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The Adamantine

MISCELLANÉES STRIPOLOGIQUES DE L'ANNÉE 2023

Mythopoeia - Æsthetica - Critica


OUVRAGES SUR LA BANDE DESSINÉE


BANANAS REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 15, février 2023
22 Bd du Général Leclerd B5, 95100 ARGENTEUIL
12 euros
abonnement 20 euros pour deux numéros


Essai sur Cosey par Olivier Jarrige, fin et nostalgique. Un vieux lecteur peut être capable d'une vraie analyse
Entretien par Évariste Blanchet avec le dessinateur Jean-Pierre Dufour, très typique des auteurs de BD qui fonctionnent comme des auteurs littéraires, c'est-à-dire qui créent d'abord et qui cherchent un éditeur après (d'où la présence de manuscrits, autrement dit d'albums achevés, ou à peu près, dans un tiroir).
Table ronde, à l'occasion du 11e Salon des ouvrages sur la bande dessinée, consacrée à la presse quotidienne, grande oubliée de l'histoire de la bande dessinée (ce qui est paradoxal puisque les classiques de la bande dessinée appartiennent originellement au newspaper strip).
Panorama des Robins des bois et assimilés en version française, par Jean-Pierre Lalanne, d'une belle érudition.
Analyse formelle de Gilles Pellissier sur le manga du génial Kazuo Kamimura, Lady Snow Blood.
Article sur Egidio Gherliza et Antonio Terenghi, maîtres du comique italien en petit format, par Manuel Hirtz et Harry Morgan.
« L'irruption sauvage du dehors dedans », par Renaud Chavanne, réflexion supplémentaire à son ouvrage Dessiner et composer, PLG, 2020, examine le motif de la fenêtre dans plusieurs bandes dessinées contemporaines.
Évariste Blanchet fait le feuilleton du procès, digne de Charles Dickens, intenté par Jean Chakir au éditions Bayard, qui lui ont perdu les planches d'une histoire complète.
S'ajoutent les comptes rendus de lectures d'ouvrages secondaires importants parus pendant l'année Dessiner des petits Mickeys de Jessica Kohn, Dragon Ball de Bounthavy Suvilay, Last Girl Standing de Trina Robbins, les mémoires de Jean-Pierre Dionnet et le Pif Gadget et le communisme de Maël Ranou.
Chronique en BD de Benoît Barale, caustique et drolatique, sur la reprise des personnages de BD par d'autres dessinateurs.

HISTOIRE DE LA BANDE DESSSINÉE ESPAGNOLE
Antonio Altaribba, Manuel Barrero, Antoni Guiral, Noelia Ibarra, Álvaro Pons,
PLG, Collection Mémoire Vive / ACT ediciones, 2023


Écrit par les meilleurs spécialistes de la péninsule, qui se sont répartis les périodes historiques, et qui ont soin de présenter le contexte historique et social à destination d'un lecteur français, l'ouvrage donne un panorama complet de la bande dessinée ibérique, qui est loin de se cantonner à TBO ou, après la mort de Franco, à la révolution El Vibora. Particulièrement informatif est le chapitre de Manuel Barrero sur les origines de la bande dessinée espagnole (jusqu'aux années trente). La période franquiste est traitée avec discernement par Antonio Altaribba, qui montre comment on passe d'une bande dessinée à vocation d'édification, sinon de propagande, à une littérature de distraction. La fin de l'ouvrage, sur la bande dessinée contemporaine, est plus convenue, brossant un tableau qui s'efforce d'être exhaustif, au risque de l'énumération, et passant par les thématiques obligées, telles que la diversité des formats ou l'émergence des autrices.
Deux idées-forces, ou pour mieux dire deux dialectiques, traversent l'ouvrage. Premièrement celle de la créativité opposée à la convention (la revue TBO elle-même est précisément un modèle de conventionnalisme ; mais même pendant la dictature, la tébéosphère peut constituer un espace de résistance modeste). En second lieu, celle de l'ouverture opposée à l'autarcie. La dictature franquiste est autarcique sur le plan culturel et sur le plan économique, ce qui ne contribue pas peu à la misère générale, mais cela génère d'une part une échappée vers l'extérieur, par l'émigration, de sorte que la bande dessinée espagnole s'internationalise, et d'autre part une ouverture vers l'extérieur, par résistance intellectuelle, qui explique que l'Espagne post-franquiste s'intègre tout naturellement à la bande dessinée mondiale (comic book, manga, roman graphique).

