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L'ADAMANTINE STIRPOLOGIQUE

notes pour servir à l'histoire du spiritisme scientifique

L'invention du médium

Aux origines de la médiumnité à effets physiques : fluide et tables tournantes


QUELQUES NOTIONS ELEMENTAIRES

 

Le corps de l'âme

 

L'idée directrice du spiritisme est qu'il existe, à côté du corps et de l'âme, un troisième principe, le corps de l'âme, selon le mot heureux d'Oliver Lodge. C'est ce que les spirites appellent corps éthéré, corps fluidique, périsprit, et les théosophes, corps astral.

Les spirites estiment que ce troisième principe survit à la mort et que c'est le fluide des décédés qui se manifeste au cours des séances, via le fluide d'un médium, plongé dans un état de conscience altéré, ou transe (de l'anglais trance). Il y a donc une rencontre entre le monde des vivants et le monde des désincarnés, à travers ce troisième terme, qui leur reste commun.

Les métapsychiste pensents, quant à eux, que le fluide du médium est seul responsable des phénomènes et que les morts n'interviennent pas. Un métapsychiste pense donc que le corps de l'âme meurt avec le corps physique (ce qui ne l'empêche pas de croire le cas échéant à l'immortalité de l'âme elle-même) - ou bien il laisse la question de la survie du corps de l'âme en suspens. Cependant, il existe des chercheurs qui sont à la fois métapsychistes et spirites, c'est-à-dire qui croient à la fois aux pouvoirs du médium et à l'intervention des morts.

Tout le spiritisme tient par conséquent dans la conjonction de ces deux découvertes fortuites de Mesmer : le fluide et la transe, c'est à dire : 1) une substance vitale qui permet à la volonté d'agir sur la matière et 2) l'état de conscience altérée d'une hystérique. Réduit à ses composantes essentielles, le spiritisme, c'est le fluide plus la transe, une substance et un médium.

 

Médiumnité à effets psychiques et à effets physiques

 

Transe et fluide sont à l'origine de deux ordres de phénomènes qu'il faut soigneusement distinguer :

• Dans la transe, le médium libère une autre conscience. C'est l'hôte inconnu de Maeterlinck, le subliminal de Myers. C'est cette autre conscience qui est à l'origine de ce qu'on appelle la médiumnité à effets psychiques (d'où l'expression anglaise « psychical research ») ou encore la métapsychique subjective (Richet) : télépathie, prémonition, etc.

• Mais, du fait de l'existence du fluide, il existe aussi une médiumnité à effets physiques (métapsychique objective pour Richet, extériorisation de la motricité pour De Rochas, forces psychiques pour Flammarion). C'est le fluide qui est responsable des craquements des meubles (raps), des soulèvements du guéridon, des déplacements d'objets. Le fluide se condense parfois en un membre fluidique, ou ectoplasmique, appelé aussi psychode (Thury), qui peut rester invisible ou se condenser, qui peut être un simple fil ou une simple baguette fluidique, mais qui peut être aussi un moignon, une ébauche de main et de bras, voire un membre complet, parfaitement formé. Le médium possède autant de membres fluidiques que l'on voudra. Dans des conditions exceptionnelles, le médium produit un corps humain plus ou moins complet, se présentant en buste ou sur pied (fantôme, ectoplasme).

Au tout début du spiritisme américain, cette doctrine n'est pas encore formée. Certains auteurs* pensent que le corps dont le mort se voit revêtu est tout simplement l'âme du défunt (au sens du principe immortel). Mais rapidement, on distingue entre l'esprit ou principe animé et l'âme ou corps subtil, qui, en un sens, contient l'esprit (Hare) et forme un pont entre l'esprit et la chair. Cette doctrine se complique encore si l'on inclut « éther », fluide vital, ou fluide magnétique. Pour certains auteurs, l'âme ou corps subtil est composé d'éther, d'autres voient un éther spirituel entre esprit et âme et un éther matériel entre âme et corps. Plus tard encore, on tend à voir dans l'éther l'éther limunifère des sciences physiques**.

 

* F. Podmore : Modern Spiritualism, a History and a Criticism, 2 vol, London, 1902. Gauld cite aussi A. Ballou  : An Exposition of Views respecting the Principal Facts, Causes and Peculiarities involved in Spirit Manifestation, London, 1852.

** B. Stewart et P. C. Tait The Unseen Universe or Physical Speculations on a Future State, London 1975.

 

Origines du spiritisme scientifique

 

Le spiritisme a des origines anciennes, magiques et thérapeutiques. Richet distingue dans l'histoire de ce qu'il appelle la métapsychique quatre périodes :

Une période mythique, qui va de l'antiquité à Messmer. Le Théagète, l'Apologie pour Socrate, de Platon, mettent en scène ce qui ressemble beaucoup aux esprits familiers des grands médiums : le Démon de Socrate ressemble au Léopold d'Hélène Smith ou au Phinuit de Mrs. Piper. Le De Divinatione de Cicéron est consacré à ce que Richet appelle la cryptesthésie prémonitoire. Ammianus Marcellinus décrit une sorte de oui-ja board primitif. Le merveilleux chrétien contient, au milieu d'un fatras, des faits qui ressemblent aux faits métapsychiques, mais que leurs observateurs n'ont pas su interpréter et desquels, écrit Richet, « jamais sans doute on ne saura extraire la quantité de vérité qui y est incluse ».

