MISCELLANEES LITTERAIRES ET POPULAIRES

Le scientific romance apres H. G. Wells
Sydney Fowler Wright, The Island of Captain Sparrow (1928)
The Island of Captain Sparrow ressemble à une relecture de Island of Dr Moreau de H. G. Wells où le darwinisme social est remplacé par les préoccupations eugénistes. Ce qui peut apparaître comme une suite d’aventures sur une île du Pacifique, convoquant discrétionnairement le merveilleux, est structuré par le motif du dysgénisme, de la régression vers la brute. L’île abrite originellement une population vertueuse de prêtres pratiquant l’eugénisme de façon à limiter leur nombre à quatre-vingt. Ce peuple, plus ancien que les pyramides d’Égypte, vit dans un temple creusé dans la montagne, souvenir évident de She de Rider Haggard, et est servi par de grands oiseaux intelligents, analogues à des autruches, les rukas, qui font office de jardiniers. Mais l’île contient aussi une population de protognostiques qui ressemblent aux satyres de la fable. Un groupe de pirates et de prostituées est déposé par le fameux capitaine Sparrow, qui veut coloniser l’île pour y passer ses vieux jours, mais qui sera pendu avant de pouvoir rejoindre sa colonie. Livrés à eux-mêmes, ces éléments les plus vils de la société occidentale régressent au stade de la brute. Comble de la dysgénie, il est nettement suggéré que les femmes ont un commerce de libertinage avec les satyres, et les générations suivantes d’îliens arborent des cornes et des toisons caprines.
Le roman est raconté du point de vue d’un jeune diplomate anglais qui fait naufrage sur l’île, et d’une jeune femme franco-britannique qui a elle-même fait naufrage deux ans auparavant et qui vit dans les arbres de la forêt (le souvenir de la Rima de Hudson est assez évident), pour échapper aux assiduités du dernier descendant dégénéré du pirate.
L’opposition eugénisme/dysgénisme est doublée par l’opposition ordre/désordre. Initialement, l’île est coupée en deux par une clôture, qui sépare le domaine des prêtres, un merveilleux jardin cultivé par les oiseaux rukas, et celui des satyres, qui est une jungle tropicale. Une simple clôture suffit à séparer les deux mondes car les satyres ne savent pas grimper. Quand l’équipage du pirate apparaît, les prêtres décident de tolérer ces nouveaux voisins, moyennant une nouvelle clôture, alors que l’oracle leur a commandé de les exterminer. Mais ce nouvel ordre eugéniste apparent est l’amorce d’un grand désordre dysgéniste, car le peuple des prêtres s’éteint en deux générations à peine, à cause des maladies des blancs.
Le désordre se propage de façon épidémique à la fin du roman. Les pirates ont l’idée, pour torturer une de leurs victimes, de la suspendre dans un sac et de la faire dévorer par les oiseaux rukas. Mais les volatiles, pacifiques jusque là, acquièrent aussitôt le goût de la chair humaine et commencent à dévorer les pirates. Finalement, après diverses péripéties, les dégénérés prennent le bateau dans lequel est arrivé le héros, et se noient tous, étant incapables de naviguer, laissant l’île au couple des héros, qui élèveront la petite fille, seule rescapée du peuple des prêtres. Ainsi, l’eugénisme triomphera sur le dysgénisme, dans un nouvel éden.
Fowler Wright a une certaine tendance à produire, au beau milieu de l'action, de sortes d’apartés philosophiques qui, dans ses meilleurs moments, font penser à Chesterton (« An orphan monkey (...) crept under the warmth of her side and believed itself to be in safety, as a child trusts his parents, who can do so little to aid it, and as a man does not trust God who can. »), mais qui sont parfois bien filandreux, quand ils ne sont pas marqués du sceau du bizarre. Par exemple, quand la jeune femme qui vit dans la forêt fait la connaissance du naufragé, sa première idée est de se procurer des vêtements, afin d'être décente. Sa téméraire expédition vers le village des pirates, où elle a l'intention de voler une tunique, est introduite par un apologue sur une suicidaire qui, constatant qu'elle a un trou dans sa chaussure, fait demi-tour en voyant qu'il y a du monde dans la rue, et rentre changer de chaussures avant de ressortir et d'aller se jeter dans la rivière, puis est entrecoupée de considérations sur la confiance dans la Providence qui accompagne une éducation catholique.
Harry Morgan