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MEAD (Margaret). - Célèbre anthropologue, auteur des classiques Coming of Age in Samoa (1928) et Sex and Temperament in Three Primitive Societies (1935) - devenue, dans son pays, et pour une génération, une spécialiste de l'éducation (au sens large), évoquant parfois au lecteur français une Françoise Dolto -, Margaret Mead était avant tout une personne d'une incroyable naïveté. Coming of Age in Samoa - destiné à vérifier, à l'instigation de son maître Franz Boas, que les troubles de l'adolescence et la répression sexuelle ne sont pas une fatalité de l'espèce humaine mais ont une origine culturelle - est un tissu d'âneries et de mauvaises observations. La société totalement libérée où la crise d'adolescence est inconnue, que Mead a si soigneusement décrite, n'existait que dans son imagination, comme l'ont établi par la suite des anthropologues du cru (à commencer par D. Freeman, Margaret Mead and Samoa : The Making and Unmaking of an Anthropological Myth, 1983). Les Samoans étaient au contraire une société extrêmement répressive où la seule façon pour des jeunes gens d'épouser l'élue de leur coeur était souvent de l'enlever. Margaret Mead avait gobé avec une crédulité désarmante les romans roses que lui débitaient ses informatrices.

Sex and Temperament in Three Primitive Societies est, sous prétexte d'études ethnographiques en Nouvelle-Guinée, un recueil de trois contes philosophiques qui auraient ravi le public du 18e siècle. On se demande du reste pourquoi l'auteur a jugé utile de passer deux années - qu'on imagine fort pénibles - dans la région du Sepik, puisque, de bout en bout, elle hallucine ses données. Les Arapesh sont une société pacifique où dominent les valeurs féminines. Les Arapesh des deux sexes sont par conséquent vertueux, chastes, attachés à leur foyer et à leurs enfants, parfaites incarnations du bon sauvage. Chez les Mundugumor, au contraire, à quelques cocotiers de là, règnent les valeurs viriles, dans l'un et l'autre sexe. Ils vivent en hordes et sont anthropophages. Enfin les Chambuli présentent un cas curieux d'inversion : ce sont les femmes qui sont pratiques, rationnelles, actives et qui assurent la subsistance, tandis que les hommes sont accaparés par leur toilette et l'organisation de leurs petites fêtes, et continuellement en proie à des jalousies mesquines et à des accès de nerfs.

Margaret Mead conclut des trois enquêtes que la différence de tempéraments dans les sexes n'est qu'une construction sociale. Hommes et femmes sont « féminins » chez les Arapesh, « masculins » chez les Mundugumor. Chez les Chambuli, les deux sexes ont des tempéraments distincts, mais ceux-ci sont inversés par rapport aux sociétés occidentales : les femmes sont « masculines » et les hommes sont « féminins ».

La description du « monde à l'envers » des Chambuli apparaissait probablement comme un tour de force aux yeux d'une ménagère américaine des années 1930, mais un lecteur moderne doit faire effort pour comprendre ce qu'essaie de démontrer l'auteur, en particulier quand elle associe l'oisiveté et la susceptibilité à un tempérament féminin. De sorte que, lorsque Margaret Mead achève triomphalement sur le caractère arbitraire des traits prêtés à l'un ou l'autre sexe, le lecteur a déjà été contraint de tirer séparément la même conclusion, non point relativement aux indigènes du haut Sepik, mais à la prose même et aux présupposés de l'anthropologue.

S'il est une conclusion qui s'impose sans aucune ambiguïté, celle-là, au lecteur de Sex and Temperament in Three Primitive Societies, c'est la piètre estime dans laquelle Margaret Mead tient la condition masculine. Il est remarquable qu'un auteur qui encourage une certaine flexibilité dans l'éducation des enfants - sans aller jusqu'à proposer une éducation identique pour les garçons et les filles, qui serait source d'uniformité et d'ennui - adopte systématiquement, vis-à-vis du sexe viril, l'attitude et les griefs d'une fillette de huit ans. Les garçons sont sales, grossiers, imprévisibles, batailleurs, ils ne savent pas se tenir, tandis que les filles sont des modèles de décorum, de bon sens, de camaraderie, etc. Même chez les Arapesh, où tout le monde est féminin en théorie, les petites filles apprennent dès le plus jeune âge à maîtriser leur colère, tandis que des garçons de 15 ans se roulent dans la boue dans des crises de rage. A propos des Chambuli, où ce sont les hommes qui sont « féminins », Margaret Mead écrit : « Dans un groupe d'hommes, on sent toujours une certaine tension, une vigilance méfiante. Ce sont des remarques aigres-douces, ou à double sens : "Pourquoi donc est-il allé s'asseoir en face, quand il t'a vu de ce côté-ci ?" ou bien encore : "As-tu vu Koshalan avec une fleur dans les cheveux ? Qu'est-ce qu'il mijote ?" » Voici à présent une description des femmes Chambuli : « Sérieuses, absorbées par leurs occupations, conscientes de leur puissance, la tête rasée et nue, elles travaillent et rient, assises en groupe ; parfois elles organisent une danse de nuit dont les hommes sont exclus et où chaque femme se dépense sans compter et exécute, seule devant les autres, le pas qu'elle trouve le plus excitant. »

Chez les Mundugumor, exemple canonique d'une société virile, les bases des rapports filiaux et fraternels sont l'insulte et la raclée. Les Mundugumor détestent leurs enfants et font tout leur possible pour qu'ils meurent en bas âge. Les mères refusent le sein à leurs nourrissons, qui les mordent. On enferme les bébés dans des paniers, jusqu'à ce qu'ils soient assez grands pour s'en échapper, mais ils risquent alors de tomber dans le lac (les Mundugumor sont lacustres). Les Mundugumor pratiquent l'infanticide - en particulier s'il s'agit de garçons. La forme normale de copulation est le viol. La stupide complexité du système social fait que chacun est sans cesse sur le qui-vive, comme le malheureux militaire, contraint de saluer tout ce qui porte képi. Mais la seule activité sociale identifiable est la chasse des têtes et le festin de chair humaine.

Sa vie durant, Margaret Mead se pencha avec une sollicitude touchante sur le cas du gros garçon mou. Dans une société où les rôles des sexes étaient trop nettement tranchés, le gros garçon mou, incapable de faire face aux exigences de la condition virile, risquait de se retrouver du côté des femmes et de devenir un homme-femme (le berdache des Indiens des plaines). A l'inverse, dans une société où des attitudes « féminines » chez un homme étaient considérées comme acceptables (ou plus simplement dans une société sans différenciation sexuelle, comme les Arapesh ou les Mundugumor), ce peu brillant sujet pouvait espérer malgré tout se marier et avoir des enfants, et « l'homosexualité était inconnue ».

Le cas du gros garçon mou illustre bien les limites de la pensée de Margaret Mead. Même si elle défendait, à l'imitation de son maître Boas, l'idée que la personnalité de chaque sexe est fabriquée par la société, elle la dévoyait constamment, tenant instinctivement pour une sorte de fatalité biologique ; ses livres sont remplis de « rôle naturel de la femme » (qui est de faire des enfants) et « d'invertis congénitaux ». Bien qu'elle reconnût sa complète ignorance en médecine, elle aventurait constamment des diagnostics foudroyants. La célèbre anthropologue resta persuadée toute sa vie que les travestis sont homosexuels.

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