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La Manif pour tous à l'assaut du pouvoir
Réflexions sur la vérité en système médiatique
À propos d'un film de Nicolas Vescovacci, Raphael Tresanini et Jean-Christophe Marcot

26 mai 2014. — Sur Canal+, documentaire télévisé sur La Manif pour tous (décrite comme une « nébuleuse radicalisée à l’assaut du pouvoir »), de Nicolas Vescovacci, Raphael Tresanini et Jean-Christophe Marcot, produit par la société KM. Les premiers mots en sont : « Pour Clémence et Arthur, la messe du dimanche, c’est sacré. » C’est-à-dire que la première phrase du documentaire atteste la fracture entre la France d’avant, la France chrétienne (celle de Clémence et Arthur), et celle de nos journalistes, défenseurs de l'actuel régime, qui ne possèdent pas le concept de sacré, pour qui « c’est sacré » signifie « à quoi l’on tient par dessus tout » (« la sieste, c’est sacré »), et qui ne voient donc pas le ridicule et l’incongruité qu’il y a à utiliser une telle formule à propos d’une cérémonie qui est réellement sacrée, au sens propre du mot, puisque l’eucharistie est... un sacrement.
J’ai regardé avec curiosité ce documenteur en cherchant à comprendre comment c’était fait. Ce n’est pas très brillant, mais c’est, je suppose, efficace pour un spectateur de Canal+, parce que cela fait fond sur ses préjugés. Sur le plan linguistique, le film repose sur l’emploi systématique d’un vocabulaire péjoratif. Sur le plan imagier et sur le plan argumentatif (qui se confondent puisque, à la télévision, ce sont les images qui font la démonstration), il repose sur un principe systématiquement exploité de culpabilité par association.

Tout catho est « tradi » et certains sont « ultra »

Dans la vision du monde de MM. Vescovacci, Tresanini et Marcot, tout catholique qui va à la messe est « catholique traditionaliste » ou « intégriste », de même d'ailleurs que les évêques, qui dirigent en secret La Manif pour tous (car La Manif pour tous est un coup des évêques, c’est Mgr Barbarin, « figure radicale de l’Église de France », qui est à l’origine du mouvement). L’inconvénient, mineur, est qu’on vide ainsi de tout contenu les qualificatifs « traditionaliste » et « intégriste », normalement associés, au moins dans les médias, aux lefebvristes (qui sont schismatiques), mais qui deviennent ici de simples appellations polémiques visant les catholiques romains. Les Veilleurs sont, de même, « une association catho tradi qui refuse toujours le mariage homosexuel », tandis que Kamel Bechikh (Fils de France) « incarne la jonction entre cathos traditionalistes et musulmans fondamentalistes ». Cependant « l’obsession de Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif pour tous, c’est de présenter une image policée du mouvement, loin de l’image sulfureuse des intégristes. » Il y a ici inversion polémique. L’obsession de Vescovacci, Tresanini et Marcot, à l’évidence, c’est de présenter La Manif pour tous comme un mouvement d’extrême droite.
Or tous ces « tradis » et ces « intégristes » constituent une « nébuleuse », et les différentes personnes ou les différents groupements évoqués (la plupart sans lien avec La Manif pour tous) « gravitent dans la nébuleuse ». Cette nébuleuse se lance « à l’assaut du pouvoir », formule ambiguë, qui peut signifier que la nébuleuse attaque, harcèle, le pouvoir, par un activisme politique décalqué sur celui de la gauche (comités d’accueils pour les ministres en déplacement), ou bien, dans une version aggravée, que cette nébuleuse essaie de conquérir le pouvoir, qu’elle est putschiste. Ainsi, du général à la retraite Bruno Dary, qui gère la logistique de la Manif pour tous, on nous dit, en dramatisant à l’excès : « vous avez bien entendu, ce général accuse le président de la République d’être un dictateur en puissance. Étonnant pour un haut gradé qui accompagnait encore François Hollande, lors de la cérémonie du onze novembre 2013. » (Thèse du complot putschiste, au plus haut sommet de l’armée française.) D’ailleurs, à l’intérieur du camion qui gère la logistique de la Manif pour tous, camion dans lequel MM. Vescovacci, Tresanini et Marcot n’ont pas eu le droit d’entrer, « il y aurait des militaires en activité » (qui préparent donc un putsch).
