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vacances : sachez dire non


Ayant passé un temps considérable en vacances et dépensé des sommes encore plus considérables d'efforts et d'ingéniosité, notre auteur fait le bilan. Une conclusion s'impose : ne partez pas.

Il y a eu, mes chers lecteurs, une époque artisanale du tourisme. Un touriste, il y a un siècle, était un individu qui voyageait par curiosité, par désoeuvrement, un type qui, au fond, n'avait pas de raison de se trouver à l'étranger. C'était généralement un jeune Anglais d'excellente famille qui, pour compléter sa formation, faisait, en compagnie de son tuteur, un tour de l'Europe méridionale, France, Suisse, Italie, en poussant parfois jusqu'en Grèce et en Espagne. On distinguait le grand tour et le petit tour. Il existait aussi un tout petit tour, qui consistait en une téméraire expédition Douvres-Calais avec retour le jour-même. Le Tour comprenait souvent la visite d'un bordel à Toulon, après quoi, le jeune lord, définitivement gagné à l'homosexualité, pouvait rentrer au pays et se marier insoucieusement et d'un coeur léger.

Il existait des touristes femelles, chaperonnées par un chaperon, mais elles s'arrêtaient avant le milieu de la péninsule italienne. On les trouvait, à leur périhélie, dans des pensione florentines - et encore, on se demande si elles ont existé ailleurs que dans les romans de Forster.

Jeunes gens à mentons duveteux et demoiselles chaperonnées rencontraient à la table d'hôte des touristes chroniques, plus ou moins excentriques, plus ou moins exilés, plus ou moins déclassés. Ils fuyaient leurs créanciers, leurs trois épouses, le climat ou la justice d'Angleterre. Ils étaient le plus souvent valétudinaires ou, comme ils disaient, invalides.

Tout cela, mes chers lecteurs, appartient au passé. Le tourisme est passé dans la phase industrielle et tout le monde est touriste à son heure.

 

Le tourisme est une industrie

 

Dans toute industrie, il y a une matière d'oeuvre. Les professionnels du tourisme aimeraient nous faire croire que, dans le tourisme, la matière d'oeuvre, c'est le paysage, ou les beautés, ou les traits singuliers du pays, ou les moeurs bénignes et colorées des habitants. Il s'agit là d'un mensonge grossier, d'une dérision et d'une pure friponnerie. Il est à peu près aussi intelligent de prétendre que, dans l'industrie du corned-beef, la matière d'oeuvre est le cornichon ou que, dans l'industrie de la pâtisserie, la matière d'oeuvre est la cerise confite. La matière d'oeuvre, dans le tourisme, n'est pas le paysage mais le touriste. La matière d'oeuvre, mes chers lecteurs, c'est vous. Si vous n'êtes pas entièrement convaincus, veuillez considérer ceci : personne n'a jamais réussi à faire jaillir des pièces de monnaie d'une ruine romaine, ou à changer une pyramide aztèque en piles de billets de banques. Les pièces de monnaie et les liasses de billets sortent de vos poches. Abusé par la lecture d'un dépliant touristique hilarant, vous croyez peut-être que vous êtes là pour votre plaisir, mais si vous prenez la peine de réfléchir, vous constaterez que vous êtes là parce que vous faites partie d'un processus industriel. Tout est organisé selon les conceptions de Barnum et de Taylor dans un seul but : vous faire rendre le capital.

Ceci posé, nous examinerons successivement le tourisme en France et le tourisme à l'étranger.

 

Où aller ?

 

Il faut aller où il y a des choses à voir. Sinon, bien entendu, ce ne serait pas la peine de partir. C'est donc autour des monuments, des ruines et des points de vue, qu'on trouve les hôtels à touristes, les restaurants à touristes et, de façon générale, que vous aurez davantage de chances d'être traités en touristes. Un château suffit à transformer un petit village qui autrement serait charmant en lieu touristique. Le miracle de ce château Renaissance, c'est qu'au lieu d'un brave hôtel pour voyageurs de commerce, simple mais propre, vous trouverez ici dix gargotes pour touristes, toutes insalubres, toutes hors de prix.

