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EXTRAIT DES
TRANSACTIONS
DU BUREAU IMPÉRIAL DES CHATS
Nouvelle Exégèse des lieux communs
Le racisme n'est pas une opinion, c'est un délit. Le dix novembre 2011, Raymond De Roon, parlementaire néerlandais du Parti pour la Liberté (PVV), membre d'une délégation parlementaire qui devait se rendre en Égypte, apprenait que l’entrée du pays lui était interdite par le ministère des Affaires étrangères égyptien. (La délégation renonça à son voyage au pays du printemps arabe.) Le porte-parole du ministère, Amr Rochdi, expliquait ainsi la situation : « Raymond De Roon a récemment déclaré au Parlement hollandais que l’Égypte pratiquait le nettoyage ethnique, qualifiant son gouvernement de dictature. Ces déclarations constituent une incitation au racisme, punie par le droit national et international, et un fondement légal suffisant pour ne pas lui accorder un visa. »La raciste déclaration du raciste De Roon devant son parlement prenait prétexte du décalottage, le 9 octobre, au Caire, d'une garenne d'insolents calotins, qui manifestaient contre l'incendie d'une église en brandissant les insignes du fanatisme, et que la junte au pouvoir avait fait écraser sous les roues des blindés, tandis que les médias officiels appelaient la population musulmane à défendre les militaires attaqués par les enragés chrétiens.
S'il est trop tôt pour dire de quoi sont coupables les coptes rescapés des tirs de l'armée qui ont été arrêtés comme fauteurs de troubles, on sait du moins ce qui constitue dans l'Égypte printanisée une incitation à la haine raciale. Appeler à nettoyer le pays des chrétiens qui l'infectent par leur présence n'est naturellement pas raciste. Mais protester contre cette mesure d'hygiène est, cela va de soi, tout à fait raciste.
L'immolation par le feu. Le jeudi 13 octobre 2011, une malheureuse professeur de mathématiques se suicidait dans la cour d'un lycée de Béziers, en enflammant l'essence dont elle s'était aspergée. Pour les médias, le suicide d'un salarié sur le lieu de son travail a valeur de manifeste sur la dureté du métier qu'il exerce, et suscite des analyses alambiquées sur le « malaise », réel ou supposé, de telle ou telle catégorie professionnelle. Cependant la pratique auto-sacrificielle de l'immolation, renouvelée de celle des bonzes qui protestaient contre la guerre du Vietnam, relève d'une ontologie victimaire plus pure et, si elle constitue un point de départ adéquat pour une révolution arabe, qui renverse un dictateur pour instaurer la charia, sous les applaudissements des médias occidentaux, elle ne convient pas à un enseignant, dont le capital victimaire est des plus maigres. Il ne manquerait plus, par dessus le marché, que le corps enseignant déclenchât une révolution conservatrice, et réclamât qu'on se remît à transmettre des savoirs, au lieu de se contenter de prêcher la bonne parole antiraciste.
Il fallut donc dénier à l'acte de la désespérée, non le qualificatif, mais le label, la certification, de l'immolation par le feu. Dans l'ensemble de la presse écrite (papier et Toile), la photo représentant le préau tragique comporta, depuis le jour du drame jusqu'au dimanche suivant, une légende indiquant que l'enseignante était tirée d'affaire (elle était en réalité morte de ses brûlures le vendredi), puisque, décidément, cela ne pouvait pas être « pour de bon ». On en profita pour raconter que c'étaient les élèves eux-mêmes qui avaient éteint leur professeur, en la couvrant de leurs blousons. Des élèves élevés dans la sainte doctrine diversitaire ne savaient probablement pas orthographier le mot immolation (imollation ? imollassion ?) ni même le mot feu (feux ? un grand feux ?) mais ils en auraient remontré pour le courage à n'importe quel chevalier Bayard. C'était un joli trait, les flamme étouffées par les blousons. Cela avait la couleur locale. Mais naturellement, ça n'était pas vrai, la pédagogue était morte.
