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THE CURSE OF FRANKENSTEIN (1957)
HORROR OF DRACULA (1958)
THE REVENGE OF FRANKENSTEIN (1959)
THE BRIDES OF DRACULA (1960)
THE EVIL OF FRANKENSTEIN (1964)
DRACULA PRINCE OF DARKNESS (1966)
FRANKENSTEIN CREATED WOMAN (1967)
DRACULA HAS RISEN FROM THE GRAVE (1968)
FRANKENSTEIN MUST BE DESTROYED (1969)
THE HORROR OF FRANKENSTEIN (1970)
TASTE THE BLOOD OF DRACULA (1969)
THE SCARS OF DRACULA (1970)
DRACULA AD 1972 (1972)
THE SATANIC RITES OF DRACULA (1973)
FRANKENSTEIN AND THE MONSTER FROM HELL (1974)
THE LEGEND OF THE SEVEN GOLDEN VAMPIRES (1974)
Rien a priori ne présuppose l’association du mythe littéraire de Frankenstein à celui de Dracula. Frankenstein est un roman gothique tardif, Dracula un sensation novel de la fin du XIXe siècle. C’est le cinéma, en l’occurrence les films de la Universal (Dracula de Tod Browning, Frankenstein de James Whale, tous deux de 1931), qui a fait du créateur de monstres et du vampire les figures jumelles et emblématiques du cinéma fantastique. Dans leur version de la Hammer (The Curse of Frankenstein, 1957, Horror of Dracula, 1958), la présence de Peter Cushing, qui interprète à la fois le rôle de Van Helsing, le chasseur de vampires et celui de Victor Frankenstein, le créateur de monstres, amène un degré supplémentaire d’intégration, en tressant ensemble les deux figures. En tant que Van Helsing, Cushing est entièrement positif. Mais en tant que Frankenstein, il est un personnage à la fois positif et négatif, puisqu’il est un savant partisan du progrès et altruiste (dans The Revenge of Frankenstein, 1959, il travaille charitablement dans l’hôpital des pauvres ; dans Frankenstein Must Be Destroyed, 1969, il a une prise de bec avec des voyageurs de commerce obscurantistes) et un être maléfique qui déchaîne le mal sur le monde, sous les aspects d’un monstre fait de cadavres. Dans ce versant maléfique, Frankenstein et sa créature s’approprient donc de façon disjointe les deux faces de Dracula. Victor Frankenstein et Dracula, corrects et glacés, appartiennent tous deux à la même classe sociale défunte, puisqu'ils sont respectivement un baron et un comte. La créature de Frankenstein est, comme Dracula dans sa version nocturne, un monstre assassin vomi par une tombe.
À la limite, dans les films de la Hammer, les mythes de Dracula et de Frankenstein deviennent substituables. La créature de Frankenstein, étant faite de cadavres, a vocation à ressusciter — ou à être ranimée — à volonté, ce qui en fait un succédané de Dracula (on récupère le monstre pris dans la glace dans The Evil of Frankenstein, 1964). Mais le baron Frankenstein est lui-même un émule de Dracula. Dans Frankenstein Created Woman, 1967, le baron Frankenstein se cryogénise et reste mort pendant une heure d’horloge (quoique son âme demeure prisonnière de son corps), ce qui l’établit clairement en pair du vampire.
Dans The Evil of Frankenstein (1964), même le château du baron Frankenstein, qui était si clairement, du point de vue de l'architecture, anglais et victorien, est devenu analogue à celui de Dracula ; c’est désormais une ruine sur un roc battu par les vents. Comme, à partir du deuxième film où Christopher Lee joue Dracula, Dracula Prince of Darkness, 1966, la localisation du château de Dracula est Carlsbad (« high in the Carpathian mountains »), alors que le château de Frankenstein est identifié, dans The Evil of Frankenstein, comme se trouvant à Karlstaad, on peut supposer que les deux endroits, et par conséquent les deux châteaux, n’en font qu’un et que Frankenstein et Dracula se partagent les lieux.
Cette substituabilité des deux mythes est amplifiée par un effet sériel. Dracula ressuscite, Frankenstein se remet à créer des monstres, parce qu’il faut bien que la Hammer débite des films (Dracula revient de l’état pulvérulent dans Dracula Prince of Darkness ; dans Taste the Blood of Dracula, 1969, et dans Scars of Dracula, 1970, c’est son sang lyophilisé qui permet de le reconstituer). D’où ces titres, indifférmment distribués entre les deux séries, qui signifient : « Voilà que cela recommence » (Dracula Has Risen from the Grave, 1968), ou qui lancent l’alerte sur ce qui se révèle être un danger sinon permanent, du moins récurrent (Frankenstein Must Be Destroyed, 1969).