Une période magnétique, qui va de Messmer aux sœurs Fox (1847). Lorsque Mesmer parle de magnétisme animal, il emploie magnétisme au sens d'action à distance (comme l'aimant agit sur la limaille de fer à distance) et Richet fait la remarque excellente que Mesmer est plus métapsychiste que ses successeurs. Des gens comme la voyante de Prevorst (Die Seherin von Prevorst) la célèbre Frederica Hauff, étudiée par le médecin Justinus Kerner, produit ce qu'on appelera plus tard raps (coups frappés), télékinésie (déplacement d'objets) ou ectoplasmes (les témoins voient auprès d'elle des formes indécises).

Une période spiritique, qui va des sœurs Fox à William Crookes (1872).

Une période scientifique qui commence avec William Crookes.

Le spiritisme a également des origines scéniques, en particulier Robertson et la fantasmagorie, mais aussi Robert-Houdin et la prestidigitation moderne. Il est clair par ailleurs que les phénomènes médiumniques aussi bien physiques (par exemple le fait pour le médium d'obtenir à distance un son d'un instrument de musique) que psychiques (par exemple le fait pour le médium de lire le contenu d'une enveloppe close) peuvent être obtenus par des « trucs » classiques d'illusionnistes. Feraient exception un petit nombre de phénomènes produits par Eusapia Palladino.

Enfin, le spiritisme a des origines littéraires. On constate à cet égard une double contamination :

1. De la littérature fantastique du début du 19e siècle (informée par la littérature romantique et en particulier la littérature gothique) sur la littérature spirite et métapsychique (les fantômes sont initialement des fantômes de roman, c'est-à-dire des défunts qui ont connu une mort violente, et qui témoignent d'un traumatisme, ou réclament vengeance, ou dénoncent un crime impuni) ;

2. Du spiritisme scientifique sur la littérature fantastique postérieure. En témoigne la figure du détective de l'impossible, en particulier dans sa version anglo-saxonne, qui est tout simplement un chercheur ès-sciences psychiques, fréquemment mélangé à un type canonique holmesien (des exemples sont le docteur Carnacki de W. H. Hodgson, le John Silence d'Algernon Blackwood, le Jules de Grandin de Seabury Quinn, dans une large mesure de Harry Dickson de Jean Ray). Le fantôme littéraire devient lui aussi un fantôme moderne, c'est-à-dire un ectoplasme. On constate de même l'influence d'un spiritisme planétaire, très inspiré par Camille Flammarion, sur une branche du roman scientifique, le roman planétaire, qui, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, se place, assez curieusement, à mi-chemin entre la métapsychique et la littérature coloniale.

 

LES TABLES PARLANTES ET LA SCENOGRAPHIE DU MERVEILLEUX

 

La première table

 

L'histoire moderne des tables commence par des fantômes sauvages. En une sorte de néolithique du spiritisme, les soeurs Fox, à Hydesville, New York, en 1847, domestiquent l'esprit frappeur de la maison, par l'intermédiaire d'un guéridon. Leur mère s'était contentée de demander à l'esprit de frapper au mur, en réponse à ses questions. La table, c'est le poltergeist apprivoisé. On invente un alphabet typtologique, fait de coups frappés, ou raps. On perfectionne le système par le recours à la planchette et au verre à pied. En inventant le spiritual telegraph*, les sœurs Fox viennent d'inventer le spiritualism**.

 

* Morse a fait breveter son télégraphe en 1840 et l'a commercialisé en 1844 sur la ligne Washington-Baltimore.

** En France, le spiritisme (c'est ainsi que fut traduit le mot anglais) fut fondé en 1858 (année de création de la Société Parisienne d'Etudes Spirites) par Hippolyte-Léon Rivail, dit Allan Kardec. Hippolyte Rivail, commence à faire tourner des tables en 1854. Il publie en 1857 Le Livre des esprits. Dans le spiritisme religieux, on préfère souvent à la communication par le guéridon, lente et consommatrice en énergie, l'« écriture automatique », c'est-à-dire l'écriture ordinaire d'une médium plongé dans un état de transe.

 

Les soeurs Fox rêvent de brûler les planches. Il est difficile de produire sur une scène un simple télégraphe, même spirituel. Les soeurs Fox auront donc recours sur les scènes des music-hall à l'escapism, l'évasion miraculeuse. Le spiritisme entre dans la période des placards. Avec l'aide des esprits, le médium se libère de liens étroitement assujettis, de chaînes, de cadenas, d'entraves, de cellules capitonnées, d'armoires closes, de caisses hermétiques. Réduit à sa plus simple expression, c'est le tour de la chaîne du forçat. Le fakir sur scène fait un moulinet et la chaîne tombe à ses pieds. (Chaîne truquée qui s'achète dans les boutiques spécialisées.) Le plus célèbre des escapists fut Harry Houdini. De notre temps c'est le talentueux David Copperfield qui continue la tradition.

Il n'est pas surprenant que les soeurs Fox aient attiré l'attention de P. T. Barnum. Au printemps de 1850, elles visitèrent New-York pour la première fois, logeant à l'hôtel Barnum et se produisant sur place, et aussi au Barnum's Museum. Les sceptiques en tirèrent argument pour les traiter de charlatans.

