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Fossiles en sursis

Le paradis de Satan

d'André Armandy


Aujourd'hui, André Armandy n'est plus connu que de quelques amateurs de science fiction pour ses agréables romans d'anticipation.

Il fut pourtant en son temps un "auteur pour dames" des plus célèbres avec des romans comme le Yacht Callirhoé, l'Enchantement, le Maître du torrent, le Chantier des rêves, ou Madame Jeudi.

De son vrai nom André Albert d'Aguillard. Né en 1882 à Paris. Fils, petit fils et neveu d'officiers coloniaux. Etudes au lycée du Mans, lycée Hoche à Versailles, Louis-Le-Grand à Paris. Quinze ans dans l'industrie et l'armement maritime. La guerre (celle de 14-18) au 21ème chasseurs à pied. Blessé, cité, décoré, son invalidité temporaire le conduit à s'essayer dans la carrière littéraire. Il débute à la Revue de Paris avec l'Etrange traversée et le Roman d'un nouveau pauvre, ouvrages qui lui valent l'attention du milieu littéraire. Lauréat de l'Académie française avec les Réprouvés, publiés par la Revue de France.

Grand voyageur, ayant tour à tour parcouru, outre l'Afrique coloniale Française, l'Ethiopie, l'Angola, le Mozambique, le Nyassaland, les deux Rhodésies, le Natal, le Transvaal, la colonie du Cap. Il a tiré de ses randonnées de nombreux ouvrages successivement publiés par la Revue de Paris, la Revue de France, la Revue des deux mondes, l'Illustration, les Annales, le Matin, Paris-soir, Lectures pour tous, etc.

Neuf de ses romans ont été adaptés à l'écran (notamment Rapa-nui et le Paradis de Satan); Nombre d'autres ont été traduits en langues étrangères: anglais, espagnol, italien, tchèque, polonais, grec, portugais.

Il a pratiqué le yachting, la chasse au gros gibier en Afrique et a construit lui-même, sur ses propres plans, son chalet au cap Ferrat.

Il n'a rien publié d'inédit pendant l'occupation pour n'avoir pas à soumettre ses écrits au visa allemand, ce qui est tout à son honneur.

André Armandy s'est éteint à Paris, à l'âge de 75 ans, au début de janvier 1958.

Armandy a su évoluer avec son temps comme le montre Fossiles en sursis (Tallandier, 1954).

Conséquence des expériences atomiques, des sauriens sortent des profondeurs des abîmes pour aborder les îles du Pacifique.

"Un monstre oui, je ne vois pas d'autre mot pour le dépeindre; Il y avait dans son aspect quelque chose d'hallucinant qui faisait penser à ces étranges créatures que l'imagination des romanciers fait tomber d'une autre planète. Sa taille était celle d'un homme, mais, à l'échelle de sa tête, son corps semblait plutôt fluet: une tête énorme que fendait une large bouche qui, lorsqu'elle s'ouvrait, révélait des mâchoires de carnassier. Le nez était inexistant et les narines étaient figurées par deux trous percés dans ce masque de cuir et cernés de deux bourrelets. Il en était de même des oreilles qui, dépourvues de conques, s'ouvraient au ras des pariétaux. Ses mains se rapprochaient de celles des humains, à ceci près que les phalanges étaient reliées entre elles par une membrane qui s'arrêtait à l'articulation des phalangines; et il en était de même des orteils. Mais le plus horrible était ses yeux: de larges disques sans paupières, d'un vert glauque où l'on ne distinguait ni iris, ni pupilles, mais seulement une étroite fente par où filtrait un regard d'une férocité plénière; Des yeux de poulpe."

Un savant misanthrope essaye de les rendre intelligents pour leur permettre de prendre la succession d'une humanité qui, selon lui, court à sa perte.

Il retrouvera la raison, détruira les monstres grâce à des quartiers de viande empoisonnés et partira en croisade contre les armes atomiques. Comme souvent chez Armandy, le récit est dominé par l'intrigue amoureuse, ici entre le narrateur et l'assistante du savant, le "merveilleux scientifique" n'apparaissant qu'au milieu du roman.

 

Classique du roman sentimental, le Paradis de Satan (1941) reste aujourd'hui un roman très lisible et permet de se faire une idée de ce qui faisait rêver nos grand mères. On constate ainsi avec plaisir qu'il existe d'autres choix pour elles que de s'abrutir à la lecture des contes de fées catholiques de "Delly" et de leurs imitateurs.

