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EXTRAIT DES
TRANSACTIONS
DU BUREAU IMPÉRIAL DES CHATS

Nouvelle Exégèse des lieux communs


Il ne faut pas stigmatiser. Le morne mois de juillet 2010 fut illuminé par l’un de ces fait-divers pittoresques qui enchantent les médias : l’attaque insurrectionnelle d’un village par des gens du voyage, français au demeurant, et sédentarisés (on apprit par la suite que l’attaque était filmée par les gitans eux-mêmes, l’objectif de l’opération étant de vendre les images aux médias). Le président Sarkozy, soucieux de rétablir l’ordre républicain, déclara son intention de frapper au cœur de la nébuleuse gitane et, pour commencer, de démanteler les campements illégaux de Roms. On détruisit effectivement une cinquantaine de bidonvilles et l’on renvoya chez eux, aux frais de la princesse, un peu plus d’un millier de Roms roumains (Rromi) et bulgares, à qui l’on remit aussi un petit pécule.
Or les aspects sécuritaires du dossier des « mesures d’éloignement des Roms » s'effacèrent aussitôt au profit d'une exploitation victimaire. En Octobre, le quotidien Le Monde prétendit avoir les preuves de l’existence d’un fichier des Roms tenu par la gendarmerie. Le blog Rue89 apporta de prétendues révélations supplémentaires. Le prétendu fichier demeura introuvable en dépit des investigations de la CNIL, mais les professionnels de l’indignation avaient réussi à démoniser les pouvoirs publics : la France, État nazi, tenait un fichier des Roms, sur le modèle du fichier des juifs pendant l’Occupation.
Cependant la réaction la plus médiatisée vint en septembre, de la Commissaire européenne pour la justice, la Luxembourgeoise Viviane Reding. Réagissant à la découverte d’une circulaire datée du 5 août, envoyée par le directeur de cabinet du ministère de l'intérieur aux chefs de police régionaux, circulaire qui précisait ceci : « 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d'ici trois mois, en priorité ceux des Roms », Mme Reding évoqua sa honte et déclara : « Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Deuxième guerre mondiale. » Ce n’était pas le fait en lui-même de l’expulsion qui motivait la colère de la commissaire (les occupants des fameux campements étaient hors-la-loi puisqu’ils résidaient depuis plus de trois mois sur le territoire), mais la mention explicite des Roms. Le président Sarkozy tonna contre l’insulte faite à son pays par la référence infamante aux heures sombres. La commissaire européenne se rétracta sans aller jusqu’à présenter des excuses. On récrivit la circulaire litigieuse sans utiliser le mot Roms. Tout le monde se déclara très satisfait et l’incident fut considéré comme clos.
Les médias, qui avaient rendu compte avec une joie mauvaise de la boulette gouvernementale et de ce qu’ils décrivaient avec un sens certain de l’hyperbole comme une condamnation officielle de la France par les instances européennes, en furent quitte pour s’appliquer à eux-mêmes la nouvelle norme, rendant désormais incompréhensibles les informations qu’ils étaient chargés de diffuser. Le « réseau Hamidovic » fut ainsi qualifié par l’ensemble des médias, d’après une dépêche de l’AFP définissant la nouvelle norme langagière, de « clan mafieux » et « patriarcal » venu de l’ex-Yougoslavie. [NOTE. Le réseau Hamidovic était un réseau de petites gitanes bosniaques, formées au vol à la tire. Elles étaient responsable selon la police de 3/4 des vols dans le métro.] Quant au petit gitan âgé de 14 ans qui fit chuter violemment une dame octogénaire en lui arrachant son sac, la plongeant dans le coma, le 29 décembre 2010, il fut désigné par la presse comme un « Roumain ». Ses parents, brièvement placés en garde à vue sous le soupçon d’utiliser leur fils à fin de mendicité agressive, étaient eux aussi des « Roumains ». Outre l'usage d'une synecdoque malheureuse (les « Rromi », l’une des nombreuses minorités nationales de Roumanie, représentent tout au plus 2,5 % de la population du pays), on peut évidemment se demander en quoi il est moins « stigmatisant » d’identifier quelqu’un comme « Roumain » que comme « Rom ».

Harry Morgan