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Notes pour servir à l'histoire du spiritisme scientifique


ETUDES SPIRITOÏDES ET ULTRAMONDAINES • LE CREPUSCULE DES MEDIUMS • Département des notes de lecture.

Clément Chéroux, Andreas Fischer et autres, Le Troisième œil : la photographie et l'occulte, Gallimard, 2004


Sous ce titre est paru le catalogue d'une exposition qui s'est tenue à Paris à la maison européenne de la photographie entre novembre 2004 et février 2005 et qui s'est installée après cela au Metropolitan Museum of Art de New-York, de septembre à décembre 2005.

Le catalogue est rédigé par Clément Chéroux et Andreas Fischer, avec l'assistance de Pierre Apraxine, Denis Canguilhem et Sophie Schmit. Les articles sont sérieusement documentés, parfois un peu répétitifs (les démêlés du photographie spirite William Hope avec la SPR sont racontés deux fois, par Andreas Fisher et par Sophie Schmit, dans deux versions différentes). On peut trouver un peu longs les développements sur la photographie de la pensée, des effluves et des auras, et hors-sujet le chapitre sur les fées de Cottingley.

Mais c'est surtout le choix des documents photographiques qui fait l'intérêt de l'ouvrage. Ayant puisé aux fonds allemands (Institut für Grenzgebiete der Psychologie und Psychohygiene de Fribourg-en-Brisgau), britanniques (la Society for Psychical Research, The College of Psychic Studies de Londres, qui n'est autre que la London Spiritualist Alliance fondée par Stainton Moses, prêtre anglican et médium), françaises (L'Institut Métapsychique International), américaines (l'American Society for Psychical Research), à quoi s'ajoutent une quinzaine de musées, d'universités, et de fonds d'archives, le catalogue arrive à illustrer l'ensemble de la médiumnité et représente une véritable aubaine pour le lecteur familier de la littérature spirite et métapsychique, qui verra enfin des documents rares, aperçus dans les ouvrages de Flammarion, de Richet, de Schrenck-Notzing etc., dans des reproductions parfaites. Lorsque les ouvrages du canon ne sont pas illustrés (c'est le cas de celui de Crawford sur Miss Goligher), les photographies deviennent véritablement épiphaniques et fonctionnent comme des révélations - c'est-à-dire, le plus souvent, des révélations de fraudes. En effet, comme le font remarquer à plusieurs reprises les auteurs du catalogue, la photographie, envisagée initialement par les chercheurs psychiques comme un puissant outil d'investigation et un procédé de validation scientifique des phénomènes, s'avéra presque immédiatement contreproductive, les observateurs naïfs y voyant des trucages grossiers.

A cet égard, la phénoménologie de la métapsychique objective pose un intéressant problème de psychologie des formes. Pour le chercheur, tout est simple. Il finit par connaître son objet d'étude (l'ectoplasme) comme le biologiste connaît ses coupes vues au microscope et comme l'astronome connaît ses étoiles. Mais la photographie d'une matérialisation confronte un lecteur à l'œil non éduqué à un paradoxe insoluble : il s'agit de reconnaître une chose qui par définition n'est pas identifiable puisqu'elle n'existe pas dans le monde naturel. Le résultat est inévitablement que l'individu moyen lit l'ectoplasme comme un fragment de tissu avalé et recraché, une sorte de crêpe, de la ouate, etc. « un spectateur sceptique, écrit Schrenck-Notzing, aurait l'impression au vu de cette photographie, qu'Eva s'était mis un torchon sur la tête. » Et comme l'individu moyen rentre le cas échéant dans un groupe d'appartenance (par exemple les savants) ou un groupe de soutien (par exemple les reporters), on comprend que la photographie finisse par être occultée par le métapsychiste lui-même.

Mais la pratique de la photographie révèle aussi des paradoxes ou des contradictions inhérents au métapsychiste. Dans les phénomènes de matérialisation, on relève tout d'abord une hiérarchie introduite par les chercheurs psychiques eux-mêmes, une production ectoplasmique étant d'autant plus intéressante qu'elle se rapproche du référent naturel, l'idéal étant un fantôme en pied, capable de se mouvoir et de s'adresser à l'assistance. Des productions ectoplasmiques informes (masses filamentaires, membres ébauchées) sont considérées comme une sorte de degré élémentaire de l'idéoplastie. Avec le recul, cette position paraît doublement paradoxale, premièrement parce que beaucoup de chercheurs et des plus éminents (Flammarion, Schrenck-Notzing) ne sont pas spirites et qu'ils n'ont donc pas de raison particulière d'attendre une présence incarnée (puisqu'ils ne croient pas aux esprits), deuxièmement parce que le fait lui-même de l'ectoplasmie viole toutes les lois de la physique et de la biologie et que le plus modeste filament émergeant de la bouche de Marthe Béraud-Eva C. a sous cet aspect la même force probante que le fantôme de Katie King, le changement étant d'ordre qualitatif et non d'ordre quantitatif.

Cette contradiction explique certainement la position d'un Schrenck-Notzing qui, comme le fait excellement remarquer Andreas Fischer (p. 188, n. 74), est très proche d'une attitude d'historien de l'art et apprécie les créations d'Eva C. en fonction de leur beauté et de leur degré d'achèvement. Le métapsychiste allemand relève du reste que son médium se comporte comme une artiste et offre des productions qui vont de la simple ébauche jusqu'à l'œuvre parfaite. Schrenck-Notzing ne fait donc qu'assumer l'hésitation des métapsychistes entre objectivité scientifique et esthétique. Une belle photo de matérialisation, de lévitation, etc., c'est d'abord... une belle photo.

Pour finir, l'examen du corpus photographique du spiritisme révèle les sources iconographiques des productions médiumniques. Que voit-on généralement dans une production ectoplasmique, capturée par l'objectif, à la lumière du magnésium ? Une masse ouatée au milieu de laquelle apparaît, suspectement aplati, un visage, un doigt, une main. Une telle production découle de la photographie spirite victorienne, obtenue par trucage (double exposition de la plaque). Ces portraits victoriens montrent typiquement, en surimpression derrière le modèle photographié, le portrait plus ou moins complet d'un désincarné dans un nimbe, dans une masse duveteuse ou dans un voile. Autrement dit, la notion même d'ectoplasme trouve sa source dans une imagerie canonique, à la fois religieuse (le saint dans son nimbe, la divinité dans sa nuée) et fantastique (le fantôme dans son suaire).

Réciproquement, la photographie spirite postérieure à la Grande Guerre est en proche parenté avec les productions ectoplasmiques. Elle se borne à montrer un visage (et non plus un corps plus ou moins complet) entouré de volutes, éventuellement relié à la tête du médium par un cordon fluidique, comme une bulle de bande dessinée. La photographie spirite des années 1920 et 1930 constitue par conséquent une version clandestine (visible seulement pour l'objectif) des matérialisations des grands médiums à effets physiques.

Harry Morgan

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