marmonnier, inventaire par Bernard Joubert des interdictions et procès ayant frappé Hara-Kiri et le premier Charlie Hebdo, pages inédites de Tignous.
La vie de René Giffey par Manuel Hirtz, entretien avec le dessinateur Lolmède, énigmatique article de Bruno Duval sur Jari de Raymond Reding, sagaces observations sur la boîte de Building Stories de Chris Ware par Renaud Chavanne.
Transcription par Évariste Blanchet de deux tables rondes du salon des ouvrages sur la bande dessinée 2014. Dans « les relations auteurs-éditeurs », Christian Rosset interroge David B. et Christian Godard. Dans « le discours sur la bande dessinée au Royaume-Uni » Harry Morgan fait parler l’érudit Paul Gravett, le traducteur et critique Jean-Paul Jennequin et l’universitaire Ann Miller.


CASE, STRIP, ACTION !
Alain Boillat, Marine Borel, Raphaël Œsterlé, Françoise Revaz
Infolio, 2016

Étude sur les illustrés français et belges entre 1946 et 1959 – un corpus qui a le mérite d’être historiquement cohérent – par des universitaires helvétiques, dans une perspective essentiellement narratologique. L’introduction aborde le contexte historique. Puis nos auteurs se penchent tour à tour sur le découpage des histoires à suivre, sur la temporalité dans les bandes dessinées étudiées, sur le moment prégnant dans l’image. Enfin Alain Boillat propose une longue étude sur l’adaptation des films de long métrage en feuillons dessinés.
À la fois rigoureux et modestes, les auteurs adoptent une perspective résolument pragmatique, tout en étant au fait de la théorie de la bande dessinée. Quand Marine Borel s’interroge sur un sujet aussi délicat que la temporalité dans la bande dessinée, elle produit par conséquent d’excellentes remarques.
Demeure le problème de la valeur intrinsèque des œuvres étudiée, question qui n’est pas abordée, pas même dans une perspective de rendement maximal du médium. On peut se demander ainsi quel est le profit d’une longue comparaison entre le film de Michael Curtiz, L’Aigle des mers (The Sea Hawk), où le code hollywoodien est à sa perfection, et son adaptation par Rémy Bourlès dans L’Intrépide, qui est un travail de commande.


BD-US : LES COMICS VUS PAR L’EUROPE
Marc Atallah, Alain Boillat (dir.)
Infolio, 2016

« Cet ouvrage réunit des spécialistes de l’étude de la bande dessinée qui livrent une série d’éclairages sur la manière dont les productions culturelles européennes ont diffusé, exploité, reformulé ou détourné l’imaginaire et le langage des comics venus d’Outre-Atlantique ».
Alain Corbellari examine l’influence du Flash Gordon d’Alex Raymond sur E. P. Jacobs. Raphaël Œsterlé analyse l’influence du même Flash Gordon sur les communisants Pionniers de l’espérance de Lécureux et Poïvet. Alain Boillat spectrographie le film d’Alain Resnais I Want to Go Home. Ces trois études, toutes trois excellente, ont le mérite de combiner faculté d’analyse et érudition sans faille.
Gianni Haver et Michaël Meyer se penchent sur le Paperinik (Fantomiald) italien. Jean-Paul Gabillet sur la revue contre-culturelle française des années soixante-dix Actuel, considérée comme un passeur de l’underground américain en France. Harry Morgan parle de l’influence de Jack Kirby sur la série télévisuelle britannique Dr Who.
L’ouvrage se termine par un étrange article de Désirée Lorenz sur La Brigade Chimérique et Masqué de Serge Lehman qu’elle accuse de propager une idéologie d’extrême droite, ce qui a dû beaucoup surprendre l’auteur, dont les opinions d’extrême gauche sont bien connues.


BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 9, février 2017

22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Toujours dense et d’un remarquable éclectisme, ce numéro de Bananas comprend un très long entretien avec François Ayroles, complété par une spirituelle bibliographie sélective et commentée, par Philippine de Ternemolesse. Manuel Hirtz se penche sur le fantastique chez Raymond Cazanave. Jean-Jacques Lalanne propose un commentaire de planche d’Yves-Le-Loup, sans se résoudre à conclure que la série est dans ses thèmes et dans sa facture un Prince Valiant à la sauce communiste. Un entretien avec Willy Vandersteen réalisé en 1982 par Yves Frémion, suivi d’un panorama synthétique de la série par Pascal Lefèvre. Article de Pierre Gilles Pélissier sur Alabaster d’Osamu Tezuka. Transcription de deux tables rondes du Salon des Ouvrages sur la bande dessinée, la première, « traduire la bande dessinée », animée par Thierary Lemaire, met aux prises Harry Morgan, Jean-Paul Jennequin, Alex Nikolavitch, la seconde, « fabriquer la bande dessinée », animée par Christian Rosset, fait intervenir Philippe Capart, Philippe Ghielmetti et Gautier Ducatez.
Enfin, dix pages écrites par Évariste Blanchet à la première personne, sur l’album de Cyril Pedrosa, Les Équinoxes. Et on finit par une brève recension du petit livre de Fabrice Neaud sur le droit d’auteur.


LA BANDE DESSINÉE AU TOURNANT
Thierry Groensteen
Les Impressions Nouvelles, 2017

Nouvel état des lieux de la bande dessinée, dix ans exactement après celui établi par le même auteur dans Un objet culturel non identifié (L'An 2, 2006). Si la pénétration de l’analyse et la faculté de synthèse de l’auteur forcent l'admiration, on peut se demander s’il ne pèche pas par optimisme. Car enfin, quelle bande dessinée, pour quel tournant ? L’excellent dessin de couverture d’Alexandre Clérisse montre de façon caractéristique une route sur pilotis qui tourne court au bord d’un à-pic.
Le paysage que peint insouciamment Thierry Groensteen est un paysage dévasté. La production éditoriale est caractérisée par une fuite en avant, au détriment des auteurs, dont le statut relève désormais du précariat. La situation n’est pas plus brillante sur le plan culturel. Le statut de la bande dessinée s’est certes considérablement amélioré, mais c’est dans le cadre d’une culture tombée au dernier degré de la superficialité, dont les arbitres sont les médias de masse. Si la réédition des classiques est un phénomène indéniable, elle représente une goutte d’eau dans la production et elle n’intéresse qu’une infime fraction d’esthètes, les médias étant incapables d’assurer le rôle de prescripteurs, faute de connaissance suffisante du médium. Certes la bande dessinée fait l’objet de recherches universitaires, et les chercheurs qui s’y intéressent n’ont plus rien à envier aux exégètes opérant hors université, mais il n’y a toujours pas d’enseignement universitaire spécialisé du domaine et il n’y en aura jamais, les formations supérieures existantes étant destinées à de futurs praticiens du médium.
Quant aux mouvements dégagés par l’auteur, tels que l’émergence de nouveaux genres (reportage, vulgarisation), la féminisation de la profession, la muséisation de la bande dessinée (et la spéculation sur les planches originales), qui sait s’il n’apparaîtront pas dans vingt ans comme plus révélateurs des lubies d’une époque que de l’évolution de la bande dessinée elle-même.
La conclusion de l’ouvrage montre bien toute l’ambiguïté de la situation actuelle de la bande dessinée, puisque Thierry Groensteen réaffirme les potentialités créatrices d’une forme d’expression qui a pris conscience d’elle-même, tout en paraphrasant un discours économiste pour appeler les éditeurs à la raison et à la restriction, via de nécessaires ajustements du marché.
On peut noter par parenthèse que l’accession de la bande dessinée à la légitimité était annoncée par ses premiers exégètes. Un Robert Escarpit, écrivant en 1965 (La Révolution du livre, Unesco et PUF) prédisait que la bande dessinée accéderait à la dignité de genre littéraire quand ceux qui en faisaient leur lecture habituelle seraient capables de formuler un jugement esthétique et de le faire entendre. Mais l’histoire est imprévisible par définition et, si un tel changement de statut entraîne forcément des gains et des pertes, les uns et les autres ne sont pas nécessairement ceux qu’on avait escomptés.


