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MISCELLANÉES STRIPOLOGIQUES DE L'ANNÉE 2019

Mythopoeia - Æsthetica - Critica


OUVRAGES SUR LA BANDE DESSINÉE

PUBLIER LA BANDE DESSINÉE
LES ÉDITEURS FRANCO-BELGES ET L'ALBUM, 1950-1990

Sylvain Lesage
Presses de l'Enssib, Collection Papiers, 2018

Très complète histoire de l’album franco-belge sur la période de l’après-guerre, l’auteur se reposant sur sa thèse de doctorat, mais ayant l’intelligence de fabriquer un ouvrage autonome, de sorte que le lecteur éclairé aura intérêt à consulter et la thèse et le livre.
L’auteur appartient à la confrérie des historiens du livres qui se penchent sur les publications populaires et qui travaillent à partir des archives des éditeurs. Dans une telle optique de recherche, l’album est un objet d’étude commode, car le corpus est facilement délimitable à l’aide des catalogues d’éditeur, et facilement accessible, les albums ayant vocation à être conservés, alors que le périodique apparaît, en comparaison, un matériau amorphe (quantité, problème de datation et de repérage du contenu, caractère de mélange de ce contenu). En sens inverse, le choix de l’album est problématique, puisque cette forme éditoriale est, au départ de la période considérée, en réalité marginale, et l’auteur se tire d’embarras en adoptant une perspective évolutionniste et en montrant comment l’album devient la forme prédominante et même la forme standard de publication de la bande dessinée.
Une telle perspective n’a rien de critiquable en tant que telle, mais elle amène parfois l’auteur à des anachronismes. Pour ne donner qu'un exemple, l’auteur s’étonne ainsi que Hachette ne sorte plus d’album après les Mickey d’avant-guerre et jusqu’au début des années 1970. Mais pour l’éditeur, la forme normale de publication de la bande dessinée est la publication presse (Le Journal de Mickey), qui bat des records de tirage. Au surplus, la tentative au début des années 1960 de concurrencer les albums de Hergé, via les quatre albums cartonnés de Nic et Mino parus à l’enseigne des Éditions Hardi (mais avec un copyright Édi-monde) se solda par un semi-échec.
On pourrait aussi exprimer des réserves sur la question du statut culturel de l’album tel que traité par l’auteur, et faire la comparaison avec les positions moins naïves d’une Nathalie Heinich.
On regrettera pour finir un parti pris que rien ne justifie en faveur des publications communistes, au détriment des publications catholiques ou des publications « commerciales ». Ceci précisé, on ne peut reprocher à un auteur de manifester les biais de sa classe sociale ou de son institution. M. Lesage a l’avantage de faire son miel de toute fleur et, quoique citant dûment les travaux de ses prédécesseurs, il échappe à certains aveuglements typiques de la prose académique.

JIJÉ L'AUTRE PÈRE DE LA BD FRANCO-BELGE
Philippe Delisle et Benoît Glaude
PLG, Collection Mémoire vive, 2019

Panorama de l’œuvre de Joseph Gillain marqué par une grande rigueur d’analyse et une austérité assumée, et qui fait le choix de mettre en avant la partie la moins connue de l’œuvre. L’ouvrage parvient à conjoindre de façon harmonieuse une approche contextuelle, centrée sur le facteur religieux, et qui inscrit l’œuvre dans l’histoire de la presse et de l’édition belges, et une approche formelle, qui se place du point de vue de la production, et qui examine en particulier les modalités de l'adaptation littéraire et de la collaboration avec un scénariste.
L’ouvrage justifie son titre en montrant l’influence discrète mais décisive de Jijé sur la bande dessinée de son temps et de son espace culturel. Quant au motif fondamental qui traverse l’œuvre, c’est celui de la fraternité, et les auteurs montrent comment il est traduit au fur et à mesure par le dessinateur, en fonction du contexte idéologique, depuis une bande dessinée imprégnée de valeurs chrétiennes, jusqu’à un message antiraciste explicite.
On pourrait argumenter que, dans l'étude de Valhardi, la fin des années 1950 eût mérité un plus abondant développement. L’influence sur Jijé de Milton Caniff (qui est signalée par les auteurs) y est à son acmé, et l’étude formelle de cette période aurait permis de ré-interroger la catégorie même de la bande dessinée franco-belge.

