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Nouvelle exégèse des lieux communs

 

"Je suis fier d'être français puisque cette grande nation a l'avantage de me compter parmi ses génies."

Victor Hugo


La paix des marchands - Le village planétaire - Les résistants de la dernière heure - La carotte et le bâton - La croix et la bannière - L'homme de terrain ou les affaires - Tomber de la lune -La politique du fait accompli

 

la paix des marchands

Au Japon, l'époque qui va du milieu du quinzième siècle à l'ère des Tokugawa, offre l'image d'une culture de commerçants.

En littérature, les histoires épiques prisées par les nobles de l'époque Heian sont remplacées par des oeuvrettes gentillettes et distrayantes, destinées à des hobereaux ou à des marchands enrichis. Ce sont des romans d'amour, des hagiographies, des contes merveilleux ou des histoires de nourrice, des histoires d'animaux. Le style de cette littérature est affligeant. Le fond en est plat et naïvement moralisateur, l'agencement boiteux, plein d'incidentes et de redites. L'inspiration est indigente et le plagiat omniprésent. Reste que l'on s'amuse et que l'on rit autrement qu'à la lecture des Dits héroïques du temps des Fujiwara.

Nous sommes nous aussi une société de marchands. Nous nous distrayons avec d'adorables sornettes.

Même émolliante influence des marchands en politique. La suprématie des gens de commerce, dans le Japon du 17ème siècle comme chez nous, c'est la paix revenue. La paix des marchands.

Le principe est qu'il n'y aura plus de guerre, en tant qu'elles sont mauvaises pour le commerce. Quand il y aura des guerres, c'est qu'elles seront bonnes pour le commerce.

On ne nous a pas trompés. Toutes les guerres modernes ont été excellentes pour le commerce. On commence par armer un pays, à grand profit, puis, quand il est devenu une menace, on lui fait la guerre, ce qui dégage de nouveaux flux financiers. Double gain. C'est ce qu'on appelle la paix des marchands.

On a compris que la paix des marchands ne saurait être confondue avec une hâtive boucherie, comme celle de 14. D'où l'invention de la guerre propre, du conflit hygiénique, de la guerre moëlleuse et molletonnée, de la guerre double protection, de la guerre à triple couche, de la guerre décorative, de la guerre comestible - d'ailleurs cela ne s'appelle plus une guerre, mais un conflit. Un conflit, par définition, ça ne connaît pas d'excès, cela se passe entre gens raisonnables, disposés à tous les accommodements.

Où qu'on porte le regard, à l'est, au sud ou dans le nouveau monde, on ne voit que conflits riants et combats proprets. Il aura fallu attendre la fin du vingtième siècle pour connaître cette merveille: la guerre sans atrocité.

 

Le village planétaire

Dites à un enfant que le diamètre de la terre, est de 12700 kilomètres, vous l'étonnerez. Il va trouver cela très petit. Ce n'est plus une planète, c'est une colline. D'où le village planétaire.

C'est McLuhan qui lança ce lieu commun, rapidement devenu méconnaissable. Pour McLuhan, les nouvelles technologies de la communication - la télévision en particulier - allaient entraîner, en développant les perceptions auditives et tactiles, une retribalisation, dont les premiers signes étaient les émeutes urbaines et l'habitude des jeunes des sociétés industrielles de se tatouer et de se percer divers organes pour y suspendre des bijoux : une planète de Papous. Dans la vulgate, les nouvelles télécommunications, en supprimant les frontières, amènent une unification culturelle et la fin des particularismes locaux.Village planétaire signifie donc exactement le contraire de ce que McLuhan voulait dire, ce qui est parfaitement normal.

Reste que téléconférence, vidéoconférence, télécopieur, téléphone cellulaire, fibre optique et tutti quanti permettent au bourgeois d'entrer en communication avec n'importe quel Hottentot en temps réel. Notre bonhomme n'a pas à se mettre en frais de conversation. Le fond de l'affaire, c'est qu'il a appelé.

