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La censure des caricatures de Plantu
Réflexions sur les dessins de cul réalisés par des faux-culs

Au mois de mai 2014, les médias français rendaient compte de la censure d'un dessin de Plantu par les très calotines éditions Bayard. Les Augustins de l'Assomption avaient eu l'idée de publier un ouvrage de l'association Cartooning for Peace, ouvrage coordonné par Jean Plantureux, dit Plantu, fondateur de l'association. S'étant rendu compte que l'ouvrage comportait un vieux dessin de Plantu montrant le pape Benoît XVI sodomisant un enfant de chœur, la maison d'édition catholique eut des regrets. Les 8000 exemplaires imprimés partirent au pilon. Le dessinateur déplora sur le site de L'Express, en date du 6 mai, la censure dont il était victime. (Mais l'ouvrage est censé paraître chez Actes Sud.) Dans une autre version de l'affaire (site du Nouvel Observateur du 3 mai), « Les éditions Bayard [auraient] demandé à Plantu de retirer le dessin jugé problématique. Lui [aurait] refusé de voir "paraître censuré un ouvrage, portant précisément sur la censure" ». (Nous avouons ne pas saisir comment on peut retirer un dessin d'un ouvrage déjà imprimé, mais il faut peut-être comprendre que l'éditeur a d'abord proposé cette autocensure, que suite à l'inflexibilité de Plantu, l'ouvrage a été imprimé avec le dessin litigieux, et que, dans un dernier retournement, Bayard aurait renoncé à le diffuser et l'aurait pilonné.)

Quelques jours plus tard, la presse rendit compte de la censure par Le Monde d'un dessin de Plantu montrant le président de la République française prenant en levrette une Marianne dans une vitrine du musée des Arts premiers. À en croire Le Monde, « ce premier dessin était "choquant, ce que Plantu [aurait] reconnu“ ». Selon, L'Express il n'y aurait pour Plantu « aucune polémique autour de ce dessin ». Bref, Plantu crie à la censure quand il a affaire aux éditions Bayard, mais il ne voit aucun inconvénient à être censuré par Le Monde, contradiction que les médias, taquins, n'ont pas manqué de relever.

Ceci étant dit, l'affaire est, comme toujours, passablement plus compliquée qu'il n'y paraît à première vue.
Pour commencer, le dessin représentant Benoît XVI constitue, aux dires de Plantu lui-même, un vrai-faux, puisqu'il l'aurait envoyé à la rédaction du Monde comme un gag, en faisant croire que c'était son dessin du lendemain, tout en le sachant rigoureusement impubliable. Mais si le dessin est impubliable, si, pour parler clair, ce n'est pas un dessin de presse du tout (mais un papier privé, destiné à faire rire sa rédactrice en chef), que fait-il dans un ouvrage sur la liberté d'expression des caricaturistes et les limites arbitraires que chaque société impose à cette liberté ? Qu'est-ce que le dessin est censé illustrer au juste ?
Compte tenu de ce caractère déceptif de l'image mettant en cause Benoît XVI, qui, encore une fois, n'a jamais été destinée à devenir un dessin de presse, la similarité des deux images litigieuses ne laisse pas que d'interroger, puisqu'on voit dans les deux cas un chef (de l'Église, de l'État), se livrant sur celui ou celle dont il a la charge (un enfant de chœur, une Marianne, allégorie de la République) à un assaut sexuel, cette similarité du propos étant soulignée par la similarité de la posture du contrevenant, more ferarum. Ceci ne fait qu'obscurcir un peu plus les motivations du dessinateur. Si Plantu sait, au moment même où il la dessine, que la caricature du pape est « impossible », peut-il s'imaginer que celle de M. Hollande est passable ? (Parce qu'elle représenterait un rapport sexuel consensuel, et non l'acte criminel qu'est le viol d'un mineur par un adulte ayant autorité sur lui ? Parce que les frasques de M. Hollande sont notoires ? Parce que la traduction politique du dessin — M. Hollande a bien « baisé » ses électeurs — justifierait sa représentation, aussi outrancière fût-elle ? Parce que les mœurs, et donc ce qu'il est acceptable d'imprimer à la une d'un quotidien national, évoluent à une vitesse que Plantu est seul capable d'estimer ?) On se perd ici en conjectures.