BANANAS, REVUE CRITIQUE DE BANDE DESSINÉE
N° 11, février 2019
22 Bd du Général Leclerc B5, 95100 Argenteuil
12 euros
abonnement 20 euros pour deux numéros

« Pour une contre-histoire de la bande dessinée » de Dominique Petitfaux reprend le titre de Francis Lacassin Pour une contre-histoire du cinéma en montrant que l’histoire du neuvième art dans sa version courante oublie tout simplement les bandes dessinées qui ont été les plus lues (car parues dans la grande presse, dans les hebdomadaires pour enfants ou dans les illustrés populaires), du fait d’une focalisation de la critique savante sur les hebdomadaires belges, Tintin et Spirou, et sur une forme éditoriale qui est l’album.
Long entretien avec Jeanne Puchol sur ses 35 ans de métier.
Mentionnons ensuite un trio d’études témoignant du bel éclectisme de cette revue d’études. Analyse formelle de La Femme-insecte d’Osamu Tezuka par Pierre-Gilles Pelissier. Article sur Barney Google et l’âge d’or du strip par Jean-Jacques Lalanne. Article sur Tex Willer, des strisce au petit format, par Manuel Hirtz. Donc, un manga, un daily strip américain, et une série populaire italienne.
Retranscription d’une table ronde, dirigée par Harry Morgan, sur la recherche universitaire en Suisse et au Canada, à l’occasion du Salon des ouvrages sur la bande dessinée, où interviennent le Canadien Philippe Sohet et l’Helvète Alain Boillat, puis d’une autre table ronde, menée par Antoine Sausverd, sur l’histoire de la bande dessinée suisse.
Évariste Blanchet continue d’explorer les archives de Pierre Le Goff relatives au Syndicat national des dessinateurs de presse, et livre de passionnants documents. La question qui fait l’objet de cet article est celle de l’affiliation des dessinateurs de France Soir à la Sécurité sociale, au début des années 1970, ce qui suppose le statut de salarié. Le rapport d’expert qui est reproduit vise donc à démontrer que des dessinateurs de strips pour un grand quotidien ne sont pas des auteurs au sens de la loi de 1957 sur la propriété littéraire et artistique, qu’ils n’ont pas de liberté de création, qu’ils sont dans un rapport de subordination (et donc de salariat) par rapport au titre de presse, qui leur envoie scénario et instructions détaillées. Finalement même le fait que, dans une bande dessinée, l’image soit inféodée au texte, vient appuyer la démonstration que la tâche du dessinateur se borne à exécuter, et donc qu’il est un salarié (qui a droit à ce titre à la Sécurité sociale). Il y a donc ici une collision frontale entre le droit social et les considérations esthétiques, et le débat académique sur le statut culturel de la bande dessinée et sur la difficulté de son accès à la légitimité artistique reçoit du coup un éclairage nouveau, du plus haut intérêt pour l'historien.
Ce numéro de Bananas s’achève sur une recension par Évariste Blanchet des Mythes de Cthulhu, adaptation des nouvelles de H. P. Lovecraft par Alberto Breccia.

LA BANDE DESSINÉE OU COMMENT J'AI RATÉ MA VIE
Benoît Barale

PLG, Collection Mémoire vive, 2018

Autobiographie dessinée d’un auteur et amateur de bande dessinée, signant BSK. Considéré du point de vue de l’histoire du genre, l’ouvrage témoigne éloquemment du changement de statut du créateur de bande dessinée, BSK étant remarquablement proche d’un diariste, donc d’un auteur qui par définition s’adresse à lui-même, qui aurait choisi le médium bande dessinée (« Parfois j’ai l’impression de faire des bandes dessinées uniquement dans le but de les lire »). À cet égard, l’apport du livre s’éclairera à la comparaison avec l’ouvrage d’Eddie Campbell, Alec : Comment devenir un artiste (éditions Çà et là, 2008).
Il est remarquable d’autre part que l’auteur ne fasse aucune distinction entre le type de bande dessinée qu’il pratique, son ouvrage constituant à cet égard une contribution à l’histoire du fanzinat et de la petite presse, et la bande dessinée la plus populaire, dont il est nourri, et dont il donne au fil des pages des critiques, elles aussi en bande dessinée, genre dans lequel il excelle. BSK ne distingue pas davantage ce qui relève de son parcours de créateur et ce qui relève de sa biographie, voire de son intimité.
Sens de l’humour et auto-dérision voisinent tout du long avec d’authentiques affres de la création, inséparables du doute sur soi.

