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Annales de la littérature d'aventures - Département des romans souterrains

Léon Creux, Le Voyage de l'Isabella au centre de la Terre, 1922


L'ingénieur français Garel s'enfonce dans la croûte terrestre par une sorte d'ascenseur géant muni à sa base d'une perforatrice, installé au fond d'un puits de mine américain, avec un équipage composé d'un domestique, d'un ingénieur spleenétique, d'un nain, d'un bossu, d'un aveugle et de trois nègres, le caractère hétéroclite de cette équipe s'expliquant par le fait que la mission est dangereuse et qu'on a choisi des gens qui n'ont rien à perdre (les trois infirmes considèrent qu'ils seront plus heureux sous Terre que n'importe où SUR Terre ; même les nègres sont plus malheureux qu'à l'époque où ils étaient esclaves). L'équipage comprend aussi le chien de l'aveugle et le chat du nain. Le but de l'expédition est à la fois scientifique et lucratif, car on espère trouver en creusant des diamants et de l'or, qui couvriront l'investissement de départ.

Le roman de Léon Creux souffre des défauts habituels à la littérature populaire et enfantine du début du 20e siècle. L'Amérique qui est décrite au début du livre n'existe pas. Même les noms à consonnance anglo-saxonne des personnages et des lieux sont absurdes. La technique littéraire de l'auteur est embryonnaire et le début du roman, où le méchant Boche tâche de contrecarrer le projet en rachetant en sous-main le puits de mine, départ de l'expédition, est à la fois confus et inintéressant. De plus, l'auteur a la plume naturellement embarrassée. Les péripéties de la fin du roman (culminant avec la découverte d'une véritable société secrète boche dans un souterrain, dont le but est de voler l'invention) sont un peu plus enlevées, encore que hautement invraisemblables.

Le Voyage de l'Isabella est essentiellement un roman d'ingénieur. L'action ne démarre réellement qu'avec le départ de la machine, et c'est la conception du technicien qui fait l'intérêt du texte. L'Isabella n'est pas une machine de roman, un sous-terrestre se déplaçant sous terre comme un sous-marin se déplace sous l'eau, mais un tunnelier, qui creuse son puits de mine et qui reste en communication avec la surface, la tâche des nègres consistant premièrement à couvrir le puits de plaques de tôle sur lesquelles l'Isabella se déplace au moyen de crémaillères, qui servent aussi aux wagonnets qui ôtent les gravats, et deuxièmement à tendre les câbles et les tuyaux par où passent le téléphone, l'électricité et l'eau.

Naturellement, il y a un traître à bord et l'Isabella s'avère un instrument de torture perfectionné, dont les occupants s'asphyxient, restent bloqués au milieu de leur puits de mine, meurent de soif ou d'inanition, etc. Hélas, les péripéties souterraines sont ralenties par d'autres, à la surface (un embryon de meurtre en chambre close, l'enlèvement de l'héroïne, la découverte de la société secrète boche).

Le voyage proprement dit est décrit avec un souci didactique et de vraisemblance. Pas d'êtres souterrains, donc, comme chez Jules Verne ou chez Rosny, mais des paysages minéraux et des réactions chimiques, qui ne manquent d'ailleurs pas de grandeur. On trouve successivement une caverne présentant une sorte de végétation minérale, une autre, déchirée d'éclairs, où l'on voit des montagnes de cuivre et des ruisseaux d'acide azotique, une dernière enfin, baignée de radiations qui impressionnent les rétines de l'aveugle, qui y voit donc dans un tel milieu, et qui, tout heureux, décide d'y demeurer, relié à la surface par le train de wagonnets. Détail intéressant, ce sont les explorateurs qui créent toute cette écologie minérale, en injectant l'air sous pression dans des cavernes qui sont occupées initialement par le vide.

D'un autre côté, le souci didactique se heurte à la mauvaise documentation de l'auteur, qui arrive à proférer différentes inepties sur la vision nocturne des chats, sur la formation des couches géologiques, sur l'origine des diamants, etc.

Desservi par l'insuffisance littéraire de l'auteur, servi par ses conceptions de technicien, Voyage de l'Isabella est suspendu entre une sorte de sous-Paul d'Ivoi, à l'intrigue conventionnelle, poussive et inepte, et une sorte de sur-Jules Verne, l'auteur dépassant son modèle du fait que l'imagination qui se déploie est celle de l'ingénieur, et non celle du vulgarisateur scientifique.

 

Harry Morgan

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