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CHRONIQUES DE MES COLLINES

2009-2011

par Henri Morgan

Nous avons pendant un peu plus de deux ans, entre 2009 et 2011, tenu une chronique dans une revue culturelle de l'Est de la France, sous le titre Chronique de mes collines. Nous nous étions vieilli un peu pour l'occasion, et avions francisé notre nom en Henri Morgan. Comme nous parlions des choses dont nous parlons habituellement, nous intégrons ici ces chroniques. Leur seul défaut est que, Henri Morgan étant beaucoup moins au fait des littératures dessinées que son quasi homonyme Harry Morgan, il devenait, lorsqu'il parlait de bandes dessinées (c'est-à-dire une fois sur trois à peu près), un peu plus gâteux qu'au naturel.

Harry Morgan


CHRONIQUES DE MES COLLINES

François Mauriac, Journal, Mémoires politiques

Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation.

On croule sous les recueils de chroniques de François Mauriac. Aux cinq volumes du Bloc-Notes en Points Seuil, plus un volume supplémentaire chez Bartillat (D'un bloc-notes à l'autre), s’ajoutent d’autres compilations. D’abord La Paix des cimes (Bartillat, 2009) et On n’est jamais sûr de rien avec la télévision (Bartillat, 2008). Mais je vous parlerai de la chronique télé de Mauriac une autre fois. C’est d’un autre gros volume de chroniques, Journal, Mémoires politiques, en Bouquins–Laffont, que je veux vous entretenir. Il reprend les 5 tomes du Journal (Grasset et Flammarion entre 1934 et 1953), plus le recueil du Bâillon dénoué (Grasset, 1945), et les Mémoires politiques (Grasset, 1957).
D’excellents esprits répètent naïvement que notre société de 2009 connaît une crise très profonde et que la France est au bord de l’implosion. La lecture des vieux éditoriaux de Mauriac nous révèle par contraste que nous vivons en réalité une époque d’un extraordinaire pacifisme et d’un extraordinaire consensualisme. Dans l’après-guerre telle qu’elle émerge de la chronique mauriacienne, les grèves ouvrières sont des soulèvements insurrectionnels, et il y a mort d’homme. On ne parle certes pas de choc des civilisations, mais il faudra que le rideau de fer coupe en deux l’Europe pour que se dissipe la peur de voir les chars russes à Paris. En attendant, L’Humanité traite tous les jeudis Mauriac de hobereau fascisant et celui-ci répond poliment tous les lundis dans Le Figaro que les fougueux jeunes gens qui le conspuent finiront bien par dévier de la ligne et qu’il s’expliqueront alors avec la Guépéou.
Ces polémiques, qui devaient beaucoup amuser les lecteurs, nous renseignent sur la nature exacte de ces chroniques. Mauriac rédigeait un blog avant la lettre. Considérez ce passage : « Nous savons bien que nous vivons au siècle de ce que nous appelons par pudeur “les personnes déplacées”, le siècle qui, par-delà les millénaires de civilisation gréco-romaine et chrétienne, rejoint les temps des sacrifices humains, des prisonniers devenus esclaves et de l’anthropophagie. » (Le Figaro, 8 mai 1947.) Cette prose porte toutes les marques d’un blogueur, et plus précisément d’un blogueur de la réacosphère, le ton apocalyptique, la référence fondatrice aux humanités gréco-latines et au catholicisme, plus on ne sait quoi d’indécis et de nébuleux, à quoi l’on devine que l’auteur considère son époque avec un décalage d’une quarantaine d’années à peu près.
Je n’aime pas beaucoup, je l’avoue, ce mot de blog, qui n’a guère de sens en anglais (il serait paraît-il la contraction de web log, « journal de bord sur la Toile ») et qui n’en a aucun en français. On ne devrait pas dire ni écrire un blog, ni même un blogue, mais bien un bloc, à cause du célèbre Bloc-Notes de Mauriac.
Mauriac est l’inventeur du bloc. Les millions de Français qui tiennent un bloc lui doivent tout.

François Mauriac, Journal, Mémoires politiques, Laffont, Collection Bouquins, novembre 2008.