Cette « nébuleuse » de La Manif pour tous fonctionne, dans la cervelle de MM. Vescovacci, Tresanini et Marcot, comme fonctionnent les sociétés secrètes (les juifs, les francs-maçons, les Illuminati) dans la cervelle des paranoïaques. « Au fil des mois, la Manif pour tous étend sa toile ». Et naturellement, elle déborde nos frontières. « En quelques mois, une véritable internationale catho se constitue. » (Sic. Cette phrase mériterait de figurer au dictionnaire de la bêtise.) Brian Brown, un invité américain à la Manif pour tous, dirige dans son pays « un lobby catholique ultra-conservateur », qui est, renseignement pris, une simple association familiale catholique — et qui est donc par définition anti-mariage gay. (Il n’existe pas d’organisation catholique qui milite en faveur du mariage pour les personnes de même sexe, et il est donc parfaitement superflu de taxer d’ultracisme tous les dirigeants d’associations qui traversent le champ de la caméra ; ils ne sont pas plus « ultra » que « tradis » ; ils sont catholiques, tout simplement.)
Les Knights of Columbus (une société de bienfaisance catholique, à peu près l’équivalent de nos conférences Saint Vincent de Paul) sont « un puissant mouvement catholique intégriste », et le fait que Ludovine de la Rochère ait rencontré à Washington l’un de ses membres permet de faire planer le doute sur un financement de La Manif pour tous par ce qui est présenté, images à l’appui, comme une sorte de Ku Klux Klan. L’argumentation est développée comme suit : Ludovine de la Rochère a rencontré à Washington les Knights of Columbus. Il se trouve que ceux-ci ont donné des sous à la branche américain de la Fondation Jérôme Lejeune (un mouvement pro-life). Or Ludovine de la Rochère travaille actuellement, à temps partiel, pour la branche française de la même Fondation Jérôme Lejeune, tout en dirigeant (bénévolement) La Manif pour tous. Donc les Knights of Columbus financent La Manif pour tous. — Naturellement, on n’affirme rien. D’abord parce que le chaînage interprétatif est aberrant, ensuite parce qu’il est pédagogique de laisser le spectateur tirer ses propres conclusions (de cette façon, il a l’impression de « comprendre », on ne lui force pas la main), enfin parce que c’est une façon de se protéger en cas de litige. Mon client n’a jamais dit, mon client n’a jamais soutenu..., expliquera l’avocat lors du procès en diffamation. On ne va donc jamais jusqu’à énoncer clairement les accusations, qui font simplement l’objet d’une sorte de signalétique, par l’emploi d’une langue de bois polémique, et par la dramatisation de la mise en scène. Regardez bien ! Machin s'est rencontré avec Truc, qui allait à l'école avec Bidule. C'est troublant, vous ne trouvez pas ? Oui, c'est troublant quand on est un beauf cannabisé et alcoolisé qui développe des théories du complot à 22H30 avec l'assistance de son téléviseur. (La démonstration est invariable : ils se connaissent tous, ils se tiennent les coudes et ils complotent.)
Cependant le principal enjeu dramatique du genre de production télévisuelle dans lequel s'illustrent Vescovacci, Tresanini et Marcot est la recherche du « dérapage ». Le scénario est le suivant : on nous explique que les gens dont on nous parle sont des salauds, mais qu’ils nient, qu'ils se dérobent. Puis on les filme en train de se justifier, et de jurer que non, ils ne sont pas des salauds, ce qui confirme déjà la moitié de la thèse (vous voyez, ils nient, ils se dérobent). Enfin vient le moment où la caméra les surprend, de façon semi-clandestine, sous leur plus mauvais jour (ils sont filmés en caméra cachée, la nuit, de dos, à moitié morts de fatigue, ou malades, ou déprimés, ou en veine de confidences), ils disent alors ce qu’ils ne sont pas censés dire, et qu’on peut interpréter à leur détriment. C’est dans la boîte ! ils ont « dérapé » ; nous avons désormais la preuve de ce que nous affirmions depuis le début : ce sont bien des salauds.