LE SACRE DE LA BANDE DESSINÉE
LE DÉBAT n° 195
Gallimard, mai-août 2017
Dossier consacré à la bande dessinée dans la revue fondée par Pierre Nora. Les grandes plumes invitées à se pencher sur les récits en images ne se tirent pas trop mal de l’exercice, même si elles inévitablement bridées par leur degré de connaissance du médium. Les philosophes Rémi Brague et Jean-Luc Marion nous parlent ainsi, inévitablement, de Tintin (Jean-Luc Marion avait déjà abordé jadis, avec Alain Bonfand, dans son Tintin le terrible ou l’alphabet des richesses, Hachette, 1996). Mais on a aussi des surprises. Le romancier Tristan Garcia (né en 1981) connaît la BD, pas du tout en spécialiste (en témoignent ses approximations sur le strip américain), mais en lecteur éclectique et doté de discernement, et parle de Frank King, d’Osamu Tezuka, d’Edmond Calvo, de Steve Ditko.
La sociologue de l’art Nathalie Heinich brosse un rapide historique du processus par lequel la bande dessinée a acquis, en France, le statut d’un art, avec quelques erreurs de fait (elle croit qu’il paraît des bandes dessinées destinées à un lectorat adulte à partir des années 1960, alors qu’elles apparaissent après-guerre ; elle date l’ouvrage pionnier de Gérard Blanchard de 1973, alors qu’il il est paru en 1969), ou d’appréciation (elle juge importante la réédition de classiques du strip américain dans la médiocre collection Les Maîtres de la bande dessinée chez Hachette, en 1973 et 1974, mais ne cite pas l’Anthologie Planète de 1967). Tranchant avec l'opinion commune, notre sociologue conclut que le processus « d’artification » ne s’applique qu’à une part très modeste de la production, et fait le parallèle avec le cinéma.
Benoit Mouchart montre l’importance du festival d’Angoulême dans cette ascension statutaire et illustre au passage que l’opposition « art vs. industrie » n’a, dans le domaine de la bande dessinée, rien d’une clause de style puisque les représentants de grands éditeurs expliquent fort sérieusement qu’un album qui se vend à 3000 exemplaires n’existe pas, tout simplement, que cela ne rime à rien. Appliqué à l’édition en général, pareil critère condamnerait les collections de littérature, y compris les plus prestigieuses.
L’historien de l’art Philippe Dagen fait une intelligente analyse de l’exposition de 1990, « High and Low » au Museum of Modern Art de New York, commissariat de Kirk Varnedoe du département de peinture et de sculpture du Moma, et d’Adam Gopnik du New Yorker. Puis Dagen fait un rapide historique de l’usage que fait l’art moderne de la bande dessinée. Malheureusement le propos de l’auteur perd de sa pertinence du fait qu’il croit que les bandes dessinées signées Disney sont produites par « les studios Disney ». Il ne semble pas comprendre en particulier que l’épisode de Mickey « Traits très abstraits », qui se situe dans un musée d’art moderne – épisode devenu fameux parce que Bernard Lavier a réalisé les sculptures qu’on voit dans les cases –, émane du crayon d’un dessinateur, qui s’appelle Sergio Asteriti (le titre original de l’épisode est « Topolino e il ladro artistico », première parution dans Almanacco Topolino n° 227, novembre 1975). Cependant une partie des fameuses sculptures n’émane pas d’Asteriti, parce que la publication française dans Le Journal de Mickey, en 1977, agrandit les cases et c’est donc le retoucheur français qui a créé une partie des œuvres. Ce ne sont pas là de petits détails, ou ce ne sont des détails que pour un historien de l’art qui, inexplicablement, déciderait que toutes ces questions d’attribution ou de datation n’auraient plus aucune espèce d’importance dès lors que l’objet d’étude serait la bande dessinée.
Relevons encore, au milieu d’un sommaire très riche, l’intervention de l’historien de la culture Pascal Ory, qui s’inquiète pour la pérennité de Tintin, Astérix, Gaston, et nous ressert sa vieille chimère de la « désaméricanisation », qui aurait permis l’émergence de la bande dessinée franco-belge, les contributions historiques de Thierry Groensteen (la bande dessinée depuis Töpffer), Jean-Pierre Mercier (la bande dessinée américaine) et Jean-Marie Bouissou (le manga), les propos de Benoît Peeters sur la spécificité de la bande dessinée, ceux de Pierre Assouline sur Hergé, tardivement érigé en classique. On finit sur une note pragmatique, et programmatique, avec quatre articles sur l’utilisation de la bande dessinée à l’école (« La bd a sauvé mes cours de philo »).
Puisque Le Débat, revue de bibliothèque, est à la fois un acteur et un miroir du débat d’idées contemporain, achevons sur deux remarques générales.
Premièrement, si les contributeurs non spécialistes du domaine reconnaissent tous l’importance culturelle de la bande dessinée, la célébration unanime du « passage de la bande dessinée à l’âge adulte » n’est point exempte d'un certain calcul. La bande dessinée aurait, pour ainsi dire, « fait ses preuves », et on peut donc l’admirer dorénavant sans craindre les foudres des réactionnaires. Et réciproquement, il n’y a pas à soupçonner un quelconque parti pris, un préjugé ou, pire, un aveuglement des milieux intellectuels, si la bande dessinée n’a obtenu qu’à la fin du XXe siècle un statut culturel que le cinéma avait, lui, obtenu pratiquement dès son apparition, puisque, avant le fameux « passage à l’âge adulte », la bande dessinée, c’est bien connu, c’était pour les gosses...
Deuxièmement, on ne peut que faire le constat, à travers certaines précautions des contributeurs, de l’aspect désolant que peut présenter parfois le paysage intellectuel français. Pascal Ory croit devoir défendre (p. 28) Astérix contre l’accusation de « franchouillardise », et verse au dossier que les auteurs de la série sont, l’un, un expatrié, l’autre un immigré, décernant ainsi des sortes de certificats de cosmopolitisme. Notre historien note aussi, avec désabusement, à propos de l’usage humoristique, dans Astérix, du stéréotype national (les Goths, les Anglais, les Helvètes) qu’il n’est pas sûr qu’on pourrait faire impunément la même chose aujourd’hui. (Sur ce point, n’en déplaise à M. Ory : on ne pouvait déjà pas le faire dans les années 1960. La commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence accueillit avec méfiance la publication dans Pilote d’Astérix chez les Goths et vit dans les casques à pointe des Germains le type même de l’humour douteux qu’on croyait d’un autre temps (P.V. de la Commission de surveillance, n° 54, séance du 12 oct. 1961)).
En sens inverse, si l’on peut dire (c’est-à-dire en fonction décroissante de l’idéologie), Rémi Brague note que Tintin au pays des soviets ne dénonce pas assez le communisme. La remarque prend tout son sel lorsqu’on pense à la réputation qu’on a faite à Hergé sur la base de cet album, et à son propre malaise face à son œuvre de jeunesse.


BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 10, février 2018
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil

Numéro décennal de Bananas – mais l’éditorial nous rappelle que le directeur-fondateur publie des revues de bande dessinée et/ou de critique sous ce titre, et aussi sous celui de Critix, depuis un tiers de siècle.
Dossier sur l’histoire du syndicalisme, avec la reprise d’un entretien avec Jean-Michel Charlier, datant de 1974, entretien paru initialement dans l’organe officiel du syndicat des dessinateurs, et emprunt d’un pessimisme très typique de la prose syndicaliste.
Témoignage de Pierre Le Goff sur ce syndicat, appelé d'abord Syndicat des dessinateurs de journaux, devenu ensuite Syndicat des dessinateurs pour journaux d’enfants, puis Syndicat national des dessinateurs de presse, recueilli par Évariste Blanchet. Article du même Blanchet sur la tentative, non aboutie, par les dessinateurs français de faire un hebdomadaire pour la jeunesse, Ciné-Images, dans l’immédiate après-guerre.
Réédition de la bande dessinée « Sorge, l’agent qui sauva Moscou », de Le Goff, parue dans Vaillant en 1965.
Article sur les Mange-Bitume de Lob et Bielsa par Pierre-Gilles Pelissier, qui s’efforce de démontrer que cette fable sur une civilisation véhiculaire et autoroutière métaphorise le code même de la bande dessinée.
Transcription de deux tables rondes du Salon des ouvrages sur la bande dessinée édition 2016,
« la légende de Futuropolis », animée par Sylvain Insergueix, et « la sexualité vue par des femmes dans la bande dessinée contemporaine », animée par Jeanne Puchol. En prolongement de cette dernière, article de Renaud Chavanne : « de l’excitation sexuelle des dessinateurs par leurs propres dessins ». Le même propose une note de lecture sur La parodie dans la bande dessinée franco-belge, ouvrage posthume de Pierre Huard.
Longue et fine analyse technique du tracé de Hermann, au Rotring, à l’Artpen et au stylo-pinceau, pour Les Tours de Bois-Maury, signée Daniel Pizzoli

