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MISCELLANÉES STRIPOLOGIQUES

Théâtre populaire et imagerie naïve
Les Indes noires, 1964, ORTF, Le Théâtre de la jeunesse, réalisé par Marcel Bluwal, écrit par Marcel Moussy
Le Secret de Wilhelm Storitz, 1967, ORTF, Le théâtre de la jeunesse, réalisé par Éric Le Hung, écrit par Claude Santelli
Maître Zacharius
, 1973, ORTF, dirigé et adapté par Pierre Bureau

La télévision française des années 1960 était, dans ses meilleurs moments, un médium à la fois littéraire et populaire. Si Le Théâtre de la jeunesse de L’ORTF s’adressait à la reifere Jugend, il visait aussi les grandes personnes, de toutes classes sociales et de toutes conditions. Claude Santelli optait pour une théâtralité assumée et pour un recours délibéré à l’imagerie naïve de type spinalienne.
Un tel projet était fait idéalement pour adapter les romans de Jules Verne qui, sur un plan dramatique, fonctionnent comme des scènes théâtrales (Verne vient en effet du vaudeville), et qui sont construits autour des gravures de Benett, Roux, etc. Dans la dramatique tirée des Indes noires on retrouve ainsi, d’après les gravures de Benett, l’image de Coal City au fond de la mine d’Aberfoyle, ou l’irruption du lac Katrine dans la mine, à grand renfort de maquettes, ou encore la figure de Silfax dans sa barque, sur le lac du monde souterrain. Dans Le Secret de Wilhelm Storitz, les auteurs reconstituent inévitablement la frappante gravure de Roux du duel au sabre avec l’homme invisible.

Les Indes noires est réalisé par un Marcel Bluwal que ses inclinations communistes poussent à rajouter un prologue, à la vérité parfaitement inutile, où l’on voit la fermeture de la mine d’Aberfoyle, accompagnée d’une musique dramatique (c’est le prolétariat qu’on affame !). Mais le reste du film ne trahit par l’esprit de Jules Verne. Nell, la jeune fille du monde souterrain qui voit le monde extérieur pour la première fois, est, comme chez Verne, décrite comme une aveugle qui recouvre la vue. Dans le film, ce motif est simplement déchristianisé (dans le roman, Nell est submergée par l’émotion religieuse et tombe à genoux en s’écriant : « Mon Dieu, que votre monde est beau ! ») et déromanticisé (chez Jules Verne, les chapitres des Indes noires qui relèvent du roman de voyage sont un hommage à Walter Scott, puisqu’on se promène dans le décor de ses romans).
Filmiquement, Les Indes noires ne prétend pas être autre chose que du théâtre filmé, même si Marcel Bluwal recopie un peu How Green Was My Valley de John Ford quand il montre ses mineurs troglodytes. La modestie des moyens, et le recours aux maquettes pour montrer ce que le roman contient de proprement fantastique, à savoir un lac et une ville au fond d’une mine, viennent plutôt au secours de la fiction, car elles nous rappellent que celle-ci n’a d’autre ambition que d’être une évocation dramatique du roman.