Il faut ajouter le littoral. En été, beaucoup de touristes se répartissent sur le littoral. Cette attirance pour les bords est ce qu'on appelle, en éthologie, un tropisme. On obtient le même résultat en mettant des cloportes dans une grande poêle qu'on chauffe à feu très doux. On constate en soulevant le couvercle au bout de peu de minutes que la majorité des cloportes, avant de griller, se sont répartis sur les bords de la poêle, parce que c'est encore là qu'ils avaient le moins chaud.

 

Le clos et le couvert

 

A l'hôtel, on vous a dit : « Si vous voulez la chambre, il faut aussi s'inscrire pour le repas à la rôtisserie de l'impasse, c'est à prendre ou à laisser, d'ailleurs c'est dans votre intérêt. » Vous avez dit : « Oui oui », tout en sachant que c'était parfaitement illégal et en pensant à part vous que rien ne vous empêchait d'aller manger ailleurs, ils ne peuvent pas vous faire payer un repas que vous n'avez pas consommé.

Comme vous êtes plutôt du genre dégonflé, vous êtes allés à la gargote en question, qui affiche triomphalement une mention « Assez bien » du Grand Guide des Gastronomes, vieille de dix ans.

Bien pleine, la gargote. Le contenu de l'hôtel est en train d'avaler vaille que vaille le contenu de la carte, tête dans l'assiette, sans beaucoup parler.

Vous avez montré votre carton. (Pour ne pas avoir l'air trop illégal, les hôteliers ont concrétisé l'obligation de bouffer dans leur restaurant par un carton qui donne droit à un fond de verre de sangria.) On vous a mis en bout de table, entre le Japonais et le Polonais. Vous voyez encore un peu votre compagne ; elle est décalée d'un cran par rapport à vous, elle est entre le gros Suédois et la petite Néerlandaise. Comme la Néerlandaise est vraiment toute petite,vous voyez encore très bien l'oreille gauche de votre compagne. Et cette oreille a un air tout à fait alarmant. D'après l'air qu'a cette oreille, vous savez déjà que tout à l'heure, dans la chambre, vous aurez droit soit à une crise de larme, soit à une crise de rage. Vous aimeriez autant que ce soit une crise de larme (« Ne pleure pas mon petit chat, c'est tous des idiots »), parce que pour la crise de rage, vous vous en chargeriez très volontiers vous-même. D'un autre côté, il est parfaitement possible que ce soit une crise de rage suivie d'une crise de larme.

La communication avec votre chère et tendre est rendue un peu difficile par le décalage d'un cran. Vous arrivez à vous faire comprendre d'elle en vous penchant au travers de la table et en susurrant dans son oreille gauche par dessus la Néerlandaise, mais les réponses de votre belle, chuchotées, car elle est timide en société, rebondissent contre le Suédois, se perdent du côté du Polonais. Vous vous arrangez tout de même parce que quand on s'aime, on se comprend. Mais ce n'est pas ce soir que vous aurez votre conversation sur fonctionnalisme et structuralisme dans l'anthropologie contemporaine. Tant pis.

 

Faire un bon repas

 

Vu les prix qu'affiche la carte, vous avez, sans qu'il ait été nécessaire de vous consulter (vous voyez bien !) opté tous deux pour le menu touristique. On vous a servi une moelleuse rondelle de tomate et une affriolante rondelle d'oeuf dur, le jaune un peu vert et le blanc un peu cassé, suivie d'une substantielle demi-assiette de nouilles nappées de sauce tomate « avec des morceaux de viande ». Pour finir, la succulence de la moitié d'un flan coupé en deux.

Evidemment, cela ne vaut pas la pizzeria où vous prenez le plat du jour à midi, quand vous travaillez. Par contre, ça vous a coûté (sans le vin) un peu plus cher que le petit restaurant russe, le petit restaurant japonais ou le petit restaurant hongrois où elle aime tellement aller quand vous êtes à la maison.

