MISCELLANEES LITTERAIRES ET POPULAIRES

Splendeurs des Munsey Magazines
• Un roman d'aventures fantastiques d'Abraham Merritt
The Dwellers in the Mirage (1932)

Leif Langdon découvre avec son ami peau-rouge, Jim, une vallée perdue en Alaska, cachée sous un mirage permanent, qui fait croire qu’il y a à cet endroit un lac. Un peuple de nains est en butte aux exactions de descendants d’Ouïghours, adorateurs d’un monstre issu d’une dimension parallèle, que les mythes de l’humanité identifient au Kraken. Leif est lui-même la réincarnation (ou bien il est possédé par) le héros mythique des Ouïghours et il s’agite dans un cruel dilemme, partagé entre sa loyauté envers le peuple des nains et la belle Evalie, et son lien atavique avec le peuple des Mongols et la sombre enchanteresse Lur.
Dwellers in the Mirage est souvent considéré comme le chef-d’œuvre d’Abraham Merritt, à égalité avec The Metal Monster (1920), que nous n’avons pas lu. Le fait est que le roman tire bénéfice des limites mêmes du romancier, en particulier dans le prologue, où le héros, Leif Langdon, ne comprend littéralement pas ce qui lui arrive, puisqu’il est un throwback, un produit de l’atavisme. Enlevé, en plein désert de Gobi, par les Ouïghours, Leif ne parvient pas à conceptualiser qu’il est la réincarnation de leur héros-dieu, Dwayanu, et il s’étonne constamment de se comporter strictement comme le faisait sa précédente incarnation. Cependant Merritt n’arrive pas à maintenir cet effet tout au long du roman, ce qu’aurait fait un romancier meilleur technicien, et lorsque le personnage arrive dans la vallée de l’Alaska cachée sous le mirage, le roman développe plus banalement une situation à la Jekyll et Hyde, où l’attachement de Leif pour le petit peuple féérique ou son allégeance aux adorateurs du Kraken sont décrits comme un combat entre le bien et le mal, sans que le conflit psychique du personnage soit éclairé. De même, le cas de conscience érotique du héros, partagé entre son amour éthéré pour Evalie et son attirance passionnelle pour Lur, n’est guère exploité, alors même qu’il correspond à un lieu commun psychologique (l’attirance envers une partenaire qu’on sait unsuitable). On se retrouve dans une description en style noble d’amours qui ressemblent à celles des chats (le héros vole un baiser à l’enchanteresse, avant de lui arracher le poignard qu’elle s’apprêtait à lui enfoncer dans l’échine).
Si Dwellers in the Mirage se lit avec plaisir, c’est parce que le roman est fort enlevé sur le plan de l’action et aussi parce qu’il convoque une imagerie très riche de ce qu’on appellerait aujourd’hui un monde d’heroic fantasy (et un monde d’heroic fantasy est essentiellement un monde d’images). Ce ne sont que festins, folles galopades, bannières au vent, sièges médiévaux et batailles homériques, sacrifices humains dans des temples vertigineux, etc.
Mais si Dwellers in the Mirage est réussi, en dépit des évidentes limites du romancier, c’est aussi parce que l’élaboration mythopoétique y est plus complètement développée que dans les autres romans d’Abraham Merritt. Le monstre extraterrestre Kal’kru, qu’adorent les Mongols, est un anti-Dieu un Dieu d’avant la Création, et qui souhaite la réabsorber. (« It symbolized the principle that is inimical to Life — not Death precisely, more accurately annihilation. » Ch. 2.) Kal’kru, ou le Kraken, est donc la version la plus achevée — et la clé — des autres monstres de Merritt, le monstre extraterrestre de The Moon Pool, celui de The Face in the Abyss, ou encore le dévoreur d’âmes surgi de l’enfer et appelé le Gatherer dans le roman satanique Creep Shadow.
La description du monstre merrittien dans Dwellers in the Mirage vaut d’être citée in extenso. Elle permet de juger que, au-delà de ressemblances formelles, le monstre originel de Merritt n’a qu’assez peu de rapports avec les entités d’outre-espace d’un Lovecraft.
« Khalk'ru was the Beginning-without-Beginning, as he would be the End-without-End. He was the Lightless Timeless Void. The Destroyer. The Eater-up of Life. The Annihilator. The Dissolver. He was not Death--Death was only a part of him. He was alive, very much so, but his quality of living was the antithesis of Life as we know it. Life was an invader, troubling Khalk'ru's ageless calm. Gods and man, animals and birds and all creatures, vegetation and water and air and fire, sun and stars and moon--all were his to dissolve into Himself, the Living Nothingness, if he so willed. But let them go on a little longer. Why should Khalk'ru care when in the end there would be only--Khalk'ru! Let him withdraw from the barren places so life could enter and cause them to blossom again; let him touch only those who were the enemies of his worshippers, so that his worshippers would be great and powerful, evidence that Khalk'ru was the All in All. It was only for a breath in the span of his eternity. Let Khalk'ru make himself manifest in the form of his symbol and take what was offered him as evidence he had listened and consented. » (Dwellers in the Mirage, Ch. 3.)
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