Pour compliquer encore les choses, Plantu est en butte à des tracas judiciaires à cause même de son vrai-faux, de son dessin « impossible » du pape en pédophile (qu'il a lui-même médiatisé), l'Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne) — qui est, rappelons-le, le véritable inventeur de l'activisme judiciaire contre les images et de la notion de racisme contre les religions — lui ayant intenté un procès qui doit se plaider au mois de juillet 2014. Certes, les éditions Bayard ne sont pas, contrairement à l'Agrif, « à la droite de Dieu », mais on peut comprendre qu'elles hésitent à reprendre un dessin qui est objet de scandale, fût-ce dans une frange ultra du catholicisme. On a, dès lors, l'impression d'un quiproquo, Plantu, habitué des caricatures anticléricales (au sens strict du terme : des représentations peu flatteuses des membres du haut-clergé de l'Église romaine), n'ayant rien à faire chez Bayard, qui inversement n'avait peut-être pas de bonnes raisons de le publier, hormis la volonté de ne pas vouloir passer pour obscurantiste.
La situation est embrouillée encore un peu plus par les objectifs extrêmement flous de l'association de Plantu, Cartooning for Peace, qui ressemble beaucoup aux associations défendant « la paix » à l'époque de la guerre froide, financées en sous-main par le bloc de l'Est, et qui, d'une part, présente une image extrêmement avantageuse, pour ne pas dire glorifiante, des caricaturistes, Plantu en tête, comme des héros de la liberté d'expression, mais qui revendique par ailleurs en toute contradiction et de façon très explicite sa finalité lénifiante et consensuelle (la fameuse paix obtenue par la voie du dessin) en n'oubliant pas, au passage, de flatter à chaque instant ses interlocuteurs non-occidentaux (il s'agit en particulier de donner l'illusion que le Proche-Orient possède des dessinateurs de presse qui n'ont rien à envier à ceux du monde libre, et que par conséquent la démocratie est la chose la mieux partagée de la Terre). Au surplus, l'activisme associatif de Plantu est un résultat direct de l'affaire danoises de 2006, et la position préconisée par Plantu (position qui n'a jamais varié) est celle d'une « trève des blasphèmes » : les occidentaux cesseraient de dessiner Mahomet, pour ne pas « choquer inutilement », et en récompense, les caricaturistes arabes cesseraient de dessiner des « blasphèmes antisémites »(1). J'ignore par quelles contorsions dialectiques Plantu parvient à la conclusion qu'il y a blasphème par voie d'image quand un membre d'Al-Qaeda, du Hamas ou de Boko Haram décrète qu'il y a blasphème, mais pas quand c'est un membre de l'Agrif. J'ignore également si Plantu pense que le problème des joyeux drilles qui publiaient le Stürmer était leur tendance à publier des « blasphèmes antisémites », ou bien s'il ne faudrait pas leur reprocher plutôt le fait qu'ils ont planifié et mis en œuvre un génocide.
Quoi qu'il en soit, les analyses, les motivations et les doctrines de Plantu sont homologues à ses réalisations graphiques : elles sont approximatives, alambiquées et branlantes.

(1) — « In Israel, for example, where they are very familiar with anti-Jewish blasphemy (see the caricatures that are published in the Arab world), they chose not to publish the [Danish] drawings, in order to avoid being uselessly provocative. One could dream of a blasphemy truce : you, here, don't attack Mohammed, and you, there, don't go after Jews (not to be confused with Israely politics). Obviously, such an agreement is impossible, but one could try to reflect on the responsibilities of the caricaturist. » European Comic Art, vol. 2, n° 1, Spring 2009, Liverpool University Press, p. 4. (Traduction de la préface de Je ne dois pas dessiner..., Seuil, 2006.)