Or, prenez garde à ceci et tâchez de ne pas l'oublier. Il ne suffit pas que vous soyez mal servi. Votre déconfiture ne serait que partielle, tandis qu'il importe que vous veniez à résipiscence. Il faut donc que le patron, en vous apportant sur une grande assiette votre rondelle d'oeuf chapeautée d'une rondelle de tomate, vous sourie d'un sourire cafard, l'air - curieusement - de vous encourager : « Rigole, mais ris-donc, jocrisse ; je suis en train de te rouler ! »

Observez-le, tandis qu'il vous sert les nouilles. Est-il en train de calculer son taux de marge ? (les nouilles qu'il vous a tarifées 40 F. lui ont coûté - chauffage de l'eau compris - 40 centimes ; c'est du neuf mille neuf cent pour cent de profit  ; c'est moyen.) Ou bien se dit-il qu'on est seulement en début de saison et qu'au train où ça va, il faudra aussi aménager en rôtisserie le garage Renault du carrefour, pour caser tout ce monde, parce qu'un garage automobile, après tout, ça ne sert à rien, surtout dans un pays où les touristes circulent en voitures.

Après ce souper fin, vous êtes allés vous coucher dans la belle chambre qu'on vous a réservée dans la nouvelle annexe, celle qu'on ouvre en début de saison. Evidemment, ça sent un tantinet le moisi. Mais, pour compenser, comme on est en début de saison, la chambre est encore propre. Les draps, en particulier, sont éblouissants d'hygiène, entre les trous. Parlant de trou, il vous faut faire très attention au trou dans le parquet, sur le chemin de la salle de bain. Comme on a posé de la moquette sur le trou, vous ne pouvez pas vous faire très mal, mais c'est gênant tout de même de se retrouver le pied dans la chambre du dessous, avec une partie de la moquette.

 

Un pays intéressant

 

Finalement, les vacances en France ne vous tentent pas. Il ne tient qu'à vous de partir à l'étranger.

Commençons par vider un point. Vous avez peut-être l'intention d'aller dans un pays intéressant. Un pays intéressant, c'est un pays développé, rempli de trésors artistiques et culturels, avec de bons restaurants, des boutiques, des voies de communication en bon état et des gens passionnants dont vous parlez la langue. Si vous pensez aller dans un pays intéressant, c'est que vous n'avez pas encore consulté les tarifs.

Vous ne pouvez pas aller dans un pays intéressant. Même la formule « passez un week-end dans un pays intéressant » excède vos deux salaires réunis. Regardons les choses en face : vous ne pourriez pas vous payer un pays intéressant. Ou, pour le dire autrement, à ce prix là, le pays en question cesse d'être intéressant.

Vous allez donc vous rabattre sur un pays désertique, sans intérêt, sans voies de communication, sans commerces, rempli de gens inintéressants avec qui vous n'avez pas de langue commune, et de préférence situé au sud. Si vous n'aimez pas le sud, il y a aussi des pays inintéressants à l'est.

Dans tous les cas, le pays où vous allez est plus miteux que le vôtre, et en particulier, la région où vous allez est beaucoup plus moche que la région où vous habitez.

 

Un intermède politique

 

Vous avez décidé d'aller à l'Est. Tant pis pour vous.

L'endroit où vous allez était peut-être joli à l'époque des diligences, mais il s'est passé beaucoup de choses depuis. Le matérialisme dialectique a désertifié la forêt, pollué l'étang, et couvert tous les monuments d'une substance noire adhérente et corrosive. Le passage à l'économie de marché a converti les friches industrielles laissées par la fermeture de toutes les usines en dépôt de produits toxiques. Il plane là-dessus une vieille odeur de trognon de chou assaisonné au gaz sarin. Ceux des habitants qui ne sont pas au chômage sont gravement malades à cause des toxiques qu'ils manipulent à longueur de journée dans la nouvelle usine. L'usine n'est pas aux normes, elle fabrique dangereusement des produits qui ne sont pas sûrs et qui sont vendus en toute illégalité à des gens qui en crèveront. Quant aux superbes monuments de la vieille ville, ils fondent, sous leur vernis noir, comme un morceau de sucre dans l'eau chaude.