Alors que Ludovine de la Rochère cherche, un jour de manifestation, un slogan du type « la force tranquille » avec son équipe, « ça dérape », avertit le journaliste. Une personne que le commentaire présente comme le directeur de cabinet de Ludovine déclare en riant : « Tu peux ajouter : quenelle ». Ceci est naturellement pris au pied de la lettre par MM. Vescovacci, Tresanini et Marcot, et le commentaire et les images qui suivent insistent lourdement sur le fait que Ludovine de la Rochère débranche son micro, qu’elle entraîne le plaisantin à l’écart. Par une merveilleuse ironie, c’est la propre vigilance de Ludovine de la Rochère, qui sait parfaitement qu’une telle plaisanterie, même au ixième degré, sera utilisée à charge par des médias hostiles, qui va constituer filmiquement l’aveu. La preuve qu’il y a du louche, c’est que Ludovine ne trouve pas ça drôle du tout, qu’elle débranche son micro et qu’elle s’écarte pour sonner les cloches à son collaborateur.

L’affaire Sourisseau ou la petite fille à la banane

Le maximum dans la recherche du « dérapage » et dans l’interprétation paranoïaque est cependant atteint avec l’affaire d’Angers, autrement dit l’incident de la banane agitée par une petite fille, en manifestation statique contre Mme Taubira, le 25 octobre 2013, « des images qui ont choqué la France entière », précise gravement le triumvirat Vescovacci, Tresanini et Marcot, qui nous les repasse, les images, et plutôt deux fois qu'une, et dûment commentées par l'expert qui les a médiatisées.
Il y a là fabrication médiatique d’un scandale dont tout un chacun peut vérifier très facilement, en visionnant deux courtes vidéos sur la Toile, le caractère douteux, pour ne pas dire frauduleux. En l’occurrence, le slogan raciste dont on nous dit qu’il a été scandé par la petite fille (ou, selon d’autres versions, par plusieurs enfants) n’apparaît clairement que... dans le sous-titrage de la vidéo publiée en ligne par Yannick Sourisseau « journaliste à l’hebdomadaire Angers-Mag » (en réalité, le directeur de publication de ce qui n’est pas un hebdomadaire mais un « gratuit » mensuel, et un site internet.)
Ce qu’on a vu sur le site d’Angers Mag (puis sur les sites de la presse nationale) est un recadrage d’un plan de la manifestation statique, avec incrustation au milieu du champ iconique d’un détail agrandi (une pelure de banane), qui rend l’interprétation des images à peu près impossible. On entend les présumés slogans — c’est-à-dire qu’on entend quelque chose comme ta-ta-TA-TA-ta-ta-TA —, au milieu des cris et du chahut généralisé, à peu près de 0:21 (début du plan et début de l’inscrustation sur la peau de banane tenue au bras) jusqu’à 0:30 (fin du sous-titrage qui interprète ta-ta-TA-TA-ta-ta-TA comme « la guenon mange ta banane »). Ce document a été présenté par les médias comme un film réalisé par « Mickey Kuyo, Angevin de 41 ans, artiste-graphiste », à l’aide de « son téléphone portable » (Libération du 2 novembre 2013).
Cependant le film non recadré, sans incrustation, avec un simple floutage des visages d’enfants, figure sur le propre site de Mickey Kuyo. On y voit donc plus clair, si l’on peut dire, mais la seule chose qu’on y voit, ce sont des enfants dont l’une épluche la banane de son goûter, puis qui, tour à tour, à différents moments, tiennent en l’air la peau de cette banane. Les slogans — ta-ta-TA-TA-ta-ta-TA — y figurent à peu près de 2:05 à 2:12. Ils sont encore moins distincts, au milieu du chahut, que dans la version diffusée sur le site d’Angers Mag puis dans la presse en ligne, ce qui incline à penser que dans cette version d’Angers Mag le son a été retravaillé par des procédés électroniques.