Un numéro plein comme un œuf.

BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 11, février 2019
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil
12 euros
abonnement 20 euros pour deux numéros

« Pour une contre-histoire de la bande dessinée » de Dominique Petitfaux reprend le titre de Francis Lacassin Pour une contre-histoire du cinéma en montrant que l’histoire du neuvième art dans sa version courante oublie tout simplement les bandes dessinées qui ont été les plus lues (car parues dans la grande presse, dans les hebdomadaires pour enfants ou dans les illustrés populaires), du fait d’une focalisation de la critique savante sur les hebdomadaires belges, Tintin et Spirou, et sur une forme éditoriale qui est l’album.
Long entretien avec Jeanne Puchol sur ses 35 ans de métier.
Mentionnons ensuite un trio d’études témoignant du bel éclectisme de cette revue d’études. Analyse formelle de La Femme-insecte d’Osamu Tezuka par Pierre-Gilles Pelissier. Article sur Barney Google et l’âge d’or du strip par Jean-Jacques Lalanne. Article sur Tex Willer, des strisce au petit format, par Manuel Hirtz. Donc, un manga, un daily strip américain, et une série populaire italienne.
Retranscription d’une table ronde, dirigée par Harry Morgan, sur la recherche universitaire en Suisse et au Canada, à l’occasion du Salon des ouvrages sur la bande dessinée, où interviennent le Canadien Philippe Sohet et l’Helvète Alain Boillat, puis d’une autre table ronde, menée par Antoine Sausverd, sur l’histoire de la bande dessinée suisse.
Évariste Blanchet continue d’explorer les archives de Pierre Le Goff relatives au Syndicat national des dessinateurs de presse, et livre de passionnants documents. La question qui fait l’objet de cet article est celle de l’affiliation des dessinateurs de France Soir à la Sécurité sociale, au début des années 1970, ce qui suppose le statut de salarié. Le rapport d’expert qui est reproduit vise donc à démontrer que des dessinateurs de strips pour un grand quotidien ne sont pas des auteurs au sens de la loi de 1957 sur la propriété littéraire et artistique, qu’ils n’ont pas de liberté de création, qu’ils sont dans un rapport de subordination (et donc de salariat) par rapport au titre de presse, qui leur envoie scénario et instructions détaillées. Finalement même le fait que, dans une bande dessinée, l’image soit inféodée au texte, vient appuyer la démonstration que la tâche du dessinateur se borne à exécuter, et donc qu’il est un salarié (qui a droit à ce titre à la Sécurité sociale). Il y a donc ici une collision frontale entre le droit social et les considérations esthétiques, et le débat académique sur le statut culturel de la bande dessinée et sur la difficulté de son accès à la légitimité artistique reçoit du coup un éclairage nouveau, du plus haut intérêt pour l'historien.
Ce numéro de Bananas s’achève sur une recension par Évariste Blanchet des Mythes de Cthulhu, adaptation des nouvelles de H. P. Lovecraft par Alberto Breccia.

4. Pédagogie

 

4.1. Ouvrages généraux pour pédagogues


Regards sur la bande dessinée
P. Delchef, J. Klompkes, J. Verstraeten, JP Janssens
Centre de lecture publique de la communauté française, Liège, 1982

Des articles et surtout des notules, pleines de bonnes intentions mais confondantes de naïveté, à destination des bibliothécaires.

