Le gentleman de la nuit
Volume 5 - n° 1. Manuel Hirtz editor
A ce dont l'esprit se contente, on mesure l'étendue de sa perte. Hegel

Un communiqué du Club des paranos

Les bandes dessinées japonaises sauveront-elles l'âme des petites françaises?


Une récente étude portant sur les attentes des petites filles en matière de presse, a donné des résultats surprenants. A en croire les conclusions publiées par l'Institut pour le Bon Goût et l'Association des Anciennes Petites Filles de l'Ecole Communale, commanditaires de l'enquête, le public des fillettes françaises serait mûr pour lire des bandes dessinées japonaises.

 

Un marché négligé

 

Curieusement, le public des petites filles n'a plus de presse depuis quelques années. Quand elle a passé l'âge de lire Mon Petit Poney, la fillette française ne trouve plus de revue qui lui soit destinée, jusqu'à ce que la puberté la pousse vers la presse pour grandes filles.

Le secteur des bandes dessinées pour petites filles, longtemps florissant, s'est étiolé au fil des années. Ainsi, on ne trouve plus actuellement dans les kiosques une seule bande dessinée sentimentale. Le genre reste populaire dans des pays demeurés très conservateurs, comme l'Espagne ou le Portugal.

Les petites filles forment pourtant une importante masse de lectrices potentielles. On a calculé que près d'un enfant sur deux d'âge scolaire était une fille.

 

Des problèmes spécifiques

 

Les petites filles posent un problème particulier à l'édition et à l'industrie du loisir car, contrairement aux petits garçons, elles possèdent un bon goût inné qui leur fait mépriser les histoires de super-héros, les jeux vidéos et autres gadgets futiles.

On sait par ailleurs que les petites filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires que leurs homologues masculins. Travaillant mieux à l'école, elles ont évidemment moins de temps pour lire des bêtises.

Ceci explique peut-être la persistance des éditeurs à négliger ce marché.

Il s'ensuit que, privées de produits réellement conçus pour elles, les petites filles se rabattent en désespoir de cause sur ce que lisent leurs grandes soeurs, de bêtes adolescentes à la tête remplie de sottises - ou à la tête vide - qui se gavent: 1) de photo-romans sentimentaux, 2) de revues de chanteurs et 3) de magazines pour adolescentes stupides.

 

Lutter contre la presse du coeur

 

Cette situation n'est pas sans poser de problèmes. En ce qui concerne tout d'abord les photos-romans, les petites filles se contentent difficilement de ces histoires niaises où des demoiselles sans caractère épousent à longueur de pages des dentistes.

Vis à vis des revues de chanteurs, l'attitude des petites filles est plus ambiguë. D'une part, elle s'accordent à reconnaître qu'elles sont sans intérêt. D'autre part, elles les lisent quand même. C'est qu'elles savent, contrairement à leurs aînées - trop abruties pour s'en rendre compte - que sans elles, c'est à dire sans le public, les bellâtres offerts à leur adulation, seraient restés employés de banque ou garçons coiffeurs! Cette pensée de puissance flatte évidemment les petites filles mais elle ne leur apporte, somme toute, qu'une satisfaction médiocre.

Enfin, pour ce qui est des magazines pour adolescentes stupides, de l'aveu même des petites filles interrogées, mieux vaut n'en pas parler.

 

Cela vaut un jambon

 

Ce qui fait le plus cruellement défaut à l'actuelle presse pour grandes (et petites) filles, c'est l'Idéal.

Or, comme le rappelait récemment le professeur Otto Stulpnagel les petites (et les grandes) filles sont éprises d'Idéal.

Dans une récente étude, non publiée, le professeur Stulpnagel a établi l'échelle sémantique des valeurs des petites filles. Il apparaît que la valeur qui vient très largement en tête est l'Idéal, talonnée seulement par les Grands Sentiments et par le Sacrifice. Pour reprendre le mot d'une maman, l'Idéal, pour une petite fille, cela vaut un jambon.

Il semble qu'en France, les éditeurs aient négligé presque totalement jusqu'à présent le marché de l'Idéal pour petites filles. Les grands groupes européens ont fait preuve de plus de discernement, estime le professeur Stulpnagel, en traduisant massivement des bandes dessinées japonaises pour petites filles.

 

Cela vaut un yaourt

 

En effet, l'abondante production japonaise de bandes dessinées pour petites filles, fourmille de petites filles (et de jeunes filles) éprises, comme les lectrices, de justice, de fraternité, d'amour et de perfection.

Dans Versailles no bara (la Rose de Versailles, déjà traduite en Italie avec un immense succès), une très jeune fille devient capitaine de la garde de la reine Marie-Antoinette pour que triomphent liberté, égalité et sororité.

Dans Maho no tenshi creamy Mami, (Creamy le petit ange magicien), une toute jeune fille se dépense sans compter pour faire vivre sa famille tout en devenant une grande chanteuse populaire.

Ces séries sont écrites et dessinées par d'anciennes petites filles qui n'ont pas oublié les rêves et les aspirations des fillettes qu'elles ont été. Leur consommation apporte aux lectrices une nécessaire part de rêve. Selon le mot d'une psychologue, c'est l'équivalent d'un yaourt.

 

Cela vaut un biftèque

 

D'après le professeur Stulpnagel, on peut s'attendre à un véritable boom sur ces bandes dessinées japonaises quand les petites filles de France les découvriront dans leur langue.

Dans l'actuelle crise de l'édition, la bande dessinée japonaise pour fillette apparaît presque comme une panacée. Si un éditeur avisé les diffusait, on peut supposer que les petites filles françaises dépenseraient tout leur argent pour en tapisser leurs étagères. Ensuite s'ouvrirait le marché immense et lucratif des droits dérivés.

D'autre part, à l'heure où les valeurs traditionnelles sont en crise, on peut penser que ces lectures réconcilieraient les petites filles avec leur propre image et leurs propres aspirations. Et cela, tout bien considéré, vaut largement un biftèque.

 Nos Auteurs

N.D.L.R.: Cet article est garanti 100 % fantaisiste. L'Institut pour le Bon Goût, l'Association des Anciennes Petites Filles de l'Ecole Communale et le professeur Stulpnagel n'existent même pas.

 

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