Quoi qu’il en soit, dans les deux versions du film, ce que sont censés scander un ou des enfants est rigoureusement incompréhensible (alors que tous les autres slogans de cette manifestation statique sont parfaitement audibles, « Taubira, t’es foutue, les Français sont dans la rue », « Hollande démission », « Taubira casse-toi », « Taubira fais ton sac, fais comme Cahuzac »).
En tout état de cause, il est peu vraisemblable que le premier anapeste, tat-ta-TA, correspond à « la-gue-NON ». Des enfants qui ont entendu brailler pendant toute une après-midi « tau-bi-RA [casse-toi, etc.] » brailleront eux-mêmes presque automatiquement « tau-bi-RA ». Qu’est-ce que ces enfants recommandent, enjoignent, prédisent à Taubira (Tau-bi-RA-TA-ta-ta-TA) ? Et cette recommandation, cette injonction, cette prédiction est-elle en relation avec une banane ? C’est ce qu’il est impossible de déterminer. On ne peut exclure l’hypothèse d’une surinterprétation, à partir d’images fruitières, voire l’hypothèse de la fabrication pure et simple d’un prétendu incident raciste, sur le modèle de ceux qui émaillent la vie de nos stades (lancers de bananes sur la pelouse et cris de singes provenant des tribunes, à l’arrivée de joueurs noirs), mais qui n’émaillent pas, jusqu’à plus ample informé, la vie des petites filles. À cet égard, le traitement imagier de la première vidéo (recadrage, puis incrustation de la banane grossie) est crucial, car, dans la logique des médias, c’est la présence du fruit qui atteste le slogan raciste. Supprimez la pelure de banane, et il n’y a plus d’affaire d’Angers.
Particulièrement troublant est le fait que, pendant la plus grande partie du métrage où des enfants tiennent la peau de banane, on entend, repris par toute la manifestation, le slogan « Taubira, casse-toi » et aucun autre. Si la pelure a inspiré une petite pièce anacréontique aux enfants, cette inspiration n’aura donc duré que quelques instants. C’est singulier chez des enfants, en général enchantés par leurs trouvailles et qui les usent jusqu’à la corde, mais des enfants de La Manif pour tous sont évidemment des enfants dénaturés.
On ne saura donc jamais ni qui aurait crié (une petite fille ? mangeuse de banane ? ou simple collectionneuse d’épluchure ? plusieurs enfants ? se repassant ou non une épluchure ?), ni ce qui aurait été crié. Selon les déclarations de Sourisseau dans le film de Vescovacci, Tresanini et Marcot, une unique petite fille aurait tendu en direction des fenêtres de la ministre une banane (ou une peau de banane ? mais il est curieux de faire l'offrande, même dans une intention offensante, d'un fruit déjà mangé), en criant : « Tiens, une banane pour la guenon. » Selon le sous-titrage du film traficoté (par recadrage et inscrustation) par le même Sourisseau, un enfant ou un groupe d’enfants aurait scandé, en agitant la pelure : « La guenon mange ta banane. » Les deux versions, fournies par l’homme même qui a lancé l’affaire, sont donc contradictoires. Aucune n’est très convaincante (la ministre ne risquait pas d’être gênée par une banane « brandie » par une gamine, de l’autre côté d’une avenue, et guère plus par des slogans que les propres manifestants qui étaient au contact des enfants affirment ne pas avoir entendus. Selon l’une ou l’autre des versions de Sourisseau, l’incident aurait duré de trois secondes (le temps de crier : « Tiens, une banane pour la guenon ») à huit secondes (le temps de scander quatre fois : « La guenon mange ta banane »).
L’Express du 6 novembre relève, dans Angers Mag, une version encore différente. Cette fois, les enfants crieraient, « sous le regard amusé de parents fiers de leur progéniture » : « Taubira casse-toi, Taubira dégage, Taubira tu sens mauvais, tes jours sont comptés », avant que la fillette n’en arrive au fatidique « la guenon ». À la réflexion, « Tau-bi-RA-TU-sens-mau-VAIS » n'est pas moins plausible que « la guenon mange ta banane », et est à peine moins raciste. Seulement on voit que le caractère nébuleux des témoignages de Sourisseau augmente à mesure qu’on multiplie les sources. La mémoire de M. Sourisseau est à l’image de ses vidéos : elle privilégie le flou, le recadrage et le grossissement artificiel.