Tout cela n'était qu'en manière de hors-d'œuvre. Les choses sérieuses étaient contenues dans une dépêche AFP, reprise par lefigaro.fr (qui l’effaça par la suite) et, plus complètement, par libération.fr (qui ne l'effaça pas), dépêche qui donnait le point de vue des élèves, et plus clairement encore des parents d’élèves. Le morceau était un remarquable spécimen de character assassination, et ce que les journalistes français écrivaient sur le professeur de Béziers ressemblait beaucoup à ce que les médias chinois écrivent sur les dissidents chinois ou à ce que les médias arabes écrivent sur les chrétiens arabes. La suppliciée était présentée comme « dépressive et en conflit avec ses élèves », « qui la trouvaient trop sévère et contestaient ses méthodes ». La dépêche ajoutait : « Une tentative d’explication, mercredi, plutôt houleuse, avait été “mal vécue” par l’enseignante ». La dépêche disait aussi de la morte que selon « des parents d’élèves de seconde et de première, elle était “très peu aimée“ et, lors d’une réunion parents-professeurs il y a une dizaine de jours, elle s’était montrée hostile à toute discussion, se retranchant derrière la nécessité de boucler son programme. »
Ceci encore : « Elle s’occupait peu des élèves en difficulté, préférant les exclure de son cours pour faire travailler les autres, ont raconté quatre parents d’élèves interrogés, qui ont par ailleurs noté lors de cette réunion que l’enseignante portait des bleus et des traces de coups. » (Peut-on rien imaginer de plus faux et de plus hypocrite qu’un tel récit ? Aucun professeur n’exclut des élèves parce qu'ils sont en difficulté, le pire qui puisse arriver étant que le pédagogue, sentant vaciller sa foi, renonce à leur prodiguer un surcroît d'explication ; on exclut un élève parce qu'il perturbe. Quant à l’indication des traces de coups, peut-être visait-elle, dans l'esprit de parents craignant que l'affaire n'attirât quelque attention fâcheuse sur leur progéniture, à insinuer que la pédagogue était une femme battue, et qu'il fallait chercher de ce côté la véritable raison de son suicide.)
Ceci enfin : « L’enseignante avait fait une dépression nerveuse l’an dernier et avait été convoquée à plusieurs reprises par la direction de l’établissement, à la suite de plaintes des parents sur son comportement, ont ajouté ces sources », conclusion exemplaire, véritable triomphe de la malveillance déculpabilisée, puisque les parents (et les journalistes) arrivaient à renverser complètement les rôles : ce n'était plus l’élève perturbateur qui se voyait convoqué devant le proviseur, qui prononçait le cas échéant une sanction disciplinaire, mais... le professeur. (Dans le monde réel, un enseignant peut naturellement faire l'objet d'une procédure disciplinaire, mais celle-ci relève d'une commission administrative paritaire ad hoc.) Et cette convocation par le proviseur se faisait sur simple plainte des parents, qui avaient donc autorité sur le professeur, dont ils étaient les commettants.
En somme, la professeur de Béziers, qui n'était, comme tous les professeurs, qu'une domestique, mise par l'État au service des parents, se permettait d'être par dessus le marché une mauvaise domestique, trop sévère avec les enfants et malade tout le temps. Ça ne l'autorisait pas à se suicider, du reste. Mais au moins, on ne la regretterait pas. Elle était très peu aimée.
La mise sous tutelle. Le 17 octobre 2011, le public apprenait sans surprise que Mme Liliane Bettencourt, troisième fortune de France, souffrait d'une forme avancée de la maladie d'Alzheimer et qu'elle était placée sous tutelle. Mais au fait, les médias, de quoi souffraient-ils, eux qui jusque là avaient ignoré ostensiblement ce qui, pour la population, crevait les yeux, et qui, en revanche, avaient rendu compte avec un scrupule extrême des diatribes paranoïaques de l'invalide contre son « aidant principal », sa propre fille ? Était-ce de sénilité ou de servilité ? « Pesant » 17 milliards d'euros, et contrôlant une ressource stratégique (le shampooing), Mme Bettencourt avait sur les journalistes le même empire qu'un monarque bédouin, assis sur les réserves mondiales de pétrole, ou qu'un autocrate de la côte des barbaresques, contrôlant le trafic d'armes et le trafic d'hommes. Cependant tout à une fin. Quand il choit, l'homme fort de la Barbarie ou l'émir de l'Yémen n'est plus soudain, pour les journaux, qu'un « dictateur ». Et Mme Bettencourt n'est plus qu'une vieillarde démente.
