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Annales de la littérature d'aventures - Département des îles désertes

J. Fenimore Cooper, The Crater or Vulcan's Peak (Mark's Reef), 1847


Le jeune Mark Woolston prend la mer sur le Rancocus après un mariage secret avec l'élue de son cœur, Bridget Yardley (les familles Woolston et Yardley sont en froid). Le Rancocus, dont le capitaine boit, fait naufrage sur un récif dans les mers australes. Mark se retrouve seul avec le marin Bob Betts. Ils atterrissent sur un îlot volcanique consistant en un cratère de volcan éteint entouré de récifs. Contre toute attente, les deux hommes parviennent à survivre dans cet environnement en apparence stérile, à y faire pousser des légumes, la cendre volcanique devenant très fertile pour peu qu'on l'engraisse avec des algues et du guano, et à y élever des porcs. Ils disposent comme animal de compagnie d'une chèvre, Kitty. Le Rancocus qu'ils ont remis à flot, est mouillé à côté de l'îlot et leur sert de résidence.

Les deux hommes assemblent une pinasse, le Neshamony, que le Rancocus portait en pièces détachées dans sa cale. Mais une tempête emporte la pinasse avec Bob à son bord. Resté seul, Mark tombe malade et manque mourir.

Un an passe. Les cultures de Mark prospèrent. Le Rancocus contient un second bateau que Mark assemble seul et qu'il baptise la Bridget. Un tremblement de terre modifie complètement le paysage et Mark découvre qu'il possède des terres considérablement augmentées, qui étaient précédemment des récifs à fleur d'eau, et qu'il va mettre en culture. Navigant dans la Bridget, Mark trouve au sud un volcan en activité et à côté une île beaucoup plus considérable que son îlot. (Cette île est le Vulcan's Peak du sous-titre du roman, alors que The Crater désigne le cratère où vit Mark ; l'autre titre du roman, Mark's Reef, désigne tout le récif qui, émergé, fait une terre nouvelle). Comme Mark est sur Vulcan's Peak, il aperçoit une voile. C'est la pinasse. Bob est revenu. Le plus extraordinaire est qu'il a avec lui Socrates, l'esclave de Bridget.

Bob explique qu'il a survécu à la tempête, qu'il a trouvé à l'ouest une île, Rancocus Island, et, plus loin, un archipel d'atolls coralliens, qu'il a sympathisé avec des Canaques et fait alliance avec leur chef, Betto, puis qu'il a trouvé un navire qui l'a rapatrié en Amérique. Il en est revenu avec Bridget, ses esclaves, Socrates, Dido et Juno, la sœur de Mark, Anne, et son mari, le docteur Heaton, une quakeresse, Martha Waters, que Bob a épousée, et la jeune sœur de Martha, Joan. On recrute aussi en chemin un charpentier de navire, Bigelow, sa femme espagnole et leur enfant. Tout ce petit monde est retourné sur l'atoll où Bob avait laissé le Neshamony. Ils sont passés de là sur Rancocus Island.

C'est donc une véritable petite colonie qui se répartit entre le Cratère et Vulcan's Peak (mais pas sur Rancocus Island), colonie dont Mark devient le gouverneur, tout comme Robinson Crusoe était gouverneur sur son île. Entre-temps on trouve encore de quoi faire deux bateaux dans la cale décidémment inépuisable du Rancocus, une barque qu'on appellera la Dido et un bateau un peu plus grand que la Bridget, qu'on baptisera l'Anne. On construit encore avec le bois de Rancocus Island un bateau de la taille du Rancocus, le Friend Abraham White, baptisé en l'honneur de l'armateur quaker qui avait monté l'expédition du Rancocus.

Deux marins blancs évadés de chez les Canaques apportent la nouvelle qu'un autre chef, Waaly, a pris le pouvoir chez les indigènes, et qu'il a des intentions hostiles. L'un des deux marins, Peters, est amoureux d'une petite Canaque, Petrina ou Peggy.

Une expédition à Rancocus Island découvre deux Canaques. L'une est précisément Petrina, la fiancée du marin Peters. L'autre est son frère Unus. Ils apprenent aux colons l'imminence de l'attaque de Waaly.

Les indigènes attaquent et sont défaits. Mark les oblige à libérer les marins survivants du Rancocus, qu'ils détiennent depuis le début du roman.

Comme la colonie est à présent assez importante (les femmes n'ont pas arrêté pendant tout le roman de faire des enfants), Mark lui donne des institutions et il part sur le Rancocus pour chercher un supplément de colons.

Quand il revient, Waaly est à nouveau sur le sentier de la guerre et il faut à nouveau le défaire.

La colonie atteint la taille d'une bourgade de 300 habitants et on emploie désormais des Canaques pour les durs travaux.

Une chasse à la baleine et une attaque de pirates nous mènent à la fin du roman. La colonie est trop grande pour rester vertueuse. L'introduction du journalisme, d'hommes de loi et d'un clergé sectaire gâtent l'ambiance. Mark et sa femme Bridget, écœurés, prennent un congé sabbatique, avec l'équipe initiale des colons (Bob, les Heaton, etc.) Tout ce petit monde décide de rester un peu en Amérique. Quand Mark revient seul à la colonie, il découvre seulement le sommet de Vulcan's Peak, couvert de guano. Une nouvelle convulsion de l'écorce terrestre a englouti tout le paysage que la première avait exhaussé. Tous les colons ingrats se sont noyés. Le Cratère où Mark a joué les Robinsons est sous plusieurs pieds d'eau.

