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CHRONIQUES DE MES COLLINES

2009-2011

par Henri Morgan

Nous avons pendant un peu plus de deux ans, entre 2009 et 2011, tenu une chronique dans une revue culturelle de l'Est de la France, sous le titre Chronique de mes collines. Nous nous étions vieilli un peu pour l'occasion, et avions francisé notre nom en Henri Morgan. Comme nous parlions des choses dont nous parlons habituellement, nous intégrons ici ces chroniques. Leur seul défaut est que, Henri Morgan étant beaucoup moins au fait des littératures dessinées que son quasi homonyme Harry Morgan, il devenait, lorsqu'il parlait de bandes dessinées (c'est-à-dire une fois sur trois à peu près), un peu plus gâteux qu'au naturel.

Harry Morgan


CHRONIQUES DE MES COLLINES

Les romans de Mauriac

Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation.

Je viens de lire ou de relire passablement de romans de Mauriac, Les Anges noirs, Le Mystère Frontenac, Le Nœud de vipères, Le Baiser au lépreux, Genitrix. Je dois être l’une des rares personnes qui lise les romans de Mauriac comme s’il s’agissait de romans comiques, en m’amusant beaucoup de ces peintures de la névrose catholique et bourgeoise, de ces enfances, de ces vies de famille, absolument sinistres, de l’âpreté des haines conjugales, filiales, familiales, de ces pères résolus de se venger de leur femme et de leurs enfants, de ces mères abusives, rivales de leur bru, de ces adolescents destitués, aux vocations contrariées par principe, dévorés par l’angoisse sexuelle, certains de ne jamais accéder à l’amour, repoussés et repoussants, de ces conduites où prédominent l’avarice sordide, la préoccupation exclusive des biens, des terres, des titres de rente, de l’héritage, et la dureté avec les inférieurs, à quoi répond du reste la revanche de ces inférieurs, qui intriguent pour pousser en avant leurs enfants.
Je suis frappé à chaque nouveau récit que j’aborde que le projet romanesque lui-même soit si petit, si étriqué, que ce soit si manifestement vite écrit (à chaque année son roman). Et en même temps, il y a bien quelque chose d’extrêmement original, par exemple dans la description de l’agonie de la pauvre institutrice dans Genitrix, qui meurt à la suite d’une fausse couche, mais qui est vaincue surtout par le duo que forment son mari et sa belle-mère, ligués contre elle :

« Elle n’avait aimé personne. Elle n’avait pas été aimée. Ce corps allait être consumé dans la mort et il ne l’avait pas été dans l’amour. L’anéantissement des caresses ne l’avait pas préparé à la dissolution éternelle. Cette chair finissait sans avoir connu son propre secret. »

La partie catholique des romans de Mauriac, qui les « sauve », et qui a été beaucoup critiquée comme une façon commode de les tirer de la noirceur désespérante, me paraît au contraire très réussie, parce qu’elle n’est généralement que l’indication d’une possibilité de tendresse, rarement concrétisée, sauf dans l’amitié. Les Anges noirs finissent sur cette phrase visant Andrès, fils du monstre du roman, et le jeune prêtre Alain :

« Sur les marches usées, dont la lune éclairait chaque ride, ils demeurèrent debout face à face. Et, à ce moment-là, un simple regard leur suffit, une pression de main, pour découvrir combien ils s’aimaient. »

Par contre, Le Mystère Frontenac rate complètement cet effet, le fameux « mystère » de ce roman largement autobiographique (mystère qu’on pourrait résumer par « on s’aime quand même », ou par « la famille avant tout ») n’étant guère communicable au lecteur, qui ne peut que souhaiter ardemment l’euthanasie des bourgeois catholiques du sud-ouest :

« O filiation divine ! ressemblance avec Dieu ! Le mystère Frontenac échappait à la destruction, car il était un rayon de l’éternel amour réfracté à travers une race. »

Mauriac, Œuvres romanesques 1911-1951, Le Livre de poche, 21,34 €