LA UNE DE L'ADAMANTINE
L'ADAMANTINE STRIPOLOGIQUE
L'ADAMANTINE LITTERAIRE ET POPULAIRE
L'ADAMANTINE ARTISTIQUE ET MONDAIN
L'ADAMANTINE EN ESTAMPES
L'ADAMANTINE STIRPOLOGIQUE

Le gentleman de la nuit
Volume 5 - n° 1. Manuel Hirtz editor
A ce dont l'esprit se contente, on mesure l'étendue de sa perte. Hegel

 

Splendeurs des pulp magazines : The Blue Book

When Worlds Collide (1932)

After Worlds Collide (1933)

Edwin Balmer et Philip Wylie

 

Le thème de ce célèbre dyptique (devenu, en français, Le Choc des mondes et Après le Choc des mondes), écrit par le moins célèbre duo Philip Wylie et Edwin Balmer, est la fin du monde, par irruption de planètes baladeuses dans le système solaire. Il y en a deux, dont l'une est le satellite de l'autre, Bronson alpha et Bronson bêta. Bronson alpha ressemble à Jupiter, mais Bronson bêta est de la taille de la Terre et parfaitement habitable.

Les planètes baladeuses passent une première fois près de la nôtre et causent d'énormes dégâts. Au deuxième passage, la plus grosse planète va fracasser la Terre avant de disparaître du système solaire, mais la petite Bronson Bêta prend la place de la Terre détruite et se stabilise dans une orbite comparable autour du soleil. Tout cela est un peu compliqué mais permet de raconter, dans le premier volume, la fin du monde et le départ d'une partie de l'humanité vers Bronson Bêta, et, dans dans le second volume, son installation sur la planète nouvelle. La colonie américaine y trouve des villes extraterrestres vides, qu'elle occupe. Mais d'autres terriens sont parvenus sur Bronson Bêta. L'alliance des rouges, des dictatures européennes et des asiatiques menace la pacifique colonie américaine. Heureusement, tout finira bien.

 

Prestiges de la science et catastrophe cosmique sont donc au menu, dans la lignée, semble-t-il, des "fins du monde" du roman d'anticipation. Pourtant, on ne sait quoi de contraint ou de mal dessiné dans le projet de nos auteurs met la puce à l'oreille des amateurs de science-fiction, à commencer par la mécanique céleste mise en oeuvre dans les deux romans, d'une consternante aberration, - cette espèce de billard planétaire servant surtout et opportunément les desseins du scénario. Le thème des mondes en collision n'a, de toutes façons, pas grand chose à voir avec l'astronomie. Par contre, sous la plume d'un Immanuel Velikovsky, ce deviendra un classique de la pseudo-science (Worlds in collision, 1950).

En réalité, When Worlds Collide appartient, sous couvert de roman scientifique, au fondamentalisme religieux américain dans sa veine millénariste. C'est l'apocalypse qu'on nous décrit, sous un mince vernis d'anticipation, avec - conformément au credo fondateur des sectes millénaristes - une nouvelle alliance, c'est-à-dire le sauvetage, parmi toute l'humanité, d'une poignée de gens, une nouvel arche de Noé (sous l'espèce de deux vaisseaux spatiaux), une nouvelle traversée du désert (l'espace interplanétaire) et une nouvelle terre promise pour les happy few (la planète Bronson bêta).Dieu n'intervient pas en personne, mais l'hystérie religieuse est centrée sur les chefs de l'expédition, décrits comme des patriarches. D'autre part, dans ce que les auteurs prennent évidemment pour un climax, les personnages déclament les prophéties d'Isaïe tandis que le monde s'écroule autour d'eux.

On sait que la science-fiction des années 1930 n'est exempte ni de bigoterie, ni de références bibliques, - fin du monde incluse. La nouvelle qui inspira le strip Buck Rogers s'intitulait « Armageddon 2429 ». (Armageddon d'ailleurs absent de l'histoire, mais l'auteur n'a pu renoncer à un titre qu'il jugeait excellent.)

Il n'y a, au fond, rien d'anormal à ce qu'une littérature de piètre qualité et basée sur le sensationnel récupère les thèses des religions américaines - thèses de qualité tout aussi médiocre, semblablement racoleuses et remplies de révélations pareillement épatantes.

