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CINÉMA BRITANNIQUE
LES GRANDS FILMS D'ALFRED HITCHCOCK

THE LODGER

Vu le génial The Lodger (1927) du jeune Hitchcock, d’après le roman de Mrs Belloc Lowndes, qui n’est autre que la sœur de Hilaire Belloc. Le lodger, qui ressemble à une jeune dandy ou à un jeune prêtre, est introduit par la logeuse dans un appartement où tous les murs contiennent un chromo de femme blonde à l’abondante chevelure, de sorte que ce commerce inévitablement louche qu’est la location d’un meublé — on s’installe chez des gens qu’on ne connaît pas — est décrit métaphoriquement comme couvrant un commerce de galanterie, et la logeuse comme une patronne de bordel. Naturellement, le lodger fait retirer les chromos. Mais est-ce parce qu’ils est lui-même l’éventreur qui tue les femmes blondes, ou parce qu’il est d’une classe supérieure, et que les chromos choquent son sens esthétique ? L’intrigue policière n’est ici qu’un prétexte à présenter et à styliser les conflits de classe. La logeuse croit que le lodger est le tueur et elle ne veut plus que sa fille lui serve le petit déjeuner, ni se trouve seule avec lui. Le père ne veut pas que le lodger sorte avec sa fille parce qu’il est un « étranger ». En sens inverse, le lodger et la fille de la maison snobent affreusement (« cut horribly ») le policier — qui serait pourtant en droit de ne pas apprécier de voir sa fiancée embrasser le locataire de sa mère — en lui envoyant à la figure, elle, son droit à l’indépendance, lui, sa supériorité de classe. Le point essentiel est qu’ils sont offensés de la même manière, ce qui introduit l’équivalence entre sexe (féminin) et classe (supérieure). Cependant aux distinctions de classes se surajoutent les rôles familiaux et le lodger devient, par la logique même de l’économie domestique, une sorte de grand gamin, qui sort nocturnement, en se cachant, comme un adolescent fugueur, et qui revient plus discrètement encore, et la logeuse, marâtre de facto, l’entendant sortir en catimini, en profite pour fouiller son appartement en son absence. — Cet appartement est, au surplus, le lieu de toute les vérités, le lieu où le lodger est exposé (au sens anglais, exposed, démasqué), à telle enseigne que cet appartement est décrit comme ouvert sur la rue, par le simple procédé des phares des véhicules passant sur la chaussée, qui balayent de leurs losanges de lumière les murs et les plafonds.
Le défaut du film est que le jeune Hitchcock en fait trop. Pourquoi la croisée, vue de l’extérieur, doit-elle tracer une croix sur le visage du lodger ? Pourquoi faut-il un plancher de verre pour que le policier et les deux femmes voient le lodger faire les cent pas dans la chambre au-dessus de leur tête ? Les oscillations du lustre auraient suffi. (À moins que cet obsédé de la lisibilité qu’est Hitchcock n’ait jugé nécessaire d’expliquer que les oscillations du lustre viennent des pas et non du passage des autobus !) Pourquoi des gros plans sur le visage d’Ivor Novello et de June Tripp, dans la scène où ils se bécotent et s’entre-reniflent, pourquoi un montage désordonné, et tout cet attirail érotique qui préfigure Buñuel ?

Le film décrit aussi sans aucune précaution la brutalité d’un État policier. Ce que disent les images, en contradiction flagrante avec l’intrigue, c’est que le lodger est arrêté parce qu’il apparaît comme une sorte de déviant sexuel, et qu’il a excité la jalousie du policier (c’est un peu la thématique, familière aux cultures méditerranéennes, de « l’homosexuel qui couche avec ma sœur »). La fin du film est dominée par une fébrilité insurrectionnelle, puisque la plèbe, excitée par les flics, essaie de mettre en charpie l’aristo, qui s’est maladroitement pendu à une grille par ses menottes. Hitchcock nous montre d’ailleurs très délibérément, d’abord un Christ aux outrages, puis, quand on décroche le malheureux de sa grille, une descente de croix.