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MISCELLANÉES STRIPOLOGIQUES DE L'ANNÉE 2024

Mythopoeia - Æsthetica - Critica


OUVRAGES SUR LA BANDE DESSINÉE


BANANAS REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 16, février 2024
22 Bd du Général Leclerd B5, 95100 ARGENTEUIL
12 euros
abonnement 20 euros pour deux numéros


Le clou de cet épais numéro est le long essai biographique d'un vieil ami de la dessinatrice Janine Lay, qui raconte la vie de labeur de cette dernière, avec pudeur et discrétion. Faisant partie des invisibles de la bande dessinée (même le sexe de celle qui signe J. Lay est inconnu des lectrices), elle n'en est pas moins l'exemple type d'un auteur femme ayant beaucoup produit. Employée dans les publications de la Bonne Presse (Bernadette) et Fleurus (Âmes Vaillantes, Fripounet et Marisette), elle crée en 1957 avec la scénariste Henriette Robitaillie dans Bernadette la série Priscille et Olivier, qui deviendra Les Jumelles. Bernadette devient Nade en 1964. À la suite d'un rapprochement économique, la série est publiée conjointement dans Nade et dans Lisette des Éditions de Montsouris. En 1973, J. Lay tombe dans le licenciement collectif de l'équipe de Nade-Lisette par Bayard Presse, qui laisse évidemment un goût amer. Reste cependant le travail pour Fleurus et J. Lay continue un temps Les Jumelles dans l'éphémère Lisette Caroline à la SFPI. Mais Janine Lay considère que la bande dessinée est une impasse et elle cherche à 46 ans une nouvelle activité. Elle prend un emploi d'hôtesse d'accueil puis un autre de secrétaire jusqu'à la retraite.
Toujours du côté de la bande dessinée catholique, reprise de la thèse de Stéphane Pasquier-Miyazaki sur le Cœurs Vaillants d'avant-guerre, qui est bien situé dans le mouvement de l'Action catholique de l'enfance.
Bon article d'Olivier Jarrige sur la peur du pouvoir dans la série Donjon, qui montre bien la relation ambiguë au pouvoir d'une génération d'auteurs.
Deux articles de la revue Fumetto sur la maîtresse en Argentine de Hugo Pratt, elle-même dessinatrice.
Transcription d'une table ronde au SOBD 2022 sur le roman-photo, animée par Marius Jouanny, où interviennent le spécialiste Jan Baetens et les praticiens Benoît Vidal et Bruno Léandri.
Article de Jean-Jacques Lalanne sur la revue Zinc, fleuron de l'underground français.
Article de Manuel Hirtz et Harry Morgan sur le dessinateur italien Giorgio Rebuffi montrant comment, de dessinateur pour l'enfance, il passe dans les années 1960 à un public généraliste, tout en creusant une veine satirique qu'il exploite depuis le début de sa carrière).
Chronique dessinée de BSK. Recensions scrupuleuses d'ouvrages sur la bande dessinée par le maître des lieux, Évariste Blanchet.

ÉCOUTER LA BANDE DESSINÉE
Benoît Glaude
Les Impressions nouvelles, 2024

Première partie passionnante sur la théorie de la sonorité dans la bande dessinée, faisant suite à la thèse du même auteur sur les dialogues dans la bande dessinée (La Bande dialoguée : une histoire des dialogues de bande dessinée (1830-1960), Presses universitaires François-Rabelais, collecton Iconotextes, 2019)
Dans une deuxième partie l’étude est étendue aux adaptations de bandes dessinées sur des supports et des médias audio (disque, radiodiffusion, jusqu’aux modernes podcasts) d’où des monographies avec un travail sur archives qui les rend exhaustives.

ÉRIC LOSFELD ET LE TERRAIN VAGUE : ÉDITER DES BANDES DESSINÉES POUR ADULTES
Benoît Preteseille
Les Impressions Nouvelles, 2024

Issu d'une thèse, l'ouvrage souffre de la concurrence d'un précédent ouvrage consacré au même sujet, Sexties : les filles du Terrain vague, de Benoît Bonte, PLG, 2020. Cet ouvrage-ci se lit comme une agréable promenade à l'intérieur d'une collection et vaut par les témoignages versés des survivants, que le lecteur prendra naturellement avec la prudence de l'historien.
Ceci étant dit, on comprend assez mal la position de Preteseille, qui voit la collection de Losfeld comme une première manifestation de la bande dessinée indépendante mais qui semble effarouché par la production de bande dessinée (ou imagière plus généralement) d'un éditeur dont le fil conducteur est l'érotisme. L’expression bande dessinée adulte (ou bande dessinée destinée à un public adulte) prend donc deux sens tout à fait différents dans l’ouvrage (et deux valences éthiques opposées), selon qu’on considère que cette bande dessinée est partie intégrante de l'avant-garde (qui serait plus exactement ici la queue de comète du surréalisme) ou qu’elle relève de l'exploitation de la femme.