Le niveau monte. Profitant d’un temps paradisiaque, je sors de ma retraite studieuse pour explorer les marchés aux livres de la ville voisine. Mon attention est attirée par La Chanson de Roland (extraits), donnant le texte, la traduction, avec une notice historique et des notes philologiques, par André Cordier, Librairie Larousse, 1935. Une inscription manuscrite sur la page de faux-titre fournit une date, 1936, et le numéro d’une section de 5e.
En 1936, des moutards de 12 ans s’appuyaient donc cinquante pages de grammaire de l’ancien français dans l’espoir de vibrer aux exploits du preux neveu de Charlemagne dans un texte qui commençait ainsi :Carles li reis, nostre emper[er]e magnes
Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne :
Tresqu'en la mer cunquist la tere altaigne.Rentré chez moi, comme je ne suis décidément pas du genre à hurler stupidement que le niveau baisse et qu’on est arrivé au dernier degré de décivilisation, je cherche sur le site d’une librairie en ligne s’il existe un ouvrage moderne du même acabit, destiné au même public. Et de fait, je tombe immédiatement sur : La chanson de Roland, édition, notes, choix des extraits et dossier par Patrice Kleff, traduit de l'ancien français par Jean Dufournet, collection Garnier Flammarion, novembre 2009. La notice précise : « Extraits de la chanson de geste, pour aborder l'étude du roman de chevalerie en classe de 5e. »
Ainsi, les pré-adolescents de classe de 5e vibrent toujours aux épopées chevaleresques, la différence avec leurs grands-parents étant qu’il faut désormais leur traduire le bouquin. « Carles li reis, nostre emper[er]e magnes », c’est trop difficile, même en donnant beaucoup d’explications. En particulier quand on n’a pas ou qu’on a peu entendu parler de Charlemagne, parce qu’il faut partager le contenu du cours d’histoire de 5e avec les royaumes africains du Mali et du Zimbabwe (nouveaux programmes de 2010).
Du reste, traduit ou non, le texte restera incompréhensible à une proportion non négligeable des moutards. D’après l’enquête PISA 2009, 40% des gamins de 15 ans (qui sont donc en 3e ou en seconde, plutôt qu’en 5e) sont incapables de « réussir des tâches de lecture de complexité modérée, telles que repérer plusieurs éléments d’information et les relier avec des connaissances familières et quotidiennes ». Et le taux monte à 68% d’échec si l’on vérifie la capacité à « réussir des tâches de lecture complexes comme retrouver des informations enchevêtrées, interpréter le sens à partir de nuances de la langue et évaluer de manière critique un texte ». Ce qui me paraît une bonne définition de la littératie. Bref 68% des gamins et des gamines de 15 ans ne « comprennent pas ce qu’ils lisent » au sens qu’un homme de lettres donne à l’expression « comprendre ce qu’on lit ».
Enfin, les choses ne vont pas mal, en dépit de ce que prétendent les méchants. On donne toujours des morceaux choisis de La Chanson de Roland aux gamins de 5e. À ces détails près qu’on leur donne désormais en français moderne, et qu’un pourcentage qui n’est probablement pas très inférieur à la moitié ne démêle strictement rien à un texte qui, indéniablement, parle d’autre chose que de choses familières et quotidiennes.
Mais au fait, quid des quelques intrépides, professeurs et élèves, que j’imagine retirés dans une école conventuelle, au fond des bois (comme à l’époque de Charlemagne), vivant sans télé et se lavant à l’eau froide, et qui persisteraient à avoir l’usage de morceaux choisis de La Chanson de Roland, dans le texte, avec des analyse grammaticale ? En cherchant bien, j’ai trouvé ceci : La Chanson De Roland, commentaire grammatical et philologique, vers 661-2608, par Agnès Baril. La notice indique : « Cet ouvrage qui paraît annuellement depuis six ans a été conçu pour aider les étudiants préparant le CAPES et l'Agrégation externes de lettres modernes à travailler dans les meilleures conditions sur l'épreuve d'ancien français. »
Me voici définitivement rassuré. Ce qui, en 1935, était considéré comme propre à éveiller la curiosité et à former l’esprit d’un collégien (l’initiation au français du XIe siècle) est désormais pour les professeurs de ces mêmes collégiens l’une des épreuves du concours, que j’imagine délicate et objet d’un « bachotage » effréné. « Donnez l’histoire phonétique jusqu’en français moderne de “emper[er]e”. »
Les violences interconfessionnelles. Le mardi 8 mars 2011, une foule de coptes qui manifestaient dans le quartier des chiffonniers du Caire, portant des croix de bois et des crucifix, fut accueillie à coups de fusils par plusieurs milliers de salafistes armés jusqu'aux dents. Les tireurs musulmans étaient protégés par les blindés de l'armée égyptienne. On célébra le jeudi 10 mars au monastère S. Samaan les funérailles de huit chrétiens tombés sous les balles musulmanes (mais le nombre des victimes était peut-être beaucoup plus élevé). Les tirs des salafistes avaient fait aussi plusieurs dizaines de blessés.
