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CHRONIQUES DE MES COLLINES

2009-2011

par Henri Morgan

Nous avons pendant un peu plus de deux ans, entre 2009 et 2011, tenu une chronique dans une revue culturelle de l'Est de la France, sous le titre Chronique de mes collines. Nous nous étions vieilli un peu pour l'occasion, et avions francisé notre nom en Henri Morgan. Comme nous parlions des choses dont nous parlons habituellement, nous intégrons ici ces chroniques. Leur seul défaut est que, Henri Morgan étant beaucoup moins au fait des littératures dessinées que son quasi homonyme Harry Morgan, il devenait, lorsqu'il parlait de bandes dessinées (c'est-à-dire une fois sur trois à peu près), un peu plus gâteux qu'au naturel.

Harry Morgan

CHRONIQUES DE MES COLLINES

Jens Harder, Alpha... directions, Éditions de l'an 2

Henri Morgan est retraité de Lettres.
Retiré à la campagne, loin du bruit, il nous raconte ses livres et sa vie.

Petite promenade dans une campagne déshabitée, où je croise seulement un animal qui se tapit sur les labours à mon approche, mais sans faire mine de vouloir s’enfuir, et dont je ne sais si c’est un blaireau ou un ragondin. La campagne a ceci de remarquable qu’on n’y voit presque jamais les animaux qui en théorie y pullulent. Il faut, une fois rentré dans sa demeure, se pencher sur les encyclopédies d’histoire naturelle pour enfin faire connaissance.
À défaut de lire Linné ou Buffon, on peut aussi lire Alpha du Berlinois Jens Harder qui résume congrûment, en un peu plus de 350 pages de bandes dessinées, l’histoire du règne animal, depuis le Big Bang jusqu’à l’apparition de l’homme. Le trait épais et moelleux de Harder semble fait pour dessiner des nébuleuses, des baryons, des bactéries, des continents à la dérive (tous éléments indispensables apparemment au développement d’une vie animale), et puis toutes sortes de bêtes, des trilobites à l’australopithèque. La bichromie confère aux planches d’Alpha un aspect sévère, un peu scolaire, du meilleur effet. Le texte, rare, est d’une érudition toute allemande. Ce texte est constamment parasité par le dessin, qui propose des métaphores faciles (quand il est question de gaz, Harder a tendance à dessiner une bonbonne de gaz, une usine à gaz, un gazier, etc.), mais qui, surtout, tresse l’imagerie scientifique avec une imagerie mythologique puisée dans les représentations religieuses occidentales et dans les arts premiers. C’est au fond un autre jeu de métaphores. Le résultat est que le propos scientifique est encadré par des visions archaïques que le lecteur interprétera à sa guise. On peut penser que l’homme s’est toujours demandé comment l’univers avait commencé et d’où venaient toutes ces bêtes, mais qu’il n’a forgé que récemment les outils scientifiques lui permettant de répondre à ses questions. On peut penser, tout à l’inverse, qu’il n’existe que des représentations, et que cette sombre histoire de nébuleuses et de baryons qui finiraient par produire des australopithèques, représente la version contemporaine des images où le monde repose sur des éléphants qui se tiennent eux-mêmes sur la carapace d’une tortue.
Une grande force de Jens Harder est qu’il n’identifie qu’exceptionnellement ce qu’il nous montre. Beaucoup de ses gravures médiévales ou orientales paraissent familières si l’on est un peu érudit, sans qu’on arrive à les situer précisément. De même, un lecteur de revues de vulgarisation scientifique reconnaîtra des images fractales ou ce logiciel qui simule l’auto-organisation du vivant à l’aide de petits carrés. Pour le reste, le lecteur, savant ou non, est livré au plaisir de donner le sens qu’il voudra au matériel imagier qu’on lui donne et de définir ses propres « convergences morphologiques » dans le « foisonnant biotope » des planches, la jungle des images.

Jens Harder, Alpha ... directions, Éditions de l’an 2, 2009