Tout cela enrichit un seul homme, le nouveau capitaliste. C'est le héros des temps nouveaux. A l'époque honnie du communisme, le héros c'était l'ouvrier stakhanoviste ou le bureaucrate fascisant. De nos jours, c'est le nouveau capitaliste. Comme les gens d'ici apprennent vite, le plus anachronique des brigands a appris à ânonner : « Je suis un capitaliste. » A qui pourrait lui rétorquer : « Vous avez achevé de détruire la forêt, de polluer l'étang, de détruire les monuments, et de plus, vous avez rendu tous les gens malades », il aura beau jeu de répondre avec hauteur : « Je fais cela pour mon profit personnel. » Réponse admirable. Le nouveau capitaliste, s'il avait été un benêt, un mal-doué, un escroc amateur, un bébé requin, aurait répondu peut-être : « Il est vrai que mon industrie présente certaines externalités négatives, mais j'ai créé tout un bassin d'emploi. Pas moins de trente-cinq emplois à temps partiels de manutentionnaires, ça justifie amplement l'empoisonnement de cent mille habitants. » S'il avait été une gouape de peu d'envergure, une petite frappe, et pour tout dire un simple mafieux, il aurait répondu de la sorte : « Mon usine pollue, c'est vrai, mais j'ai créé un nombre immense d'emplois. Trente-cinq dockers qui déchargent les fûts toxiques, ce n'est pas rien, sans compter le factionnaire. » Au lieu de cela, le nouvel industriel a répondu : « J'ai fait cela pour mon profit personnel et privé et un retour sur investissement qui avoisine les quatre mille pour cent. Vos terres sont devenues stériles et vous pouvez tous crever la bouche ouverte. Personne ne gagnera un sou dans cette aventure, sauf moi qui ai déjà gagné trente milliards de dollars en empoisonnant la forêt, le lac et les gens. » On l'acclame. S'il fait cela pour le profit capitaliste, c'est un saint, c'est un génie, c'est le héros des temps nouveaux, c'est le nouveau capitaliste.

 

Garer la voiture

 

Mais nous ne sommes pas là pour faire de la politique. Nous sommes là pour visiter. Visitons.

Vous êtes venus en voiture. Vous n'aviez pas les moyens de prendre le train. Quant à l'avion, même en prenant un charter, il est devenu presque aussi cher que le train.

Vous avez peut-être essayé de venir en autocar. Pas en prenant un voyage organisé, évidemment (vous n'auriez pas pu le payer), mais un voyage d'étudiants sympas, à prix sympa. Mais l'autocar n'est jamais parti. Les étudiants sympas ne vous ont jamais rendu vos sous, mais le tribunal devant lesquels vous les avez cités leur a donné raison et vous a condamné à payer les dépens. Quand on achète un voyage d'étudiants sympas, on ne peut tout de même pas attendre que l'autobus parte, encore moins qu'il arrive. Vous êtes donc venus en voiture.

Il faut garer la voiture.

Il y a dix ans, il y avait un terrain vague. Les gens y garaient leur auto. Ca ne dérangeait personne. Evidemment, par temps de pluie, il y avait des flaques où les voiture s'embourbaient.

Il y a toujours un terrain vague, et on continue à s'embourber. Le progrès, c'est d'avoir mis un gardien de parking. C'est un petit vieux avec une casquette. Il dispose d'un vague papier timbré du voïvodat. Son métier est de percevoir de l'argent sur un stationnement qui jusque-là était gratuit. Il ne surveille pas votre véhicule et, d'ailleurs, les gens mettent leur voiture où ils veulent et se bloquent les uns les autres.

Ne croyez pas qu'il ne serve à rien. Le petit vieux qui vous prélève un dollar américain pour vous laisser garer votre bolide dans la gadoue, crée, sans rire, de la valeur ajoutée. Avant le petit vieux, le parking ne coûtait rien et le pays était arriéré. Depuis le petit vieux, le parking est payant, ce qui augmente le PIB. Si vous ne me croyez pas, demandez à un économiste.

