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28 février. — Comme ma conférence d’Épinal m’a beaucoup fait relire Camille Flammarion, et en particulier Mars et ses conditions d’habitabilité (1892), je suis repris par mon vieux rêve d’écrire un roman martien fin de siècle, un roman situé dans un univers fictionnel où la planète Mars se conformerait aux descriptions des Schiaparelli et des Flammarion.
L’idée courante au sujet des canaux martiens est que Schiaparelli, Flammarion, Lowell ont mal observé, qu’ils se sont trompés. Mais cette idée est presque aux antipodes de la vérité. Les astronomes ont fort bien observé. Le globe dessiné par Antoniadi d’après Flammarion montre à peu près strictement ce que montre le télescope Hubble.

[Le globe d'Antoniadi, d'après Flammarion. En face, une image du télescope Hubble. Comme dans toute l'aréographie ancienne, le pôle sud est en haut, car les lunettes astronomiques inversent l'image.]

Les plus éminents des canaux correspondent tout simplement à des accidents de la surface martienne. La Grande Syrte (dont nous savons aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’une mer mais d’un plateau volcanique) se prolonge, dans la nomenclature de Schiaparelli, en une Nilosyrtis et une Boreosyrtis, qui se continue elle-même par un Protonilus et un Deuteronilus, qui va jusqu’au Lacus Niliacus.

[Le bassin de la Nilosyrtis, de la Boreosyrtis, du Protonilus, du Deuteronilus, et du Iordanis, qui relient le Lacus Niliacus à la Syrtis Major, chez Ebisawa, en 1957.]

[La même chose dans une carte du National Geographic (qui serait mieux titré ici le National Areographic) de 1973, après l'arrivée des sondes Mariner, mais avant les sondes Viking. J'ai retourné l'image pour que le pôle sud soit en haut.]

Le fameux système de canyons de Valles Marineris correspond en gros au canal qu’on appelait Tithonius. Les volcans géants de Tharsis — Arsia, Pavonis et Ascreus — ont été vus comme des lacs. Olympus Mons, le plus grand volcan connu du système solaire, a été décrit par Schiaparelli comme une tache blanche, pendant l’opposition de 1879, d’où son nom de Nix Olympica (Nix signifie neige).
Entre Aram et Chryse, le triangulaire Sinus Margaritifer est relié au Niliacus Lacus par un épais canal appelé l'Indus. Le Niliacus Lacus se prolonge diagonalement vers le Lunæ Lacus par le canal dénommé Nilokeras. En somme, la Mars que continuent à voir les astronomes amateurs, c’est bien la Mars de Schiaparelli et de Flammarion.

[Mars en opposition le 30 janvier 2010 (Peter Grego, Mars and How to Observe It, Springer, New York, Heidelberg, Dordrecht, London, 2012). J'ai retourné l'image afin que le pôle sud soit en haut. En bas de l'image, la tache sombre en forme de tabouret est Mare Acidalium, coupée en deux par la tache plus claire d'Achillis Pons (voir les cartes précédentes). La partie supérieure se nomme Niliacus Lacus. La tache qui s'étend en haut et vers la droite est le canal nommé Nilokeras. Il s'élargit dans le Lunæ Lacus.
La tache claire exactement au centre est Chryse. En haut et à gauche de Chryse, le Sinus Margaritifer, en forme de triangle pointé vers le bas, étend un tentacule jusqu'à Niliacus Lacus, correspondant à deux canaux qu'on appelait Indus et hydaspes. Immédiatement à gauche, la forme qui ressemble à un index pointé est Aram. Elle sépare Sinus Margaritifer de Sinus Meridiani. En haut et à droite de Chryse, l'étroite zone noire rectangulaire est Agathodaemon, qui est également nomenclaturé comme un canal.]

[La même chose chez Ebisawa]

[La même chose chez Schiaparelli, mais sous forme de canaux]

Là où les vieux astronomes pèchent, c’est que, au lieu de se contenter de représenter les taches blanches et noires de ce qu’ils croient être des mers, des continents, des isthmes, des détroits, des deltas, des zones marécageuses, etc., ils commencent à tracer systématiquement des lignes. Sémiotiquement, c’est comme s’ils passaient d’une représentation iconique à une figuration schématique ; comme si, au lieu d’une carte de géographie, ils tâchaient de représenter un réseau de transports urbains. La plaine d’Elysium, dans l’hémisphère nord, qui apparaît de façon si frappante dans les lunettes pendant les oppositions aphéliques, est désormais délimitée par les canaux de sa périphérie, le Styx, le Cerbère, etc. Ce sont désormais les canaux qui font la plaine.