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CHRONIQUES DE MES COLLINES

2009-2011

par Henri Morgan

Nous avons pendant un peu plus de deux ans, entre 2009 et 2011, tenu une chronique dans une revue culturelle de l'Est de la France, sous le titre Chronique de mes collines. Nous nous étions vieilli un peu pour l'occasion, et avions francisé notre nom en Henri Morgan. Comme nous parlions des choses dont nous parlons habituellement, nous intégrons ici ces chroniques. Leur seul défaut est que, Henri Morgan étant beaucoup moins au fait des littératures dessinées que son quasi homonyme Harry Morgan, il devenait, lorsqu'il parlait de bandes dessinées (c'est-à-dire une fois sur trois à peu près), un peu plus gâteux qu'au naturel.

Harry Morgan


CHRONIQUES DE MES COLLINES

Anthony Trollope, The Claverings (1867)

Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation.



Que lisaient les Anglais dans les tunnels du métro de Londres pendant le Blitz ? Ils lisaient les romans du victorien Anthony Trollope, dans la petite édition in-16 des World’s Classics, chez Oxford University Press. De format 10X15 centimètres, les World’s Classics tenaient dans toutes les poches. Grâce à leur robuste reliure en toile bleue, ils restaient lisibles même après qu’on avait reçu sur la tête des plâtres accompagnés de quelques gravats.
Rien de tout cela n’allait de soi. C’est l’éditeur Humphrey Milford qui décida, en 1907, de republier Trollope dans sa collection de classiques à portée de toutes les bourses, à côté d‘Eschyle et de Dante. À force d’insister, Milford finit par convaincre le public anglais de recommencer à lire Trollope.
Trollope choqua beaucoup son lectorat victorien, encore tout imbu de post-romantisme, en avouant dans sa célèbre Autobiographie, prudemment publiée post mortem, qu’il écrivait montre en main, à heure fixe, exigeant de lui-même un rendement de tant de feuillets à l’heure. Notre homme a l’habitude, détestable pour un romancier, de s’adresser directement à son lecteur dans ses romans. De plus, ayant mis en place un conflit initial, Trollope ne cherche nullement à dissimuler qu’il ignore lui-même comment va se terminer l’histoire. Il suit ses personnages, qui n’ont qu’à se débrouiller.
Les romans de Trollope racontent toujours à peu près les mêmes choses. Il y a toujours un jeune homme qui fait des dettes, ou qui endosse inconsidérément des traites pour ses riches amis. Le même jeune homme a une tendance fâcheuse à s’amouracher simultanément de deux femmes, appartenant à deux milieux complètement différents (dans The Claverings, l’une est fille d’arpenteur, l’autre est une duchesse). Il est toujours question d’héritage (c’est-à-dire, le plus souvent d’entrée en possession d’un titre nobiliaire et d’un domaine). Il y a des tripotées de filles à marier, qui choisiront le garçon qui leur convient le moins. La campagne anglaise est peuplée d’ecclésiastiques, de membres de la gentry et de renards. Il y a au moins une chasse au renard par roman (Trollope adorait chasser le renard), ce qui permet d’introduire des personnages comiques et vaguement louches de sportsmen.
Une conséquence inévitable d’un tel programme narratif est qu’il n’arrive jamais rien de bien surprenant, les mêmes causes aboutissant aux mêmes effets dans à peu près tous les romans. Mais c’est la façon dont les événements sont relatés qui fait le charme de Trollope, ainsi que la caractérisation des personnages et la véracité des dialogues. Trollope connaissait sa société et en proposait de parfaits modèles réduits. Selon tous les critères courants, Trollope ne mérite pas de figurer dans les classiques (j’ai oublié de dire qu’il écrit parfois comme un cochon). Reste qu’il est un des plus solides romanciers britanniques, et l’un des plus attachants.

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