 

Le premier placard

 

Les frères Davenport, Florence Cook à ses débuts, ne furent rien de plus que des escapists. Les frères Davenport se faisaient ficeler dans une armoire et produisaient malgré tout des « phénomènes paranormaux ». L'armoire des frères Davenport devint proverbiale.

Florence Cook se faisait enfermer dans une armoire avec un paquet de cordes. Quand on rouvrait, elle avait été « attachée » par les esprits. Puis sa tête apparaissait à l'oeil-de-boeuf, déguisée en tête ectoplasmique.

Le protocole de la séance de spiritisme, y compris de la séance de spiritisme scientifique, telle qu'elle se pratiquera en gros du milieu du 19e siècle jusqu'à la Grande Guerre, provient donc des origines scénique de celui-ci. L'armoire et, plus tard, le cabinet noir médiumnique, ne sont que des variantes de l'armoire truquée, de la malle ou de la tente portative des illusionnistes. Les séances sont opérées dans la pénombre ou dans une fausse lumière de théâtre (stage dark). Les prouesses médiumniques, censées attester l'intervention des esprits, sont elles-mêmes des tours d'illusionnistes : « apports » d'objets, sons mystérieux provenus d'instruments de musique, déplacements de meubles. Les phénomènes de démembrement de la personnalité que sont l'ectoplasmie (médiumnité physique) ou les personnalités secondaires (médiumnité psychique) prolongent le tour scénique de la ventriloquie, pratiqué et décrit par Robertson, qui consiste, derrière un paravent, à simuler la présence d'une compagnie nombreuse. L'idée d'un contrôle du médium par ligotage ou, dans une version minimale, en lui tenant les membres, est elle aussi la continuation d'une tradition du music-hall, qui est celle de l'escapism.Tous les médiums furent peu ou prou des escapists lorsqu'ils durent apprendre à libérer une main, un pied, ou à se libérer entier, d'un contrôle à base de cordes. D'autres tours, lecture d'enveloppe fermées, télépathie ou « lecture de pensée », ressortissent à ce que les illusionnistes appellent le mentalisme. Mais on emprunte tout aussi bien à la magie orientale. Barzini cite un tour de fakir, la graine de manguier (le fakir fait pousser une plante en quelques seconde). Yolanda a exécuté ce tour en 1880, recouvrant un vase d'une étoffe blanche, puis dévoilant une plante qui pousse au dessous. Florence Cook produisit elle aussi une plante ectoplasmique qu'on conserva sous cloche et qui se désintégra après quelques jours.

 

LE GUERIDON AUTOMATE

Des guéridons sauvages : Gasparin et Thury

 

Le guéridon des soeurs Fox n'eût pas suffi peut-être à établir la tradition. Mais il y eut en Suisse le comte Agénor de Gasparin et le professeur Thury. L'un et l'autre fait ses expériences vers 1853. Ils ont découvert qu'en faisant la chaîne, à dix ou à douze, debout autour d'un guéridon, et en tournant rapidement, on met le meuble en branle. Le guéridon fait des rotations et, à condition que le fluide suffise, finit par exécuter des entrechats.

Parfois (mais jamais au début des séances), il y a soulèvement de la table sans aucun contact, même d'un petit doigt égaré.

Cettte gymnastique autour des tables, qui les entraîne et les fait bondir, est assez violente. Tout le monde est rapidement en nage. Au bout de quelques heures, les expérimentateurs sont épuisés mais heureux.

Gasparin comme Thury se passent de médium. (Ou croient s'en passer. Encore qu'ils insistent sur l'interchangeabilité des exécutants, ils admettent cependant que certaines personnes ont plus de fluide que d'autres ; Gasparin va jusqu'à suggérer assez nettement que l'une des expérimentatrices habituelles a un pouvoir médiumnique. A l'inverse, il y a des personnes qui bloquent le fluide.)

Gasparin est un boute-en-train, un joyeux drille. Il est pour qu'on s'amuse. Le comte Agénor veut de l'entrain. Il plaisante, il rit, il fait chanter ses tourneurs de table, tandis qu'ils font la ronde en se touchant les petits doigts. L'expérience rate quand on est morose. D'ailleurs, Agénor a observé que ça marchait toujours mieux quand le temps était beau.

Agénor de Gasparin écrit toute une physiologie des tables. « Les tables veulent être prises gaiement, lestement, avec entrain et confiance ; elles veulent au début des exercices amusants et faciles. » Et ailleurs : « Les tables détestent les gens qui se fâchent, soit contre elles, soit en leur faveur. »

Gasparin, en homme prudent, sait ne pas exiger. Le tour rate toujours quand on insiste pour le réussir. Par exemple, quand on a convié une nombreuse assemblée de spectateurs, c 'est l'échec assuré. Le comte Agénor ne fait que redécouvrir ici un vieux principe de physique amusante. Une eau mise sur le feu ne bout pas tant qu'on la regarde. C'est pourquoi Gasparin insiste sur l'alacrité générale, et sur l'absolue nécessité de ce ton primesautier, de cette ambiance détendue et enjouée. Il faut faire comme si on ne tenait pas tellement au phénomène, comme si on faisait tout cela d'abord pour s'amuser. C'est alors que les tables se mettent de la partie. Elles montent jusqu'au plafond, elles soulèvent les sacs de sable qu'on a placé sur elles, ou les hommes qui y montent à genoux.