Cependant, le déguisement d'une fiction millénariste en science-fiction va, dans When Worlds Collide, jusqu'à l'incohérence. Par exemple, on ne voit pas du tout pourquoi, lors du premier passage de la planète géante et de son satellite, le ravage de la Terre doit arriver en une nuit. (Sinon, parce que les auteurs ont dans l'esprit l'apocalypse qui, comme on sait, ne prend pas des semaines!) En toute logique, les marées croissant progressivement, avec l'arrivée de la planète, la croûte terrestre se fissurant de plus en plus, le point culminant des destructions devrait passer, au milieu du désastre universel, à peu près inaperçu.

Outre le prétexte astronomique, reste-t-il dans le récit un élément qui appartienne au roman scientifique?

Oui, maheureusement. Publiés dans les années 30, When Worlds Collide et After Worlds Collide sont terriblement à l'avant-garde, c'est-à-dire - et dans le pire sens du terme - de leur temps. Il plane, à l'insu des auteurs, préoccupés seulement d'être "modernes" et de faire effet, des relents de culte du chef, de racisme et d'eugénisme. Plus l'idée, apparemment follement émoustillante, que, dans la nouvelle planète, les femmes seront mises en commun (sous prétexte de sélection et de contrôle génétique).

Ce ne sont donc, dans When Worlds Collide, page après page, que scènes d'hystérie collective (supposées grandioses), folles acclamations du chef (colossales) et plans mirobolants pour savoir qui sera digne de faire partie de la poignée de survivants. (Un conseil, venez avec vos diplômes.) Sans compter les scènes déchirantes où nos jeunes et sympathiques héros se demandent sérieusement s'il doivent se marier, car sur la nouvelle planète, voyez-vous bien, les femmes seront mises en commun.

Si Wylie et Balmer sont indiscutablement des mufles, ce ne sont pourtant pas d'enragés fascistes, mais seulement des imbéciles à la pointe de la mode de l'entre-deux guerres, triste époque.

 

When Worlds Collide et After Worlds Collide sont plus ambitieux que la plupart des histoires de science-fiction du temps. Le style est prétentieux et creux, et d'autant plus pénible qu'il plane, malgré tout, de page en page, un vieil air de pulp (les romans sont sérialisés dans The Blue book), ce qui fait regretter l'écriture de ces fictions populaires (normalement, les pulps sont composés à grand coup de poncifs, mais, du moins, honnêtement et simplement écrits).

Les auteurs semble partagés entre une description de personnages d'après leur fonction, comme chez Wells, (l'astronome, le jeune homme, l'explorateur) et des intentions psychologiques. D'où les effluves fitzgeraldiennes de certains personnages de dandies débauchés, dont on se demande ce qu'ils viennent faire entre le vieux savant et sa fille. Le mélange rate lamentablement. On se retrouve avec une demi douzaine de personnages héroïques-à-l'heure-où-sonne-le-destin, qui sont, en dépit des efforts des auteurs pour les complexifier, parfaitement interchangeables et d'ailleurs également inintéressants.

When Worlds Collide est presque illisible. After Worlds Collide est plus amusant. Si nos vaillants astronautes continuent à acclamer hystériquement et en musique le chef ou le héros, comme dans une comédie musicale, on a du moins, pour s'occuper, l'exploration de la planète et en particulier des villes extraterrestres en parfait état qui s'y trouvent.

La petite guerre contre "les autres" (qui ne sont pas, rappelons-le, des extraterrestres, mais des terriens hostiles, eux aussi fraichement débarqués) nous fait également passer le temps.

Par malheur, le roman y perd toute logique. En effet, la colonie américaine devient brusquement l'incarnation de la liberté, de la démocratie et de l'économie de marché, - face à l'alliance stratégique entre staliniens, mongols et dictatures européennes ("les autres"). Cela faisait pourtant un volume et demi que nos américains étaient partisans d'un régime autoritaire, patriarcal, raciste, eugéniste, fondamentaliste et pratiquant la mise en commun des femmes.

