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Le scientific romance après H. G. Wells

•Trois romans britanniques de fin du monde

J. J. Connington, Nordenholt's Million, 1923
Francis H. Sibson, Unthinkable, 1933
Herbert Best, The Twenty-Fifth Hour, 1940


J. J. Connington, Nordenholt's Million, 1923
J. J. Connington était le nom de plume d’Alfred Walter Stewart (1880-1947) un chimiste britannique connu surtout pour les 17 romans de détection qu’il publia entre 1923 and 1947 — c’était le genre populaire en vogue à son époque.
Nordenholt's Million est basé sur une idée de chimiste, puisque le roman raconte la fin du monde par la mort des bactéries dénitrifiantes, qui met donc fin à toute vie végétale. L’histoire est racontée par un fabricant de moteurs. Il est d’abord témoin par hasard de la naissance de la bactérie, dans le laboratoire d’un savant aussi médiatique qu’incompétent, où la foudre en boule provoque la mutation de cultures de bactéries. Dans la suite du roman, le narrateur devient le bras droit du dictateur qui sauve la civilisation occidentale.
À partir des bouillons de culture londoniens, les bactéries mutante prolifèrent et elles emportent la végétation du globe en quelques semaines, par destruction de l’humus, la terre arable devenant du sable. Alors que les autorités britanniques se montrent incapables de gérer la crise, Nordenholt, un capitaine d’industrie aussi visionnaire qu’impitoyable, prend la décision radicale d’emporter un million de personnes dans la vallée de la Clyde, riche en usines et en ressources minières, et aisée à fortifier, avec le dessein de trouver un bactéricide et une façon de refertiliser le sol. Mais Nordenholt ne s’en tient pas là, puisqu’il accélère la fin inéluctable du reste de la population de la Grande Bretagne — en clair il organise son génocide — en répandant des rumeurs de peste, et en désorganisant les communications (il fait sauter tous les trains qui mènent à la vallée de la Clyde). De même, tout le bétail irlandais a été prélevé par les agents de Nordenholt, ce qui signifie qu’il condamne l’Irlande entière à une mort rapide. Nordenholt a aussi accaparé tout le grain nord-américain sur lequel il a pu mettre la main, avant que les autorités ne décrètent l'embargo.
Le sommet du roman est la description de Londres retombé à la barbarie, une ville en feu, parcourue par des groupes de fanatiques religieux (héritiers des « danseurs » de l’époque des pestes médiévales), mais aussi des chasseurs anthropophages, et en proie à une orgie généralisée. Le narrateur ne fait cette excursion, dans laquelle il manque de périr, que parce que Nordenholt veut lui montrer la véritable nature de l’humanité.
De fait, en dépit de toute les précautions du dictateur, dans la vallée, la révolte ne tarde pas à gronder, et des phénomènes de fanatisme millénaristes semblables à ceux de Londres apparaissent sporadiquement. Quand les insurgés parviennent à faire sauter les mines de charbon qui fournissent l’énergie aux laboratoires de recherche de Nordenholt, le sort de la civilisation semble scellé. Mais, dans un coup de théâtre, des savants atomistes qui se font stoïquement sauter l’un après l’autre dans leur laboratoire, mettent au point un moteur atomique et, comme le microbe dénitrifiant est mort, car sa forme mutante est aussi éphémère que proliférante, on pourra fumer la terre, au moyen d’excellents engrais chimiques, et replanter.
Nordenholt’s Million est un roman remarquablement malsain, et il tend à démontrer que les savants (rappelons que l’auteur est chimiste) ne devraient être autorisés à travailler que sous l’étroite surveillance d’autorités morales irréprochables. Connington écrit visiblement sous l’inspiration du fascisme naissant, Nordenholt étant une sorte de Mussolini dont la devise pourrait être : «  la fin justifie les moyens ». Non seulement notre grand homme fait tout son possible pour accélérer la mort de la population britannique, mais, après la crise énergétique, il envisage sérieusement de décimer la population de la vallée elle-même. Bizarrement, le seul personnage du roman qui n’approuve pas les plans de Nordenholt est la nièce du dictateur, qui lui sert de secrétaire. On nous explique — contre toute vraisemblance — qu’elle ignorait le plan de génocide. Lorsqu’elle le découvrira accidentellement, elle ne pardonnera ni à son oncle ni au narrateur, son fiancé.
À la fin du roman, un nouveau matériau fabriqué grâce à la nouvelle technologie atomique, une sorte de verre à toute épreuve, permet la construction de cités merveilleuses aux noms tirés de la mythologie, les villes anciennes ayant été entièrement détruites par le feu lors des émeutes et ne valant pas la peine d'être déblayées. L’auteur se désintéresse alors ostensiblement des questions sociales et économiques dans ce qui est, de fait, une civilisation nouvelle, pour se réfugier dans une sorte d’imagerie de citées futuristes qui, en une curieuse anticipation, préfigure les idées architecturales grandioses et ultramodernes de Mussolini et de Hitler.
Si les scènes dans Londres livré au chaos sont cauchemardesques à souhait, l’auteur est bridé par le fait que, littérairement, il est au mieux un amateur et la formule « je ne tenterai pas de décrire » arrive trop souvent sous la plume de son narrateur pour que le lecteur se déclare satisfait.
Cependant la vision de Connington, dans ce qui se présente plus ou moins clairement comme une variante ultra-réactionnaire des romans d’anticipation de Wells, est ample, et intéressante, par sa bizarrerie même. Une fois posé le fait que seule une infime fraction de l’Angleterre peut survivre, la destruction du reste est envisagée avec une sorte de jubilation froide, alors que ce type de romans britanniques montre en général la fin du monde de façon pathétique, en présentant le danger que font peser sur les colonies de survivants les bandes errantes adonnées au brigandage comme une conséquence inévitable de l’effondrement de la civilisation. (Voir par exemple Wayland Smith (Victor Bayley), The Machine Stops (1936))