Plus gênant est que l'examen en termes de collection est une mauvaise approche pour ce que cherche l'auteur (la BD comme forme d'art, éventuellement d'art d'avant-garde, l'émergence d'une BD adulte, l’émergence d’une BD d’auteur). « Ces expérimentations radicales auraient été totalement impossibles sans le fait de pouvoir directement publier en livre, et non en revue » écrit l’auteur p. 76 (à propos de Saga de Xam de Nicolas Devil). Soit. Mais Losfeld n'est ni Zwemmer (le libraire puis éditeur d'art de Charing Cross Road qui introduisit l’avant-garde au Royaume-Uni) ni Albert Skira (l'éditeur d'art suisse). Et examen fait, le postulat de départ de notre chercheur – un éditeur a une vision, une collection a une cohérence, d’où l’intérêt de chercher une étape de l’évolution de la création en bande dessinée dans la collection de Losfeld – ce postulat, disons-nous, pourrait être à peu près inversé. Ce que montre l’ouvrage, c’est qu’une collection comme celle de Losfeld est éminemment le résultat de facteurs imprévisibles, pour ne pas dire du hasard. Les livres se font ou pas. Ils sont sur le plan graphique et sur le plan narratif réussis ou pas. Les choix techniques (format, grammage, couleur, etc.) se révèlent a posteriori adéquats à l’ouvrage ou pas.

GARÇONNES LES AUTRICES OUBLIÉES DES ANNÉES FOLLES
Trina Robbins
Bliss édition, 2024

Traduction de l'anthologie titrée The Flapper Queens : Women Cartoonists of the Jazz Age, Fantagraphics, 2020. La BD du Jazz Age (des « années folles ») mettant en scène les flappers (les « garçonnes », aux cheveux courts, aux hanches étroites), est elle-même réalisée par des dessinatrices (qui sont donc les flapper queens du titre original). Cette bande dessinée n'est pas exactement « oubliée », ni ses autrices. Mais elle ne paraissait pas dans le supplément de bandes dessinées de l'édition dominicale du quotidien. Elle paraissait dans le magazine dominical offert avec cette édition. Le plus connu était l'American Weekly de William Randolph Hearst. Ce dernier support n'avait pas forcément bonne réputation, sensationnalisme et nudité en composant le menu. Mais les illustrations étaient tout simplement extraordinaires. À cet égard, cette anthologie pourrait s'intituler Nell Brinkley et son école, Nell Brinkley étant connue elle-même comme « the queen of comics ». Ses deux disciples les plus talentueuses sont Ethel Hays et Virginia Huget et elles sont à elles trois les flapper queens du titre (même si l'ouvrage présente d'autres dessinatrices). Ce qu'il y a de plus proche d'elles dans la bande dessinée « normale » sont les bandes de John Held Jr., qui se passent dans l'univers de F. Scott Fitzgerald.
Comme on le voit, l'anthologie est au croisement des intérêts de Trina Robbins : féminisme, mode, histoire de la bande dessinée faite par des femmes.
À noter que la traduction française respecte les maquettes des pages originales (qui sont souvent des mosaïques d'images, avec des pavés de textes soit typographiés soit lettrés à la main, plutôt que des BD conventionnelles avec cases et bulles), de sorte qu'on se place dans un univers fantastique où l'American Weekly aurait paru en français et où il existerait un personnage nommé Fossette (au singulier), version française de Delphine, dite Dimples (au pluriel).
Compte tenu de tous ces efforts, il est incompréhensible que la traduction française ne soit pas mieux soignée. Les vers de mirlitons qui accompagnent les dessins sont traduits mot à mot, sans vers et sans rimes, ce qui ôte tout le charme. Un « syndicat de presse » (press syndicate) s'appelle en français une agence de presse. The Fortunes of Flossie ne signifie pas Les Fortunes de Flossie mais Le Destin de Flossie (ou Les Malheurs de Flossie). « Évitez de déranger » est une traduction surréaliste de « Avoid offending » (dans une réclame de savon pour le linge qui suggère qu'il faut, à cause des odeurs de transpiration, laver sa petite culotte tous les jours). « Brinkley a pleuré à chaude larmes sur le chemin de la banque » n'a aucun sens en français. (« cried all the way to the bank » est une expression idiomatique qui signifie qu'on fait sa pelote et qu'on se bat l'œil des critiques.)

JEAN GIRAUD ALIAS MOEBIUS
Christophe Quillien
Seuil, 2024

Première biographie de Jean Giraud. C’est sans doute le compte rendu de l’existence du dessinateur presque mois par mois, ainsi que l’examen de l’œuvre par le menu, parution après parution, qui fera l’intérêt de l’ouvrage pour qui s’intéresse à Giraud/Moebius. Mais des raisons diplomatiques font que trop de choses restent sous le boisseau, pour la plus grande frustration du lecteur, qui est bien mal récompensé d'avoir eu la patience de lire près de 600 pages.