Les coptes protestaient contre la destruction d'une église, au sud du Caire. Profanée et mise à sac le 4 mars, après les prières du vendredi, l'église fut incendiée deux jours après. Après l'incendie, les musulmans se massèrent par milliers sur les ruines fumantes, et déployèrent un banderole proclamant que le lieu était désormais la "mosquée Al-Ramla" (dans l'islam, on édifie des mosquées triomphales sur les sites des édifices religieux des incroyants qu'on a conquis).
Comme il est toujours très délicat de suggérer que les musulmans tuent les fidèles d'autres religions et détruisent leurs lieux de culte, la presse internationale rendit compte de ces tristes événements sous l'intitulé des "violences interconfessionnelles". "Plusieurs milliers d'Egyptiens coptes ont assisté jeudi au Caire aux obsèques de chrétiens tués mardi dans des violences interconfessionnelles" annonçait l'agence Reuters (10 mars). Façon de suggérer que les coptes et les musulmans mènent des batailles rangées et que le sort des armes fut, cette fois, défavorable aux chrétiens. "Heurts confessionnels", titrait Le Nouvel Observateur (9 mars) qui parlait d'"accrochages entre musulmans et chrétiens" et qui précisait aussi que les chrétiens "disent être victimes de discrimination et de harcèlement" (mais tout le monde sait qu'il n'y a pas plus menteur qu'un chrétien). "Des affrontements ont éclaté entre les membres de deux communautés" nous apprenait Le Monde (9 mars), tandis qu'Europe 1 (9 mars) expliquait que "coptes et musulmans se déchirent". El Watan (10 mars) résumait parfaitement l'opinion générale en renvoyant dos à dos les brûleurs et les brûlés, les mitrailleurs et les mitraillés : "la chute de Hosni Moubarak n’a pas pour autant réconcilié les coptes et les musulmans en Egypte. Unis hier pour faire tomber le dictateur du Caire, ils cèdent aujourd’hui à leur démon commun, à savoir, l’intolérance dont le paroxysme se traduit par la mort sanglante."
Il ne faut pas stigmatiser. Le morne mois de juillet 2010 fut illuminé par l’un de ces fait-divers pittoresques qui enchantent les médias : l’attaque insurrectionnelle d’un village par des gens du voyage, français au demeurant, et sédentarisés (on apprit par la suite que l’attaque était filmée par les gitans eux-mêmes, l’objectif de l’opération étant de vendre les images aux médias). Le président Sarkozy, soucieux de rétablir l’ordre républicain, déclara son intention de frapper au cœur de la nébuleuse gitane et, pour commencer, de démanteler les campements illégaux de Roms. On détruisit effectivement une cinquantaine de bidonvilles et l’on renvoya chez eux, aux frais de la princesse, un peu plus d’un millier de Roms roumains (Rromi) et bulgares, à qui l’on remit aussi un petit pécule.
Or les aspects sécuritaires du dossier des « mesures d’éloignement des Roms » s'effacèrent aussitôt au profit d'une exploitation victimaire. En Octobre, le quotidien Le Monde prétendit avoir les preuves de l’existence d’un fichier des Roms tenu par la gendarmerie. Le blog Rue89 apporta de prétendues révélations supplémentaires. Le prétendu fichier demeura introuvable en dépit des investigations de la CNIL, mais les professionnels de l’indignation avaient réussi à démoniser les pouvoirs publics : la France, État nazi, tenait un fichier des Roms, sur le modèle du fichier des juifs pendant l’Occupation.