Francis H. Sibson, Unthinkable, 1933
Unthinkable, du Sud-Africain Francis Sibson est essentiellement un roman d’aventures polaires (avec hivernage forcé dans l’Antarctique), et un roman maritime (avec retour vers les mers chaudes sur des frêles embarcations, avant que les protagonistes ne trouvent providentiellement un cargo à la dérive). Mais ce récit, au demeurant bien documenté et poignant, débouche inopinément sur une histoire de fin du monde. Ce n’est qu’arrivé au Cap que les naufragés comprennent pourquoi ils n’ont plus, après leur naufrage, intercepté une seule communication radio, pourquoi aucune expédition n’est venue à leur secours et pourquoi le cargo qu’ils ont trouvé ne contenait que des cadavres, les machines ayant tourné jusqu’à ce que les pistons se bloquent faute de lubrifiant. Les gaz de combat utilisés dans une guerre universelle ont à peu près éradiqué l’humanité.Les populations survivantes sont atteintes neurologiquement, connaissent des périodes de coma et souffrent d’idiotie et d’atonie. Une scène particulièrement réussie est celle du retour au Cap, où les naufragés sont accueillis par un officier qui paraît en état d’hypnose. Comme la littérature britannique utilise souvent ce motif de l’individu en état d’hypnose pour coder le totalitarisme, on s’attend, en comprenant que notre officier n’est pas dans son état normal, à découvrir quelque ordre nouveau, déshumanisé. La surprise est d’autant plus grande quand on comprend que notre officier représente une autorité fantôme, la ville étant à peu près morte et le gouverneur, que John Dane, le chef de l’expédition antarctique, s’en va voir dans sa demeure, alors qu’il est lui-même au dernier degré de l’exténuation, n’étant ni plus ni moins qu’une momie.
À la fin du roman, John Dane comprend que si la Providence a permis son retour et celui de son équipage, c’est précisément pour qu’ils puissent prendre la direction des survivants et rebâtir une civilisation.
C’est l’expertise de l’auteur dans les questions polaires et maritimes qui fait l’intérêt de ce qui est essentiellement un roman d’aventures dans les glaces. Le point de vue et le ton du romancier sont celui du vieux loup de mer. Par ailleurs, l’auteur profite des longs hivers de la robinsonnade antarctique pour se livrer à d’amères diatribes contre les inventions des économistes, à commencer par la division internationale du travail, source de tous les maux, et cause directe de l’écroulement de la civilisation, ainsi que la suite du roman va le montrer, puisque les survivants sud-africains s’avèrent incapables pour la plupart de planter un simple radis.

Herbert Best, The Twenty-Fifth Hour, 1940
The Twenty-Fifth Hour, de Herbert Best, raconte une double fin du monde, par la guerre totale en Europe, par la guerre bactériologique, lancée par un dictateur sud-américain, dans le Nouveau Monde. L’histoire est racontée du point de vue d’un capitaine anglais, sorti de Cambridge, pour ce qui concerne l’Europe et, pour les États-Unis, d’un frère et d’une sœur qui ont survécu parce qu’ils ont pris la mer, et qui vivent une robinsonnade dans les Antilles. Dans la seconde moitié du roman, les robinsons antillais traversent l’Atlantique sur leur coquille de noix, le frère est tué par le capitaine britannique avec qui la sœur fait finalement alliance.
Le roman est extrêmement âpre dans sa partie européenne. Le début du roman raconte comment la troupe irrégulière du capitaine prend d’assaut un château, tue tous les hommes, et organise l’hivernage après s’être partagé les femmes. Mais cette scène de violence médiévale représente encore un état de civilisation très élevé aux yeux de l’auteur. En effet, après l’intermède antillais, lorsque nous revenons au capitaine anglais, le mode d’organisation par bandes n’est plus économiquement viable. L’Europe est passée au cannibalisme, et les rares survivants, tous d’anciens soldats, sont devenus des prédateurs solitaires, à la fois chasseurs et chassés.
Comme son homologue des antipodes, M. Francis Sibson, Herbert Best critique âprement la division internationale du travail, qui fragilise le monde, et nous retrouvons donc la même déploration du fait que personne ne sait planter une tomate, ce qui explique que quand la guerre apparaît, le monde civilisé disparaît. (L’auteur adopte par ailleurs une curieuse théorie de la guerre à outrance, tous les belligérants pratiquant une guerre offensive de blitz, sans songer à défendre l’arrière, le résultat étant une anticipation de la « destruction mutuelle assurée », sans qu’on ait besoin de recourir à l’arme atomique.)
Après avoir achevé d’habituer son lecteur à l’idée que le cannibalisme est somme toute une façon de s’alimenter comme une autre, Herbert Best donne à son roman une curieuse fin en Égypte, où un autre Britannique, sorti quant à lui d’Oxford, et que le capitaine a déjà rencontré auparavant dans les ruines de Constantinople, a créé une société viable et prospère, basée sur le fait que tout signe de richesse — et toute idée de cadeau ou de rétribution — est assimilée à un déshonneur, de sorte que les élites sont nécessairement vertueuses, notre philosophe d’Oxford lui-même étant, pour le pays nilotique, une sorte de roi en guenilles. Comme de pareilles valeurs sont aux antipodes de la culture islamique, on peut supposer, quoique ce ne soit indiqué nulle part, que ce que l’auteur a en tête est une christianopolis orientale, une utopie copte.