En somme, chacun est parfaitement libre d’entendre ce qu’il veut dans l’heptamètre anapestique — ta-ta-TA-TA-ta-ta-TA —, de même que chacun, croyant ou athée, est libre d’entendre la phrase qu’il veut dans l’appel des cloches, un dimanche matin. Pour ma part, tout à l’heure, écoutant au casque la vidéo originale, celle qui figure sur le site de Mickey Kuyo, j’entendais très distinctement un chœur d’enfants scander « Sou-ri-SSEAU-EST-un-men-TEUR ».

Cette obsession à trouver du sens dans toute image, y compris dans celle d’une petite fille qui tient à bout de bras la peau de la banane qu’elle vient de manger, témoigne des limites de la méthode paranoïaque telle qu’elle est mise en œuvre par les médias en général, et telle qu’elle est mise en œuvre ici par Vescovacci, Tresanini et Marcot. La seule interprétation qui soit interdite à nos auteurs, c’est qu’une image puisse ne rien signifier du tout, qu’elle puisse ne contenir aucune intention d’aucune sorte, qu’une petite fille puisse trépigner ou agiter une peau de banane sans que cette danse et cette agitation ne signifient rien, outre le besoin de remuer — de même que le fait qu’un enfant s’amuse, à table, à boire la dernière goutte de son verre, en se le renversant sur le nez, ne signifie pas nécessairement qu’il est en train de mourir de soif, et qu’il faut le retirer à ses parents pour lui administrer en urgence un soluté de réhydratation orale.
Comme décidément tout cela — pace tua Sourisseau — manque un peu de force probante, Vescovacci, Tresanini et Marcot dramatisent leur récit, à l’aide des trucs du métier. Le premier et le plus constant, je l’ai dit, c’est la culpabilité par association. Le type qui tient le micro dans la manifestation statique d’Angers est, nous dit-on, « le père de la petite fille à la banane ». Dès lors, tout devient clair. Le slogan raciste a certainement été répété en famille.
Autre procédé favori, la reculade devant le tribunal médiatique, qui vaut aveu. « Le père de la petite fille à la banane a refusé toutes nos demandes d’interview ». Après quoi, on entend... l’interview au téléphone de l’intéressé (« ... mais nous avons réussi à le joindre par téléphone ! »), naturellement montée de façon à lui donner tort sur toute la ligne !
Un procédé tout aussi sûr est celui du lourd dossier, du casier chargé, de la barque bien pleine. Cet homme, notre homme (un ancien militaire, encore un putschiste), « n’en est pas à son premier happening trash ». Suivent des images où une Antigone, toujours à Angers, mime la mort par lapidation de Marianne. L’intention de Vescovacci, Tresanini et Marcot à cet endroit de leur film n’est pas claire : essaient-ils de détourner ces images de leur sens, en laissant entendre que l’ancien militaire est anti-républicain et lapide la République ? Mais le son du film indique très clairement que c’est le pouvoir qui s’en prend à la République, et que la Manif pour tous veut l’en empêcher. (Le militaire à la retraite déclare : « Aujourd’hui, c’est la République démocratique que vous détruisez, c’est Marianne que vous lapidez, c’est la France que vous déchirez, mais nous ne vous laisserons pas faire. Nous ne lâcherons rien. ») Essaie-t-on de nous suggérer qu’en évoquant la lapidation islamique notre homme commettrait un « dérapage islamophobe » ? (En effet, dans l’hyper-correction médiatique, toute allusion à un élément de la civilisation musulmane qui n’est pas à l'avantage de celle-ci est « raciste ».) Peu importe, au fond. C’est la continuité qui importe ici. On commence par mimer la lapidation de Marianne. Cela conduit immanquablement à animaliser une ministre d’outre-mer.