Le sémillant Agénor expérimente avec des cadres de canevas, des anneaux de métal, des plateaux pivotants, des touches à ressort. Rien ne bouge. Il arrive pourtant à faire tourner l'eau d'un baquet, en y trempant les douze mains des expérimentateurs. Thury essaie en vain les poulies, les dynamomètres. Le phénomène se borne aux tables et refuse de se laisser prendre au piège d'une expérience. C'est dans les tables. Ou plutôt, c'est dans les observateurs, mais ça ne fait bouger que les tables. Par contre, il importe peu que les tables aient trois pieds ou quatre. Ca marche avec toutes les tables, mêmes celles qui sont très lourdes, pourvu qu'on y mette de l'entrain.

Thury connait même un petit pianiste qui est empêché de faire ses exercices quotidiens par le soulèvement du piano. Il y a là, on le comprend bien, un cas de force majeure.

Il faut préciser, pour éviter tout contresens, que Gasparin et Thury se fichent éperdument des esprits. Ils se bornent à constater un phénomène physique.

Il est bien inutile en effet de faire intervenir des esprits. La table a un caractère. La table a une personnalité. Cette table danseuse, c'est déjà quelqu'un.

Il y a dans l'affaire du dynamisme ou du vitalisme, dans une version vulgarisée qu'on pourrait énoncer par ce syllogisme : La table bouge. Or la motricité est l'attribut du vivant, donc la table est vivante.

Il est tout de même fâcheux que le phénomène boude la poulie, le dynamomètre et le peson à ressort et que le comte de Gasparin, tout comte qu'il soit, soit impuissant dès lors à convaincre les physiciens.

Crookes, qui est physicien, justement, saura tirer les leçons de cet échec, et mesurera les effets physiques de Daniel-Dunglas Home avec tout l'attirail de son laboratoire.

Les savants qui se pressent autour d'Eusapia auront eux aussi toutes les mesures qu'ils veulent.

 

« Arrive donc, Louis, je cause politique avec la table. »

Les tables tournantes chez Napoléon III

 

Il y eut au milieu du 19e siècle un véritable engouement pour les guéridons. Elle traversa la société.

Le Léautaud du règne de Napoléon III, Horace de Viel-Castel, nous apprend comment on faisait tourner les tables aux Tuileries. (Mémoires du comte Horace de Viel-Castel sur le règne de napoléon III, (1851-1864) Guy le Prat, Paris, 1942 ; ces Mémoires sont en réalité le journal du comte.)

« 16 juin 1853. - Les tables tournantes sont distancées, nous avons les tables qui parlent. » Et Viel-Castel cite l'anecdote du préfet de police Piétri qui obtient par typtologie son âge et le nombre de conjurés de la société secrètes qu'il vient de faire arrêter, plus, parmi eux, le nombre d'hommes qui avaient résolu d'assassiner l'empereur.

« 3 mars 1854. - Simon, le médecin du musée, est venu me voir. Il m'a raconté, il y a une heure, la petite histoire de tables tournantes que voici :

« Simon soigne le marquis de Galve, frère du duc d'Albe, qui s'est cassé le bras aux Tuileries, comme je l'ai dit en son lieu, et il voit assez fréquemment l'Empereur et l'Impératrice auprès du malade qui habite au Palais.

« Dernièrement, l'Impératrice s'occupait de faire parler une table dans la chambre de Galve ; elle l'interrogeait sur la question d'Orient et lui demandait si le Czar serait longtemps à répondre à la lettre de l'Empereur ? La table répondit que la réponse arriverait dans vingt heures.

« Elle arriva en effet le lendemain.

« Puis elle lui demanda encore si on brûlerait beaucoup de vaisseaux russes ? L'Empereur entra en ce moment.

« "Arrive donc, Louis", lui dit l'Impératrice, "je cause politique avec la table."

« La table affirma qu'on ne brûlerait point de vaisseaux russes, qu'il n'y aurait pas de combat, que ce ne serait qu'une guerre de plume.

« "A la bonne heure, dit l'Empereur en souriant, s'il y a des flots d'encre versés, il n'y aura pas des flots de sang."

« La table, continuant assigna une durée de sept mois à la guerre.

« "Cela vaudra mieux qu'une guerre de sept ans", reprit l'Empereur.

« Puis il prit à part l'Impératrice, lui parla bas, et l'Impératrice fit à la table une question secrète dont Simon ne connut point la solution.

« L'Empereur se tourna du côté du docteur et il dit:

« "Que pensez-vous des tables tournantes, docteur?

« - Je ne sais qu'en penser, Sire, ce que je vois seulement me paraît très curieux.

« - Cela est en effet fort curieux, fit l'Empereur, et ne savoir que penser est l'opinion la plus raisonnable."

« Le lendemain l'Impératrice amena l'évêque de Nancy qui, après quelque résistance, posa à la table la question suivante: "Que devient l'âme après la mort ?"

« Mais la table resta muette et rien ne put l'obliger à répondre en présence d'un évêque. J'oubliais que la table avait dit à l'Impératrice qu'elle n'aimait ni l'Empereur ni l'Impératrice. Pourquoi s'est-on moqué des sorciers du moyen âge et de la crédulité de nos pères? »

Viel-Castel rend compte également des activités du cercle d'Allan Kardec.

