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SÉRIES TÉLÉVISÉES DE SCIENCE-FICTION
LOST OU DE L'INCOHÉRENCE


Vu, six ans après le reste de la planète, la première saison de la série Lost, ainsi titrée apparemment parce que les auteurs ont perdu le scénario.
Lost repose sur le principe de l’île à surprises, sur le modèle vernien (L'Île mystérieuse). Le récit procède en spirale, autour d’une série de personnages plus ou moins prédestinés — un paralytique qui a retrouvé l’usage des jambes, un bébé à naître lourd d’enjeux, un porte-poisse, etc. — et d’une série d’événements plus ou moins surnaturels : survie sans une égratignure des passagers d’un avion dont la partie médiane s’est écrasée sur une île, présence d’un ou plusieurs ours polaires, d’un ou plusieurs monstres invisibles, de mystérieux inconnus, découverte de l’entrée hermétiquement close d’un mystérieux souterrain, apparition réitérée d’une série de chiffres fatidiques, etc.
Sur le plan de la forme, Lost affiche tous les signes de la post-modernité. Le récit est polycentré, réticulaire et multiculturaliste. La narration est non-linéaire. « Tu raconteras ton histoire dans le désordre (car cela donne l’air intelligent) », tel est en effet le premier commandement du décalogue post-moderne. On alterne donc systématiquement aventures sur l’île et flash-back sur le passé du personnage focal. Quant aux audaces narratives, elles incluent des gros plan liminaires sur l’œil du personnage focal, un swoosh accompagnant les noirs de fin de chapitre, une musique de générique remplacée par un tam-tam électro-primitif.
Filmiquement, Lost est un pitoyable échec. Tous les effets précités (swoosh, tam-tam, gros plans sur l’œil) apparaissent d’ores et déjà comme des tics embarrassants. Le choix dispendieux d’un tournage en décor naturel, sur une véritable île des mers du Sud, censé recréer l’esthétique et l’impression de réalisme d’un reality show, produit un résultat prosaïque et peu convaincant : ces clairs-obscurs de jungle, qui laissent toujours les trois-quarts de l’image dans le noir font regretter la jungle en caoutchouc des vieux Tarzan de la MGM.
Quant au flash-back biographique sur le personnage focal, censé expliquer ses réactions à ses tribulations sur l’île, il débouche inévitablement dans la « pop psychology » la plus outrancière. Le procédé présente l’inconvénient supplémentaire de souligner l’invraisemblance foncière de la situation, le vol Oceanic 815 s’avérant entièrement peuplé de brillants sujets cachant un lourd passé, d’éclopés et de malheureux meurtris par l’existence, de maniaques de la gâchette, à quoi s’ajoutent différents miraculés et personnages providentiels. Pour finir, ce principe du flash back révélateur constitue, pour des scénaristes bien-pensants, une invitation à un relativisme moral radical. L’un des protagonistes, Sayid, est un ancien tortionnaire de la garde de Saddam Hussein. Certes on nous explique dans l’épisode 8, « Confidence Man », que torturer les gens est moralement répréhensible (c’est ce que fait Sayid, à l’instigation du médecin Jack, pour obtenir un médicament qu’il croit en possession de Sawyer — qui ne le détient pas !). Mais Sayid est présenté essentiellement comme un héros romantique, qui, en Irak, est tombé amoureux de la femme qu’il devait torturer. L’épisode 21, « The Greater Good », traite des attentats suicides islamiques. Le terroriste, opérant en Australie, est lui aussi montré comme un héros romantique (il a perdu la femme qu’il aimait), et il ne passe à l’acte que poussé par Sayid, qui a infiltré la cellule terroriste à la demande de la CIA, qui le fait chanter. Les « méchants » de l’histoire, ce sont donc les services secrets américains !
Quant à la règle du jeu du dévoilement progressif des mystères, elle est par définition vouée à l’échec, aucune explication finale ne pouvant avoir de caractère autre qu’ad hoc. Le principe de l’étagement gnostique des révélations n’a donc pas d’autre fonction que d’agiter perpétuellement sous les yeux du spectateur confiant de nouveaux mystères.
Lost propose ce qu’on nomme en théorie littéraire un univers fictionnel « incomplet » (et inaugure, pour autant que je sache, ce principe dans les séries télévisées). Mais les auteurs s’autorisent de ce choix pour procéder à un enfumage systématique du spectateur. Les « explications », quand elles existent, ne sont nullement satisfaisantes, pour l’excellente raison qu’on a perdu en route la moitié des données. Ou bien elles empruntent au paralogisme, voire à la simple itération d’un motif. Cela n’a du reste aucune importance car l’incomplétude, dans le référentiel des scénaristes de la série, est censée passer pour de la profondeur. Finalement, toutes les « explications qui n’en sont pas » relatives aux « propriétés thérapeutiques de l’île » ou à la « série de chiffres fatidiques » rejoignent dans l’incohérence les portraits psychologiques de Sayid, le tortionnaire au grand cœur, ou de Kate, la « tueuse en série à la suite de différents quiproquos mais qui a gardé son âme de petite fille ».
Un mode d’écriture en équipe, conforme aux lubies modernes du management, avec brainstorming obligatoire et réécriture des trouvailles, favorise la contradiction générale et l’impression d’idiotie qui flotte sur l’ensemble.
Pour finir, Lost semble écrit par des demi-illettrés. Les deux seuls mots de français employés dans la série sont une traduction maladroite (« Dark Territory » devient « Territoire foncé » !) et fautive de surcroît (territoire foncé devenant « territoire fonce »).

Harry Morgan

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