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SANG, TRIPES ET CHANGEMENT DE SEXE DANS WEIRD TALES

La lecture du numéro de Weird Tales daté de mai 1936, trouvé à Londres, me donne la clé d’un petit mystère littéraire.
Jacques Sadoul dans son Histoire de la science-fiction moderne, Robert Laffont, édition de 1984, p. 54, écrivait ceci à propos de Weird Tales :
« Dans les numéros de mai à juillet 1924 fut publié un sérial de C. M. Eddy, The Loved Deads [sic] (c’est-à-dire Les morts bien-aimés) qui avait pour thème la nécrophilie. Emil Petaja, un auteur de science-fiction qui débuta dans Weird Tales [in The weirdest Tale of all, article publié dans le n° 3 d’une revue sans nom publiée en 1971 par « Promethean entreprises » — note de Sadoul] rapporte que, vers la même époque, Seabury Quinn écrivit un récit où le viril héros est émasculé et transformé en femme par un sinistre vilain. Elle (ou il) devient alors la petite camarade de son ancienne fiancée ! »
The Loved Dead n’est pas un serial, mais une courte nouvelle (il n’y a qu’un seul numéro de mai-juin-juillet 1924 de Weird Tales !). Quant à la nouvelle de Seabury Quinn, il n’est rien paru de tel dans Weird Tales « à la même époque ». Il y a bien dans le numéro de novembre 1924 une nouvelle qui raconte un changement de sexe, Teoquitla The Golden, mais elle n’est pas de Seabury Quinn, mais de Ramòn de las Cuevas (pseudonyme de l’anthropologue Mark Harrington), et le récit ne correspond pas au résumé de Sadoul.
En réalité, la nouvelle de Seabury Quinn à laquelle il est fait allusion est Strange Interval, publié dans le numéro de mai 1936, douze ans donc après Teoquitla The Golden. Les deux récits de changement de sexe se sont donc mélangés dans l’esprit de nos érudits et voilà la clé du mystère.

Couverture de Brosnatch pour Teoquitla The Golden, Weird Tales, nov. 1924

Teoquitla The Golden de Ramòn de las Cuevas se présente comme un récit de rétribution. La scène est au Mexique. Robert Sanderson, un anthropologue amateur, séduit une indienne en lui faisant des promesses de mariage, puis, à la fin de son terrain, l’abandonne. Elle se pend. Sanderson est alors capturé par des Aztèques vivant dans une cité secrète, Nahuatlan, au milieu d’une vallée perdue, et on lui laisse le choix entre être sacrifié à Huitzilopochtli, le dieu de la guerre, par arrachage du cœur, ou être sacrifié à Centeotl, la mère universelle, ce qui comporte, lui explique-t-on, une forme de torture, mais non létale. Il choisit cette deuxième solution, comme plus bénigne. Dans un premier temps, préalablement au sacrifice, il incarne la déesse. Il est cousu dans des vêtements de femme, porte en permanence le masque de la déesse, rend des oracles et bénit les récoltes. Il s’adapte à sa fonction, et l’exerce d’autant mieux que, étant agronome, il peut, en prononçant ses oracles, conseiller les paysans sur l’amélioration des cultures. Arrive le moment du sacrifice. Les femmes du temple lui font subir de mystérieuses injections extrêmement douloureuses et quand il émerge d'un délire comateux, il est transformé en femme. C'est évidemment pour un misogyne la punition suprême. Mais après avoir bu jusqu’à la lie la coupe d’amertume, celle qui s’appelle désormais Teoquitla (the golden one) s’habitue à sa nouvelle condition, au point qu’elle tombe amoureuse de Montezuma, prêtre-roi de la communauté. Cependant elle tient à ce que leur union soit bénie par un pasteur préalablement au mariage aztèque et le couple retourne clandestinement à la civilisation. Mais après la cérémonie Montezuma est tué par des bandits. Ne pouvant retourner à Nahuatlan, Teoquitla se fait retirer par un médecin américain de Vera Cruz, qui l’a connue autrefois comme homme, le lourd anneau d’or qu’elle porte au nez, lui lègue le récit de ses aventures, et retourne en Amérique. À la fin du récit-cadre, dans lequel le bon docteur lit le fameux manuscrit à un Américain, celui-ci est livide. Celle qui se fait désormais appeler Maria del Rey est sa femme.

Couverture de Margaret Brundage pour Weird Tales, mai 1936

Strange Interval de Seabury Quinn est un récit de la veine sang et tripes se passant dans les Caraïbes. Willoughby, jeune Virginien, qui pêche en mer sur une barque, est capturé par des pirates et subit tortures et avanies. Les pirates prennent un galion espagnol, tuent tout le monde mais gardent vivante la belle Carmelita. Celle-ci fait semblant d’être devenue folle pour ne pas être violée par le pirate Black Rudolph. Naturellement les deux captifs tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Par vengeance, Black Rudolph fait émasculer Willoughby puis, dès que ses plaies sont cicatrisées, l’habille en femme, l’attache dans sa cabine et viole sous ses yeux sa fiancée. Dans l’hacienda de Black Rudolph, à la Jamaïque, Carmelita, qui vit comme l’épouse du pirate, se fait donner Willoughby, devenu Joaquina, comme servante. L’émasculation a déterminé une complète féminisation de cette dernière. Tandis que le pirate fait la course, les deux femmes vivent une chaste idylle, Carmelita traitant Joaquina comme sa petite sœur. Elles sauvent une vieille négresse de Martinique du fouet de Don Fernando, le contremaître mulâtre de Black Rudolph. La négresse est magicienne et elle les fait évader dans une barque qu’elle fait tirer par un requin géant. Le trio est recueilli par un navire de puritains de Nouvelle-Angleterre. Le vaisseau de Black Rudolph monte à l’abordage, mais des puritains sont une proie moins facile que des Espagnols et les pirates sont défaits. Willoughby désarme Black Rudolph et le jette au requin géant. Dans un épilogue, Willoughby et Carmelita vivent comme mari et femme dans l’Amérique coloniale, assumant pleinement leur rôle social (Willoughby part à la guerre contre les Français et les Indiens). Willoughby découvre que, chez les jésuites du Maryland, où sa femme a l’habitude de se rendre, elle a fait édifier une tombe pour Joaquina, la petite sœur disparue, dont elle demeure inconsolable.