« Jeudi 17 juin 1858. - Il y a à Paris une société évocatrice des morts qui les fait comparaître à sa barre, et les force par sa puissance d'évocation à répondre aux questions qui leur sont faites [NB : il s'agit naturellement de la Société Parisienne d'Etudes Spirites, fondée par Hippolyte-Léon Rivail, dit Allan Kardec.] M. Lanjuinais, l'ancien pair de France, est un des membres influents de cette société qui compte dans son sein des personnes très honorables et que l'on supposait jusqu'à présent saines d'esprit.

« Cette société a de fréquentes réunions qui se tiennent dans un local loué par elle au Palais-Royal, elle possède aussi un journal, enfin c'est une société bien constituée, mais dont les directeurs devraient être à Charenton, s'ils n'étaient par réclamés par la police correctionnelle.

« J'ai vu avant hier un des membres de notre cercle qui a pu assister comme invité à une des séances de cette société et qui m'a rendu compte de plusieurs évocations.

« M. Goutter m'a dit que l'âme évoquée ne se mettait en rapport que par le moyen d'un médium, c'est-à-dire d'un être doué de la faculté d'entrer en communication avec les esprits. Le médium de la société des évocateurs est un petit acteur de je ne sais plus quel théâtre.

« L'honorable société des évocateurs avait demandé à St-Vincent de Paul un discours sur la charité, et comme St-Vincent de Paul est plein de bonhomie, il s'est mis aussitôt en communication avec l'auteur de l'Ambigu (je crois) et le dit acteur la tête enfouie entre les doigts d'une vaste main, et sans regarder le papier placé devant lui, a écrit le sermon sous la dicté de St-Vincent de Paul.

« La société a encore évoqué Balzac qui s'est montré parfois impertinent, puis Madame la duchesse d'Orléans parce qu'elle n'est pas encore sortie des limbes de la mort.

« Quant à Balzac, avant d'entrer dans la jouissance de l'Elysée, il est retenu pour quelques peccadille de sa vie terrestre au violon expiatoire.

« La société devrait bien invoquer Molière et lui demander une comédie sur les ridicules de notre époque. »

 

Du guéridon savant

 

Le milieu du 19e siècle manifeste une indéniable volonté d'émancipation du mobilier. Il est vrai qu'il s'agit d'un mobilier très zoomorphe, voire anthropomorphe. On a beaucoup ironisé sur le trait de pruderie des victoriens consistant mettre des jupes aux meubles. Cependant, il faudrait préciser que ces meubles avaient de vrais pieds ! Le guéridon à pattes de chats fut une spécialité de George Hunzinger dans les années 1860 et 70. Le mouvement culmina dans les années 1890, avec les pattes de félin.

Que pensent les savants des tables tournantes ? Thury convaincra Flournoy, moins peut-être par son livre que par ses conversations et l'exemple de sa probité.

Pour Babinet, il y a cumberlandisme*, c'est à dire mouvement involontaire et inconscient, ou encore mouvements naissants, « dont la puissance paraît dépasser celle des mouvements développés. » C'est également le cumberlandisme qui permet les dictées de la table, par le procédé de la planchette ou du verre. Les doigts des présents amplifient le mouvement infinitésimal de l'index du médium. Comme les guéridons du comte, le verre ou la planchette, à peine effleurés, semblent se mouvoir seul.

 

* Stuart Cumberland mit au point ce tour d'illusionnisme à la fin du siècle dernier. Il se laissait guider par les mouvements involontaires de la main d'un spectateur pour retrouver le porteur d'un objet caché. Les mouvements involontaires expliquent également un grand nombre de poltergeists.

 

Plus simplement, il y a sur le guéridon cent ou cent vingt doigts qui poussent plus ou moins fort, et autour du guéridon un petit nombre d'esprits naïfs qui ne comprennent absolument pas quelle puissance ils dégagent mais s'étonneront tout à l'heure d'être tout suants.

 

LE SUJET AUTOMATE : AUTOMATISME PSYCHIQUE ET PROUESSES MEDIUMNIQUES

 

Comment l'âme est chevillée au corps

 

Pour Gasparin, tout provient du fluide. Le fluide est produit par le cerveau et se déplace le long des nerfs. Il peut être émis et dirigé. D'où le mot du comte : « Quand vous m'aurez expliqué comment je lève la main, je vous expliquerai comment je fais lever le pied de table. » qu'on a souvent cité à contre-sens comme brocardant les connaissances de la science. Le comte veut dire simplement qu'on ne sait pas comment se propage l'influx nerveux.

Hereward Carrington (The Problems of Psychical Research, Londres, Wm Rider & sons, 1914, p. 48) donne sept preuves de l'existence d'une force fluidique, responsable des déplacements, des raps, et des matérialisations.

1) Pour commencer, Carrington pense que le fluide des mesméristes existe bel et bien, et que la théorie de l'hypnose et de la suggestion qui lui est postérieure étudie des phénomènes différents. Le remplacement du mesmérisme par l'hypnotisme, du point de vue du spiritisme scientifique, constitue un retour en arrière : « En premier lieu, l'hypnotiseur moderne arrive très rarement à cultiver la clairvoyance dans son sujet, alors que les annales du mesmérisme sont remplies de cas qui étaient développés sous le vieux régime. Certainement, la dissimilarité des effets est due à une dissimilarité des causes. Il m'a toujours paru très probable que le mesmérisme et l'hypnose reposent sur des causes entièrement différentes et n'étaient pas du tout la même chose en dernière analyse. »

2) La fatigue que ressentent les « guérisseurs » quand ils ont traité un patient. (Il ne peut s'agir de suggestion. Il y a épuisement de la force psychique). Un argument supplémentaire est fourni par le fait que plus la personne qui reçoit la guérison est d'esprit étroit, égoïste, analytique et peu sympathique plus elle est difficile à traiter. Exactement de même que plus alerte est l'esprit, plus difficile il est de l'anesthésier par la pharmacopée traditionnelle. Il y a donc bien lutte entre deux forces psychiques, celle du guérisseur et celle du patient.