 

Ici, on chie dru

 

Après avoir longtemps tourné dans des centres villes en plein essor capitaliste (ils ressemblent vaguement aux vieilles photos de la ruée vers l'or au Klondike), vous avez tout de même trouvé un hôtel et même un très bel hôtel. Votre compagne est descendue pour s'enquérir du prix des chambres. On ne l'a pas laissée entrer, mais le portier en uniforme chamarré lui a expliqué, bon papa, que la chambre la moins chère coûtait un peu plus que votre salaire mensuel à vous, dans votre monnaie et dans votre pays. L'hôtel est surtout fréquenté par les nouveaux capitalistes et par un tas d'étrangers très intéressants qui font des affaires fructueuses dans ce très beau pays. Ils portent des complets blancs, des bagues de type chevalière à tous les doigts, et des cicatrices dans la figure, ils fument le cigare et ils ont tous une bosse sous l'aisselle.

Vous avez fini par trouver un hôtel dans vos moyens. Somme toute, vous ne payez qu'un peu plus du double de ce que vous auriez payé pour un hôtel en France. D'un autre côté, convertie dans la devise du pays, votre note d'hôtel correspond au triple du salaire annuel d'un ingénieur du nucléaire. Vous voyez donc que si le prix est raisonnable pour vous, il l'est encore plus pour l'hôtelier.

Pour ce prix-là, vous avez droit à une paillasse, un bidet ébréché rempli à demi d'eau jaunâtre, un tout petit pot de chambre (ici, on chie dru et pas tous les jours) et une belle armoire, genre armoire de colonie de vacances, mais sans les portes.

 

La procession du Saint Rognon

 

Oups ! Désolé ! l'hôtel est plein. Vous êtes tombés par hasard sur la procession du Saint Rognon, qui n'a lieu qu'une fois l'an et seulement depuis la chute du communisme. On ne trouve plus une chambre. D'ailleurs, qui a envie de dormir dans un hôtel, quand, pour le triple du prix, vous pouvez dormir dans un grenier à foin pas chauffé, chez un brave paysan que vous a indiqué la petite dame de l'office d'information, qui est sa cousine. Vous pouvez également loger chez l'habitant.

Finalement, on vous accommode chez Lazslo Rmpltlstskn. On vous a mis dans votre chambre (apparemment, c'est la moitié de l'ancien garage, à en juger par les taches d'huile sur le sol en terre battue ; l'autre moitié de l'ancien garage est devenue une autre chambre). Et puis vous n'avez plus du tout vu vos hôtes. Vous les entendez pourtant, dans la cuisine, au-dessus de votre tête, et d'ailleurs, en supposant que vous vouliez vraiment les voir, il ne tiendrait qu'à vous de monter sur une chaise (en admettant que vous disposiez d'une chaise) et de regarder à travers les fentes du plancher de bois.

Vous avez oublié de demander la permission d'utiliser la cuisine des Rmpltlstskn et tous les restaurants sont fermés, à cause de la procession du Saint Rein. Qu'importe. Vous vous êtes couchés le ventre vide, en pensant au substantiel petit déjeuner qu'on vous servira au matin.

Tout ne va pas pour le mieux dans le ménage Rmpltlstskn, mais heureusement vers trois heures du matin, on se réconcilie autour d'une slivovitz. C'est l'occasion d'inviter quelques amis et d'improviser une petite fête.

Autre incident cocasse : le fils Rmpltlstskn et sa conquête arrivent en douce vers quatre heures du matin. Ils voudraient bien utiliser votre chambre pour causer du capitalisme et du socialisme et, comme vous avez tiré le verrou, le jeune Rmpltlstskn a une petite explication avec la porte. Puis le jeune couple s'en va. Dans la cuisine au-dessus, tout le monde cuve, et le silence s'installe pour une longue demi-heure.

Monsieur Rmpltlstskn se lève à quatre heures quarante car il prend son travail à cinq heures et demi, à l'usine atomique. Il chante Boris Godounov, dans la salle de bain, parce qu'il sait que votre chambre n'est séparé de la salle d'eau que par une mince cloison et qu'il ne veut pas vous déranger avec des bruits de robinet.

Précaution inutile, il n'y a pas d'eau. Au lieu de se laver, monsieur Rmpltlstskn, tout en interprétant Boris Godounov, se cire les moustaches avec de l'encaustique pour parquets de chêne. Puis il part pour l'usine.