SUPER-HÉROS UNE HISTOIRE FRANÇAISE
Xavier Fournier
Huginn & Muninn, 2014

Les historiens américain de la bande dessinée définissent en général le concept de super-héros à partir d’une série prototype, le Superman de Siegel et Shuster, et d’un support éditorial spécifique, le comic book. Cette littérature super-héroïque n’est pas née ex nihilo, mais entretient des rapports étroits avec les héros des pulps, et avant eux des Munsey Magazines, et avant encore des Dime Novels.
Quelques érudits français décidèrent que les super-héros avaient des origines plus lointaines, ces érudits se plaçant donc implicitement dans le sillage des exégètes des années 1960. L’hypothèse d’une gestation longue combinée à l’idée d’une littérature source aboutit spécifiquement, dans le fandom français, à la théorie d’une origine du super-héros dans la littérature feuilletonesque du XIXe siècle. Telle est précisément la thèse de Xavier Fournier.
L’auteur nous propose donc une histoire de la littérature populaire et de la bande dessinée française « à la lumière des super-héros », qui va de Vidocq à Photonik, ou de Rocambole à la Brigade Chimérique. M. Fournier a d’autant moins de mal à trouver des super-héros français qu’il lui suffit qu’un personnage ait les caractères du héros romantique pour qu’il corresponde techniquement aux critères du super-héros. À cette aune, Jean Valjean lui-même est un ancêtre lointain de Superman.
Le problème de cette thèse est que, en prouvant trop, elle ne prouve strictement rien. La ressemblance avec les généalogies proposées par les historiens américains est donc tout à fait trompeuse. Du côté américain, on peut montrer par exemple la filiation entre le Mouron rouge de la hungaro-britannique baronne Orczy (d’abord à la scène, puis en roman populaire), le Zorro de Johnston McCulley dans les Munsey Magazines, le Shadow dans les pulp magazines, et finalement Bruce Wayne dans les comic books. Il s’agit en réalité du remploi ou de la réinterprétation d’un même personnage. Le scénariste Bill Finger ne s’en est du reste jamais caché. Rien de tel du côté français. Qu’a-t-on dit exactement quand on dit que « Monte-Cristo est clairement un des aïeux lointains de Batman, mais pas le seul ». Rien, ou pas grand chose, puisque le peu d’éléments généalogiques retenus comme pertinents (bases secrètes, identités multiples, vengeance) est aussitôt réfuté (c’est un aïeul lointain ; ce n’est pas le seul). Par contre, il suffit à M. Fournier qu’un personnage de feuilleton porte un loup pour qu’il tombe automatiquement dans la catégorie des super-héros, les désignations de justicier, de vengeur, de surhommes ou de super-héros permutant à peu près librement.
La démonstration souffre aussi pour la partie roman populaire d’une érudition parfois de deuxième main. Le chapitre sur Rocambole notamment est bien discutable pour le spécialiste. Par contre, pour la partie bande dessinée, l’érudition de l’auteur est sans faille.

HÉROS ILLUSTRES ET ILLUSTRÉS POPULAIRES
LE ROCAMBOLE
N° 73
Bulletin des amis du roman populaire
Hiver 2015

À l’exception d’un article assez confus de Jean-Michel Ferragatti sur le « transfert culturel » des super-héros américains pendant l’Occupation, un bon dossier de près de 80 pages, examinant la presse enfantine depuis le XIXe siècle. On signalera l’article sérieux et informé de Daniel Compère sur le développement des publications pour la jeunesse au début du XXe siècle (où la bande dessinée apparaît en force au sommaire des revues), et l’étude de Philippe Delisle sur le catholicisme dans les hebdomadaire Spirou et Tintin des années 1940 à 1960, qui montre que le catholicisme influe le contenu éditorial de revues qui ne sont nullement des supports confessionnels, en particulier les bandes dessinées, mais que la forme bande dessinée impose en retour ses propres normes.