Autre proximité — mais elle est commune à tous les films de monstres de la Hammer —, la destruction finale. Il faut que le film finisse en incendie, afin de préserver le statu quo, sans quoi le monde serait dévoré par le mal, et l’effet sériel serait interrompu.
On décrira assez bien le projet narratif de la Hammer en disant qu’il s’agit de changer du Mary Shelley et du Bram Stoker en Sax Rohmer ou en Dennis Wheatley. D’où les messes noires, qui sortent précisément de Dennis Wheatley, et que les producteurs opportunistes mettront à toutes les sauces, jouant sur leur charge érotique.
Mais en dépit de ce passage assumé vers la littérature populaire, The Curse of Frankenstein et ses suites (et il faut, croyons-nous, ranger la série des Dracula dans ses suites !) conserve une esthétique gothique dont la mémoire consciente s’est perdue et qui se transmet par la simple persistance des motifs, généralement à travers les arts populaires. Pourquoi les matte paintings sur des précipices ? C’est le sublime de Burke — le plaisir par l’épouvante — passé par le diorama et les fonds de scène du mélodrame. Pourquoi des filles en chemise de nuit qui explorent en tremblant les couloirs des maisons endormies ? C’est le gothique d’Ann Radcliffe et ses mystérieux airs de flûte venus de la tour du nord.
Mais on conserve aussi le gothique obstétrical de Mary Shelley, avec son savant obsédé, sautant ses repas pour se claquemurer dans sa tour, évidente métaphore de l’écrivain. Du point de vue féminin, le véritable monstre, c’est le baron Frankenstein, et la créature n’est monstrueuse que par raccroc. Les monstres sont les auteurs. Comme leur nom l’indique (auctor, celui qui augmente), ils donnent la vie, comme les femmes, puisqu’ils portent une œuvre. C’est ce qui explique que, dans les Frankenstein de la Hammer comme dans ceux de la Universal, les femmes sont de trop. La cousine qui épouse Victor dans The Curse of Frankenstein est un boulet non seulement pour le baron, mais pour le film considéré dans son ensemble. De même la bourgeoise soucieuse de bonnes œuvres qui vient travailler dans la clinique dans The Revenge of Frankenstein.
Pourquoi le monstre, dans The Curse of Frankenstein, est-il une momie qu’on démaillote ? Parce que le démaillotage de momie était un spectacle récréatif dans l’Angleterre victorienne. On pourrait donc décrire l’entreprise de Victor Frankenstein telle qu’elle est mise en images par Terence Fisher comme une égyptologie artificielle (on fabrique les momies avant de les rappeler à la vie).
Le gothique sanguinolent, venu du Moine de Lewis, est là aussi, ayant transité par le mélodrame victorien, version britannique du théâtre du Grand Guignol. D’où les clins d’œil. Frankenstein qui s’essuie machinalement sur sa blouse, après une opération répugnante (mais que nous ne voyons pas), et y laisse une tache de sang. L’œil de Frankenstein très agrandi à travers une loupe quand il examine... les yeux qu’il a récupérés pour fabriquer sa créature (fort mal choisis, le monstre a une taie sur l’œil droit).
C’est évidemment à ce gothique sanguinolent, gothique germanique dans son inspiration, intégrant le surnaturel (ce que ne fait jamais le gothique d’Ann Radcliffe), qu’appartient le film de vampire de la Hammer. The Brides of Dracula, 1960 (où ne figure pas Christopher Lee), Dracula Prince of Darkness, 1966, Dracula Has Risen From the Grave, 1968, les meilleurs films de la série avec le film initial, sont des récits gothiques qui pourraient sortir de la plume d’un George W. M. Reynolds. The Brides of Dracula ouvre le récit sur une scène pleine d'atmosphère. (« La porte de l’auberge s’ouvrit et un mystérieux inconnu apparut. »). Peu importe si le mystérieux inconnu disparaît aussitôt, n’ayant rien à faire dans le film. Le ton est donné.
Quant au château du vampire, issu du roman gothique, il devient un pur lieu fantasmatique où sont conservées les névroses familiales (la châtelaine qui a fait enchaîner son fils vampire dans The Brides of Dracula), et où les jeunes couples s'engluent comme des mouches dans un piège (Dracula Prince of Darkness).
Le meilleur effet des films de la Hammer consacrés à Frankenstein et Dracula, est peut-être involontaire. Il découle de la sérialité, du fait qu'il est impossible de conserver un récit uniforme dans des productions cinématographiques différentes. Il s’ensuit une narration perturbée, caractérisée par des disparates et des manœuvres déceptives, allant jusqu’aux fausses analepses, qui donnent aux cycles filmiques considérés dans leur ensemble une logique onirique.
