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vie des monstres
H. L. Mencken (1880-1956)
Mencken est né à Baltimore, Maryland. Il fut rédacteur en chef du Smart Set de 1914 à 1923, avec George Jean Nathan et, de concert, ils fondèrent en 1920 le magazine de littérature policière Black Mask et en 1924The American Mercury, dont Mencken fut rédacteur en chef jusqu'en 1933. C'est Black Mask qui faisait vivre le magazine littéraire. Mais Black Mask est important en soi, car le magazine publia Hammett et Chandler et installa la mythologie du « privé » (private eye) américain.
Comme philologue, Mencken est célèbre pour l'encyclopédique The American Language (1919), consacré à la langue anglaise parlée et écrite aux Etats-Unis, qui connut trois éditions révisées et plusieurs suppléments tout aussi volumineux, le dernier en 1948.
Ses essais, fréquemment caustiques, furent recueillis en six volumes, étalés de 1919 à 1927, titrés Prejudices (Préjugés).
Mencken a aussi écrit sur Shaw, Nietzsche, a composé des pièces et trois volumes d'autobiographie, Happy Days (1940), Newspaper Days (1941) et Heathen Days (1943).
Mencken déclarait qu'il écrivait pour la « minorité civilisée ». Il était lu par des intellectuels et des étudiants, mais aussi par la classe moyenne. Il était réactionnaire mais pas conservateur, rebelle, mais pas réformateur. Il méprisait la classe des industriels, et tout spécialement ceux de ses membres qui tenaient le discours du « bien commun » et du « service rendu au public ». Les hommes politiques étaient placés encore plus bas que les hommes d'affaires dans l'échelle de l'humanité. Mais Mencken eut, dans un premier temps du moins, de la sympathie pour Franklin Delano Roosevelt, et, en son vieil âge, il appréciait Eisenhower, à qui il trouvait de la prestance. Il détestait Hollywood, qu'il appelait Moronia (crétinland). Il changea d'avis après avoir rencontré des gens intelligents dans les milieux du cinéma.
Comme Paul Léautaud, Mencken admirait beaucoup le 18e siècle et aurait aimé y vivre. Il était à proprement parler un homme du 18e siècle beaucoup plus que du 19e, qui l'avait vu naître, et il luttait contre ce que le 20e siècle avait gardé d'esprit victorien. Comme beaucoup de gens classés à droite, il ne se faisait guère d'illusion sur l'étroitesse d'esprit et la bigoterie de la petite ville américaine, et l'une de ses oppositions favorites était celle de la métropole cosmopolite et éclairée contre la campagne, frileuse, superstitieuse et lente d'esprit. La Prohibition elle-même était le résultat d'un complot des bouseux, ayant pour but d'obliger les gens des villes à boire la même sale piquette faite chez soi que consommaient les ruraux. Mencken lutta constamment contre les idées toutes faites, la malhonnêteté intellectuelle, les niais et les fats, les beaux esprits, et tout spécialement les beaux esprits malfaisants. Ce qu'il avait gardé de son 19e siècle natal était un profond pessimisme, né du darwinisme.
Mencken était libre penseur. L'un de ses essais, Memorial Service (messe commémorative) parle de dieux disparus, avec un commentaire de la veine « où sont-ils passés ? » Qu'est devenu Huitzilopochtli ? Il fut un temps où on lui sacrifiait tous les ans 50 000 jeunes gens et jeunes vierges. Puis l'essai donne sans plus guère de commentaire une liste de trois pages de dieux disparus. La force ce cette liste vient du fait que même pour un lecteur cultivé, la plupart des noms sont totalement inconnus. Vous croyez à un canular ? vous pensez que j'ai inventé les noms ? conclut Mencken. Empruntez donc un traité d'histoire des religions au recteur. Tous ces dieux ont été adorés par des millions d'hommes. Tous étaient en théorie omnipotents, omniscients et immortels. Et tous sont morts.