Vous, comme vous êtes réveillés depuis un long moment, vous partez à la procession du Saint Rognon, parce qu'on vous a dit qu'il fallait venir très tôt pour avoir une place. Il faut payer, attendre trois heures, coincé entre une poubelle et deux policiers et on voit défiler, entre des casquettes sales et des oreille décollées, douze donzelles vêtues de grands draps. Pendant que vous regardez, des pickpockets vous prennent votre portefeuille. Vous n'avez plus ni argent ni carte bancaire. Et vous découvrez tout de suite après que pendant qu'on vous volait vous, d'autres débrouillards volaient votre voiture. On vous a volé aussi votre téléphone portable. Heureusement, il existe un système très ingénieux pour téléphoner chez soi. Ce sont des baraque en bois, où le type compose le numéro pour vous, en passant par les Etats-Unis. De cette façon, la communication coûte trente centimes de moins que si vous alliez téléphoner au bureau de poste, mais pour vous, la facture est de 200 dollars. Ce sont les 200 dollars que vous portez dans vos chaussettes, et vous voici la fin de vos ressources, mais qu'importe, vous allez être rapatrié. Les belles vacances sont terminées.

 

Le sud

 

Vous avez décidé d'aller au sud. Vous hésitez un peu, parce que vous craignez la tourista. Crainte superflue, puisqu'une heure après votre arrivée vous attrapez une dysenterie et que vous passez les quinze jours du voyage à vous tenir le ventre. A-t-on idée aussi de déjeuner dans un restaurant de poissons ! Le le type est allé vous préparer votre poisson dès qu'il a eu fini de farfouiller dans la poubelle. Avant de vous le servir, il est encore allé au petit coin. Il ne s'est pas lavé les mains, car dans les pays du sud, les gens qui se lavent les mains quinze fois par jour sont considérés comme des homosexuels.

Le pays que vous visitez est rempli de monuments admirables et de ruines grandioses, mais votre œil scrutateur est surtout à la recherche des commodités, à cause de votre dysenterie. Finalement, visiter l'une après l'autre toutes les toilettes publiques, c'est une merveilleuse façon de découvrir un pays, surtout quand l'eau n'est rétablie qu'une demi-heure tous les trois jours.

 

Un accident sur la voie publique

 

Dans les pays du sud, il faut faire très attention en traversant, parce que les automobilistes recherchent délibérément l'accident. Les gens qui roulent lentement et qui utilisent leur clignotant sont suspects d'être des homosexuels et on leur fait une queue de poisson quand c'est possible (« Sale pédé ! »).

Il y a des accidents tous les jours. Ce soir, sous les fenêtres de votre hôtel, c'est un vélomoteur de livreur de pizzas contre un camion de bière. Le vélomotoriste est à terre, mais il ne semble pas blessé. Le vélomoteur a l'air en bon état.

Ces accidents attirent une foule nombreuse. C'est la distraction principale. Comme on est un soir de semaine et que les gens sont chez eux, tout le quartier est descendu dans la rue. Ca doit faire dans les mille témoins de l'accident.

De bonnes âmes commencent par vouloir relever le livreur de pizzas qui était tombé et quelqu'un veut lui ramasser son casque de moto. Mais un vieux dur à cuire de la coloniale proteste qu'il faut laisser le livreur et le casque par terre pour que la police puisse se faire une idée précise de l'accident. Il ne faut pas compliquer le travail de la police. Une dame qui doit être enseignante pense, elle, qu'il faut laisser le livreur de pizzas par terre au cas où il aurait la colonne vertébrale brisée. Le livreur de pizzas n'a pas mal au dos, mais justement, c'est peut-être la preuve qu'il a la moelle épinière sectionnée. Il est intransportable. Au cours du débat, chacun atteste sa compétence en fournissant des références incontestables. « Feu l'oncle de ma mère, Dieu ait son âme, était autrefois gendarme. » « Le cousin de la gardienne de mon bébé a son brevet de secourisme. »

La dispute est un peu vaine, parce que le livreur de pizzas s'est relevé tout seul et a ramassé son casque dans l'indifférence générale.