SCOUTISME ET BD FRANCO-BELGE
DE L'EXALTATION À LA CARICATURE

Philippe Delisle, Laurent Déom (éd.)
Karthala, 2023° 15


Mouvements catholiques de jeunes et bande dessinée connaissent un développement conjoint, de sorte qu'on peut associer, comme l’écrit Luc Courtois p. 95, « scoutisme et Patro comme “matrices” culturelles d’un penchant pour la BD ». 
Une lecture « scoute » de Tintin au Congo par Philippe Delisle montre avec à propos que l'œuvre, perpétuellement associée au colonialisme, relève autant du scoutisme. 
Benoît Glaude examine à travers Cœurs vaillants et les Amis de Spirou l'apprentissage de la BD via les mouvement de jeunesse, puis l'intégration du scoutisme comme genre dans la BD. 
Laurent Déom se penche sur la prototypique Patrouille des castors. Luc Courtois situe le scoutisme de la BD franco-belge dans son contexte littéraire, à la fois dans la bande dessinée (depuis Roy Powers de Frank Godwin, qui est la BD officielle des Boy Scouts of America) et dans la littérature populaire, où l'le récit mettant en scène des scouts devient un sous-genre du récit d'aventures (à travers notamment Jean de la Hire). 
C'est à Pascal Robert qu'il revient d'aborder le passage à la dérision à travers Hamster Jovial.
Philippe Martin brosse un panorama du scoutisme dans la BD contemporaine.
Les auteurs connaissant à fond leur corpus et maîtrisant parfaitement les déterminants culturels, comme il convient à des historiens de métier, nous donnent dans cet ouvrage modeste et sans prétention, un tour complet de la question. 

DU PRIVÉ AU PUBLIC : LA COLLECTION VAN PASSEN VERSÉE À L'UNIVERSITÉ DE GAND
Philippe Capart

La Crypte tonique n° 16, 2023

La revue de la librairie La Crypte tonique, représentant l'émanation exotérique d'une société secrète réunie sous l'enseigne de l'éléphant Bimbo, présente dans son numéro 16 la carrière du collectionneur et pionnier belge de la bédéphilie Alain Van Passen, dont les gigantesques archives viennent d'être versées à l'université de Gand. Trois modes textuels, ou trois « voix », se mélangent dans l'ouvrage. La première, anonyme, qui parle de Van Passen à la troisième personne, donne son point de vue lorsqu'il est acteur du récit, s'appuie sur ses souvenirs, en les contextualisant quand il est à la marge des événements, et exploite ses archives (au milieu d'autres) quand il n'est pas au centre du récit. Le second mode textuel consiste intégralement en un tissu de citations, livrées sans commentaires, des principaux protagonistes, ce qui multiplie les éclairages sur ce qui nous est narré (qui n'est cependant pas la totalité de l'histoire). La troisième « voix », éditoriale, est responsable d'une surabondance de notes infrapaginales qui associe l'hyper-érudition à la subjectivité et fréquemment à l'humour, qui constitue un indispensable who's who, sans lequel le texte serait incompréhensible, et qui puise de surcroît à des sources archivistiques (souvent des correspondances) inédites. 
Le texte restitue donc l'émergence du fandom, depuis le premier article de Pierre Strinati dans Fiction n°92, en juillet 1961, la naissance du Club des bandes dessinées et sa « fission », la porosité entre le fandom et les professionnels du milieu, l'émergence des salons de la bande dessinée et de l'activité muséale, etc. Il permet de comprendre la structuration du champ de la bande dessinée, le point essentiel étant que, produit de presse, le support du journal pour enfants est éphémère et que, dès les années d'enfance, il faut déployer des prodiges d'ingéniosité pour constituer des suites complètes des fascicules, ce qui explique que des personnes qui ont constitué avec immensément de difficulté des collections puissent dire sans coquetterie qu'ils ne sont pas collectionneurs. Du côté du fandom, le Club des bandes dessinées (et donc la bédéphilie) naît autour d'un projet de réédition (des bandes dessinées des années 1930 en l'occurrence), sur le modèle de n'importe quel autre club du livre du temps (du type Club du livre policier).
L'iconographie, très abondante, reproduit des archives rares, que l'érudit complètera en ligne en rejoignant le club Bimbo.
L'ouvrage est un plaisir pour l'érudit et un précieux outil pour l'historien.

