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PETITS ÉDITORIAUX SUR LES SIGNES DES TEMPS
CENSURE IMAGIÈRE, TERRORISME, PANIQUE ET PICTORICIDE


PETITS ÉDITORIAUX SUR LES SIGNES DES TEMPS
Après le procès la bombe
ou
Quand les poules rentrent au poulailler

2 novembre 2011. — Il faut, dans ces sortes d’affaires, garder la tête froide. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire des violences politiques que le siège d’un journal brûle en France, contrairement à ce que disait Oncle Bernard (Bernard Maris) sur France Culture ce 2 novembre à midi. Les sièges des journaux français sautaient de temps à autres pendant les années 1970.
D’autre part, l’attentat contre Charlie Hebdo ne vise nullement un journal pamphlétaire qui serait allé trop loin (les Grandes Gueules de RMC associaient aujourd’hui l’hebdomadaire à une tradition « pamphlétaire, moqueuse, rigolarde ».) Charlie Hebdo (qui ne s’est jamais, au cours de son histoire, signalé par la qualité de ses articles, n’en déplaise aux nostalgiques, mais qui a toujours eu de bons dessinateurs) est, dans son incarnation actuelle, un journal extraordinairement bien-pensant, multiculturaliste, mélangiste, sans-frontiériste (le réseau éducation sans frontière, association de blanchiment d’étrangers en situation irrégulière via la scolarisation de leurs enfants, y tient une chronique régulière), pro-palestinien et d’un antisionisme rabique. C’est précisément parce que Charlie Hebdo est un hebdomadaire satirique bien-pensant qu’il a voulu marquer la victoire des islamistes en Tunisie et en Lybie par un numéro spécial confié à Mahomet. Dans l'esprit de ses journalistes, le monde arabo-musulman aspire, tout comme l’Occident, à la liberté et à la démocratie (c’est la thématique journalistique du « printemps arabe »), et le fait que, renversés les dictateurs, les populaces arabes se soient enfoncées avec euphorie dans l’islamisme le plus rétrograde et le plus haineux constitue pour le journal une cruelle désillusion, qui motive donc une réponse marquée par une amère satire. C’est un point qu’il convient de garder à l’esprit, car les voix musulmanes commentant l’actualité du jour expliquent que Charlie Hebdo a choisi d’insulter les musulmans parce qu’il s’agit d’un journal islamophobe. (Même son de cloche chez les militants, mais les militants sont par définition des crétins. MarieYared, militante de Aides, écrit ainsi sur Twitter, le 1er novembre : « Même après le départ de [Philippe] Val ils restent obsédés contre les musulmans. »)
Les seuls points sur lesquels l’hebdomadaire de Charb manifeste une certaine liberté de pensée sont 1. son activisme en faveur des bêtes (rubrique de Luce Lapin) et 2. son anti-cléricalisme. Mais c’est ici que le bât blesse. Continuant à tourner en dérision la religion catholique, et les ministres du culte catholique, comme aux plus beaux jours de La Calotte, Charlie est bien obligé de s’en prendre de temps en temps à la religion qui est aujourd’hui, du fait de la substitution démographique, de loin la plus visible et la plus agressive. Seulement l’islam n’est pas le catholicisme. Les journalistes de Charlie Hebdo semblent donc s’illusionner sur les règles qui ont cours, et sur le degré de violence qui est considéré comme acceptable, dans la société nouvelle qu’ils ont pour tâche de satiriser.
Je soupçonne que les journalistes de Charlie Hebdo sont en partie victimes d’une auto-intoxication. Au moment du procès intenté à Charlie par la Grande mosquée de Paris, l’UOIF et la Ligue islamique mondiale, pour la publication de deux des caricatures danoises et d’une couverture de Cabu montrant Mahomet, procès gagné par l’hebdomadaire, on avait présenté ce petit théâtre judiciaire comme une pédagogie démocratique à destination des musulmans, censée désarmer les extrémistes, selon l’alternative « le procès plutôt que la bombe ». Seulement, je suis porté à douter que la leçon ait été retenue. Un proverbe américain énonce que « Chickens come home to roost » (qu’on pourrait traduire par « le soir, les poules rentrent au poulailler »), ce qui rappelle que les actes viennent hanter leurs auteurs. Je n’en veux évidemment nullement à Charlie de caricaturer Mahomet, ou le Christ, ou le pape. C’est sa fonction. Mais l’idée que l’humiliation d’un procès perdu allait « éduquer » les islamistes (et plus largement les musulmans) et les convaincre d’accepter l’humour et la satire, comme le reste de la population, dénotait une certaine suffisance.