NB — Une erreur de fabrication a fait sauter la notice ci-dessus de la 2e édition, 2005, de notre Petit Critique. L'ouvrage est appelé dans l'index, mais la notice manque p. 189, alors qu'elle devrait figurer sous la notice d'un numéro d'Éducation 2000 portant le même titre.


La Bande dessinée : mode d'emploi
Thierry Groensteen
Les Impressions nouvelles, 2007

Cette introduction destinée au premier chef au corps enseignant et aux bibliothécaires tranche radicalement avec la littérature secondaire existante pour ce genre de public. (Pour un tour d'horizon de cette littérature, voir Le Petit Critique illustré, 2e édition, PLG, 2005.)

Thierry Groensteen se montre excellent pédagogue vis-à-vis d'un lecteur dont il suppose au départ qu'il ne connaît rien. Il progresse pas à pas, du simple vers le complexe, à travers les paramètres sémiotiques, la lecture, l'élaboration du récit dessiné, et les registres de sens. Chaque résultat est obtenu à partir de la lecture d'un exemple judicieusement choisi.

La démarche n'est jamais jargonnante. Le sujet reste de bout en bout l'étude de la bande dessinée pour elle-même, sans que l'auteur ne s'égare jamais du côté de la sociologie, de la psychanalyse ni de rien d'autre. Même quand il parle de politique ou d'érotisme, Thierry Groensteen ne perd pas de vue cette approche autotélique des littératures dessinées.

L'auteur synthétise naturellement ses propres recherches mais il utilise aussi les résultats des autres chercheurs, sans parti pris et avec un bel œcuménisme.

Quant au corpus, Thierry Groensteen arrive à traiter de la bande dessinée dans tous ses aspects et il propose une vision complète des écoles et des styles. Naturellement, il prend pour objet d'analyse la bande actuellement disponible pour un lecteur francophone. Ceci explique que, pour les formes sémiotiques, il s'en tienne à la planche et, pour les formes éditoriales, à l'album. Même ainsi, un lecteur attentif est introduit à tout le reste des littératures dessinées.

Dans son examen des planches, l'auteur se montre excellent lecteur, sans jamais succomber à des lubies théoriques, et il se montre également homme de goût.

Cet ouvrage devrait figurer dans toute bibliothèque publique, toute bibliothèque d'école, et tout CDI. On conseille sa lecture réitérée au non spécialiste assurant une fonction de passeur et de prescripteur.


4.2. Didactique par la bande dessinée


Des BD pour découvrir la presse
avec les Schtroumpfs et Lucky Luke
Daniel Salles
CRDP de Poitou-Charentes, 2006

Moults exercices corrigés pour fin du primaire et collège, sur la fabrication et la diffusion des journaux et le métier de journaliste, qui prennent comme point de départ des BD, et notamment Le Schtroumpf reporter et l’album de Lucky Luke intitulé Le Daily Star.


La BD de case en classe
15 albums pour l’école
Patrice Gentilhomme
Scérén/CRDP du Centre, 2007

15 albums choisis pour le primaire, dont Le Naufragé du A, un album de Toto l’ornithorynque, un album de L’Ours Barnabé, Le Nid des Marspilamis, avec les éléments permettant de les étudier, pour les écoliers et pour les maîtres.


La BD de case en classe
Découvrir le manga
avec L’Histoire des 3 Adolf et Gen d’Hiroshima
Agnès Deyzieux
CRDP Poitou-Charentes, 2007

L'auteur disserte, pour un public d'enseignants désireux de travailler sur le manga avec leurs élèves, sur les spécificités narratives du manga (découpage, ellipses, plans, cadres), et sur les particularités graphiques du médium (arrières-plans, codes idéographiques), mais livre aussi une biographie de Tezuka et une situtation des Trois Adolfs dans le corpus tezukien. L'utilisation du manga à des fins pédagogiques est plutôt moins poussée que dans les autres ouvrages de ce type, ce qui est une excellente chose. On rejoint cependant le programme d'histoire de 3e et de 1e, à travers la propagande et l’idéologie nazies, les travaux proposés aux élèves concernant les faits historiques relatés, les personnages réels intervenant dans la fiction, et la mise en parallèle de l'imagerie de Tezuka avec des documents sources (fournis).

