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Annales de la littérature d'aventures - Département des romans souterrains

John Uri Lloyd, Etidorhpa or the End of Earth, 1895


Etidorhpa est connu des amateurs d'anticipation comme un roman à terre creuse et une source possible d'E. R. Burroughs dans son invention de Pellucidar, le monde intérieur. Mais l'œuvre est essentiellement un roman maçonnique et occultiste. Quant à l'auteur, il est à classer sans discussion possible dans les fous littéraires.

La double casquette d'occultiste et de graphomane de John Uri Lloyd (qui exerçait apparemment la profession de pharmacien) explique que le roman soit muni d'un apparat quasi diplomatique de notes liminaires, prologues, préfaces où l'auteur joue à cache cache avec le lecteur sous diverses identités d'emprunt tout en attestant sur son honneur que le manuscrit, mystérieusement recueilli et transmis, est publié dans son intégralité, moins une partie émondée car trop horrible. Semblablement, l'ouvrage se clôt sur divers procès-verbaux reproduits en fac simile, postfaces, tampons, imprimaturs et certificats divers, y compris 20 pages de recensions de l'ouvrage par des pharmaciens et des rédacteurs en chef de revues de pharmacie, avec lesquels Lloyd était vraisemblablement en relations d'affaires, attestant la haute qualité littéraire de l'ouvrage et suggérant que l'auteur y dissimule d'importantes révélations occultistes.

Ce dédale administratif de transmission et de certification se prolonge à l'intérieur de l'ouvrage, dont le cœur est le manuscrit qu'un vieillard à longue barbe blanche, qui se fait appeler I-Am-The-Man et qui apparaît sous une forme fluidique, lit à un individu nommé Johannes Llewellyn Llonggollyn Drury (à l'évidence un avatar de John Uri Lloyd), qui est censé le publier, mais ne le fait pas, cette publication étant finalement assumée par John Uri Lloyd « lui-même ». Le témoignage de l'hypothétique auditeur Llewellyn Drury sert donc de récit-cadre au récit lu par l'ectoplasmique et chenu I-Am-The-Man. Mais la lecture de I-Am-The-Man (qui n'apparaît à Llewellyn Drury qu'une fois l'an !) est interrompue par des expériences de chimie amusante auxquelles l'ectoplasmique visiteur se livre avec son hôte et par des conversations de Llewellyn Drury avec un savant ami - qui figure lui aussi dans le paratexte de l'œuvre - sur la valeur scientifique des révélations qu'on lui débite. Pour achever d'obscurcir l'affaire, le narrateur Llewellyn Drury et le fantomatique visiteur I-Am-The-Man livrent différentes pièces justificatives et archives.

Etidorhpa est entre autres un roman de société secrète et suit par conséquent les lois de ce genre. A l'époque où il était un simple mortel, I-Am-The-Man a reçu une lettre anonyme lui intimant de s'affilier à une société secrète pour en dévoiler ensuite les secrets. Trouvant que c'est une excellente idée, le naïf s'exécute, et est par voie de conséquence arrêté par ses Frères en simagrées, qui décident de le punir sévèrement en l'envoyant au cœur de la Terre. Il se découvre alors que les Frères sont eux-mêmes les instigateurs de la trahison (ce sont eux qui ont rédigé la lettre anonyme), leur but étant précisément d'envoyer leur innocente victime affronter les ultimes arcanes. (Tout cela ne fait aucun sens pour le lecteur moyen, mais c'est un motif habituel de ce type de fiction.) Celui qui deviendra I-Am-The-Man est dépossédé de son identité (on le vieillit artificiellement à l'aide de produits chimiques) puis passé de main en main jusqu'à une caverne du Kentucky où il est réceptionné par un souterrain, un être dépourvu d'yeux, qui n'a qu'un embryon de nez et une bouche ressemblant à celle d'un poisson.

