Le Parc des archers d’André Hardellet m’inspire deux réflexions.
Premièrement, la langue de Hardellet, en 1962, est belle, mais elle est tendue, parfois proche de l’écriture blanche ; elle n’est déjà plus naturelle. Dans tout le début du roman, on sent le romancier tenté par la solution moderne de la disparition du personnage. Le narrateur est un décalque de l’auteur (tout ce qu’on sait de lui, au fond, est qu’il est homme de lettres), qui remue pour ainsi dire de façon abstraite les grandes questions de la métaphysique littéraire, celle de l’occulte, celle de la recherche d’un arrière-monde, celle de la société secrète, ou d’une connivence secrète entre les êtres. Ce n’est que dans la suite que l’intrigue, devenue martiale, incarne brusquement « André Miller ».
Deuxièmement, à travers le goût du personnage de Hardellet pour ce qu’il nomme « les plaisirs clandestins », c’est-à-dire l’érotisme et les bouges, l’auteur dévoile la problématique essentielle des années 1950 et 1960, qui est celle des ravages du conformisme : bureaucratie et marketing contribuent à un étouffement général, et le whisky et les amours clandestines, tarifées ou non, sont pour les malheureux asphyxiés autant de bouffées d’oxygène.
Ce n’est pas par hasard qu’André Hardellet figure au Dictionnaire des livres et journaux interdits de Bernard Joubert (Cercle de la librairie, 2007) pour Lourdes, Lentes (signé Steve Masson). Le roman, paru en 1969, fut frappé d’interdiction de vente aux mineurs (loi du 16 juillet 1949) et l’une de ses éditions fut poursuivie pour outrage aux bonnes mœurs, ce qui affecta profondément Hardellet qui, nous dit Joubert, en mourut. Le censeur, par une bêtise illuminante, reconnaît en général très bien la forte tête, contre laquelle il ne manque pas de sévir.
Toutes les époques ont leurs enquiquineurs ou leurs inquisiteurs. Dans les années 1950 et 1960, ceux que Hardellet appelle « la gale », c’étaient les empêcheurs de jouir (au moment précisément où la France découvrait la société de consommation). Si tous les conformismes n’aboutissent pas à de franches tyrannies (c’est pourtant ce que raconte le roman de Hardellet), ils créent du moins des sociétés inquiètes, où l’on ne se délivre de ce qu’on a sur le cœur qu’à des amis sûrs, derrière des portes closes.
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