LES PUBLICATIONS AMÉRICAINES EN FRANCE
L’HISTOIRE DES SUPER-HÉROS
L’ÂGE D’OR (1939-1961)

Jean-Michel Ferragatti
Neofelis Editions, Collection Culture Comics, 2016

Sur plus de deux cent pages, une histoire très illustrée de la publication des super-héros américains en France de 1939 à 1961, héros par héros et fascicule par fascicule. Le lecteur curieux découvrira que les super-héros ont pénétré le marché français dès l’avant-guerre et qu’on en trouve sous toutes les formes jusqu’en 1949, et de façon plus discrète après la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. C’est donc une sorte de préhistoire du super-héros en France qui nous est donnée, à la fois parce que les personnages en question sont ceux de l’âge d’or américain et que les publications françaises sont elles aussi antérieures à celles qui ont institutionnalisé le genre en francophonie, l’ouvrage s’achevant sur la première période d’Artima, qui fait en quelque sorte la transition avec la période suivante qui verra les publications de la Sagédition (Superman et Batman) et de Lug (Fantask).
On regrettera un certaine confusion. L’iconographie reproduite est légendée à l’aventure. Le propos est obscurci par une langue bizarre et l’auteur s’égare dans les labyrinthes de sa propre érudition. Le lecteur devra donc fournir lui-même l’effort de mise en perspective, pour comprendre par exemple que si on nous parle depuis plusieurs pages de tel super-personnage, c’est parce qu’il en est paru chez nous deux fascicules. L’auteur finit même par nous parler de n’importe quel personnage de la DC sous prétexte qu’il a rencontré un jour un super-héros.

LA GRAND AVENTURE DE LA BANDE DESSINÉE, HISTOIRE, INFLUENCES, ÉVOLUTION, 1. DES ORIGINES AUX DÉBUTS DE LA CRITIQUE
Christian Staebler
PLG 2018

Une très agréable histoire personnelle de la bande dessinées des origines à 1966, adoptant – chose rare – le point de vue du dessinateur. Deux volumes suivront, qui nous conduiront jusqu’à la période contemporaine.
Si la partie sur l’origine de la bande dessinée, débutant à Töpffer, bénéficie des acquis de la recherche des dernières décennies, plus faible est la partie sur le strip américain des années 1920 et 1930, où l’auteur se place dans la tradition des « exégètes français » des années 1960 et 1970. Ainsi, l’auteur « oublie » Roy Crane, préférant parler de la Connie de Frank Godwin. Mais pour le reste, dans les deux aires culturelles, européenne comme américaine, l’auteur est comme à la maison, même s’il cède parfois à des simplifications excessives. À signaler, le fait que l’auteur n’oublie ni les bandes dessinées parues dans la grande presse, ni le domaine des petits formats.
L’ouvrage prend sa pleine dimension par ses deux paratextes. D’une part, chaque chapitre est précédé par une bande dessinée à suivre qui met en scène un enfant émerveillé qui se promène dans l’histoire de la bande dessinée. D’autre part, l’iconographie de l’ouvrage consiste, non en reproduction des œuvres citées, mais en pastiches souvent très enlevés.

KRAZY : GEORGE HERRIMAN : A LIFE IN BLACK AND WHITE
Michael Tisserrand

Harper Collins, 2018
Traduction française
KRAZY KAT : GEORGE HERRIMAN : UNE VIE EN NOIR ET BLANC
Les Rêveurs, 2018

