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CINÉMA BIZARRE

LA PUISSANTE ODEUR DE SIPHON D'UNE MABOULIE GÉNÉRALISÉE
AVATAR DE JAMES CAMERON


Vu longtemps après tout le monde cette chose consternante qui a pour titre Avatar [film de James Cameron sorti en 2009]. Il serait absurde de déplorer le fait que les personnages soient tous des caricatures, puisque le film est pour l’essentiel un dessin animé réalisé par ordinateur. Ce qui pose problème est l’infernal toupet du réalisateur, qui s’est mis en tête de nous faire avaler que cette espèce de chromo digital est infiniment préférable, sur le plan esthétique et sur le plan éthique (ces deux plans se confondant du reste à ses yeux), à la réalité banale d’acteurs de chair et de sang et de décors en carton. Les Na’vi sont des indiens bleus mâtinés de chats, hauts de trois mètres, qui parlent anglais avec l’accent du Ghana, ce qui, selon les préjugés hollywoodiens, indique qu’ils sont les « bons », par opposition aux méchants terriens qui veulent les massacrer pour leur voler leurs terres. Les Na’vi disposent d’une connexion à haut débit dans leur chevelure, avec laquelle ils tissent le lien social avec leurs montures (quadrupèdes, oiseaux) et se branchent sur un internet végétal, constitué par le réseau racinaire des arbres géants qui les abritent, réseau qui — à la différence du cinéma hollywoodien — a accédé à l’intelligence.
Il flotte sur tout cela un parfum de roman planétaire américain du début du XXe siècle. Les Na’vi mesurant trois mètres évoquent irrésistiblement les martiens verts d’Edgar Rice Burroughs. Le marine hémiplégique qui anime depuis un sarcophage électronique un corps de Na’vi fait à son image, via un incompréhensible mélange de génie génétique et de réalité virtuelle, ranime un motif classique de la science-fiction américaine des Munsey magazines, celui du terrien réincarné dans un corps d’extraterrestre, qui conquiert ses galons et devient roi de sa tribu. (Initialement, c’est parce que des auteurs comme E. R. Burroughs ou J. U. Giesy ne possédaient pas le concept d’astronautique qu’ils expédiaient leurs protagonistes sur les planètes par transfert d’âmes.)
Plût aux cieux que nos modernes réalisateurs se contentassent d’adapter, à un siècle de distance, les récits planétaires de cape et d’épée tirés des magazines populaires. Ils nous offriraient le dépaysement d’un monde inconnu et l’action menée à fond de train d’un récit épique. Mais un réalisateur de Hollywood ne peut renoncer à nous communiquer l’intégralité des « messages » qu’il a glanés en lisant les éditoriaux de Thomas Friedman dans le New York Times et en discutant avec son life coach. Dans le cas d’Avatar, le résultat dégage la puissante odeur de siphon d’une maboulie généralisée. James Cameron ne se contente pas de nous expliquer qu’une société industrielle ayant développé le voyage spatial est l’incarnation du mal alors qu’une société de chasseurs-cueilleurs est l’incarnation du bien. Il faut qu’il précise que les Na’vi sont victimes de la tactique dite « shock and awe », à l’instar des civils irakiens pris sous les bombardements américains. Ses Na’vi ne sont pas seulement des tribus indiennes ayant fait alliance contre la cavalerie, et qui opposent leurs flèches aux fusils et aux canons des soldats. Ils sont également les talibans afghans, qui après tout ont eux aussi de bonnes raisons de lutter contre « l’impérialisme ». Et le fait que la faune de Pandora se rebelle à son tour contre les mêmes « impéralistes » n’est pas une banale resucée du thème de la revanche de la jungle (« Letting in the jungle » dans le Second Livre de la jungle de Kipling). C’est une application de l’écologie « holiste » de Cameron, et le cinéaste nous explique que tous les terriens vont crever avec la délectation qu’éprouvent certaines toquées à nous annoncer que la nature a inventé la grippe aviaire pour se débarrasser de l’humanité proliférante.
Avatar reprend en les inversant les procédés racialistes du cinéma national-socialiste (aux lieux de blondes à fossettes devant des blés frissonnants, on voit des femmes de couleur — bleue en l’occurrence — coiffées de dreadlocks, sur fond de jungles ondulantes). Mais Avatar n’est pas une simple propagande multiculturaliste et métissolâtre. Cameron promeut carrément le commerce charnel entre les espèces, et tout spectateur propriétaire d’une chatte devrait, à l’issue de la projection, former la résolution d’épouser sa bestiole et se lancer illico dans l’activisme politique en faveur de la légalisation du mariage félin.
Et pour ce qui est du message spirituel, le marine Jake, à la fin du récit, abandonne son corps de chair, et renaît dans un corps glorieux, qui est précisément celui de son avatar Na’vi. Cette réécriture délibérée du mythe chrétien traduit l’ambition religieuse du film, la spiritualité new age propre à Hollywood abolissant toutes les spiritualités antérieures, à commencer naturellement par le christianisme. Dans le ciel de la planète Pandora, où les montagnes volent, comme dans un dessin animé de Hayao Miyazaki, les nuages s’écartent parfois et la vision béatifique est alors accordée aux bienheureux Na’vi. Mais celui qu’ils voient, ce n’est pas Dieu, ce n’est pas le Christ, c’est Mickey Mouse.

Harry Morgan

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