En voila le résumé tel qu'il est donné par le dos de couverture de la réédition en 1955 chez Tallandier, dans la collection: "pour oublier la vie".

"L'île de Sao Tomé, juste sous l'équateur. Traqué par la nécessité, un jeune ingénieur agronome a accepté la mission dégradante de conduire à la ruine, sous couvert de l'administrer, une vaste plantation de cacaoyers dont une coalition financière projette de déposséder la jeune fille inexpérimentée qui en est l'héritière. Or, il retrouve en celle-ci une ancienne camarade de la Cité Universitaire qui nourrissait pour lui un tendre sentiment et dont la vie l'a séparé.

Entre eux, ce sentiment renaît et flambe d'une ardeur nouvelle dans cette île paradisiaque; Ressaisi, il défendra au péril de sa propre vie la plantation contre les entreprises de ceux qui la convoitent, lui rendra sa prospérité et trouvera sa récompense dans l'amour passionné de celle dont il a sauvé la fortune."

Mais ce ne sera, bien sûr, qu'après avoir cru que tout était perdu que les lectrices ont la joie de voir enfin le couple réuni.

Ce qui surprendra un lecteur qui a eu dans sa vie la curiosité de lire un peu de Barbara Cartland et quelques "Harlequin", c'est qu'Armandy, s'il joue le jeu du roman sentimental, se refuse à animer des personnages marionnettes, stéréotypés, mais met en scène de vrais personnages romanesques, avec ce qu'il faut de psychologie.

Plus étonnant encore, la sensualité qui baigne le roman.

"Le ciel se craquela de foudre et creva comme une outre. Larcher n'eut que le temps de fermer les volets.

-Je crains qu'il ne soit un peu tard, dit-elle, et elle retira son chapeau.

Elle était devant lui, butée, les yeux brillants, acceptant tous les risques. Il redouta affreusement de se méprendre.

-Où voulez-vous en venir?

-A rien. Je ne veux pas partir! Je ne veux pas partir! Je ne veux pas!

Les nerfs tendus, elle tremblait comme une feuille. Et tout à coup, elle se jeta sur le divan et se prit à sangloter d'orgueil vaincu, de jalousie passionnée, de tendresse éperdue, de désir...

-Oh Franck, gardez-moi, s'il vous plaît...

Larcher fut ébloui. Dehors, la pluie tombait en cataractes. Il lui sembla qu'elle noyait le monde et qu'ils demeuraient seuls au sommet de ce morne, seuls désormais à s'aimer dans cette arche; qu'il n'y avait plus ni Europe, ni classes sociales, ni conventions mondaines, ni civilisation en décomposition, mais seulement deux êtres qui s'aimaient et qui déliraient de se prendre.

Il dit - et cela lui parut dérisoire:

-Avez-vous réfléchi à ce qu'on penserait de vous?

Elle exhala un gémissement excédé. Il s'assit au bord du divan et lui caressa les cheveux.

-Regardez-moi..

Elle se retourna d'un bond, lui tendit son visage mouillé, ses lèvres suffocantes. Il l'entendit murmurer sous les siennes.

-Oh Franck, il y a si longtemps.."

Vous avez bien lu! La virginale héroïne abandonne toute pudeur et se donne à l'homme qu'elle aime. Pour qui en douterait, le lendemain, "Larcher se jeta sur son lit et respira passionnément l'odeur de chair fragile et fleurie qui émanait du soutien-gorge. La veille, il s'était indigné qu'avec des seins comme les siens, Francisca usât de cet artifice. Il l'enveloppa de sa caressante pensée."

Voilà qui a dû délicieusement choquer certaines lectrices de romans roses du temps.

Le Paradis de Satan, roman d'amour, est aussi un roman exotique. Chez Armandy, il a le mérite d'être puisé des expériences de l'auteur et non de connaissances livresques, ce qui lui confère un indéniable cachet d'authenticité.

Ce qui a vieilli, c'est bien sûr le style où ne manquent ni les poncifs ni le lyrisme de pacotille. Encore que l'on puisse trouver pire chez certains auteurs "littéraires" de la même époque.

Le Paradis de Satan est un roman écrit avec une visible sincérité par un auteur qui ne volait pas son public.

 

Onésime Ballotin

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