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Ayant achevé The Power and the Glory de Graham Greene, pris à la FNAC de Clermont C (2010) de Tom McCarthy (auteur de ce livre sur Hergé qui avait fait grand bruit, Tintin and the Secret of Literature), parce que cela parle d’institution pour sourd-muets à l’époque edwardienne, de l’invention de la radio, de ville de cure en Europe centrale, de Grande Guerre, de spiritisme et d’égyptologie. C’est du Thomas Pynchon simplifié, ressortissant à ce courant contemporain de littérature sémiotique — on pourrait aussi parler de littérature réticulaire ou même de littérature filaire —, où l’important est le tissage des réseaux de sens ou de correspondances (chez McCarthy, même une flatulence devient un « message olfactif » provenu d’entrailles ignorées), une conception qui paraîtra aussi bizarre aux siècles futurs que l’est pour nous la littérature hermétique de la Renaissance, avec son cortège d’allégories et d’emblèmes. Et de fait, chez McCarthy, les descriptions prolongées de festivals à sujets mythologiques (pageants) sont en effet un peu « Renaissance ».
Une limite évidente d’un tel projet romanesque est que les fameuses correspondances portent toujours sur de petites observations, presque à fleur de conscience. La prééminence donnée à l’intériorité, dans la continuité du roman du XXe siècle, amène donc le romancier à se fixer sur ces états « complexes et ténus » dont parle Sarraute dans L’Ère du soupçon. À la fin du roman, le personnage, qui a survécu à la Grande Guerre, meurt idiotement, d’une infection non traitée de la cheville, attrapée en Égypte, sur un chantier de fouille. Cela n’a a demeurant aucune importance, seul comptant le fait que cette mort soit associée aux différentes images et métaphores — guerrière, radiophonique, érotique, mythologique, etc. — dont est tissé le le roman.
Cette lecture s’enchaînant à celle de The Power and the Glory m’a donné matière à réflexions. Le roman de Graham Greene fonctionne admirablement du point de vue narratologique, en adoptant, comme presque toute la littérature anglophone du XXe siècle, la convention jamesienne du réflecteur : le roman est à la troisième personne, mais nous voyons les choses « à travers » les différents réflecteurs, le principal étant naturellement le prêtre déchu. En second lieu, l’écriture du roman et le projet romanesque sont en parfaite adéquation, le romancier arrivant à faire comprendre la marche vers le martyre d’un prêtre indigne, et la fonction du martyre lui-même comme « semence de chrétiens », sans jamais verser dans l’hagiographie (à telle enseigne que Graham Greene s’était, paraît-il, attiré les foudres du Saint Office, pour son portrait un peu trop réaliste d’ecclésiastiques faillibles).
Par comparaison, dans C, le récit au présent de l’indicatif et la convention littéraire de la conscience humaine gonflée aux dimensions de l’univers ne permettent de rendre compte de façon satisfaisante ni de l’action de ce qui reste un roman traditionnel, ni du personnage, qui est en réalité tout aussi traditionnel, et qui en tout cas ne consiste nullement en un moi désincarné. Quant à l’idée d’une transcendance, même ramenée à celle d’un ailleurs désirable (à travers les télécommunications, la drogue, la jouissance érotique), elle est toujours donnée comme déceptive, puisque McCarthy affecte de ne croire à rien, pas même au mythe privé.
Je ne prétends nullement que Tom McCarthy serait un meilleur romancier s’il se faisait chrétien, mais son roman, qui n’est pas au demeurant sans qualités, révèle à mon avis l’impossibilité pour une société comme la nôtre, qui ne croit plus en rien, et pas même à son scepticisme, société agnosique plutôt qu’agnostique, de produire une littérature qui vaille.