The Curse of Frankenstein n’est nullement le début d’une série, mais un film auto-contenu, qui n’amène pas de suite. La fin en est ambiguë, dans la tradition du conte fantastique classique, car on ne sait si l’histoire que nous a racontée Victor Frankenstein est véridique ou si elle est le récit d’un fou. Cinématographiquement, tout tourne autour de l’attitude glaciale de Krempe, l’assistant de Frankenstein, car nous ne savons pas si Frankenstein (qui va être guillotiné pour le meurtre de sa bonne, qui lui accordait ses faveurs et qui voulait le faire chanter) a raconté la vérité, et si son assistant Krempe le considère comme un monstre créateur d’un monstre, d'où sa froideur, ou bien si Frankenstein est fou, et s'il a imaginé le monstre pour nier qu’il est, lui, le meurtrier de la bonne (en effet, il ne reste rien du monstre, qui est dissous dans l’acide), auquel cas la froideur de Krempe, qui est devenu le protecteur d’Elizabeth, s’explique par le constat qu’il fait que Frankenstein a définitivement perdu la raison, et qu’il s’apprête à perdre la vie.
Prenant la suite de ce film autonome (qui est en réalité un huis-clos sanguinolant, assez proche d’un mélodrame victorien), Revenge of Frankenstein est le véritable début de la série, ce qui impose une réécriture partielle du film précédent, qu’on poursuit ostensiblement (il n’y a plus de fin ambiguë, mais Frankenstein, qui en théorie devait être guillotiné à la fin du film précédent, a échappé au trépas, par substitution de personne). Lorsqu’on ajoute à la série The Evil of Frankenstein, on se retrouve devant trois films qui se suivent comme dans un rêve. Le château de Frankenstein est, dans le premier film, dans un lieu qui n’a pas de nom, mais qui est d’apparence très anglaise, quoiqu’il se trouve apparemment dans un pays germanique. Arrivé au troisième film, ce château a migré sur un piton rocheux, évoquant, on l'a dit, le castel de Dracula. Entre-temps, dans le second film, Frankenstein a exercé dans un hôpital à Carlsbruck. À la fin du second film, le baron s’était installé à Londres, dans un corps tout neuf, mais au début du troisième, il est de nouveau en Europe centrale, dans ce lieu appelé Karlstaad, qui est ou qui n’est pas le Carlsbruck du deuxième film. Toujours dans The Evil of Frankenstein, la visite du château envolé et posé sur son piton, s’accompagne d’un faux flash back sur un faux Frankenstein I.
Le cycle de Dracula pose moins de problèmes de continuité, mais la bizarrerie provient de la présence épisodique du comte Dracula, pourtant héros titulaire de la série. Horror of Dracula, 1958, était essentiellement l’adaptation infidèle du roman de Bram Stoker, et n’appelait donc pas de suite, d’autant que le comte est, à la fin, littéralement pulvérisé, par les rayons du soleil matinal. Comme Christopher Lee ne voulait plus jouer le rôle du comte, The Brides of Dracula, 1960 ne comporta pas, en dépit de ce que promettait le titre, le personnage de Dracula, remplacé par le bellâtre baron Meinster, joué par David Peel. Christopher Lee revint dans Dracula Prince of Darkness, 1966, qui comportait en introduction une analepse sur la fin de Horror of Dracula, puisqu’il fallait rappeler au spectateur la mort du vampire avant de le ressusciter (cette fois la fin authentique du premier film fut utilisée, et non une reconstitution déceptive). Cependant le comte disparut à nouveau deux films plus loin, dans Taste the Blood of Dracula, 1969, où il était remplacé par un sataniste qui avait récupéré son sang lyophilisé et sa cape, pour finalement revenir tout de même, au prix d’une incohérence manifeste, ledit sataniste se métamorphosant en... Dracula (L’explication de ces disparates est que Christopher Lee avait à nouveau rendu son tablier puis s’était ravisé in extremis).
