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Notes pour servir à l'histoire du spiritisme scientifique


ETUDES SPIRITOÏDES ET ULTRAMONDAINES • LE CREPUSCULE DES MEDIUMS • Département des notes de lecture.

Fabrice Bourland, Le Fantôme de Baker Street, 10/18 collection Grands Détectives, 2008

Fabrice Bourland, Les Portes du sommeil, 10/18 collection Grands détectives, 2008


Saluons le retour, dans la collection 10/18, du genre consacré du « détective de l'impossible ». Il s'agit ici d'un détective littéraire, puisque Andrew Singleton, qui opère dans l'Europe des années 1930, n'est pas un logicien, comme Sherlock Holmes, ni même un théologien, comme le P. Brown de Chesterton, mais un amateur de littérature, identifiant dans l'intertextualité les créatures ultramondaines qu'il croise dans ses enquêtes. De ce fait, les aventures d'Andrew Singleton et de son ami James Trelawney, ont un côté délibérément outré et « théoricien ». On est dans la droite ligne des aventures du Sâr Dubnotal, le grand psychagogue, publiées par Eichler en 1909.

Le Fantôme de Baker Street est basée sur la prémice que le 221 B Baker Street est hanté. On devine par qui... (Le numéro 221 B n'existait pas quand Doyle écrivait les aventures de Sherlock Holmes, mais il apparaît dans le monde réel en 1930, après le prolongement de la rue au-delà de Marylebone Road). Les Portes du sommeil se passent notamment à Paris, dans le milieu surréaliste, et on rencontre André Breton, le André Breton des Vases communicants et de l'étude du rêve. Le spiritisme de Conan Doyle tient une place éminente dans le premier tome. La métapsychique continentale tient une place tout aussi éminente dans le second tome, et on visite notamment l'Institut métapsychique international, dans une scène qui répond donc à la même visite au ch. 12 du roman de Conan Doyle Au pays des brumes. (Fabrice Bourland fait remarquer que Doyle situe bizarrement l'Institut métapsychique avenue Wagram. Il corrige et le place avenue Niel, qui fut son adresse jusqu'en 1955.)


Cependant, du fait même de la prémice de l'auteur, le spiritisme devient ici une métaphore des univers fictionnels. On sent à cet égard une certaine influence des littératures dessinées (on pense inévitablement à un scénariste comme Alan Moore). La scène du Fantôme de Baker Street qui se passe au cimetière de Highgate évoque irrésistiblement l'univers des cimetières de bande dessinée, par exemple ceux de Tardi ou ceux de Jean-Claude Forest, qui fonctionnent comme de petits mondes parallèles, la nécropole devenant littéralement la « ville des morts ». Et les ombres de « monstres fameux » (Jack the Ripper, Dracula, etc.) qui s'incarnent en masse dans ce cimetière évoquent les bandes de supertraîtres dans les comics.


Les aventures d'Andrew Singleton, mélangeant érudition historique (le Londres, le Paris, la Vienne des années 1930, comme si vous y étiez) et érudition bibliophilique, se placent dans ce courant, qui est en passe de devenir dominant dans la littérature anglophone, de romans qui se réfèrent à la fois à des personnages historiques et à un certain canon littéraire (dans le cas de Bourland, Stevenson, Bram Stoker, Conan Doyle pour le domaine anglo-saxon ; une littérature du rêve et du fantasme, qui passe par Le Comte de Gabalis, Aurélia de Nerval et qui finit chez les surréalistes, pour le domaine français). Un tel mouvement est facilité par des technologies comme le DVD ou l’internet, qui font de nous tous des archivistes, et il semble qu’on ait donc atteint une « fin de l’histoire », au moins dans les domaines de la fiction. Il est tout à fait caractéristique qu'Andrew Singleton et James Trelawney, entre deux filatures, aillent au cinéma, et qu'ils y voient des films de Fritz Lang. On est ici dans le premier fantasme de l'érudit, qui est d'emprunter une machine à remonter le temps pour faire en chair et en os le voyage qu'il fait métaphoriquement lorsqu'il visionne une vieille pellicule.


Mais la littérature dans laquelle s'illustre Fabrice Bourland témoigne aussi d’une tentative d’établir dans ses droits un mythe moderne, au sens d’un répertoire commun de récits dans lesquels il est possible de puiser, à des fins à la fois narratives, allégoriques et heuristiques. Ainsi, l'idée que les personnages de fiction sont énergisés par l'adhésion des lecteurs à la fiction, (la fameuse « willing suspension of disbelief » de Coleridge) fonctionne à la fois au niveau de l'intrigue (l'idée qu'un monstre est animée par « l'énergie psychique » est canonique dans ce type de littérature) et comme allégorie de la fiction elle-même.


Notons pour finir que, pour faciliter et prolonger le jeu de l'érudition, l'auteur a la bonne idée de proposer des « notes de l'éditeur » identifiant les références littéraires. Il se fend aussi d'une postface dans le premier volume pour nous dire ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. La photographie posthume de Conan Doyle obtenue dans une séance de spiritisme canadienne existe dans le monde réel, mais Conan Doyle n'a pas transmis par écriture automatique la phrase : « Le pensionnaire est sorti de sa boîte. Il faut absolument qu'il y retourne ! », qui appartient, elle, au monde de la fiction.

Harry Morgan et Manuel Hirtz

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