Dans le développement des moyens de communication de masse, on a sagement préféré la quantité à la qualité. Il importe de capter des milliers de stations de radio, quand même elles diffuseraient toutes la même musiquette qui ne serait, après tout, que la mélodie du village planétaire. Des centaines de chaînes de télévision nous permettent de revoir, presque à volonté, les mêmes dramatiques. Equivalent dans le village planétaire de l'as de pique qu'on fait circuler au jeu de bonneteau.

Pour les livres, on en faisait encore, il y a peu d'années, de différents selon les pays, mais la mode en est presque entièrement passée et la planète entière se repaît des mêmes tartines de margarine allégée, amoureusement confectionnées par des institutrices de l'Oregon. Les éditeurs se les arrachent. C'est l'équivalent dans le village planétaire du bibliobus planétaire.

 

Les résistants de la dernière heure

L'heure dont il est question est la onzième. Ce lieu commun est une réminiscence de l'Ecriture (Matthieu 20-1,16). Le bourgeois moderne partage avec son homologue évangélique la vertueuse indignation devant cet exemple de "pas juste". Qu'on récompense un type rallié sur le tard, alors que les autres ont écopé, est évidemment très scandaleux. Appliqué au domaine religieux, cela donne à peu près ceci: "Comment, je me suis embêté à aller à la messe toute ma vie, et un moribond, converti par frousse aurait autant de droit que moi...."

Il ne faut pas beaucoup pousser le bourgeois (j'entends: le bourgeois catholique) pour qu'il prenne la parabole dans le sens suivant: l'ouvrier de la onzième heure n'a droit à rien, pas un radis, pas un fifrelin.

C'est pour cela qu'on a appliqué la formule aux vocations tardives de résistants, supposés mauvais résistants, résistants indignes, qui n'ont point de mérite et qui essaient d'obtenir des titres auxquels ils n'ont pas droit.

Dans ce sens bourgeois, l'image est assez bien trouvée. Les résistants de la dernière heure sont connus pour avoir tondu quelques filles, écrasé des poulets en roulant à tombeau ouvert dans des "tractions avant" barbotées aux miliciens, et bâclé des exécutions sommaires.

Ce qui les place, sur le plan militaire, à peu près au même niveau que d'autres dégourdis, eux aussi de la onzième.

 

La carotte et le bâton

Ce lieu commun nous vient du fabuliste.

Ce sont les subordonnés qu'il faut mener à la carotte et au bâton, ce qui revient à dire pour quoi on les tient.

En langage commercial, la carotte s'appelle la guelte: ce qu'un vendeur touche sur un article vendu. Et le bâton s'appelle la schlague. Il faut traiter ses subordonnés à la schlague.

"La carotte et le bâton" pourrait se dire dans la langue moderne: "la guelte et la schlague".

 

La croix et la bannière

Encore un lieu commun ecclésiastique, on va croire que je les choisis à dessein. Croisés et bannerets sont les malheureux qui vont au devant d'un dignitaire de l'église, évêque ou cardinal, en procession solennelle. On conçoit qu'ils s'embêtent prodigieusement. Puis, il sont empêchés pendant les solennités d'écorcher leur voisin. De là à penser que la tâche est fastidieuse, sinon surhumaine, il n'y a pas loin. Et c'est à peu près le sens qu'a pris l'expression.

 

L'homme de terrain

ou Les affaires

Je me proposais l'autre jour de prendre des nouvelles des héros de la libre entreprise.

L'un, spéculateur génial et inspiré, est en prison. Un autre s'est jeté à l'eau, ne pouvant plus longtemps dissimuler sa faillite. Un autre encore s'est fait bêtement pincer au moment où, ses entreprises périclitant, il avait pris une charge publique. En prison, lui aussi. C'est ce qu'on appelle"les affaires".

Le triste, naturellement, ce n'est pas que les modèles du temps et les "hommes de l'année" aient été un ramassis de banqueroutiers, de voleurs, de prévaricateurs et d'agioteurs. C'est qu'ils se soient fait pincer. Au fond, on a toujours su que c'étaient des crapules, mais on pensait naïvement que c'étaient des crapules honnêtes, c'est-à-dire habiles. Ce sont en réalité des crapules très ordinaires.