On arrive cahin caha au bout du second roman, c'est-à-dire à une réconciliation générale et à la promesse d'une utopie, sans du reste qu'aucun des intéressants problèmes agités depuis le début ait été résolu ni même reposé. On ne saura donc jamais quelle variété de régime politique autoritaire aura la préférence de nos zébulons, ni si la nouvelle planète pratiquera vraiment l'eugénisme et le racisme scientifique, et point même si les femmes seront vraiment mises en commun, cette originale proposition ayant brusquement cessé d'intéresser les auteurs.

 

When Worlds Collide et sa suite sont, aux Etats-Unis du moins, un petit classique.

Jacques Sadoul mentionne le dyptique dans son Histoire de la science-fiction moderne (qui serait mieux titré: Histoire de la science-fiction américaine de 1926 à nos jours) mais, soit qu'il ne l'ait pas lu, soit qu'il l'ait oublié, le résumé qu'il en donne est fantaisiste.

Le titre de gloire, mineur, du double volume, serait d'avoir inspiré la bande dessinée d'Alex Raymond, Flash Gordon (1934). Idée rappelée rituellement dans les préfaces, recensions, études et notules érudites consacrées à cette pétillante série. C'est malheureusement de l'érudition mal placée car "l'inspiration" s'arrête à l'idée initiale d'une planète faisant irruption dans le système solaire, c'est-à-dire à la première planche, et presque à la première case de la série d'Alex Raymond. Pour le reste, s'il y a une influence (flagrante, celle-là) sur Flash Gordon, ce sont les histoires planétaires d'Edgar Rice Burroughs.

Quant à When Worlds Collide et sa suite, ils inspirèrent en effet un strip, Speed Spaulding, en 1939. Il ne s'agit pas ici d'une vague influence mais d'une adaptation du dyptique par les auteurs eux-mêmes. Seuls le titre et les noms propres sont changés. Le dessinateur est Marvin Bradley. Le strip est distribué par John F. Dille, le syndicate qui commercialise Buck Rogers.

Il y eut un film de Rudolph Maté, en 1951.

L'influence de When Worlds Collide et de sa suite sur la science-fiction américaine tient en réalité en fort peu de choses.

Une planète baladeuse reviendra à proximité de la Terre dans le gros et indigeste Le Vagabond (The Wanderer, 1964) de Fritz Leiber qui, d'ailleurs, n'en fait strictement rien, tout en se persuadant qu'il écrit du Dos Passos.

Curieusement, la vraie postérité de When Worlds Collide et After Worlds Collide nous paraît être la série des Rama (Rendez Vous With Rama, et ses suites) d'Arthur C. Clarke. La description des artefacts extraterrestres du vaisseau spatial géant de Clarke et la promenade dans ses villes automatiques où on ne rencontre pas une âme évoque de façon extrêmement frappante les scènes de After Worlds Collide. Il est vrai que Balmer et Wylie se contentaient de faire quelques vagues conjectures sur qui pouvaient être ces gens-là. Clarke a, en quelque sorte, perfectionné le système, en s'attachant à découvrir le fonctionnement de l'artefact extraterrestre, les révélations successives n'allant par définition jamais jusqu'au fin mot de l'histoire. (Qui a envoyé Rama? Pour qui travaillent ceux qui l'ont envoyé? etc...) Ce qui a l'avantage supplémentaire de laisser la place à autant de volumes qu'on veut.

 

Harry Morgan

 

Bibliographie et filmographie

 

When Worlds Collide. En feuilleton dans le Blue Book, à partir de 1932. En volume chez Stokes à New-York en 1933. Le Choc des mondes, coll. "Le Rayon fantastique", Gallimard, 1952.

After Worlds Collide. En feuilleton dans le Blue Book, à partir de 1933. En volume chez Stokes à New-York en 1934. Après le Choc des mondes, coll. "Le Rayon fantastique", Gallimard, 1954.

 

When Worlds Collide (Le Choc des mondes) USA 1951

Réalisation: Rudolph Maté

Avec: Richard Derr, Barbara Rush, Peter Hansen.

Les historiens du cinéma s'accordent à dire qu'à l'exception des scènes de cataclysme détruisant notre planète, c'est un film très ennuyeux.

M. H.

Retour au sommaire