DANS L'OMBRE DU PROFESSEUR NIMBUS
Antoine Sausverd
PLG Collection Mémoire Vive, 2023

Antoine Sausverd, éminent animateur du site Töpfferiana, consacré à la bande dessiné ancienne, dite du Platinum Age, nous livre un ouvrage extrêmement fouillé sur André Daix et sa création de 1934, le Professeur Nimbus, devenu proverbial, comme synonyme du savant distrait. Ce faisant, l'auteur nous plonge dans l'histoire du newspaper strip français, domaine relativement négligé par la recherche, mais dont l'importance est cruciale, puisque ce newspaper strip français a donné à notre bande dessinée pour ainsi dire sa physionomie (centralité du personnage titulaire, tonalité humoristique), son code (cases, strip, bulles lorsque la bande est « parlante »), et même son nom ( dans le jargon des agences de presse, « bande » dans « bande dessinée » fait référence au strip, donc à une forme éditoriale, mais aussi à un format, un espace occupé dans la maquette d'une page de journal.
De fait, les considérations éditoriales apparaissent ici décisives, étant entendu qu'il ne suffit pas d'avoir une (bonne) idée (telle que publier des bandes dessinées) pour que cette idée fleurisse. Encore faut-il : 1. qu'elle soit adoptée par des patrons de presse et 2. qu'elle rencontre le succès commercial. Cette bonne évidence a pour conséquence que l'histoire du médium présente des bizarreries, ce qui contrarie toute description évolutionniste, quand bien même l'on s'abstiendrait d'associer l'idée d'évolution à l'idée d'un progrès en art. Par rapport à la ligne idéale que trace le théoricien, d'après les considérations esthétiques ou sémiotiques, on est toujours « en retard » ou « à côté », parce que les contingences techniques, économiques, idéologiques priment ; plus rarement, on a la bonne surprise de constater qu'« on » est « en avance » par rapport à l'évolution supposée du médium.
Le lecteur de l'ouvrage d'Antoine Sausverd découvre ainsi (p. 13-16) que Paul Winkler tente, mais en vain, de proposer à la presse française l'équivalent d'une page de strips quotidiens, voire de l'équivalent d'un supplément dominical de bandes dessinées, le sunday supplement américain. (In fine, c'est parce que cette tentative échoue qu'il propose un packaging de sunday pages et de strips quotidiens sous la forme d'un journal pour enfants, avec Le Journal de Mickey (1934), créant de facto « l'âge d'or » de la bande dessinée, au prix d'un quiproquo qui ne sera jamais complètement résolu, en donnant à croire que le newspaper strip s'adresserait prioritairement – voire exclusivement – à la jeunesse.) On ne peut que rêver à ce qu'eût été l'histoire de la bande dessinée français si Le Journal, support où paraît Nimbus, avait accepté l'idée de Paul Winkler de publier en 1934 une pleine page de bandes dessinées comprenant le strip de science-fiction Brick Bradford, le strip policier Radio Patrol, le girl strip humoristique Tillie the Toiler, Le professeur Nimbus et... Krazy Kat.
De même, en tant que strip muet, Nimbus entretient des liens étroits avec des productions étrangères comme le pionner Adamson d'Oskar Jakobson, ou le Vater und Sohn de e. o. plauen (créé la même année que Nimbus).
Il faut tenir compte aussi de la culture médiatique et l'ouvrage d'Antoine Sauverd montre bien que c'est l'ubiquité du support qui rend Nimbus populaire (à l'époque, tout le monde lit le journal), et non on ne sait quel triomphe artistique de l'auteur, décliné de la période des vaches maigres jusqu'à la gloire. (Dans la paléo-stripologie ce type de rhétorique avait pu occasionnellement servir de façon opportuniste à une défense et illustration de la bande dessinée.) Les strips muets d'André Daix sont fréquemment fort drôles mais, quoique Antoine Sausverd s'abstienne là-dessus de tout commentaire, Daix n'est pas un virtuose du dessin, ni même un dessinateur ayant un style particulièrement marqué, et il présente par conséquent sur le plan graphique un produit relativement passe-partout. Ce sera un avantage, car cela permettra de continuer Nimbus, après que Daix sera empêché.