Gen d'Hiroshima fournit une matière d'œuvre moins facilement exploitable. Le code, caractéristique du genre de manga qu'on pourrait qualifier d'« hystérico-lacrymal », est nettement plus pauvre que celui de Tezuka. L'utilisation de l'œuvre en cours d'histoire pose également des problèmes, le manga de Nakazawa tenant un discours assez ambigu, parfois à la limite de la niaiserie (« c'est la faute de la bombe si je suis devenu un délinquant juvénile »), et l'œuvre n'étant pas du tout, comme aimeraient le croire les bien-pensants, l'équivalent pour Hiroshima de ce que le Maus de Spiegelman est à la Shoah.


1.Classiques et contemporains - bande dessinée
Jacques Tardi
Adèle Blanc Sec - Adèle et la bête
2. Classiques et contemporains - bande dessinée
Hugo Pratt
Corto Maltese - Fable de Venise
3. Classiques et contemporains - bande dessinée
Hugo Pratt
Corto Maltese - La Jeunesse de Corto
4. Classiques et contemporains - bande dessinée
Jacques Ferrandez
Carnets d’Orient : Le Cimetière des princesses
5. Classiques et contemporains - bande dessinée
Jacques Tardi
Adieu Brindavoine suivi de La Fleur au fusil
6. Classiques et contemporains - bande dessinée
Comès
Dix de Der
7. Classiques et contemporains - bande dessinée
Enki Bilal, Pierre Christin
Les Phalanges de l’ordre noir
8. Classiques et contemporains - bande dessinée
Tito
Tendre Banlieue - Appel au calme
Magnard, Casterman, 2009

Ces huit fascicules reproduisent en petit format les bandes dessinées in extenso et les accompagnent de dossiers pédagogiques, écrits par Stéphane Hurel, Didier Quella-Guyot, Isabelle Quella-Guyot, Luc Révillon, etc., permettant leur exploitation en classe, à la fois dans le cadre de l'étude du récit et de l'image, et dans le cadre des programmes scolaire, notamment celui d'histoire.


4.3. Didactique de la bande dessinée

 

[Note. — Nous recensons dans cette rubrique les manuels apprenant à faire de la bande dessinée, mais non les simples méthodes de dessins, même estampillées « atelier manga ». (Il y a naturellement de nombreux cas limites.) Le lecteur consultera les catalogues spécialisés des éditions Eyrolles, Fleurus, Chantecler et autres.]

 

Super Girls : la BD facile
Christopher Hart
Evergreen, 2001

Traduction de How to Draw Great-Looking Comic Book Women, Watson-Guptill.


Petite méthodologie pédagogique autour de la bande dessinée
Bast (dessin), D. P. Filippi (texte), P. Beauté (coordination)
Le Cycliste, s. d. (2005)

Dossier de 16 pages vendu 15 euros, expliquant comment on fait une BD et proposant quelques exercices pour des scolaires, dont la particularité est qu'il aurait pu être réalisé vers 1974, le maximum dans l'analyse théorique étant la notion de cadrage.


Les cahiers de l'image narrative
N° 3, Le personnage
Christian Heinrich
Scérén-CRDP d'Alsace/L'iconograf, 2005
N° 4, Le scénario de bande dessinée
Bonnifay, Peirani-Vignes, Béhé
Scérén-CRDP d'Alsace/L'iconograf, 2005
N° 5, Manga, origines, codes et influences
Daniel Blancou
Scérén-CRDP d'Alsace/L'iconograf, 2006

Signalons ces petits cahiers sans prétention, destinés aux enseignants et à leurs élèves. (Les deux premiers titres, sur le rough et sur le carnet de voyage, ne relèvent pas de notre sujet.) Le lecteur ne doit cependant pas s'attendre à des efforts d'originalité, l'auteur du cahier sur le manga, par exemple, répétant strictement ce qu'il a lu dans la littérature spécialisée, ni plus ni moins.