L’affaire d’Angers n’a rien d’une anecdote. Le régime et ses médias l’ont exploitée au-delà du raisonnable et en faisant fi de la décence la plus élémentaire. Au cours d’une conférence de presse, le 23 mai 2014, Mme Taubira, qui a apparemment la rancune tenace, affirmait que « pendant trois mois, on m’a traitée de guenon ». Une journée de soutien au ministre insulté a été organisée le 17 novembre 2013, à laquelle assistait le gratin de l’antiracisme institutionnel. La ministre a écrit un livre en réaction à l'affaire (Paroles de liberté, Flammarion, 2014). Elle n’a cependant pas porté plainte, peut-être parce que cette plainte aurait été classée sans suite (la justice, elle, demande des preuves, pas des bidouillages vidéo où les aveux sont sous-titrés). Enfin, chose sans précédent dans notre histoire politique, on a livré une gamine d’une douzaine d’années, mal protégée par un floutage, à la vindicte publique, pour un supposé crime raciste, qui, en régime politique multiculturaliste, la fait passer dans la catégorie des innommables. Tout cela, pour laver une injure dont ceux-là même qui l'allèguent sont incapables de retrouver la formulation, même approximative (« la guenon, mange ta banane », version de la vidéo sous-titrée par Sourisseau ; « tiens, une banane pour la guenon », version de Sourisseau dans le film de Vescovacci, Tresanini et Marcot ; « c’est pour qui la banane ? c’est pour la guenon », version de Mme Taubira dans son bouquin), injure que, en tout état de cause, M. Yannick Sourisseau est seul en France à avoir entendue (mais qu’il prétend nous faire entendre dans le brouhaha indistinct de la bande-son d’une vidéo).

Au-delà de La Manif pour tous, c’est toujours La Manif pour tous

Madame Béatrice Bourges (Le Printemps français) a été évincée de La Manif pour tous.
Elle en constitue par conséquent, selon Vescovacci, Tresanini et Marcot, le fleuron.

L’intérêt polémique d’une nébuleuse, c’est qu’elle permet d’incorporer des gens qui ne font pas partie de La Manif pour tous, et même des gens qui en sont ennemis jurés, ou exclus, ou rivaux (Soral et Dieudonné, Béatrice Bourges et le Printemps français, Alain Escada et Civitas). « Farida Belghoul ne milite pas à La Manif pour tous. Mais elle partage les mêmes combats. » Or la terrible paranoïaque musulmane, organisatrice de la Journée de retrait de l’école (pour lutter contre l’enseignement du gender), est amie de Soral et Dieudonné. Donc...
Un documentaire dédié en théorie à La Manif pour tous consacre de longues minutes... au Jour de colère du 26 janvier 2014 et à ses manifestants antisémites (« juif, casse-toi, la France n’est pas à toi »), moyennant cette habile transition : « Chez les anti-mariage gay, il y a encore plus radical que La Manif pour tous ». La Manif pour tous n’a pas participé au Jour de colère, et les anti-mariages gay, même extrémistes, ne constituaient qu’une petite fraction de la cinquantaine de collectifs de mécontents qui appelaient à défiler ce fameux 26 janvier 2014. Il y a donc ici un mensonge pur et simple, qu’un journaliste justifiera néanmoins avec la plus grande facilité, y compris devant le juge correctionnel : Nous n’avons jamais dit que La Manif pour tous a rejoint Jour de colère, nous avons au contraire pris bien soin de préciser qu’il y avait encore plus radical que La Manif pour tous au sein des anti-mariage gay.  — Sauf qu’il n’y a aucune raison de glisser de La Manif pour tous au reste de la « nébuleuse » anti-mariage gay, puis de là aux néo-nazis, autre que l’intention de nuire. Et que, même en suivant le fil conducteur si commodément élastique du « mouvement anti-mariage gay », le comparatif (« il y a encore plus radical que La Manif pour tous ») sert ici simplement à valider rétroactivement ce qui a été posé au départ sous la forme d’une simple assertion (« La Manif pour tous est radicale »). La preuve que « La Manif pour tous est radicale », c’est que Béatrice Bourges est « encore plus radicale ». Et la simple présence d’image des militants de l’Œuvre française de Pierre Sidos hurlant « juif, juif, juif, juif » dans un documentaire consacré à La Manif pour tous permet de « démontrer », sinon qu’elle est constituée d’antisémites, du moins qu’elle appartient à la frange la plus droitière du catholicisme, certainement nostalgique de Pétain.