L’extraordinaire dans l’affaire de l’attentat contre Charlie Hebdo, c’est que, après que toute la classe politico-médiatique se soit, pour la forme, solidarisée avec le journal, on revienne unanimement au véritable et unique sujet, qui est la récrimination musulmane. « L’incendie est provoqué à un très bon moment pour enflammer la France contre l’islam », déclare Karim, auditeur de RMC. Et, Nassim, autre auditeur de la même station, note que la publication elle-même du numéro de Charlie Hebdo ne visait « qu’à se moquer de la communauté musulmane ».
Le déroulé des événements est le suivant :
Acte 1. Charlie Hebdo annonce qu’il va faire un numéro, retitré Charia Hebdo, qui se moquera des islamistes tunisiens et lybiens et dont le rédacteur en chef invité sera Mahomet. L’islamosphère dénonce aussitôt une atteinte gratuite à tous les musulmans, dictée par l’islamophobie. Par exemple, Chams-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman, qui, au demeurant, est certainement un excellent homme, déclare sur Itélé que, sur la couverture de Charlie Hebdo, Mahomet ressemble à Ben Laden. Comprendre : on fait une fois de plus l’association malveillante musulmans = islamistes = terroristes. Cette interprétation ad libitum du dessin de Luz, en complète méconnaissance du contexte (je répète que l’image litigieuse émane d’un journal de gauche, bien-pensant et multiculturaliste, qui s’en prend aux seuls islamistes tunisiens et lybiens), nous renvoie directement à l’affaire danoise, où les intervenants au débat échafaudaient des théories spontanées, en donnant libre cours à leur imagination, pour justifier la colère musulmane, à partir du constat des violences musulmanes, au lieu de prendre acte du fait élémentaire que cette violence meurtrière avait été orchestrée par les dictatures en place, par les mouvements panislamistes et par les médias arabes.
Acte 2. Le siège de Charlie Hebdo est la cible d’une attaque terroriste, comme les représentations occidentales, en 2006, au plus fort de l’affaire danoise. (Je rappelle que le Jyllands-Posten a lui-même été visé deux fois par des complots terroristes — déjoués in extremis — en 2008 et en 2010 — les journalistes de France Culture semblent l’ignorer, qui ne connaissent que la tentative d’assassinat à son domicile de Kurt Westergaard.)
Acte 3. Les musulmans se plaignent amèrement qu’une fois de plus, on les « stigmatise », pour employer le sabir néo-français des « associations ».
Le grief musulman apparaît donc en amont et en aval de l’attentat. Charlie Hebdo stigmatise les musulmans et puis le journal brûle, le résultat étant qu’on stigmatise davantage encore les musulmans. Ce sont deux injustices faites aux musulmans.
Il y a une vertu absorbante du narcissime islamique. En jouant la carte de la victimisation, les disciples du prophète arrivent à se substituer aux véritables victimes et à se placer, eux, au centre de l’affaire. Au lieu de s’inquiéter du fait que des dessinateurs soient contraints de vivre dans la clandestinité dans leur propre pays, situation inédite en Europe hors la période de l’Occupation, on se préoccupe de prétendus blasphèmes contre la religion des musulmans et d’atteintes supposées aux musulmans. Ainsi, les musulmans arrivent à devenir les uniques protagonistes de toute actualité. Tout ce qui arrive sur cette terre, et dont rendent comptent les journaux, arrive aux musulmans.
À noter que cette véhémente protestation des musulmans contre la mauvaise réputation qu’on leur fait ne s’embarrasse pas de cohérence. Car les sites communautaristes ont aussitôt rendu compte de l’attentat, avec une joie maligne. « Il n’a pas fallu longtemps pour que des personnes répondent à la provocation, à trop vouloir jouer avec le feu on fini par se brûler. » (ajib.fr, 2 novembre). Il y a ici un fait anthropologique dont il faut tenir compte. Il y a deux islams, l’islam militant, qui incendie et qui massacre, et l’islam dénégationniste, qui nie que le premier ait pu incendier et massacrer. L’islam persécute et l’islam ne peut reconnaître qu’il persécute (puisque l’islam est parfait). Et mettre le perpétrateur devant sa contradiction, c’est l’amener à un état de frénésie et provoquer de nouvelles violences, plus terribles que les premières. Les coptes d’Égypte le savent, qui ont été écrasés sous les roues des blindés, parce qu’ils osaient manifester contre l’incendie de leurs églises.
Sur le même site communautariste, le commentateur Abdelmajid (même date) salue la nouvelle de l’attentat contre Charlie d’un : « Excellent… Même s’il ne faut pas encourager la violence. Ce journal islamophobe a été trop loin ! » Avant d’ajouter : « On ne se moque pas de l’islam, et surtout pas d’Allah ou des Prophètes de l’islam. Si des gens ne veulent pas comprendre cela, au mépris du mal qu’ils causent en blessant profondément les croyants, je pense que d’autres actions de ce genre se multiplieront, inshAllah. »
Il faut être attentif à ce registre inimitable du paranoïaque vertueux, qui ne présente pas de solution de continuité entre la jérémiade victimaire (« en blessant profondément les croyants ») et la promotion de la violence terroriste (« Excellent… Ce journal islamophobe a été trop loin! »), violence qui est aussitôt déniée (la mention jubilatoire de l’attentat s’accompagne d’un « Même s’il ne faut pas encourager la violence »).

La deuxième affaire Charlie Hebdo montre l'urgence qu'il y a pour les médias à renoncer à leur moralisme pharisaïque. La plainte musulmane de stigmatisation, étayée sur l'accusation absurde et diffamatoire d'islamophobie proférée contre Charlie Hebdo, aurait dû être reçue avec des hoquets d'indignation par tous les médias. Au lieu de quoi, on a une fois de plus flatté le narcissisme islamique et conforté l'idée qu'il suffisait de se plaindre d'une discrimination pour devenir l'objet de toutes les sollicitudes. Quant à l'unanimité des médias à condamner l'attentat, elle n'est pas sans rapport elle-même avec une prédication démocratique. Ce n'est pas aux chrétiens intégristes que s'adresse Le Monde, quand il conclut son éditorial par cette période : « La liberté d'expression et de création artistique est l'une des valeurs essentielles de nos démocraties. Il n'est pas inutile de le rappeler à ceux qui, sous couvert de lutte contre l'islamophobie ou la christianophobie, font la promotion de l'intolérance. »