Allo Docteur Cartoon : la trousse de secours du parfait dessinateur de BD
Ben Cormak
Eyrolles, collection Trait Pour Trait, 2006

Apprenez à corriger les bévues qui rendent vos dessins fanzinesques et vous empoisonnent l'existence.


La Perspective en BD : comment rendre les effets de perspective et produire des dessins convaincants
David Chelsea
Eyrolles, 2006

Tout sur la ligne de fuite et les effets de profondeur.


La bande dessinée sur le web : outils et techniques
Steven Withrow, John Barber
Atelier Perrousseaux éditions, 2006

Tout sur l'art d'utiliser Photoshop pour faire de la bande dessinée et la publier sur la toile, avec maints exemples de travaux de dessinateurs, connus ou non, ayant opté pour ce médium.


Apprendre à dessiner les super-héros : les bases de la technique volume 1
Delcourt, 2006

Traduction de How to Draw Comics, Wizard, 2005. Cours de dessins de la revue Wizard, donnés par les dessinateurs de comics de super-héros eux-mêmes. Préface de Joe Quesada.


L'Atelier de Jojo et Yvan
Jean-Yves Duhoo
L'Association, 2006

Reprend la rubrique de l'auteur dans l'excellente revue pour enfants Capsule cosmique, malheureusement défunte. Apprend sous forme de petits dessins à dessiner des BD. Drôle et plutôt bien fait.


La Création d'un univers de fiction
Jean-Marc Lainé, Sylvain Delzant
Eyrolles, collection Les manuels de la BD, 2007

Par un scénariste du Journal de Mickey et de Pif et un dessinateur de Scarce et de l'Almanach Vermot, une grosse bible sur l'art de créer sa série, avec des aperçus théoriques quelque peu flous. (Eh non, mes amis, Greimas n'a pas élaboré sa sémiotique du récit à partir du théâtre, confusion avec Souriau, vraisemblablement, c'est très vilain de citer des auteurs qu'on n'a pas lus.) Pourrait s'intituler aussi Mille et un conseils à ne pas suivre, le credo des auteurs étant que si on n'utilise, pour faire sa série, que des poncifs et de grosses ficelles, le lecteur enchanté s'y retrouvera immédiatement, et qu'on connaîtra un succès retentissant.


L'Écriture du scénario
Jean-Marc Lainé, Sylvain Delzant
Eyrolles, collection Les manuels de la BD, 2007

Suite de l'ouvrage précédent. Les propos sont, comme dans le premier tome, à la limite entre sémiologie et manuel de recettes, l'une et l'autre de ces formes canoniques en souffrant quelque peu. Pourrait s'intituler aussi L'Écriture de l'écriture du scénario, tant les auteurs semblent avoir du mal à remplir de grandes pages au texte pourtant fort aéré.

Il est paru depuis, dans la même collection, quatre autres volumes, indispensables à l'amateur, La Réalisation du storyboard, Le Dessin des planches, L'encrage et La Colorisation des planches.

 

5.. Catalogues, annuaires et répertoires professionnels d'expression française


Annuaire professionnel de la bande dessinée et de l'illustration
Agence Ad Tatum
Tome 1, édition 2007, déc. 2006

256 pages listant les adresses de tout le monde, auteurs, éditeurs, libraires, critiques, etc.


Annuaire des bandes dessinées 2007

Version papier, sur 200 pages, du site internet adbd.net qui, depuis 1999, « tente de recenser » les sites consacrés à la bande dessinée sur le web. La « forme figée » d’un « inventaire fluctuant », explique Thomas Clément, le webmaster. Classement par thèmes, auteurs, éditeurs, blogs, festivals, personnages, etc., avec quelques mots de présentation.


6. Miscellanées

 

Critique de la bande dessinée pure : chroniques narquoises : 2005-2007
Didier Pasamonik
Berg international, 2008

Présenté avec un sens indéniable de ce qu'en yiddish on nomme schutzpah (le culot, le toupet) comme une « exploration curieuse et amusée » du milieu de la bande dessinée, il s'agit en réalité de « papiers » précédemment parus dans le bulletin publicitaire (payant) d'un éditeur de bande dessinée populaire, qui se caractérisent par la polémique anti-intellectuelle et le recours systématique à l'attaque ad hominem.