Comment se présentaient le sauteur des effets publics, l'acrobate des traites de cavalerie? Se donnaient-il pour d'astucieux spéculateurs? Des usuriers candides? Des escrocs scrupuleux? Point. C'étaient des hommes de terrain. Nous voici au sujet.

Avouons d'abord qu'on frise le paradoxe. Car plus un financier pousse dans l'efficacité, plus il s'éloigne des contingences matérielles... et du terrain. Comme les mystiques, il n'aperçoit plus que les sphères supérieures. Un capitaliste digne de ce nom rachète en Bourse des sociétés qu'il ne voit jamais, avec de l'argent qu'il n'a pas et qui d'ailleurs n'existe nulle part, et les revend avec bénéfice sitôt qu'il a licencié les trois quarts du personnel, vendu les machines et fermé trois ateliers sur quatre. Et ce philosophe se courbe sur la glèbe, comme un laboureur!

Le capitaliste, homme de terrain, sait se salir les bottes, et mouiller les revers de son pantalon. Le premier qui posa le pied sur la Lune était, à l'évidence, un homme de terrain, même s'il avait choisi son lopin hors de notre globe terraqué. L'homme de terrain sait la composition du sol et d'où vient le vent. Il connaît de son terrain les accidents, les avantages naturels et les chausses-trapes. Le terrain, notre financier l'examine comme s'il s'attendait à y livrer une bataille.

Pour prouver qu'il est un homme de terrain, notre repreneur va jusqu'à s'acheter une pelouse, onze débraillés en caleçon et un ballon de cuir et à les faire courir devant lui, sur son terrain.

L'homme de terrain est le champion des temps modernes. Il s'incarne dans le spéculateur immobilier. Le maire vénal qui tripatouille le plan d'occupation des sols pour construire une usine qui va empoisonner ses administrés peut se dire, avec une légitime satisfaction, qu'il est, lui aussi, un homme de terrain.

 

Tomber de la Lune

Celui qui tombe de la Lune est bien entendu tout le contraire d'un homme de terrain. Neil Armstrong, dont nous parlions ci-dessus, s'il a marché sa la Lune, s'est bien gardé d'en tomber.

Il n'y a pas d'air sur la Lune et il va de soi que celui qui tombe de la Lune dans notre vallée de l'ombre se noie dans l'atmosphère, pour lui épaisse comme de l'eau. Il gonfle comme un ballon, il éclate. Il meurt d'un coup de sang ou d'un excès d'oxygène.

Rien ne pousse sur la Lune et rien n'y vit. Celui qui tombe de la Lune est généralement maigre et d'aspect misérable. Il est sans âge, ou alors il a l'âge de la Lune, ce qui revient à dire qu'il est né d'hier.

Il est fréquemment sujet à des éclipes.

Comme la Lune, il est d'humeur changeante.

Gentilhomme lunaire, il a plusieurs quartiers dont un bon quart de Lune.

Nostalgique, comme tous les lunatiques, il regrette son clair de terre. Bientôt, il réclamera la Lune.

Je dois signaler en passant que cette Lune est peut-être le plus commun de tous les lieux communs, puisqu'on l'aperçoit en chaque endroit du globe, et qu'en la contemplant on peut penser que ceux ou celles dont on est éloigné la contemplent aussi. C'est déjà une façon de se retrouver.

 

La politique du fait accompli

C'est ce qu'en d'autres temps, on appelait la règle des trois unités.

"Qu'en un lieu, qu'en un jour un seul fait accompli,

Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli."

Quand on invoque la politique du fait accompli, c'est manière de dire à quelque'un qu'on a grugé, que la pièce est jouée et qu'il aurait tort d'insister.

 

Léon Bloy, p. c. c. Harry Morgan

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Travail à faire:

La preuve par neuf - en temps réel - avoir le bras long - avoir un plan sûr - se remettre en cause - il ne faut pas abuser - définir son objectif - la tâche ingrate - la primeur de l'information - mettre les rieurs de son côté - simple comme un jeu d'enfant