Le Secret de Wilhelm Storitz est plus infidèle à Jules Verne, mais pour une excellente raison. Les événements chez Jules Verne sont peu de chose, et leur ressassement fait partie du plaisir du lecteur. Dans la dramatique, Santelli a donc poussé au maximum les scènes à effet. Au lieu d’une simple voix qui dit à l’oreille du narrateur, à propos de son frère et de la fiancée de celui-ci, « il ne l’épousera pas », on assiste au meurtre d’un musicien tzigane qui chantait en l’honneur du couple des fiancés. Au lieu du simple vol de la couronne nuptiale, pendant la fête des fiançailles (couronne qu’on retrouvera chez Wilhelm Storitz), l’homme invisible brise les violons et les jette par fenêtre. Au lieu du simple vol des alliances, jetées dans l’église (ce qui, dans le roman, suffit à rendre Myra folle), l’homme invisible poignarde carrément l’évêque pour empêcher le mariage. Mais il faut se souvenir que la dramatique est l’adaptation d’une adaptation. C’est en effet la version du roman tripatouillée par Michel Verne qu’on lisait dans les années 1960 (et qu’on lira jusqu’aux années 1990). Dans la version originale de Jules Verne, ce ne sont pas les alliances qui volent à travers la nef, mais l’hostie brisée, de sorte que la cathédrale est fermée dans la suite du roman jusqu’à la cérémonie de réparation.
Si la dramatique ajoute au roman, c’est en faisant de Wilhelm Storitz un personnage romantique d’amoureux monomaniaque, joué par Jean-Claude Drouot, qui, dirigé par le même Éric Le Hung, vient d’interpréter Thierry La Fronde de 1963 à 1966. Du coup, on voit beaucoup Wilhelm Storitz, qu’on ne voit jamais chez Jules Verne, puisqu’il est invisible.
Autre intervention, plus discutable, sans doute pour ne pas décevoir les spectateurs pour qui Jules Verne est synonyme d’inventions extrapolées, les auteurs ont versé un peu du Château des Carpathes dans Wilhelm Storitz et font de Storitz l’inventeur d’une sorte de télévision passant par les miroirs, sans doute selon la théorie qu’une dramatique télévisée inspirée de Jules Verne doit montrer l’invention de la télé.
Le Secret de Wilhelm Storitz est fort habilement filmé, Éric Le Hung tirant tout le parti qu’il faut des zooms sur des miroirs, et des travellings sur des portraits, et n’hésitant pas à voler intelligemment dans The Invisible Man de James Whale. Il est curieux que les auteurs de la dramatique n’aient pas pensé à garder l’opposition des deux portraits, si éminents dans les gravures du roman, celui de l’alchimiste maléfique Otto Storitz, père de Wilhelm, et celui de Myra, la beauté virginale.
Myra, au fait, ou plutôt Martha, dans la dramatique, est assez pimbêche et nettement proto-féministe, et elle accuse son mari de préférer le portrait qu’il a peint d’elle à l’original (le portrait, lui, ne bouge pas, ne répond pas, se laisse aimer, etc.). De ce fait, le personnage est très typique des années 1960, mais il est aux antipodes de la Myra de Verne, véritable modèle d'abnégation, qui vit avec courage son invisibilité et devient le génie invisible du foyer, comme Nell est le génie invisible de la mine, comme Nemo est le bon génie invisible de l’Île mystérieuse.
Chez Verne, la fin du roman était ouverte, on laissait simplement espérer que Myra redevînt visible un jour. Michel Verne avait dramatisé cela, et la faisait redevenir visible quand elle accouchait. Cet effet a été gardé par Claude Santelli et la scène est des plus réussies.
Maître Zacharius, 1973, dirigé et adapté par Pierre Bureau, est un interminable pensum et une trahison de la belle nouvelle fantastique à la Hoffmann où le jeune Verne disait des choses intéressantes sur les pères qui n’acceptent ni leur mortalité ni les amours des jeunes gens (maître Zacharius veut marier sa fille, promise à son ouvrier, au Temps lui-même en échange de l’immortalité). Au lieu de cela, un personnage rajouté de Méphisto (Jean-Pierre Sentier) fait des concours de cabotinage avec Maître Zacharius (Pierre Vial). On finit par inventer un robot, à l’image du Méphisto, robot qui désobéit comme le font les robots de télévision (il casse les portes, comme les cybernautes dans la série britannique The Avengers). Des extérieurs tournés à Riquewihr font collision avec des scènes intérieures dans un décor « abstrait ». Tout cela ne raconte rien à proprement parler, l’adaptateur ayant simplement brodé sur ce que lui « inspirait » le conte (d’où un pacte faustien, d’où un robot, qui doit rappeler, dans l’esprit de M. Bureau, le robot de Métropolis).

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