TINTIN ET LES IDÉES REÇUES : 22 CONTRE-VÉRITÉS SUR HERGÉ ET SON ŒUVRE
Patrice Guérin
Les Impressions Nouvelles, 2024

L’ouvrage relève un peu de la culture internétique et médiatique, puisqu’il s’agit de « débunker » des idées fausses sur Hergé. Sa lecture provoque rapidement sur les lèvres du lecteur hergéen un sourire qui ne s’estompe plus. Toutes les idées reçues, de l’erreur du public vulgaire (« pour les jeunes de 7 à 77 ans » n’a jamais concerné les aventures de Tintin, mais l’hebdomadaire qui porte son nom) jusqu’au quiproquo bien ancré chez les spécialistes (Greg n’est pas l’auteur d’un scénario intitulé Tintin et le Thermozéro ; il a corrigé un scénario déjà existant), en passant par l’idée toute faite (Quick et Flupke ne sont pas des gamins des Marolles). Et notre intrépide vérificateur ne recule pas devant l’enquête biographique (complexité des relations du couple Remi avec des ressortissants chinois pendant la préparation du Lotus Bleu), ni devant la recherche toujours délicate des sources (renseignement pris, un musée et un parc animalier possèdent chacun la « momie de Rascar Capac », alors que Hergé s’est inspiré... du Larousse tout simplement).
L’ouvrage donne une piètre idée de la sphère médiatique. Le dernier opus d’un bâcleur incompétent et que la logique n’encombre pas rencontre plus d’échos médiatiques que le livre d’un chercheur compétent scrupuleux et désintéressé qui, lui, publie un livre tous les vingt ans.

LE CORPS EN FÊTE DANS LA BANDE DESSINÉE
Frédéric Chauvaud, Denis Mellier (dir.)
Presses universitaires de Rennes, 2024

Contributions d’inégale valeur (c’est la règle du jeu) sur le corps festif, par des historiens et des spécialistes des lettres. Le résultat étant qu’on donne de petites monographies, certaines fort bien faites (par exemple sur le festin romain et l’orgie dans la BD, contribution de Julie Gallego), mais qu’on parle bien peu de ce qui serait propre au médium bande dessinée. Jean-Philippe Martin essaie de sauver les meubles dans une brève conclusion, en montrant que l’ouvrage fait malgré tout sens.
Mentionnons notre perplexité devant la contribution de Bernard Andrieu sur la bande dessinée SM, résumé de son ouvrage BD-SM Comment s'agenrer, 2019, à la limite de l'incompréhensible et dont la thèse (la BD-SM tendrait vers la disparition des genres) repose sur une pétition de principe. Des références bibliographiques au corpus des bandes dessinées SM souvent totalement fantaisistes ne font qu’ajouter au malaise du lecteur.

HERGÉ LE CARNET OUBLIÉ
Jacques Langlois
Georg, 2024

Philippe Goddin avait offert le dernier agenda de Georges Remi à Jacques Langlois, vice-président de l'association Les Amis de Hergé, car son nom et ses coordonnées y figuraient.
Jacques Langlois passe en revue le contenu du fameux agenda. Ce qui aurait pu être un mince prétexte à un énième ouvrage d’érudition hergéenne s'avère passionnant, l'auteur enquêtant tous azimut et faisant un considérable travail de synthèse. Hergé et les confrères, Hergé et les journalistes, Hergé et les hergéens, les studios Hergé, la vie de famille, la vie intime, la rivalité avec Henri Vernes (qui lui aussi provoque des ruées aux séances de signature), l’amitié avec Gabriel Matzneff, les célébrités, les grands de ce monde, etc.
L'exercice permet de compléter et parfois de corriger tout ce qui a été écrit sur la vie et sur la carrière de Hergé. L'ensemble donne une biographie de Georges Remi, de la création de Tintin à sa mort. Agréable à lire car bien écrit, bien composé et d'une rare rigueur intellectuelle.

PILOTE LA NAISSANCE D'UN JOURNAL
Christian Kastelnik, Patrick Gaumer, Clément Lemoine, Michel Lebailly
La Déviation, 2024

Résultat d'une longue et patiente enquête, une histoire de la genèse de Pilote « le grand magazine illustré des jeunes ». L'histoire de l'invention de Pilote est particulièrement complexe car la revue est la synthèse de plusieurs projets, une résurrection du Benjamin de Jean Nohain, un Paris Match pour les jeunes, un Eagle français, une revue de la radio périphérique RTL, un Spirou pour les plus grands. Toutes les maquettes de Pilote et des divers « proto-Pilote » ont été retrouvées et sont reproduites dans leur intégralité. La célèbre photographie de l'équipe du journal en première page du numéro 0 est passée au scanner. Pléthore de photographies et de documents rares et inédits, soigneusements commentés. Les auteurs racontent l'histoire du journal jusqu'à son rocambolesque rachat par Georges Dargaud, qui aura l'idée absolument géniale d'en faire un support de la presse yéyé, et manquera de le couler avant d'en confier heureusement le gouvernail à Goscinny et Charlier.