Si les séries consacrées par la Hammer à Dracula et à Frankenstein montrent, au cours des quinze ans de leur carrière, une indiscutable essoufflement, celui-ci n’est nullement dû à la péremption d’un schéma canonique du fait de sa réitération. Il ne tenait qu’aux auteurs de varier leur fable, en préservant scrupuleusement la cohérence du mythe, mais en y intégrant des éléments nouveaux, une fois vérifiée leur compatibilité avec l'univers fictionnel. Mais les producteurs de la Hammer ont choisi une solution inverse. Ils ont intégré dans leurs films des éléments qui étaient incompatibles avec l’univers fictionnel, et ils ont par contre répété des procédés routiniers, ramenant le mythe à sa caricature. À cet égard, le statut de cinéma populaire des films fantastiques de la Hammer a donné aux producteurs une permission, celle d’introduire de façon intempestive des personnages, des motifs, voire des genres du cinéma de quartier du temps : d’où le récit de revanche comme structure narrative (Frankenstein Created Woman, 1967, Taste the Blood of Dracula, 1969), d’où les personnages de blousons dorés (Frankenstein Created Woman), de vieux débauchés (Taste the Blood of Dracula), d’où le début du gore (les massacres généraux et les découpages sanguinolents dans Scars of Dracula, 1970, qui, en dépit de ce qu’on pourrait penser, ne sont pas du tout compatibles avec le grand-guignolesque de la tradition anglaise), quand on n’emprunte pas carrément au film de sabre de Hong Kong (le tardif The Legend of the Seven Golden Vampires, 1974).
Pour ce qui est de la simplification des schémas, et du mythe ramené à sa caricature, les producteurs ont lu quelque part que la vampirisation était une métaphore du viol et ils ont du coup figé Christopher Lee dans la figure d’une sorte d’animal qui fascine sa proie avant de lui faire subir ce qui constitue à la fois les derniers outrages et une dévoration par étapes. Mais cette cérémonie sous l’égide d’Eros et de Thanatos laisse de côté l’essence même de la vampirisation, le parasitage d’une victime et l’épuisement progressif de celle-ci (les vampirisées de la Hammer ne sont pas de belles alanguies, mais des hystériques manipulatrices et dissimulatrices, qui préparent en dépit des précautions qu’on prend le retour nocturne de leur infernal amant).
De cette association du vampire à Eros, les producteurs ont tiré prétexte aussi pour érotiser de façon tout à fait gratuite leurs fictions, à grand renfort de décolletés sur de fortes poitrines, alors que le film de monstre à la Frankenstein se passe complètement des femmes, ainsi qu'on l'a dit, et que le film de vampire se place par définition dans un univers explicitement chrétien, où l’imagerie érotisante apparaît pour le moins incongrue. Dans Frankenstein Created Woman, les deux parias du village, la fille de l’aubergiste, boiteuse et au visage partiellement défiguré, et le fils du meurtrier guillotiné, ont une liaison (« Love me, Hans ! ») uniquement parce qu’il faut que le spectateur en ait pour son argent. Dans Taste the Blood of Dracula, 1969, la grivoiserie est introduite à coups de maillet dans le schéma chrétien. Les patriarches hypocrites qui vont au bordel sous prétexte de mission dans l’East End seront, dans la logique du revenge movie, tués par leurs filles vampirisées.
The Satanic Rites of Dracula, 1973, est un bon exemple de ce que donne un film qu’on a coupé de ses racines idéologiques (l’affrontement du bien et du mal dans une perspective chrétienne), esthétiques et narratologiques. Il s'ensuit d’incompréhensibles collision filmiques, comme le traitement synesthésique, en focalisation interne, du réveil de la femme kidnappée (un soleil d’après-midi sourd à travers le volet qui bat), interrompu aussitôt par le retour du gothique (un fumigène vert sous la porte annonce l’arrivée de Dracula). Les allusions grivoises et les aperçus sur de grosses poitrines sont devenus des appels à la lubricité, de sorte que les chemisiers de ces dames ont une espérance de vie de 20 mn en moyenne (quelqu’un a expliqué au producteur que la mise en scène de femmes violentées était émoustillante pour le spectateur). Si l’idée de départ n’est pas mauvaise — le vampire moderne, ressuscité par accident parce qu’on a creusé un parc de stationnement géant dans le cimetière où il reposait, peut comploter de jour puisque l’immeuble de bureaux où il trame ses complots dispose de la lumière artificielle —, cette idée est complètement perdue par un scénario qui mélange roman d’espionnage, vampirisme, projet de guerre mondiale (ou de fin du monde) à l’aide de la peste bubonique, dans l’espoir d’une prise de pouvoir fasciste, et messes noires organisée par une prêtresse asiatique, dans le cadre d’une grande fête multimonstrueuse et polygénérique du mouvement MVBS (maîtres du monde, vampires, bactériologistes et satanistes), génialement intitulée The Night of the Undead.
Harry Morgan
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LES GRANDES HEURES DE LA HAMMER
LA DRACULADE
Francula ou Drakenstein — l’hésitation entre les deux mythes et et la polyvalence du personnage joué par Peter Cushing donnent leur physionomie au cinéma de la Hammer