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CINÉMA BIZARRE
ED WOOD — GLEN OR GLENDA — BRIDE OF THE MONSTER


Glen or Glenda (1953) — Comme toute l’œuvre d'Ed Wood, ce film est marqué par l’intermédialité, tant dans les solutions imagières — les plans de Bela Lugosi en buste sur une surimpression de foule urbaine évoquent les peintures de couverture des pulp magazines —, que dans les solutions narratives : Lugosi tient le rôle du host, comme dans un show radiophonique.
Et précisément, un trait remarquable du film est la multiplication des instances narratives, qu’il vaudrait peut-être mieux, dans le cas présent, appeler les autorités conférencières. Au maître des cérémonies Lugosi, décrit comme The Scientist, vient s’ajouter le psychiatre joué par Timothy Farrell, que le chef de la police vient consulter parce qu’un travesti, arrêté quatre fois pour trouble à l’ordre public, s’est suicidé.
Lugosi réintervient régulièrement dans le film, en étant associé à une ambiance de cinéma d’horreur, avec éclairs zébrant le ciel. Il tient des propos sardoniques et de mauvaise augure (« pull the strings ! »), mais par ailleurs vides de sens. (Il existe un mot de la langue anglaise qui résume l’attitude de Lugosi : il est ominous.)
Le psychiatre apparaît, tout à l’inverse, comme un narrateur plausible, qui fait l’anamnèse d’un cas de crossdressing typique, celui de Glen/Glenda. Cependant il se décèle rapidement que le Dr Alton entretient de singulières théories, et le spectateur devine que c’est Ed Wood lui-même, troisième narrateur, mais implicite, celui-là, qui nous délivre par la bouche du disciple d’Hypocrate une apologie du crossdressing, en expliquant que les vêtements masculins sont laids et inconfortables, et que les chapeaux provoquent la calvitie en arrêtant le flux sanguin. (Il y a d’ailleurs dans le film un personnage d’homme en veste de tweed et en chapeau, qui n’est là apparemment que pour montrer à quel point un tel accoutrement est peu seyant.)
Cette description valorisée et désangoissée du crossdressing renvoie à l’imagerie et à la prose des revues fétichistes du temps, telle que le Bizarre de John Willie. On nous montre des crossdressers chez eux, après une rude journée de travail, allongés sur des canapés, impeccablement coiffés et maquillés, ou exprimant leur part féminine en faisant un brin de ménage. Ce discours propre à une minorité sexuelle est complété par une séquence de rêve, qui fait penser à un film clandestin de bondage d’Irving Klaw, et dont les spécialistes disent qu’il a été rajouté au film d’Ed Wood par le producteur.
Pour compliquer encore les choses, Glen/Glenda est joué par Ed Wood lui-même, tandis que le rôle de la fiancée est interprété par Dolores Fuller, petite amie d’Ed Wood dans la vie, de sorte que ce docudrama avant la lettre, caractérisé par la pesanteur des autorités conférencières, constitue aussi, si l’on considère cette fois les personnages du drame, une confession conjugale, dont les effets dans la vie réelle ne se firent pas attendre (comme il était prévisible, Fuller quitta Ed Wood).
Quant au contrat du film, il est visiblement truqué. On a commandé à Ed Wood un film sur la réassignation sexuelle (le titre original était I Changed My Sex), il fait un film sur le crossdressing. Pour coller au moins superficiellement aux demandes du producteur, Ed Wood rajoute au cas de Glen/Glenda celui d’Alan/Anne, qui est décrit comme ayant les caractères sexuels de l’un et l’autre sexe, et qu’on transforme chirurgicalement en femme. La phrase fatidique du host Bela Lugosi « pull the strings » s’applique ici littéralement semble-t-il : on peut faire apparaître l’un ou l’autre sexe, en tirant sur de secrètes ficelles dans le corps de la grande poupée qu’est Alan/Anne.
Quant à Glen, le film le décrit comme « guérissable », car sa singularité est mise au compte d’un rejet parental qui l’a obligé à fabriquer une sorte de compagnon imaginaire féminin. Par conséquent, à la condition que sa fiancée consente à devenir pour lui à la fois une mère, une sœur et une épouse — une demande qui, à la vérité, apparaît comme quelque peu exorbitante —, elle incorporera aussi le rôle de Glenda, délivrant Glen de son double fantomatique.
Mais ce message « édifiant » est parasité et ruiné par les préoccupations propres d’Ed Wood. La scène-clé, au milieu du film, où Glen avoue son « problème » à sa fiancée, et où celle-ci ôte son pull angora et le tend à son fiancé, pour signifier son acceptation, comporte une signification toute autre pour un spectateur un tant soit peu attentif, qui est que Glen a une attirance fétichiste pour les pulls angora et que sa fiancée lui livre tout simplement l’objet de sa prédilection.

Bride of the Monster (1955). — Parce que ce film de savant fou ressemble presque à un film normal (il n’est pas tellement plus mauvais que les productions dans lesquelles jouait Bela Lugosi dans les années 1940), il est aussi du plus haut comique. Ces gens aux costumes aberrants — le veston trop grand de l’inspecteur, la robe de dentelles que le savant fou à fait passer à la jeune première, la chemise entièrement déchiquetée du jeune premier — qui courent en rond devant la maison de l’horreur, en ayant l’air de chercher le script du film, nous convulsent de rire.

Harry Morgan

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