3) « Les phénomènes d'Eusapia Palladino établissent complètement la réalité du tel "fluide" à mes yeux, sans qu'il soit besoin d'autres preuves. » («  The phenomena presented by Eusapia Palladino completely prove the reality of such a "fluid" to my mind, without any other proof being necessary. »)

4) La psychométrie (impressions fluidiques qui demeurent dans les objets et que le médium peut lire).

5) L'observation de l'aura humaine.

6) Les expériences françaises d'extériorisation de la sensibilité, de photographie de pensée, de radiographs (les photos de mains spirites d'Ochorowicz), etc.

7) Les expériences du docteur Alrutz et d'autres avec des instruments à « enregistrer la pensée ». (La volonté est une « énergie psychique ».)

C'est encore Carrington (Problems, p. 32) qui fait le parallèle entre le fonctionnement des effets physiques et des effets psychiques. Aux pseudopodes des effets physiques (c'est-à-dire aux membres ectoplasmiques) correpondent des pseudopodes « psychiques » qui entrent en contact avec les tentacules psychiques des esprits, ce qui permet la communication.

En somme, selon Carrington l'explication de la motricité extérieure, du fluide, est applicable aussi aux phénomènes psychiques. Le spiritisme à effets physiques est la pierre de fondation sur laquelle est bâti l'édifice de la médianité à effets psychiques.

Il faut replacer cette recherche dans son contexte. On se demande depuis 1850 comment l'âme (ou la volonté) est chevillée au corps. Est-elle branchée sur les muscles et sur les nerfs médiatement ou immédiatement ? L'absence d'intermédiaire est difficile à concevoir. La volonté agirait donc sur une substance, peut être solide, peut-être fluide. Cette substance, dépasse peut-être les limites du corps. Il se peut même que le fluide soit universel. La nature serait remplie de fluide, comme les mystiques croient qu'elle est remplie de l'amour divin. C'est ce fluide universel qui expliquerait les phénomènes physiques des médiums, les manifestations du guéridon, les mouvements d'objets sans contact.

 

Automatisme et activité médiumnique

 

Les recherches en physiologie du milieu du 19e siècle ont fait apparaître qu'il y avait des actions, et même des actions complexes, sans états mentaux accompagnants. Le cerveau peut très bien travailler sans conscience. D'où l'idée que la conscience est un épiphénomène, qu'elle n'est pas du tout nécessaire à l'activité mentale.W. B. Carpenter, auteur des célèbres Principales of Human Physiology, 1842 (4th éd. 1852), et de The Principles of Mental Physiology (1874), voit dans l'activité des médiums l'intervention directe, l'action réflexe du cerebrum. Il donne des exemples d'activités complexes de gens qui sont inconscients (un reporter qui continue à écrire son reportage à la chambre après qu'il se soit endormi). Plus tard, David Ferrier prouva qu'en excitant des zones précises de cortex d'animaux, on obtenait des complexes de mouvements, généralement associés avec des émotions.

On conçoit donc l'être humain comme une marionnette. C'est T. H. Huxley qui formule la théorie complète : la conscience humaine comme épiphénomène de l'activité du cerveau. Certes, cela ne fait pas l'affaire des spirites : ils cherchent l'âme, ou le corps de l'âme et on vient leur dire que même la conscience est une sorte de prime, un extra ! Mais cela fait tout à fait l'affaire des métapsychistes. Le médium est un sujet automatiste. Il ne sait pas comment il produit les phénomènes. Il ne sait même pas qu'il les produit. Constatant les phénomènes qu'il a produits inconsciemment, des activités complexes, des discours complets, il en cherche tout naturellement la cause dans une autre entité, autrement dit, un esprit.

Ecoutons la vieille tante spirite de Rosny Aîné.

 

« Hareton, demanda Rebecca d'une voix raclante... que veut dire épiphénomène ? Ca doit être blasphématoire.

- C'est au moins un blasphème philosophique, tante Becky.

- Et qu'est-ce que cela signifie, Demanda une jeune personne qui achevait de manger une pamplemousse, tandis que le maître d'hôtel servait des oeufs et du lard frit, avec du jambon de Virginie. (...)

- Ca signifie, Muriel, que si votre conscience n'existait point... vous vous disposeriez à consommer ce jambon et vous m'interrogeriez exactement comme vous le faites... Seulement, vous ignoreriez que vous mangez et vous ne sauriez pas que vous m'interrogez. Autrement dit, la conscience épiphénomène existe, mais tout se passe comme si elle n'existait pas... »

J.-H. Rosny Aîné, L'Etonnant voyage de Hareton Ironcastle.

 

Et de fait, les explorateurs du roman vont tomber sur des formes de vie « intelligentes » qui paraissent absolument dépourvue de conscience, encore des rameaux morts ou monstrueux de l'évolution, selon la thématique habituelle de Rosny.