En effet – et c'est l'autre versant, le versant obscur – de cette histoire, Daix fait partie (aux côtés du Russe blanc Vica et du dessinateur Auguste Liquois, collaborateur du Téméraire et du Mérinos) des indignes de la bande dessinée, c'est-à-dire de ceux qui, pendant l'Occupation, n'ont pas seulement participé à des publications collaborationnistes ou nazifiées, mais qui se sont engagés au service de l'Europe nouvelle, et ont publié en pleine conscience de la propagande. Après la guerre, André Daix, condamné par contumace, fuit en Espagne (il fera, plus tard, une escapade en Amérique latine). L'érudit lusophone Leonardo de Sá, connaissant les noms d'emprunt de Daix, s'est livré à un passionnant travail de détective et reconstitue en détail l'œuvre étrangère du dessinateur, publiée sous pseudonyme dans la presse de la péninsule. Quant à Nimbus, toujours propriété d'Opera Mundi, il sera repris après guerre par une série de dessinateurs signant tous J. Darthel  – Rob-Vel, créateur de Spirou, est de leur nombre.
Ironiquement, Nimbus devint en bout de course, dans les années 1990, du fait de l'engagement à la droite de la droite de son dernier dessinateur, Le Goff, et avec l'appui de figures aujourd'hui bien oubliés, tel Jean-Claude Faur (fanzine Bédésup), une icône de l'extrême droite, au prix d'un nouveau quiproquo. Les militants qui revendiquent pour leur obédience une figure canonique sont dans une démarche de dé-marginalisation (mainstreaming). En l'occurence, des militants nationalistes ont tout intérêt à dire qu'une figure aussi consensuelle que le proverbial professeur Nimbus est des leurs. Seulement, à l'époque considérée, les années 1990, Nimbus est bien oublié. La logique des cultures médiatiques est en effet que, lorsque la publication s'arrête, ou devient marginale, l'extrême notoriété fait place au mieux à un souvenir flou. Conclusion : si l'on tenait absolument, en 1994, à passer pour ringard, il n'y avait décidément pas mieux comme référence culturelle ou comme figure tutélaire que Nimbus. En second lieu, la trajectoire personnelle d'André Daix est évidemment connue des militants, et Nimbus est donc en toute contradiction présenté, avec des clins d'œil appuyés, comme un signe de ralliement de l'extrême droite (du fait des engagements de Daix pendant l'Occupation). Ce douteux mélange de dissimulation pateline et de connivence appuyée, caractéristique des cultures militantes, semble un point aveugle à l'intérieur même de la culture médiatique, le clin d'œil appuyé devenant pour les médias, toujours sourcilleux sur la morale, un élément à charge (un « dérapage » dans le jargon médiatique), élément qui est aussitôt remis en question, du fait même du mainstreaming, avec cette conséquence que l'accusation se retourne contre l'accusateur (« on nous diffame, on nous persécute »), ce petit jeu se poursuivant aussi longtemps qu'il plaît aux participants.
Curieux destin en somme que celui de Nimbus, figure dessinée qui semble à tous égards valoir mieux que son créateur, André Daix. Et plus curieuse figure encore, constamment en arrière-plan, comme créateur de l'agence Opera Mundi en 1928, celle de Paul Winkler, réfugié aux États-Unis pendant la guerre, en tant que juif hongrois, mais reprenant ses activités en 1945, et qu'il ne serait peut-être pas injuste de considérer comme le père de la bande dessinée française.

UNE HISTOIRE DE LA BD AU CHILI : À TRAVERS LES REVUES DE 1858 À NOS JOURS
Moisés Hassón
PLG, Collection Mémoire Vive, 20203

Histoire très détaillée de la bande dessinée et de la caricature chiliennes. Le corpus est réduit, le Chili étant un pays pauvre. Du coup, tout est traité, y compris la production étrangère parue au Chili. L'inconvénient est que le lecteur s'y perd un peu.

Cette relative paucité de la matière dissuade aussi l'auteur de tenter une synthèse. Le lecteur a ainsi l'impression que la science-fiction est l'un des courants dominants de la production locale, mais ce point n'est jamais éclairci.

Le mérite de l'ouvrage est de situer l'histoire dessinée dans l'histoire agitée du Chili. Ainsi, la dictature dans un premier temps, met essentiellement fin à la production locale dans ce que l'auteur nomme un « black-out culturel ».

Pour le lecteur soucieux de prolonger l'investigation, la tarzane chilienne aux cheveux noirs Mawa (qui règne sur la jungle du Matto Grosso) est parue dans le petit format Tipi chez Mon Journal (éditions Aventures et Voyages) du n° 41 au 46 (1977), qu'il est aisé de se procurer sur les vide-greniers ou sur la Toile.