L'être souterrain et l'impétrant descendent dans les entrailles de la Terre. Le visiteur constate qu'il pèse de moins en moins à mesure qu'il descend, et que les ondes qu'il reçoit le revigorent, de sorte qu'au lieu de se fatiguer, il reprend des forces. On rencontre des champignons géants, des cristaux de sel gigantesques et, à cet endroit, l'auteur se fend d'abondantes explications sur la chose qui lui tient visiblement le plus au cœur et qui est en gros que lorsqu'on a d'un côté d'une membrane une saumure et de l'autre de l'eau pure, toute l'eau, contrairement à ce qu'affirme la physiologie conventionnelle, passe du côté de l'eau pure, laissant de l'autre côté de la membrane un dépôt salin.

La descente est également l'occasion d'un cours sur la nature de la matière, dont il faut retenir qu'elle n'est que de l'énergie freinée. I-Am-The-Man arrive finalement dans une sorte de cercle de l'enfer qui est celui des alcooliques, et il rencontre une sorte d'idéal féminin (équivalent de Béatrice dans la Divine comédie), qui se fait appeler Etidorhpa (Aphrodite écrit à l'envers) et qui donne son titre au roman. I-Am-The-Man est alors tenté, comme le Christ dans le désert, par une soif dévorante, mais il refuse courageusement de boire les substances intoxicantes provenue de champignons qu'on lui propose, et arrive par cette épreuve à un état quelconque qui du point de vue du lecteur est celui de teetotaler mais qui, pour l'auteur, a manifestement une valeur mystique. De nouvelles explorations, à travers des paysages semés de plantes et peuplés d'animaux inconnus, mènent à l'ultime arcane. La Terre est une fine croûte rocheuse, qui se trouve coïncider avec une sphère d'énergie qui constitue le véritable globe. Ceci explique qu'on soit attiré vers la croûte terrestre qu'on se trouve à la surface du globe ou dans son intérieur (on est toujours attiré vers la circonférence de la sphère d'énergie). Le souterrain à tête de poisson sème finalement I-Am-The-Man, qui sème lui-même son auditeur Llewellyn Drury, sans qu'on comprenne exactement à quoi tout cela mène.

Cette matière romanesque serait modérément amusante si la narration n'était pas terriblement alourdie d'une part par les prétentions didactiques de l'auteur, le roman étant interrompu au moindre prétexte par des dissertations et des leçons de chimie, d'autre part par le hiératisme qui paraît de mise à l'auteur dans des parages aussi solennels, le malheureux I-Am-The-Man passant son temps à 1. se révolter avec indignation et avec l'énergie du désespoir, contre son guide souterrain, son sort, les révélation qu'on lui fait ou contre n'importe quoi d'autre, 2. se résigner avec humilité à tout ce qui précède, le tout à grand renfort de prosternations, prises à témoin, serments grandiloquents, gestes désespérés, etc.

On est conduit ici à faire l'hypothèse que l'amateur d'occultisme éprouve vis-à-vis de ses mystérieuses théories l'attrait que des esprits plus prosaïques éprouvent envers de gracieuses demoiselles peintes par des peintres d'académies, quand ce n'est pas envers des actrices court vêtues s'exhibant sur des scènes de théâtres de second ordre. Cette érotique de l'idée occultisante inclut naturellement les notions de honte, de pudeur, de transgression, et c'est précisément ce qui nous vaut toutes ces simagrées sur la défense de parler (la théorie occultiste étant, au sens littéral du mot, obscène), la punition et la mise au ban de l'humanité quand on en a trop dit (la révélation offensant la pudeur et l'honnêteté), et pour finir le mauvais vouloir de l'impétrant dans son apprentissage et son rejet indigné de ce qu'il a appris (semblable au refus de l'enfant d'accepter son origine génitale).

S'il y a une influence de John Uri Lloyd sur Edgar Rice Burroughs, c'est l'idée que la gravité serait une propriété de la croûte terrestre. En effet, Burroughs ne juge pas utile d'expliquer comment les habitants de son Pellucidar marchent à la surface extérieur de leur monde concave (le centre de gravité d'une sphère, même creuse, étant naturellement le centre de ladite sphère !) Pour le reste, et quoi qu'on en ait écrit, les deux œuvres sont sans aucun rapport.

 

Harry Morgan

 

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