Résumons. On ne saurait pas qu'on a de l'esprit, on ferait exactement la même chose. De là à penser que les choses dont on sait qu'elles n'ont pas de conscience ont malgré tout de l'esprit... Dès lors, deux hypothèses. 1. hypothèse faible : il y a une pensée inconsciente, un automatisme qui explique les phénomènes médiumnique. 2. hypothèse forte : ça pense partout, ça pense sans conscience. C'est dans le guéridon comme c'est dans les fourmis ou les abeilles de Maeterlinck. Il y a donc une métapsychique animale. C. de Vesmes imagine les animaux comme médiums. Richet parle d'un fluide qui s'exerce sur les muscles et le cerveau des animaux, le même fluide qui fait vibrer les tables. Paul Heuzé (La plaisanterie des animaux calculateurs, 1928, les éditions de France) s'insurge. « Si les planches de la table pouvaient vibrer (ce que d'ailleurs, avec beaucoup d'autres je nie formellement), il n'y aurait besoin pour que la patte de l'animal vibre, ni de cerveau, ni même de muscles !... Disons le mot crûment : nous sommes ici devant un véritable charabia ; et il est incroyable qu'un des plus éminents hommes de laboratoire tombe dans de tels enfantillages. » (p. 49)

 

L'invention du médium

 

Le fluide nous conduit tout naturellement au médium. Avec le fluide, nous sommes ramenés au mesmérisme. Le fluide de Gasparin est analogue au fluide nerveux ou au fluide universel du magnétisme animal. Le fluide est la matière primordiale dont toutes les autres sont issues, ce qui explique que la substance grise du cerveau en ressente directement les vibrations. Grâce au fluide, la volonté d'un magnétiseur peut donc s'exercer sur le cerveau, les nerfs, les organes d'un récepteur. Mesmer, esprit pratique, utilise sa trouvaille pour débarasser l'humanité souffrante des maladies du corps et de l'âme. En 1772, il réunit les patients autour d'un baquet dont l'eau est mêlée de limaille de fer. Il leur fait faire la chaîne. Il magnétise le baquet et pratique des passes sur chacun individuellement. On se pâme, on guérit et on... s'endort.

Le spiritisme retiendra du mesmérisme le fluide, et cette idée de faire la chaîne. Mais il retiendra surtout que certains sujets tombent spontanément dans une étrange léthargie.

Mesmer, a son insu, a découvert l'hypnose et inventé les hystériques, en un mot, il a découvert le médium. Car l'hypnotisme est l'antichambre de la médiumnité, selon le mot de Vassalo (Nel mondo degli invisibili), et on peut dire la même chose de l'hystérie.

Il faut attendre 1784 pour que le marquis de Puységur décrive le somnambulisme artificiel. Curieux somnambule, qui agit et parle comme à l'état de veille, qui, le lendemain, a oublié la séance mais que le disciple de Mesmer convainc qu'il est en bonne santé et guérit mieux qu'avec le baquet. L'hypnose, le mot, est de Braid.

Suivent Reichenbach et ses sensitives. Reichenbach attribue la sensibilité de ses sujets à l'Odyle. Voici ce qu'en dit Littré :

Odyle s. m. Nom donné par le baron de Reichenbach à une prétendue force polaire, présente dans toutes les substances matérielles, bien qu'à un moindre degré que dans les aimants et les cristaux, mise en activité par les changements physiques ou chimiques et par conséquent abondant dans le corps humain. D'après Reichenbach, certaines personnes étaient particulièrement sensibles à l'odyle et en ressentaient les effets, qu'il comparait à ceux du baquet de Mesmer et des passes magnétiques ; ces effets étaient purement subjectifs, sans aucune action matérielle qui les produisît. (Paul-Emile Littré, Dictionnaire de la Langue Française.)

Le reste appartient à la médecine officielle. Richet, en 1875, rappelle que l'hypnose correspond à la libération des automatismes cérébraux, comme dans certains états d'intoxication ou dans certains troubles nerveux.

En 1878, Charcot fait la corrélation entre l'hypnose et l'hystérie. Il distingue les trois états de somnambulisme, de catalepsie et de léthargie. Dans le somnambulisme, la personnalité normale du sujet est évacuée et remplacée par la personnalité hypnotique. Dans l'état de catalepsie, cette personnalité hypnotique décline et, dans la léthargie, elle est éliminée à son tour, laissant le logis vide.

Un médium est donc une hystérique qui se place ou qu'on place dans l'un des états préhypnotiques, somnambulique, cataleptique ou léthargique.

La séance de spiritisme est une mise en scène hystérique au même titre que les crises d'hystérie décrites par Charcot. La médiumnité est une forme de névrose, une névrose expérimentale, sous-groupe des hystéries.

Ce qui se manifeste, en stricte orthodoxie freudienne, ce sont les pulsions sexuelles refoulées du médium. Ce sont elles qui produisent les phénomènes. L'orgone a abaissé les plateaux des pèse-lettres bien avant que Wilhelm Reich ne l'eût enfermé dans sa petite boîte. Cette débauche d'énergie sexuelle, sans doute explique-t-elle que que les savants furent si souvent tombés amoureux de leur médium.