Tentative de biographie de George Herriman, sous la forme d’un bottin de plus de 500 pages. La difficulté est que l’on dispose de peu de matériel biographique sur le grand cartoonist, ce qui conduit l’auteur, qui fait flèche de tout bois, à décrire les architectures des immeubles qui ont accueilli Herriman, ou à raconter par le menu les événements sportifs ou mondains qu’il a illustrés en tant que dessinateur de presse. Dans un tel contexte, la production graphique de George Herriman est exploitée d'une triple façon. Premièrement, les bandes dessinées de George Herriman sont décrites et racontées en détail, mais jamais reproduites in extenso, ce qui empêche le lecteur non spécialiste de juger de la part d'interprétation que contient la paraphrase de M. Tisserrand. En second lieu, les dessins privés faits par Herriman pour des amis, sa famille, etc., sont eux aussi décrits par le menu, quoique de façon laxiste, et sont utilisés comme une source archivistique pour documenter la vie du grand cartoonist, le résultat étant qu'une importance démesurée est accordée à des événements privés ou mondains, telle visite, telle sortie faite en commun, telles vacances prises à tel endroit. Troisièmement – et c'est là le plus problématique –, l'ouvrage est émaillé au fil des pages de cases de Krazy Kat qui sont dispensées, elles, de tout commentaire, mais qui sont censées faire écho au propos de M. Tisserrand. Le statut de ces citations de l'œuvre n'est donc jamais éclairci, mais on peut penser que, dans l'esprit de l'auteur, elles constituent une sorte de preuve par l'œuvre de la validité de ses assertions ou de ses hypothèses.
Ces utilisations originales de l’ekphrasis et de l'illustration sont mises au service d’une thèse particulièrement contestable qui est celle d’une origine afro-américaine de George Herriman, thèse qui est étayée sur de maigres données généalogiques et qui est ensuite reprise sous forme de variations à partir d’interprétations du matériau biographique et du matériau iconographique, consolidées par les citations de cases. Ainsi revisitée, la vie de Herriman devient celle d’un homme de couleur qui franchit la barrière raciale, en cachant soigneusement ses origines, sur le modèle du personne de Coleman Silk dans le roman de Philip Roth The Human Stain. Or tout indique que, en admettant que Herriman ait jamais été au courant de sa prétendue origine africaine, il ne s’en est en tout cas jamais soucié le moins du monde, au point que, dans son métier de dessinateur mais aussi dans ses activités sociales, il multiplie les caricatures mettant en scène des noirs, ou bien se met lui-même en scène en blackface, toutes choses qu’un afro-américain « passant » pour blanc aurait évidemment fui comme la peste.
Du coup, les démonstrations de Tisserrand apparaissent largement gratuites, pour ne pas dire tirées par les cheveux. Par exemple, le combat de boxe entre le champion noir Jack Johnson et le champion blanc Jim Jeffries, abondamment commenté sous forme graphique par un Herriman qui dessine pour la page sportive des quotidiens de Hearst, devient pour Tisserrand un retour du refoulé racial chez le dessinateur. Et lorsque naît Krazy Kat, sous le strip The Dingbat Family, le lancer de brique par la souris à destination du chat est décrit de façon absolument discrétionnaire comme reprenant le même motif du combat et évoquant par conséquent la même problématique raciale.
À la fin de l’ouvrage, la simple accumulation de faits biographiques qui sont entièrement étrangers à cette problématique confère à la thèse que l’auteur s’obstine à soutenir les allures d’une franche lubie. Ainsi, un malheureux jeu de mot sur l’orthographe du patronyme d’un personnage, Simeon ou Simian (simiesque), ne peut être pour Tisserrand qu’une nouvelle allusion à un « secret de famille », avec un fort relent d’humour « minstrel ».
L'ouvrage de Michael Tisserrand en dit sans doute beaucoup plus sur le climat intellectuel de la société américaine contemporaine, à l'ère de la politique identitaire (identity politics), que sur un grand cartoonist qui est aussi tout simplement l'un des grands auteurs nord-américains du XXe siècle. On préférera nettement l’ouvrage beaucoup plus modeste de Patrick MacDonnell, auteur du strip Mutts, modestement titré Krazy Kat, The Comic Art of George Herriman, Abrams, 1986, qui, lui, ne soutient aucune thèse, mais dit clairement et congrument ce qu’on sait de la carrière de Herriman, porte un jugement critique sur son œuvre, et contient l’iconographie que M. Tisserrand se contente de décrire à sa façon.