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BLACK NO MORE (1931) DE GEORGE S. SCHUYLER

6 février. — Pour occuper ma maladie, lu Black No More de George S. Schuyler (1931), une satire où un médecin noir trouve en Allemagne un procédé pour étendre à tout le corps le vitiligo, procédé qui permet de blanchir les noirs d’Amérique. Le héros, Max Disher, blanchi et rebaptisé Matthew Fisher, devient secrétaire du fondateur du Ku Klux Klan (The Knights of Nordica, dans le roman), dont il épouse la fille, et qu’il parvient presque à faire élire président des États-Unis.
L’auteur, qui est un éditorialiste noir, est très à l’aise dans ce qui relève du journalisme ou de la polémique, le portrait au vitriol de ses rivaux (la caricature de W.E.B. DuBois, rebaptisé Shakespeare Agamemnon Beard, est particulièrement offensante, quoique pas particulièrement drôle), la présentation « comme si vous y étiez » des événements sociaux, meeting électoral, émission de radio diffusée « coast to coast », l’analyse des déterminants économiques (crise du logement causée par la ségrégation, avec la conséquence de logements indignes et de loyers prohibitifs). Mais Schuyler est un exécrable romancier. Dialogues faux. Intrigue incohérente. Rédaction poussive. Quant au roman d’anticipation sur la montée en régime de l’invention et ses conséquences sociales, il est presque entièrement absent. Seul est traité le début du phénomène, Harlem soudain déshabité, les noirs ne voulant plus être noirs si on leur donne le choix, ce qui est évidemment une critique oblique de la « Harlem Renaissance ». Mais ce que raconte réellement le roman est que tous les noirs se blanchissent, et qu’ils épousent des blanches qui, au terme de leur grossesse, découvrent que leur bébé est noir. On est assez loin de H. G. Wells.
Un défaut du roman, même s’il s’agit, encore une fois, d’une satire, est que tous les personnages sont antipathiques. Le médecin noir qui blanchit tous les noirs d’Amérique est motivé par le lucre. Le héros, Matthew Fisher, présenté comme plein d’astuce, est une canaille de la pire espèce. Il entasse lui aussi les millions, y compris aux dépens du prolétariat blanc du Sud.
La thèse du roman est en gros que les blancs sont inexcusables d’imposer aux noirs un séparatisme préjudiciable sur le plan économique et dévastateur sur le plan humain, alors que, du fait de l’histoire même du pays, il n’y a pas de communauté pure, les descendants des premiers colons, qui se targuent d’être de véritables Anglo-Saxons, et qui sont représentés par un personnage nommé Snobbcraft, étant inévitablement les plus mélangés (parfois eux-mêmes esclaves blancs, ils ont vécu au milieu d’indiens et d’esclaves noirs). Cette thèse, pas absurde, permet à l’auteur de traiter les représentants auto-désignés des deux communautés avec le même dédain, comme des professionnels de l’arnaque raciale. Il y avait là, à condition qu’on s’en tînt à cette prémisse, une satire possible. Le problème est que cette thèse est battue en brèche par le roman lui-même, qui identifie bel et bien des caractéristiques de la mentalité noire, dont Matthew Fisher est le plus bel exemple, lui qui ne rêve que de coucher avec toutes les filles blanches, de mener la grande vie et de s’enrichir par des moyens douteux. Bref, dans l’univers du roman, la méfiance des blancs envers les noirs semble parfaitement justifiée. Cette méfiance ne devient pas illogique du seul fait que ces blancs ont eux-mêmes dans leur arbre généalogique un mulâtre ou un indien séminole.
Finalement, les Démocrates du Sud, alliés au Ku Klux Klan et aux Anglo-Saxons de Snobbcraft, s’apprêtent à arracher la Maison blanche aux Républicains en ayant recours aux services d’un statisticien de génie et en présentant des statistiques terrifiantes sur la véritable composition ethnique du pays, ce qui leur permettra de proposer, en lieu et place de la color line, un strict examen généalogique visant à retirer de la catégorie anglo-saxonne une fraction importante de la population américaine. Mais dans un coup de théâtre, les statistiques généalogiques révèlent que les pontes de l’Amérique blanche ont eux-mêmes tous du sang noir.
Sur le plan de l’intrigue, rien de tout cela ne tient debout, puisque le lecteur sait depuis le début que Snobbcraft est presque noir de peau, puisque le statisticien génial aurait dû comprendre dès son étude exploratoire où le menaient ses statistiques. L’auteur s’en tire par une avalanche de péripéties, tentative de détruire in extremis les dossiers statistiques compromettants, vol rocambolesque de ces dossiers par les Républicains, etc.
Les dirigeants de la faction blanche deviennent alors la proie des racistes, furieux d’avoir été trompés. Nos héros prennent la fuite et Matthew coulera des jours tranquilles en Europe avec le magot du Ku Klux Klan et sa belle-famille (qui inexplicablement ne trouvera rien à redire au fait que l’enfant de Matthew et de son épouse est noir). Par contre, dans un long développement manifestement destiné à gonfler un roman trop court, le statisticien et son employeur, Snobbcraft, présentés comme des lâches et des benêts, ratent leur fuite. En panne d’essence, leur avion s’écrase dans un coin perdu du Sud profond. Une longue scène de lynch (c’est Snobbcraft qu’on lynche, avec le statisticien) repousse les limites du mauvais goût sans ajouter à la satire.