Cependant la réaction la plus médiatisée vint en septembre, de la Commissaire européenne pour la justice, la Luxembourgeoise Viviane Reding. Réagissant à la découverte d’une circulaire datée du 5 août, envoyée par le directeur de cabinet du ministère de l'intérieur aux chefs de police régionaux, circulaire qui précisait ceci : « 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d'ici trois mois, en priorité ceux des Roms », Mme Reding évoqua sa honte et déclara : « Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Deuxième guerre mondiale. » Ce n’était pas le fait en lui-même de l’expulsion qui motivait la colère de la commissaire (les occupants des fameux campements étaient hors-la-loi puisqu’ils résidaient depuis plus de trois mois sur le territoire), mais la mention explicite des Roms. Le président Sarkozy tonna contre l’insulte faite à son pays par la référence infamante aux heures sombres. La commissaire européenne se rétracta sans aller jusqu’à présenter des excuses. On récrivit la circulaire litigieuse sans utiliser le mot Roms. Tout le monde se déclara très satisfait et l’incident fut considéré comme clos.
Les médias, qui avaient rendu compte avec une joie mauvaise de la boulette gouvernementale et de ce qu’ils décrivaient avec un sens certain de l’hyperbole comme une condamnation officielle de la France par les instances européennes, en furent quitte pour s’appliquer à eux-mêmes la nouvelle norme, rendant désormais incompréhensibles les informations qu’ils étaient chargés de diffuser. Le « réseau Hamidovic » fut ainsi qualifié par l’ensemble des médias, d’après une dépêche de l’AFP définissant la nouvelle norme langagière, de « clan mafieux » et « patriarcal » venu de l’ex-Yougoslavie. [NOTE. Le réseau Hamidovic était un réseau de petites gitanes bosniaques, formées au vol à la tire. Elles étaient responsable selon la police de 3/4 des vols dans le métro.] Quant au petit gitan âgé de 14 ans qui fit chuter violemment une dame octogénaire en lui arrachant son sac, la plongeant dans le coma, le 29 décembre 2010, il fut désigné par la presse comme un « Roumain ». Ses parents, brièvement placés en garde à vue sous le soupçon d’utiliser leur fils à fin de mendicité agressive, étaient eux aussi des « Roumains ». Outre l'usage d'une synecdoque malheureuse (les « Rromi », l’une des nombreuses minorités nationales de Roumanie, représentent tout au plus 2,5 % de la population du pays), on peut évidemment se demander en quoi il est moins « stigmatisant » d’identifier quelqu’un comme « Roumain » que comme « Rom ».
La course-poursuite. L’expression de « course-poursuite » titille la glande à poncifs des gens de médias parce qu’elle leur permet d’opérer un complet retournement de valeurs, en incriminant le fait a priori banal et rassurant que les policiers courent après les voleurs. L’activité policière peut ainsi être rabattue in toto sur l’idée de bavure, une bavure considérée d’un point de vue cinétique, comme une folle poursuite. La course-poursuite introduit à travers des références filmiques l’idée d’une activité à très haut risque (on pense aux poursuites en voitures dans les films de James Bond), voire d’un cafouillage généralisé et frénétique (via une référence plus ancienne, au cinéma burlesque, par exemple les poursuites dans les films des Keystone Kops).
Le journaliste trouve dans l'inversion axiologique ainsi opérée un double bénéfice : 1. Il s’érige en gardien de la morale (c’est lui qui décide où est le bien et où est l’injustice) ; 2. Il fait droit dans une perspective victimaire aux revendications des familles de délinquants qui, après qu’un de leurs membres s’est tué en tentant d’échapper à la police, réclament systématiquement et véhémentement que les policiers soient jugés et sévèrement condamnés, parce qu’ils les tiennent pour « responsables de la mort » de leur proche.
Il peut arriver qu’une course-poursuite se fasse sans poursuivants (cas de l’affaire de Clichy-sous-Bois où des délinquants, se croyant poursuivis, se cachèrent dans une centrale électrique et s’électrocutèrent) ou avec des poursuivants immobiles (cas de l’affaire de Villiers-le-Bel, où les délinquants en mini-moto vinrent s’écraser sur une voiture de police qui redémarrait à un carrefour).Harry Morgan