Le résultat le plus clair de toutes ces manœuvres, c’est que le storytelling du film devient incohérent. « Une semaine après les dérapages antisémites de Jour de colère, La Manif pour tous est de retour dans la rue. (...) L’enjeu pour Ludovine de la Rochère est de prouver qu’elle n’a rien à voir avec les radicaux. » Or ce qui est incontestable dans le monde réel (encore une fois, La Manif pour tous n’a jamais eu aucun rapport avec Jour de colère, elle a exclu Béatrice Bourges, elle prie Civitas d’aller manifester à part), ne l’est plus du tout dans le film, où on nous a délibérément entraîné dans une folle farandole où se sont succédés en quelques minutes les néo-nazis de l’Œuvre Française, Béatrice Bourges du Printemps français, une députée russe anti-gay, Paul-Marie Couteaux, proche de Marine Le Pen, et même Christine Boutin. Et par conséquent le spectateur comprend les phrases « une semaine après les dérapages antisémites de Jour de colère, La Manif pour tous est de retour dans la rue » et « l’enjeu pour Ludovine de la Rochère est de prouver qu’elle n’a rien à voir avec les radicaux » comme le simple rappel factuel que, après ses récents dérapages antisémites, La Manif pour tous doit récupérer une honorabilité. Du coup, la suite des événements tels que racontés dans le film devient incompréhensible. — « Aussi incroyable que cela puisse paraître », le gouvernement retire la loi sur la famille après la dernière manifestation de La Manif pour tous, celle du 2 février 2014. Mais ce n’est incroyable que si, comme Vescovacci, Tresanini et Marcot, on s’obstine à voir dans La Manif pour tous une nébuleuse de fous furieux, au lieu d’y voir ce qu’y a vu le gouvernement, le peuple catholique du pays réel, en révolte contre des réformes sociétales dont il ne veut pas, ce que le film concède ponctuellement, au détour d’une phrase, en contradiction flagrante avec toute la construction polémique qui précède (« L’inquiétude déborde cette fois largement la petite frange des catholiques intégristes »). Est pareillement incompréhensible, pour les mêmes raisons, l’empressement des partis politiques à récupérer les militants de La Manif pour tous, qui occupe toute la fin du film.
Je note pour finir une chose très curieuse, et certainement inaperçue des auteurs du film. Leurs adversaires sont plutôt du genre fort en thème. Le militaire à la retraite d’Angers, père de la petite fille à la banane, n’est pas un vague sous-off mais un ancien lieutenant-colonel. David Van Hemelryck, du mouvement Hollande-démission (l’homme qui survolait les plages à l’été 2013 avec son ULM à banderole et qui fit huer Hollande au défilé du 11 novembre), est polytechnicien. (À noter que l’intéressé refuse toute association avec le Printemps Français, et qu’il ne soutient pas de programme politique autre que la démission de Hollande : le « satellite » de la « nébuleuse d’extrême droite à l’assaut du pouvoir » n’est pas d’extrême droite et n’est pas à l’assaut du pouvoir.) Le général à la retraite Bruno Dary, qui gère la logistique de la Manif pour tous (avec ses amis militaires d’active putschistes, qui sont cachés dans le camion), est général cinq étoiles, plus haut grade de l’armée française. En face, Vescovacci, Tresanini et Marcot ne font pas vraiment le poids. Vescovacci aurait un master en histoire et un master en journalisme. Les deux autres, je ne sais pas. Tout porte à penser qu’ils se ressemblent, c’est-à-dire qu’ils sont aussi bêtes dans la vie que dans leur film. L’actuelle résurgence du catholicisme de combat est aussi une révolte de l’intelligence.