Cooper écrit mal et abuse de digressions pontifiantes, qu'il a de plus tendance à réitérer oubliant qu'il nous en a déjà gratifiés, ce qui signifie en clair qu'il radote. Il est particulièrement monté contre le « spirit of gossip », encouragé selon lui par la presse, mais auquel succombent toutes les institutions, y compris les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire (c'est ce gossip qui, à la fin du roman, pourrit la colonie, jusque là vertueuse). Mais les remontrances sentencieuses de Cooper sont si confuses qu'on ne distingue absolument pas où il veut en venir, même si l'on devine qu'il en a gros sur le cœur, probablement à cause d'un événement de sa vie privée.

Son côté pontifiant amène aussi Cooper à se cacher derrière son petit doigt. L'auteur est incapable de nous dire que le capitaine du Rancocus est alcoolique (alors que son alcoolisme est à l'origine du naufrage) et il nous explique, tout à fait comme s'il était alcoolique lui-même, que le capitaine ne boit pas ordinairement, mais que le jour du naufrage il avait peut-être bu une bière ou deux, qui lui avaient fait le plus grand mal précisément parce qu'il n'en avait point l'habitude.

Inversement, quand Mark est malade, dans une scène qui est une réminiscence de Robinson Crusoe, l'auteur use d'une espèce de pathos alcoologique, et il essaie de nous faire croire que le malade est sauvé parce qu'il a bu coup sur coup deux timbales de bière brune.

Le roman de Cooper est visiblement bâclé, ce qui apparaît même à une lecture superficielle. Oroony est d'abord le nom indigène de Bob, puis devient le véritable nom du chef indigène Betto. La petite Canaque qui épousera Peters s'appelle à la fois Petrina et Peggy parce que l'auteur a oublié le premier de ces prénoms et qu'il décide ensuite de conserver les deux.

L'intrigue est mal ficelée. A côté d'invraisemblances criantes (chaque fois que l'auteur a besoin d'un nouveau bateau, ses personnages en découvrent un, en pièces détachées, dans la cale du Rancocus), on trouve des redites, parfois longues. Le couple de Canaques, Unus et Petrina, avertissant de la proximité de l'invasion, fait double emploi avec les deux marins évadés, qui ont déjà lancé le même avertissement, plus tôt dans le roman. L'attaque des Canaques est bissée et même trissée, puisqu'on a droit pour finir à des pirates.

Le projet romanesque de Cooper paraît tout aussi hésitant. Le roman est au départ une robinsonade dans des conditions extrêmes puisque Mark et Bob sont sur un rocher à peu près nu. Mais dans la deuxième moitié, on lit plus un roman colonial qu'une robinsonade, et il semble que l'auteur se soit souvenu du classique The Isle of Pines (L'Ile des pins, 1668) de Henry Neville, qui raconte comment des naufragés sur une terre australe se multiplient jusqu'à ce que leur postérité atteigne dix ou douze mille personnes. Pour finir, l'auteur fait, comme on l'a vu, un effort peu concluant pour verser dans la satire. Mais il faut noter aussi que dès qu'on se barricade et qu'on fait le coup de feu contre les sauvages, l'auteur quitte la logique du roman maritime et recrée instantanément celle de ses romans indiens du cycle de Bas-de-Cuir. Cooper appelle d'ailleurs constamment les Canaques des indiens.

Malgré tous ses défauts et sa longueur, The Crater se lit sans ennui. Cet intérêt maintenu découle vraisemblablement du côté fantasmatique de l'œuvre. Le roman, en dépit de sa prétention au réalisme, voire au didactisme, est clairement une sorte de rêve éveillé et les absurdités, les incohérences et les redites cessent de gêner précisément parce qu'elles entrent dans cette logique du fantasme.

L'idée de la fertilité miraculeuse de la cendre volcanique, une fois qu'elle est traitée avec du varech et du guano, est à mettre au compte de cette rêverie. Un peu de lecture sérieuse eût dû convaincre Cooper que le maximum qu'on obtient dans le Pacifique, au moyen de la culture sur brûlis, consiste en deux ou trois récoltes de manioc, après quoi, on laisse la jungle repousser. Mais Cooper ne se soucie pas plus d'agriculture qu'il ne se soucie d'économie en décrivant la prospérité de ses colons, ou de démographie en décrivant la croissance de sa colonie : il mobilise une vertu devenue magique, l'un des attributs de la toute puissance, qui est le pouvoir germinatif, autrement dit la fertilité.

Le fil conducteur du roman, si tant est qu'on parvienne à en dégager un, est lui aussi emprunté à une logique du rêve. L'idée de Cooper est qu'on va transformer une terre nouvelle (nouvelle au sens le plus littéral puisqu'elle sortie du Pacifique), en une nouvelle Amérique et même en une prairie. (On fonde une ville, on est attaqué par des indiens.) Lorsqu'on a fini de coloniser Vulcan's Peak, on est donc paradoxalement rentré chez soi, puisqu'on se retrouve dans une autre Amérique, ni meilleure ni pire que la première (elle est prospère, mais elle est contaminée par le « spirit of gossip »). C'est précisément ce qui permet à l'auteur de supprimer sa colonie sans remords.

 

 

Harry Morgan

 

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