Il découle de ce qui précède que le médium est plutôt une femme. Il faudra Freud pour découvrir que l'hystérique peut être un homme. Les grands noms du spiritisme sont des noms de femme. Les soeurs Fox, les Hélène Smith, les soeurs Cook, les Eusapia, les Stanislawa Tomczik, les Mrs Piper, les Marthe Béraud (Eva C.), les madame d'Espérance, les miss Goligher, les Stella C. Il y a quelques hommes, à commencer par D.-D. Home, mais ils ont un côté femelle, le cheveu long, l'air crevé, comme ces autres femelots victoriens, les faiseurs de romans. Ce n'est qu'à la toute fin de la période des effets physiques que les hommes occupent le terrain, Ossowiecki (qui fut assassiné par les nazis), Kluski, Schneider, Gusik.  

On se demande peut-être où sont les esprits dans tout ce fatras. Ils sont restés dans notre guéridon. Les esprits sont dans la table, depuis les soeurs Fox. Ils reviendront tout à l'heure par le biais des apports, des attouchements, des déplacements, des lumières, des bruits.

Les spirites tiennent que la personnalité du médium est éliminée dans la transe. Celui qui se manifeste est un esprit. L'esprit agit sur le médium comme un hypnotiseur sur son patient. Autrement dit, les médiums sont hypnotisés d'outre-tombe. Ils sont Hypnotisés par les morts.

Les métapsychistes pensent, eux, que l'esprit est une personnalité artificielle créée par le médium. D'ailleurs, à tout prendre, le « médium » lui-même est une personnalité artificielle du sujet hystérique en état de transe. On distingue mal, en ce 19e siècle finissant, l'inconscient de la double conscience. L'histoire du spiritisme est inséparable du cas de ces névrosées faisant se succéder régulièrement des personnalités complètes et antagonistes en une sorte de spiritisme sans fantôme.

 

Les effets physiques

 

Voila le tableau rapidement brossé. Voilà pourquoi il sera question de guéridon, d'esprits, d'hystérie, de transe, de chaîne, de fluide, de corps fluidique et d'effets physiques attribués à ce fluide. Mais tout cela, qui est le fruit de l'histoire, apparaît en désordre et rien en somme n'est indispensable. On fait parfois la chaîne, mais ce n'est pas obligatoire et les phénomènes continuent même après qu'on l'a rompue. Le médium est en transe, mais pas nécessairement. Selon Scozzi, il produit même à l'état de veille de très beaux effets physiques de déplacement.

En 1922, avec le traité de métapsychique de Charles Richet, la physiologie du guéridon acquiert définitivement son statut de discipline scientifique. Richet avait unifié en 1905, sous ce nom de métapsychique la parapsychologie et la paraphysique, termes inventés en 1889 par Max Dessoir. Richet réunissait donc sous le même intitulé effets physiques et effets psychiques. « Les phénomènes paranormaux ou métapsychiques sont des phénomènes inhabituels, psychologiques ou physiques, dus à des forces qui semblent intelligentes ou à des facultés inconnues de l'esprit ». Richet offre une terminologie, enfin unifiée : télépathie, métagnomie (le terme est d'Emile Boirac, il sert à désigner la clairvoyance, pour la distinguer de la télépathie), psychokinésie. A quoi il faut ajouter l'ectoplasmie, les phénomènes lumineux et la photographie spirite.

 


Bibliographie

Introductions générales

Podmore, Frank, Modern Spiritualism : History and Criticism, London, Methuen and Co, 1902, réédité comme The Newer Spiritualism, 1910, puis comme Mediums of the Nineteenth Century, New York, University Books, inc. 1963, (2 vol.)

Carrington, Hereward, The Problems of Psychical Research, Londres, Wm Rider & sons, 1914

Flammarion, Camille, les forces naturelles inconnues, Paris : Ernest Flammarion, Paris 1907

Richet, Charles, Traité de métapsychique, Paris, Félix Alcan, 1922, édition refondue, 1923, réédition, Bruxelles, Artha Production Editions-André Jimenez, 1994

Gauld, A., The Founders of Psychical Research, London, Routledge and Kegan Paul, 1968

Tables tournantes

Gasparin, Compte Agénor de, Des tables tournantes, du Surnaturel en général et des esprits, Paris, Dentu,1854

Thury, Marc, Les tables tournantes, considérées au point de vue de la question de physique générale qui s'y rattache, Genève, 1855

Eusapia

Barzini, L., Nel mondo dei misteri con Eusapia Palladino, Milano, 1907 (recueil d'articles du Corriere della sera ; préface de Cesare Lombroso)

Vassallo, Luigi Arnaldo, Nel mondo degli invisibili, Enrico Voghera, Roma, s. d.

Houdini

Cannel, J. C., The secrets of Houdini, London, Hutchinson & Co, 1931, New York, Dover publications inc., 1973

Christopher, Milbourne, Houdini, the untold story, New York, Cassell, 1969

Miscellanées

Mémoires du comte Horace de Viel-Castel sur le règne de napoléon III, (1851-1864) Guy le Prat, Paris, 1942

Heuzé, Paul, La plaisanterie des animaux calculateurs, Paris, Les Editions de France, 1928

Phénomènes des frères Davenport, Verviers, Marabout, coll. Univers secrets, s. d.

Louis, René, L'ère des médiums, Paris, revue Autrement, série Mutations, n. 103, janv. 1989

Toquet, Robert, Les pouvoirs secrets de l'homme, Paris, Les Productions de Paris, 1963, réédition deux volumes : Les pouvoirs secrets de l'homme, Les mystères du surnaturel, Paris, J'ai Lu, 1972

 

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