Les deux véhicules bloqués au milieu d'un carrefour très passant ont créé un énorme embouteillage et les conducteurs sortent de leur autos, tout en laissant tourner le moteur. Le nombre de témoins de l'accident monte rapidement à deux mille cinq cent et plusieurs barbecues s'organisent spontanément.

On s'occupe moins du blessé et de son casque et la question devient celle de la responsabilité. Là encore, les opinions sont partagées et certaines argumentations sont difficile à suivre pour un étranger, même s'il parle bien la langue (c'est votre femme qui parle bien la langue, c'est elle qui vous traduit). Par exemple, l'ancien de la coloniale démontre que puisque le conducteur du camion de bière était complètement et irrémédiablement saoul, l'accident est de la faute du livreur de pizzas qui était sobre, la sale bête. On ne vient pas s'envoyer ainsi sous les roues des gens. Le colonial ajoute, sinistre, que, du temps des généraux, on aurait emmené le vélomotoriste faire un petit tour. Et d'abord, pourquoi était-il sobre, celui-là, en livrant ses pizzas ? Ces gens qui circulent sobres sont non seulement des dangers publics, mais aussi des subversifs ; sobre, c'est un truc d'intellectuel. D'ailleurs chacun sait les gens qui ne boivent pas sont tous des homosexuels.

La police arrive au bout de trois heures, sirènes hurlantes et en manquant d'écraser les passants. Plusieurs agents casqués et dans des tenues qui ressemblent étonnamment à celles des flics américains dans les séries télé, commencent à régler la circulation. Les conducteurs regagnent leur véhicule, et la foule se stabilise à mille cinq cents personnes.

Les officiers de police commencent à discuter avec les accidentés et avec les témoins. Les gloses et commentaires vont bon train. L'un des policiers prend même la déposition d'une grosse dame qui est, depuis deux bonnes heures, en train de raconter l'accident de camion qui est advenu à son neveu il y a dix ans, dans un autre pays du Sud. Une ambulance emmène le vélomotoriste.

Pour finir, la police renverse les barbecues et éteint les braises à coup de talons, puis disperse la foule à coup de matraque. Les gens rentrent chez eux. L'ancien de la coloniale, qui est resté jusqu'au bout, trouve que les policiers devraient être plus féroces, et veut encore donner, maintenant qu'on est entre soi, son avis sur la culpabilité du vélomotoriste. Il conseille même aux policiers de l'emmener faire un petit tour, mais on le disperse, lui aussi.

 

à lire si vous n'êtes pas convaincus  :

Douze raisons de ne pas partir en vacances


1. Vous allez avoir la tourista, sauf si vous attrapez la dysenterie avant.

2. Là où vous allez, la police n'est qu'un gang un peu mieux organisé que les autres et avec un uniforme plus voyant.

3. Vous allez avoir des coliques.

4. Les lits sont pleins de bêtes.

5. Les vécés sont à la turque.

6. La nourriture est avariée.

7. Vous allez attraper la diarrhée.

8. A l'est, ils ont trente centrales nucléaires, toutes dangereuses, toutes en activité. Elles viennent d'être rachetées par un ambitieux jeune industriel qui a un plan génial pour doubler la production.

8 bis. Au sud, ils ont trente conserveries de poisson qui dégagent des exhalaisons fétides. Et puis, ils doivent conditionner le poisson avec du gaz moutarde parce que même l'herbe ne pousse plus.

9. Vous allez vous faire voler tout votre argent et toutes vos affaires.

10. Vous allez vous faire violer.

11. Vous allez vous faire accuser de passer des stupéfiants en contrebande pour alimenter le marché noir, mais il s'agira d'un coup monté par les gardes-champêtres du cru.

12. Vous allez nous faire une intoxication alimentaire.

 

Si vraiment vous devez partir  :

Nos conseils peuvent sauver vos vacances


1. Evitez les pays chauds.

2. Evitez les pays froids.

3. Evitez les pays tièdes.

4. Evitez les pays du Nord (trop chers).

5. Evitez les pays du Sud (trop pauvres).

6. Evitez les pays en voie de développement.

7. Evitez les pays nouvellement convertis à l'économie de marché.

8. Evitez les endroits perdus.

9. Evitez les pays touristiques.

10. Evitez les pays étrangers.

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