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vie des monstres

Ambrose Bierce (1842-1913?)

Ambrose Gwinnet Bierce naquit dans l'Ohio en 1842. Il était le dernier de dix enfants (trois autres enfants, nés après lui, ne survécurent pas). Son père, Marcus Aurelius Bierce, était un calviniste intransigeant, un mari dominé par sa femme et un amateur de Byron. Il eut la singulière fantaisie de donner à ses treize enfants des noms commençant par la lettre A : Ambrose, Amos, Andrew, Augustus, etc. Dans ses dernières années, Marcus Aurelius se convainquit qu'il avait été secrétaire d'un Président des Etats-Unis et racontait en confidence des secrets d'Etat.

L'oncle d'Ambrose, Lucius Verus Bierce, s'illustra par une équipée au Canada en 1838, dont le but était de libérer les indigènes de l'oppression anglaise. Il prit la ville de Windsor, mais l'expédition s'acheva en catastrophe, les indigène dédaignant de se rallier à lui, et Lucius Verus s'échappa par miracle. Il fut six fois maire d'Akron.

Les frères et les sœurs d'Ambrose partageaient la bizarrerie familiale et son enfance se déroula dans un climat étrange. Les enfants étaient organisés en bandes rivales qui se vouaient une haine féroce et se harcelaient constamment.

L'un de ses frères se rebella contre le carcan religieux imposé par ses parents et s'enfuit pour devenir acteur et colosse de foire. A l'autre extrême, une sœur se fit nonne, devint missionnaire en Afrique, et la légende familiale veut qu'elle y ait été dévorée par les cannibales.

La guerre de Sécession éclata quand Ambrose avait dix-neuf ans. Il s'engagea dans le neuvième régiment de volontaires de l'Indiana, Etat où sa famille s'était installée, et reçut pendant quelques mois l'éducation que son père n'avait pu lui payer, à l'institut militaire du Kentucky. Mais un élève mit le feu à l'école et c'en fut fait de l'éducation d'Ambrose.

Bierce fut un excellent soldat, manifestant un complet mépris du danger et un solide sens pratique. Il devint officier dans l'état-major du général Hazen, fut blessé à la tête à la bataille de Kenesaw Mountain, et fut démobilisé au début de 1865. Comme beaucoup d'anciens combattants, Bierce considérait qu'il y avait deux types d'hommes : ceux qui avaient vu le feu, et qui à ce titre méritaient quelque considération, et les autres.

Après avoir été quelques temps douanier dans l'Alabama occupé, Bierce émigra à l'Ouest en 1866, après un ultime séjour dans sa famille. Il comptait sur une charge d'officier, promise par son ancien supérieur, le général Hazen, mais à la suite d'une erreur administrative il découvrit qu'il n'était que major, et non capitaine comme il l'espérait.

A San Francisco, il devint le protégé de James T. Watkins, le rédacteur en chef du News-Letter & California Advertiser de San Francisco. Quand son protecteur émigra à New-York, Bierce devint rédacteur en chef à sa place. Il avait vingt-six ans.

Les mœurs journalistiques de l'endroit étaient dignes de sauvages. L'injure et la diffamation étaient considérés comme d'excellents arguments de vente. Le meurtre entre journalistes rivaux n'était pas inconnu. Bierce s'épanouit dans ce milieu et eut bientôt la réputation d'être la plume la plus acérée de l'Ouest. Il prit l'habitude de porter un revolver.

En 1871, il épousa une demoiselle dont le caractère s'harmonisait avec le sien. Son beau-père, enrichi dans les mines, offrit au couple un voyage de noce en Europe. 1872 vit les Bierce dans les salon littéraires de Londres, mais il fut snobé par ses compatriotes écrivains, en particulier Mark Twain, et préféra la compagnie de journalistes. C'est à Londres qu'il gagna son sobriquet de Bitter Bierce (Bierce l'amer) et sa légende de disciple du diable.

De retour en Californie en 1874, après avoir été brièvement chercheur d'or dans les « Collines noires » du Dakota, Bierce éprouva des difficultés financières. Son beau-père était ruiné. Son mariage fut un échec. Bierce buvait et était infidèle. Le ménage eut cependant trois enfants, dont le destin fut aussi sombre que le caractère de leurs parents le laissait présager. L'un des fils fut tué dans une querelle à propos d'une fille, l'autre mourut alcoolique et phtisique. Bierce vit rarement sa fille après la séparation avec sa femme.

En 1887, Bierce, qui écrivait pour diverses feuilles californiennes, fut recruté par le jeune William Randolph Hearst, qui appréciait sa conception du journalisme. Ce fut le début d'une collaboration de vingt ans, entrecoupée de disputes et de démissions. Bierce s'en prenait à des actrices aux mœurs légères, des ecclésiastiques hypocrites et immoraux, des requins de la finance, des politiciens corrompus, de mauvais poètes et de mauvais romanciers. Il recourait systématiquement à l'attaque personnelle et au ridicule. Sa détestation, habilement aiguillée par Hearst, s'étendit aux féministes, aux socialistes, aux syndicalistes, aux athées, mais aussi aux écrivains régionalistes, aux ministres de tous les cultes, aux gens avec lesquels il était fâché - et il finit par se fâcher avec à peu près tout le monde.

Bierce était, comme beaucoup de satiristes, de manières extrêmement courtoises, même lorsqu'il était ivre. Sa colère était caractérisée par une urbanité glacée. Il était par contre extrêmement susceptible, et ses meilleurs amis reçurent des lettres violentes, réagissant à des affronts le plus souvent imaginaires.

Bierce faisait parfois œuvre de salubrité publique. Son sommet fut sa campagne de presse contre Leland Stanford, l'un des plus cyniques des « barons voleurs », qui, après avoir fait exproprier des milliers de petites gens pour construire ses voies ferrées, s'apprêtait à faire voter une loi qui lui aurait permis de ne pas payer à l'Etat américain les 75 millions de dollars qu'il lui devait pour les terres qu'il avait accaparées.

Mais la gloire de Bierce était une chose du passé. Après 1900, il vécut surtout sur la côte Est, l'Ouest l'ayant renié. Il fit publier son œuvre par un éditeur excentrique, qui fut son ami, Walter Neale. Son caractère, à l'ordinaire acrimonieux, empira.

Les témoignages sur Bierce sont contradictoires et il semble que chacun de ses rares amis se soit projeté en lui. Adolphe de Castro, un dentiste d'origine allemande et un escroc, de son propre aveu, voyait en Bierce son maître, un hypocrite d'une dimension monumentale. George Sterling, un dégénéré alcoolique et exhibitionniste, décrivit Bierce comme un alcoolique invétéré et un homme aux besoins sexuels insatiables. L'éditeur Neale, enfin, qui affectait des manières de gentilhomme sudiste, considérait Bierce comme le dernier Sudiste.

En 1913, Bierce avait rompu avec Hearst et avec son frère Albert, son dernier soutien. Agé de 71 ans, alcoolique et asthmatique, il se rendit au Mexique, alors déchiré par la guerre civile, avec l'intention de se joindre à l'armée de Pancho Villa. Il disparut après avoir écrit une unique lettre. On ignore quel fut son sort.